Jeunesse malienne : Une génération en perdition ?

La jeunesse malienne, couche la plus importante en nombre de la population,  ne cesse aujourd’hui de scandaliser. Le fossé entre les dérives et les normes sociales de référence questionne la nature même de l’éducation inculquée aux enfants. Le récent viol collectif d’une fillette de 14 ans a remis au devant de la scène une problématique qui appelle des réponses urgentes. Et si chacun se regardait dans le miroir ?         

« Chez nous,  les pionniers,  l’éducation passe par trois niveaux : l’école, la  famille et  la rue », affirme Djibi Sacko, Commissaire général adjoint de l’association des Pionniers du Mali et Directeur de Renouveau TV. Processus indispensable pour  être pétris des valeurs culturelles, religieuses et morales, elle est apparue de tout temps comme le puissant vecteur qui oriente la vie de l’individu en société. Aujourd’hui pourtant, certains jeunes n’hésitent plus à commettre l’inadmissible. Le viol par quatre jeunes d’une fille de 14 ans, il y a dix jours, sonne comme l’illustration tragique d’une génération désorientée. Impossible d’imaginer les douleurs physiques et psychologiques d’une victime si jeune, qui restera marquée, comme tant d’autres, du sceau accablant de la honte et du  rejet. Partie visible de l’iceberg, nombreux sont les actes insoutenables qui se commettent sans grand émoi du public. Abus d’alcool, incivilités, violences, vols, viols, un chapelet de comportements se déroule sous le regard quasi complaisant de tous les acteurs. Comme dans un roman de Balzac, les tares dénoncées ne sont pourtant que le résultat de la faillite des fondements de notre société.

Une jeunesse délaissée Les actes dépassent l’entendement et le degré de leur gravité les condamne auprès de l’opinion publique et de la loi.  On  s’indigne des faits, sans questionner  leurs causes. « Les jeunes sont laissés à eux-mêmes. Les parents ont démissionné. L’éducation est déléguée aux réseaux sociaux et à la télévision », regrette Djibi Sacko. La responsabilité des parents est aux yeux d’un grand nombre d’observateurs une évidence. « J’indexe directement nos parents, car c’est à eux qu’il revient d’expliquer la vie aux enfants. Quand quatre jeunes violent une fille et ont le courage de filmer la scène, c’est qu’ils ont vu quelque chose qu’ils veulent imiter », affirme-t-il. L’accès à Internet offre une multitude de services, mais, selon Dr Fodé Moussa Sidibé, Professeur à la Faculté des Lettres, Langues et Sciences du langage, l’encadrement doit protéger l’enfant des offres inappropriées. « Quand on est bien éduqué dans sa famille, même sur les réseaux sociaux on sait sur quoi s’attarder et quoi ignorer », dit-il. Dr Georges Diawara, Professeur à l’École Normale Supérieure, pose la question des valeurs inculquées aux  enfants par  la famille, l’école et  la communauté.  « Quelle éducation a-t-on donné à ces enfants ? Quelle est la part que l’école a prise dans leur formation ? Comment évolue l’éducation dans le quartier où ils vivent ? ». Il se demande combien d’autres jeunes ont commis dans l’anonymat des actes déplorables. On parle de crise sociale et de passivité généralisée. « Il y a des musiques très violentes et très vulgaires que les enfants consomment. Mais personne ne bronche », interpelle Dr Fodié Tandjigora,  Professeur à la Faculté des Sciences Humaines et des Sciences de l’Éducation. En janvier, le maire de la Commune IV a interdit au rappeur Iba Montana toute activité sur son territoire, lui reprochant des incitations à la violence, des atteintes aux mœurs et des appels aux troubles à l’ordre public dans ses compositions.

Même les jeunes admettent la fulgurance du phénomène et font recours à leur enfance pour se souvenir d’une éducation qui fut douce. « Moi, j’ai eu la chance d’avoir profité de l’attention de mes  parents. En ce temps-là, ils contrôlaient nos moindres faits et gestes. Nous étions dans une société où l’enfant appartenait à tout le monde. Actuellement, chacun se dit que son enfant est pour lui seul », constate avec déception Baba Alpha Oumar Wangara, étudiant à la Faculté de médecine et ancien Secrétaire général de l’AEEM.  « Mais il ne faut pas généraliser. Il y a une minorité consciente. C’est à elle d’agir pour réorienter la majorité », propose-t-il. « Il n’est pas trop tard, les parents peuvent agir sur les plus jeunes », ajoute-t-il, appelant à l’implication de tous, dont les autorités scolaires et la société civile. Pour Mikaillou Barry, jeune sortant de l’ENSUP, la nature a horreur du vide et la jeunesse, manquant de repères, est livrée à elle-même.

