Production organique, un lent démarrage

S’ils ne constituent pas encore la majorité, loin s’en faut, les producteurs adeptes de l’engrais organique sont de plus en plus nombreux. Convaincus de l’intérêt de cet intrant naturel, les acteurs du secteur se battent pour trouver les solutions à leurs difficultés.

107 tonnes, c’est la quantité d’engrais organique subventionné que l’État, à travers la Direction régionale de l’agriculture du District de Bamako, a mis à la disposition des producteurs de la capitale pour l’année 2017. Ils sont maraîchers mais aussi producteurs de céréales et sont de plus en plus nombreux à opter de façon exclusive pour ces engrais fabriqués à partir de matières premières d’origine animale ou végétale, comme la bouse de vache, les tiges de mil ou encore la fiente de volaille. Pour ceux qui ont fait ce choix, l’utilisation des engrais organiques n’a que des avantages.

Abdoul Aziz Ballo, producteur maraîcher dans la commune de Sanankoroba à 40 km de Bamako, l’assure, ces engrais permettent de garder plus longtemps la fertilité des sols. Mais l’argument qui fait vraiment mouche auprès de la clientèle, c’est le fait que « les produits issus de cette agriculture ont un meilleur goût et se conservent plus longtemps ». Maraîcher depuis 2005, M. Ballo est membre d’une coopérative de 18 personnes. Pour vendre leurs produits, ces maraîchers vont directement à la rencontre de leurs clients au cours d’un marché hebdomadaire. Même si le nombre de ces derniers va croissant, notamment grâce au bouche à oreille, la demande n’est pas encore à la hauteur des attentes des producteurs à qui il arrive parfois de brader les invendus. Et ce n’est pas la seule difficulté à laquelle ces maraîchers sont confrontés, la plus importante étant la production de l’engrais organique. Monsieur Ballo avoue n’avoir pas réussi, après plusieurs années, à fournir suffisamment d’engrais pour son demi-hectare. Pour produire une quantité suffisante de compost, il a par exemple besoin d’une quantité importante d’eau, dont il ne dispose pas durant la saison sèche. Le producteur bio tourne son regard vers l’État dont il attend un appui par l’octroi de subventions qui permettront de créer des forages, par exemple.

S’il reconnaît que le secteur « a un avenir prometteur », Birama Tangara, chef de division promotion et valorisation des cultures et produits végétaux à la Direction régionale de l’agriculture, avoue que les coûts de production sont encore élevés, ce qui rend ces engrais hors de portée de la plupart des paysans.

 

Oulie Kéïta, directrice Afrique de l’Ouest de ONE Africa

 

Quels sont les axes de la campagne de plaidoyer ONE Campaign au Mali ?

ONE Campaign, une initiative de notre ONG, travaille de concert avec les personnes et institutions influentes du Mali pour influencer le processus budgétaire en allouant plus de fonds aux femmes dans l’agriculture et le maintien des 15% du montant total du budget à l’agriculture. Pour cela, ONE et son partenaire local ont rencontré le bureau du président de la République, la Première dame, les ministères impliqués dans la mise en œuvre de la politique agricole, les députés ainsi que les médias.

Quel retour avez-vous eu ?

En décembre 2016, ONE a organisé une rencontre avec les parlementaires maliens pour pousser le passage de la loi foncière. Décembre est un moment crucial de plaidoyer dans le processus budgétaire, car c’est la période de vote de la Loi des finances pour l’exercice de 2017. On peut dire que nous avons eu gain de cause avec l’adoption de la loi foncière.

Que reste-t-il à faire ?

Il reste beaucoup à faire, surtout dans la répartition du budget de l’agriculture. Il doit y avoir une ligne budgétaire pour les femmes et les jeunes. On doit également faire une consultation plus large dans l’élaboration de la phase de génération du plan national d’investissement agricole, en favorisant les populations rurales, les vrais acteurs. C’est  comme cela qu’arrivera le développement de l’agriculture que l’on souhaite pour le pays.

 

Agriculture : Nourrir les Maliens, de l’ambition à l’action ?

Depuis toujours, l’agriculture est le moteur du développement du Mali. Du coton au karité, en passant par le poisson de Mopti et les bovins qui franchissent des kilomètres pour aller nourrir les pays voisins, les producteurs maliens, qui représentent plus de 80% de la population, participent pour 40% à la richesse intérieure du pays.

En 2003, les dirigeants maliens se sont engagés à Maputo (Mozambique), à l’instar de leurs pairs africains, à investir au moins 10% du budget national dans le secteur. Les acteurs se réjouissent de voir cette promesse tenue depuis. L’agriculture malienne, se voit dotée d’un « généreux » 15% du budget national, de quoi doper la production et avancer vers l’autosuffisance. Pour de nombreux acteurs, cependant, ce tableau cache de sérieuses insuffisances à corriger pour concrétiser enfin le rêve de faire du Mali le grenier de l’Afrique de l’Ouest.

