Bamunan, espoir et vie : un refuge pour les aide-ménagères 

Maltraitées physiquement, exploitées par le travail, en rupture familiale, enceintes ou tentant d’abandonner leurs bébés, etc. En 10 ans, un centre d’accueil a tendu la main à de 880 à 1 000 aides-ménagères en situation de détresse. L’initiative est du Groupe de recherche action Droits de l’enfant Mali (GRADEM).

En 2019, 96 aide-ménagères mineures ont été accueillies au centre Bamunan, espoir et vie ».  7 jeunes filles étaient enceintes, 11 filles-mères en situation de rupture familiale ou ayant tenté d’abandonner leurs enfants et 78 autres, sans enfants, victimes d’abus, de maltraitance, d’exploitation par le travail, en réclamation de salaire et en rupture familiale.

La plupart des ces enfants sont référés au Centre d’accueil par la Brigade des mœurs de Bamako. Le reste, par le canal d’autres personnes ressources ou associations avec lesquelles travaille le GRADEM. Cependant, l’ONG s’assure toujours de leur identification auprès de la Brigade des mœurs puis saisit officiellement le  service technique de la Direction régionale de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille pour information.

Bamunan, espoir et vie donne à ces jeunes filles mineures un toit, la possibilité de se soigner, une prise en charge psychologique et un avocat pour leur défense. Il s’emploie également à rechercher les parents des aides-familiales en situation de rupture afin qu’elles regagnent leurs familles respectives en milieu rural. En outre, lors de leurs séjours elles apprennent l’art culinaire. « Il s’agit d’une stratégie qui consiste à former une fille qui ne sait rien faire et à la mettre sur le marché de l’emploi auprès des grandes logeuses initiées en travail domestique. On leur apprend à connaître dix plats, à savoir nettoyer une chambre avec des carreaux, à entretenir un frigo, à connaître leurs droits et devoirs mais aussi ceux de la patronne. Il y en a qui gagnent aujourd’hui mensuellement de 70 000 à 75 000 francs CFA », explique Akplogan Antoine, Directeur exécutif du GRADEM.  

Difficultés

En raison de la nature et de l’importance des prises en charge des victimes, le centre d’accueil fait face à d’importantes difficultés d’ordre financier. Par exemple, selon les chiffres de 2019, 28 des filles victimes ont bénéficié d’une assistance pour des raisons de maltraitances physiques ou d’exploitation par le travail. « Le budget santé a toujours dépassé notre vision des choses. Nous faisons face à des difficultés de prise en charge de cas de maladies très graves. Il y a des filles qui nous arrivent dans des situations catastrophiques, où il faut faire tous les examens médicaux, surtout chez les filles enceintes ou victimes de viol ou les blessées », détaille Akplogan Antoine.

Il poursuit que même dans les services de santé « il n’y a pas de possibilité de réduction des coûts, alors que ce sont des enfants qui sont en situation difficile ». En outre, le GRADEM rencontre des problèmes lorsqu’il s’agit d’identifier les pères des enfants, car les filles tombées enceintes « n’ont pas pu désigner de père ». Cela a permis à certaines mairies de refuser de délivrer des actes de naissance avec la mention libre du père, « alors que la loi l’autorise ».

La réinsertion familiale des filles en détresse est aussi très difficile, surtout pour les filles enceintes ou déjà mères, qui sont considérées socialement comme « une honte ». Pour les 96 aide-ménagères mineures accueillies en 2019, 90 recherches de familles ont été réalisées avec succès, aboutissant à la réinsertion familiale de 86 jeunes filles. « Certains parents refusent catégoriquement tout, ne veulent pas de négociation, car selon eux la fille est une honte. On a ainsi eu des cas qui nous ont valu de garder la fille jusqu’à pendant deux ans. Mais, par personne interposée, il y a eu un dénouement heureux », explique le Directeur exécutif.

Boubacar Diallo

Aides ménagères: Les indispensables

Elles viennent souvent de l’intérieur du Mali, pour certaines de manière saisonnière et pour les autres pour de nombreuses années. En majeure partie elles sont originaires des régions du Centres du pays, Ségou et Mopti. Leur principale motivation pour quitter leurs villages et leurs familles et se rendre à la capitale ? Constituer par leur travail leur futur trousseau de mariage.

Elles s’appellent Fatoumata, Ramata, Mariam, Kadidia, Minata, Nani. Elles sont les aides ménagères de ces dames des villes, qui en sont fort dépendantes, occupées toute la journée par leurs activités professionnelles. Le rêve urbain de ces jeunes (souvent très ou trop jeunes d’ailleurs) filles : récolter le montant nécessaire à l’acquisition de leur trousseau de mariage à la sueur de son front. Une ambition qui vide les campagnes maliennes de leurs bras pour remplir les villes de ces « invisibles », oh combien indispensables. Car ces Nyeleni des temps modernes sauvent bien de foyers !

Il n’est que de se rappeler la célèbre pièce Bougouniéré, qui retrace la trajectoire des aides ménagères, les « 52 », en insistant sur le caractère ambivalent du rapport interpersonnel entre la « Patronne » et sa « Bonne ». Elle est un miroir incisif des  conditions de vie de ces filles de la campagne dans l’espace urbain.

Femmes d’intérieur victimes d’abus Ce sont en effet les aides ménagères qui organisent la vie quotidienne dans nombre de foyers. Premières à se lever et dernières à se coucher, elles sont « la colonie de fourmis » qui fait tenir la famille quand les activités professionnelles des deux parents les amène à être hors de leur domicile la plupart du temps. Car la femme active délègue l’entretien de sa maisonnée à son « assistante casseroles », qui, en parfaite multitâches, s’emploie à s’occuper des enfants, de la cuisine, de la lessive et du ménage, sans oublier « les petites courses » de la maison. Dans  certaines familles aisées, elles se retrouvent à deux ou trois, chacune avec un rôle bien imparti de lavandière, de nounou ou de cuisinière. Les contrats entre les parties s’instaurent en toute illégalité, car ils sont tacites et verbaux dans 90% des cas. Le Code du travail, stipule que chaque employé devrait percevoir au minimum le SMIC, qui, majoré récemment, s’élève à 40 000 francs CFA mensuels, est superbement ignoré.

Ainsi, sans aucune sécurité, les aides ménagères, qui pour beaucoup n’ont qu’entre 11 et 16 ans, se découvrent dans une ville machine, qui les broie. Vu la fragilité de leur statut, les abus sur elles, nombreux, ont souvent des conséquences terribles sur leur vie future. Si la vie n’est pas un long fleuve tranquille pour ces « Fatou », depuis 2011, pour les aider, s’est créée l’ADDAD, l’Association des défenses des aides ménagères et domestiques. Elle œuvre dans la protection de ces aventurières en exode rural et est représentée dans toutes les communes de Bamako. L’ADDAD les aide notamment dans leurs démarches administratives au commissariat et au tribunal contre les patrons et patronnes inhumains, mauvais payeurs ou pas payeurs du tout et abuseurs dans certains cas.

Alors qu’en Occident les robots (lave-linge, lave-vaisselle, aspirateur) ont soulagé l’humain et que son organisation familiale ne tourne plus autour de l’indispensable présence d’une ou deux personnes, la famille urbaine malienne est hyper dépendante des aides ménagères, qui sont ses pieds et ses mains. Ce sont pourtant de véritables amazones quand on retient de leur parcours la volonté de ne « pas se faire raconter la vie en ville » et surtout de prouver fièrement à leurs familles et futures belles-familles qu’elles sont entreprenantes et autonomes.