Selon Dr Georges Diawara, il est urgent que la société regarde les choses en face. « La violence a été cultivée dans l’environnement de cette jeunesse. L’éducation, ce n’est pas seulement ce qu’on dit de faire, c’est ce que l’on voit aussi ». Pour Dr Fodié Tandjigora, les comportements tant décriés sont pourtant l’expression d’un laisser-aller et d’un recul de l’éducation communautaire. « L’échec se traduit par des actes violents, même dans le langage ». Dr Diawara opte pour une analyse minutieuse. « Puisque nous sommes le produit de notre éducation, quels sont ceux qui ont participé au processus de transformation ?», questionne-t-il. Selon lui, même les adultes ont commis des violences auxquelles beaucoup ont été indifférents. Un  cri de cœur  que relaye Mikailou Barry. « C’est l’ensemble de la société qu’il faut interroger », lance-t-il, considérant que les jeunes sont à la fois responsables et victimes. « Responsables dans la mesure où à un certain âge on doit se remettre en cause,  victimes parce que la société les abandonnés ».

La famille, une institution en faillite ?

Pour Dr Fodé Moussa Sidibé, la famille, socle de la société, s’est effritée. « Elle n’existe plus. Nous avons des groupements d’individus qui sont dans un enclos. La mère de son côté, le père aussi, et l’enfant totalement abandonné ». Il invite les uns et les autres à se remettre en question. « La première chose que nous avons à faire, c’est l’éducation des parents. Si nous sommes éduqués, nous saurons éduquer nos enfants ». Éduquer par l’exemple fait en effet partie des pièces manquantes du puzzle. « Tu ne fais pas voir à un enfant de 7 ans un film de guerre ou à suggestions pornographiques. Non ! Il y a des dessins animés. En Occident, on met le contrôle parental. Aujourd’hui, nos dames regardent les films brésiliens avec leurs enfants à côté ! », se scandalise Dr Sidibé.

Poursuivant, il s’inscrit en faux contre l’opinion courante. « Nous avons institué le fait que l’éducation ait pour piliers la famille, l’école et la rue. Ce qui est totalement faux ». Selon lui, l’école donne enseignement et instruction et la rue détruit. Seule la famille reste le fondement de toute éducation. « Quand la famille joue son rôle, tout le monde reçoit une éducation presque identique, mais quand elle laisse tomber, rien ne va », assure-t-il.

Lieu de socialisation et d’apprentissage,  l’école, selon Djibi Sacko,  ne répond plus à sa mission. « Quand on sort avec son professeur, qu’on le regarde sans gêne droit dans les yeux, c’est la dérive. Tout le monde sait ce qui se passe, mais personne ne réagit ». Toute l’architecture éducationnelle semble s’effondrer et les enfants grandir hors de tout contrôle. « Ils  se retrouvent dans la rue et boivent de l’alcool à outrance. Ils deviennent des individus dangereux, sans aucun égard pour leurs parents », justifie Dr Fodié Tandjigora. « Autrefois, mon enfant était celui du voisin. Aujourd’hui, si celui-ci touche à mon enfant, ça devient grave ! », admet Djibi Sacko.

Que faire ?

« Personne ne m’a appris à l’école à respecter mon papa ou ma maman. Si je ne les respecte pas, ce n’est pas la faute de l’école, mais la leur », martèle Dr Fodé Moussa Sidibé. Face à une problématique qui interpelle les parents et les autorités, l’urgence est plus que jamais de reprendre la main. « Que l’État sanctionne sévèrement ceux qui ont été interpellés. Que tout le  monde soit au courant que ce genre d’actes est criminel », propose Dr Tandjigora . Réguler l’éducation de la jeunesse, la restaurer au sein des communautés, à travers les élus locaux, sont des pistes à explorer. C’est ce que propose Dr Sidibé. « Commençons par structurer les communes, par louer des espaces aux enfants, avec des jeunes responsables, pour qu’ils y jouent », conseille-t-il. Il invite aussi à consacrer plus d’heures aux enfants, jugeant l’éducation civique et morale « insuffisante ». L’État doit prendre ses responsabilités en mettant en demeure de le faire les parents qui ne s’occupent pas de leur progéniture. « On ne peut mettre des enfants au monde et ne pas les éduquer », se révolte Dr Diawara. Le changement de comportement ne s’opèrera pas par les sanctions et la frayeur, mais par un investissement dans l’éducation. « Éduquer la jeunesse, c’est la responsabiliser ».