Dès l’indépendance, l’ambition a été clairement annoncée par le Président Modibo Keïta : le Mali a tout le potentiel pour se nourrir, produire pour ses voisins et tout sera mis en œuvre pour ce faire. Les grands projets de développement agricole ont été mis en branle et la Compagnie malienne de développement du textile (CMDT) devint nationale. Elle tire aussi vers le haut la production céréalière, puisque les intrants destinés au coton permettent aux agriculteurs d’augmenter le rendement de leurs cultures vivrières.

Politique volontariste Depuis les années 2000 et les fluctuations des cours des matières premières, la politique agricole malienne a diversifié ses investissements et porte une attention particulière aux autres cultures à fort potentiel, en particulier le riz, mais aussi aux filières porteuses, comme la mangue. En une quinzaine d’années, les résultats de cette « politique volontariste » sont devenus visibles, la croissance constante (3% de 2014 à 2015), ralentie cependant par la crise de la production agricole en étant une illustration.

Les raisons de cet élan sont connues : les subventions agricoles, l’utilisation constante des résultats de la recherche et une volonté politique matérialisée par l’octroi à l’agriculture avec grand A (pêche et élevage compris) de 15% du budget national. « En 2003, les chefs d’Etats de l’Afrique se sont engagés à Maputo, au Mozambique, à allouer 10% du budget national à l’agriculture et à avoir une croissance annuelle de 6 %. À ce jour, quelques pays, dont le Mali et le Sénégal, ont dépassé cet objectif et beaucoup d’autres ont fait des progrès significatifs dans cette direction. Le Mali, en ce qui le concerne, s’est engagé à aller au-delà des 15% du budget national alloué à l’agriculture », confirme Oulie Keïta, directrice Afrique de l’Ouest de ONE, organisation internationale de plaidoyer qui a pour objectif « d’amplifier la voix des Africains en faisant du plaidoyer et du lobbying auprès des dirigeants du monde sur les problématiques liées au développement et à la sécurité du continent ». ONE a notamment lancé, lors du dernier sommet sur le partenariat entre le G20 et l’Afrique, un appel aux nations les plus riches à investir dans l’agriculture africaine.

Juste répartition Plus d’investissements pour une meilleure productivité de l’agriculture africaine. Le discours date et ne convainc pas forcément Mamadou Lamine Coulibaly, secrétaire exécutif de la Fédération nationale des producteurs de bananes du Mali, membre de la Coordination nationale des organisations paysannes (CNOP-Mali). Selon lui, il convient de se demander, « au regard de l’enveloppe qui est destinée à l’agriculture, quel pourcentage va chez le paysan ? Tout est investi dans le roulement, les véhicules, les études, etc. Ce qui arrive chez le paysan, ce sont des miettes. Et là également, ce n’est qu’une frange qui obtient ces financements. C’est comme les subventions : ce sont les riches qui les reçoivent, ce sont les plus costauds ! Ceux qui sont régulièrement approvisionnés, ce sont les riziculteurs, les cotonculteurs ». Il donne l’exemple du coût des intrants qui a flambé dès que le programme de subventions a commencé. « Avant, l’urée n’avait jamais atteint les 13 000 francs CFA. C’était entre 9 et 11 000 francs CFA », explique-t-il. « Les paysans représentent 80% de la population et ils contribuent largement à l’économie du pays. Mais quelle est leur part dans les dividendes ? On dirait qu’ils sont juste là pour nourrir les autres. Ils ont eux aussi le droit de vivre, d’être à l’aise, d’avoir un cadre de vie adapté. C’est un peu le dilemme de la situation », déplore Alassane Sylla, paysan à Diema (région de Kayes). Ici, les conditions climatiques mettent à rude épreuve les producteurs, qui doivent redoubler d’efforts pour maintenir leur production à un niveau acceptable. « Les changements climatiques impactent de manière considérable les agriculteurs maliens. Les engrais, subventionnés ou non, ne peuvent pas grand-chose si les techniques d’adaptation ne sont pas maitrisées. Et cela, c’est écrit sur le papier, mais, dans la réalité, le paysan ne peut guère compter que sur son pragmatisme pour continuer son activité. Avec des résultats en chute constante », explique un technicien agricole, sous couvert d’anonymat.

À la Coordination nationale des organisations paysannes (CNOP), on regrette que l’encadrement des paysans soit désormais réduit à la portion congrue. « Avec le désengagement de l’Etat de la vulgarisation agricole, ça n’améliore pas les choses. On parle d’ailleurs maintenant d’appui conseil. Or ceux qui sont en charge de cet appui ne maîtrisent pas les problématiques qui leurs sont assignées », insiste notre technicien.

Les causes des nombreuses contraintes au développement de l’agriculture sont connues, selon les autorités en charge du secteur. Elles ont pour noms aléas climatiques, faiblesse des revenus, difficultés d’accès aux crédits agricoles, pression foncière croissante, persistance des systèmes de production extensifs, faible niveau d’utilisation des intrants agricoles, diminution de la fertilité des sols et de la productivité, etc. A cela s’ajoute la concurrence de nombreux produits agricoles importés, du riz au poisson en passant par le poulet, dont les producteurs locaux sont en lutte ouverte pour obtenir de l’Etat qu’il appuie leur filière.

Réponses concrètes ? Pour résorber tous ces freins, projets, programmes et politiques se succèdent. « Au Mali, nous avons les plus beaux textes, les meilleurs documents de politique existent, mais l’application pose problème. Avec la LOA (Loi d’orientation agricole, ndlr), aujourd’hui le problème qui est posé en termes de productivité et de compétitivité est dépassé. Mais malheureusement, les objectifs ne sont pas atteints », critique Mamadou Lamine Coulibaly. Selon lui, il faut penser une agriculture « plus intelligente » que celle pratiquée aujourd’hui.

« Aujourd’hui, on doit augmenter la productivité sans pour autant jouer sur la superficie, grâce aux subventions. Quand est-ce qu’on va arriver à cette intensification ? On parle de modernisation, mais qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce que cela veut dire amener des tracteurs qui ne sont pas adaptés ou des hybrides que les paysans ne sont pas en mesure de reproduire ? », s’interroge-t-il.

En lançant la campagne agricole, le 25 mai dernier à Ségou, le président de la République saluait « la persévérance, le courage et l’abnégation des producteurs » et leurs bons résultats au cours de la précédente campagne. Il a cependant reconnu qu’il restait encore beaucoup à faire pour le développement du monde rural au profit de ses acteurs. « L’Etat se tiendra à vos côtés parce que vous le méritez. Je vais demander au ministre de l’Economie et des Finances de réviser la clé de répartition du budget alloué au secteur agricole, afin d’améliorer la quote-part qui pourrait revenir à l’Assemblée permanente des Chambres d’agriculture (APCAM) », déclarait Ibrahim Boubacar Keïta.

Une annonce qui ne peut que réjouir les acteurs, dont M. Coulibaly et Mme Keïta. Pour cette dernière, « le gouvernement a démontré sa volonté de faire de l’agriculture le moteur du développement ». Le premier estime quant à lui qu’avec « la façon dont l’agriculture est pensée actuellement, on ne peut pas atteindre la souveraineté. Avec l’agriculture extensive, ce n’est pas possible. Il faut une agriculture intelligente, rationnelle, qui combine le modernisme et les savoirs locaux, en tenant compte de l’agro-écologie. C’est à ces conditions qu’on pourra y arriver ».

 

 

 

Le défi du Maroc vert

La nouvelle stratégie agricole, Plan Maroc Vert (PMV), mise en place par le ministère de l’Agriculture et des Pêches maritimes, vise à consolider les succès acquis et à répondre aux nouveaux défis du Maroc en matière de compétitivité et d’ouverture des marchés. Ce plan a pour finalité la mise en valeur de l’ensemble du potentiel agricole territorial. La nouvelle agriculture marocaine se veut être un secteur ouvert à tous avec des stratégies différenciées en fonction du tissu ciblé.

Le Maroc vert passe par la création de six agropoles à travers tout le pays (Meknès, Berkane, Souss, Gharb, Haouz et Tadla) et un investissement global de 10 milliards de dirhams à l’horizon 2020. Cet effort est cohérent car le secteur agricole contribue à hauteur de 19% du PIB national, partagé entre agriculture (15%) et agro-industrie (4%). Ce secteur emploie plus de 4 millions de personnes dont environ 100 000 dans l’agro-industrie. Le Plan Maroc Vert contribuera au PIB à hauteur de 174 milliards de DH, à créer 1 150 000 emplois à l’horizon 2020 et à tripler le revenu de près de 3 000 000 de personnes du monde rural.

Le Plan Maroc Vert s’articule autour de deux piliers. D’abord, le développement accéléré d’une agriculture moderne et compétitive, vitale pour l’économie nationale, à travers la concrétisation d’un millier de nouveaux projets à haute valeur ajoutée tant dans les productions que dans les industries agro-alimentaires. Ensuite, l’accompagnement solidaire de la petite agriculture à travers la réalisation de 545 projets d’intensification ou de professionnalisation des petites exploitations agricoles dans les zones rurales difficiles, favorisant ainsi une meilleure productivité, une plus grande valorisation de la production et une pérennisation du revenu agricole. Ce second pilier a également pour but la reconversion de la céréaliculture en cultures à plus forte valeur ajoutée (ou moins sensibles aux précipitations) et la valorisation des produits du terroir.

Ce Plan s’articule autour du concept d’agrégation permettant de dépasser les contraintes liées à la fragmentation des structures foncières. Il repose sur la mise en oeuvre d’une nouvelle vague d’investissements autour de nouveaux acteurs à forte capacité managériale. La déclinaison du Plan Maroc Vert en plans agricoles régionaux consiste à construire une vision et une offre agricole régionalisées, respectueuse de l’équilibre entre les deux piliers et permettant de mobiliser des fonds régionaux et nationaux, des organismes de crédit et des investisseurs.