An III de l‘Accord pour la paix: Des avancées, mais surtout des chantiers…

« Ce n’est pas l’anniversaire de l’Accord »… Cette réponse d’un membre d’un groupe armé donne une idée de la divergence d’opinions qui entoure encore l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, signé le 15 mai 2015 et parachevé quelques semaines plus tard, le 20 juin. En trois années de mise en œuvre, des étapes ont été franchies, mais il semble aux Maliens que la tâche reste énorme, tant les enjeux, en particulier sécuritaire mais aussi du côté de la réconciliation, sont encore importants. Accord pour la paix, An III, quel chemin nous reste-t-il à parcourir ?

Si on devait noter sur 20 la mise en œuvre de l’accord, Aboubacrine donnerait « un 10. Tout juste la moyenne. Parce que je suis large », sourit cet enseignant qui, déplacé du nord en 2013, s’est finalement installé à Bamako. « Il y a un sentiment, que je crois partagé, d’immobilisme. C’est aussi comme si on était pris en otages par cet accord. On n’arrive pas à avancer à notre rythme, mais on ne peut pas en sortir non plus », soupire le quadragénaire, pour qui ce qui manque le plus c’est la bonne volonté. Son propos est repris jusque dans les instances internationales, où la question du Mali continue de préoccuper, même si les avancées et autres signaux positifs sont salués et soutenus. Dans ses rapports trimestriels, dont le dernier a été présenté au mois de mars au Conseil de sécurité, le Secrétaire général des Nations Unies souligne les actions entreprises avec succès, mais aussi les chantiers restants, appelant surtout les parties à faire preuve d’engagement pour une mise en  œuvre diligente de l’accord.

Equilibrisme Les contraintes dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord sont nombreuses. Elles ont pour noms sécurité, priorités de développement multiples, immensité du territoire, multiplicité des acteurs et de leurs intérêts. Ce dernier paramètre est d’autant plus important que ce sont ces acteurs qui implémentent sur le terrain le processus. Qu’ils soient des mouvements indépendantistes, qui se réclament désormais de l’accord sans abandonner leurs ambitions autonomistes, voire territorialistes, ou qu’ils soient des groupes dit « pro gouvernement », la difficulté de l’exercice réside dans le fait de mettre tout le monde « d’accord ». Sans compter que le gouvernement lui-même poursuit son agenda et doit faire face à d’autres défis inhérents à la gestion quotidienne de la chose publique. C’est donc à un jeu de funambule que se livrent et la médiation et les parties pour trouver l’équilibre qui permette d’avancer. De la composition des commissions de travail à la clé de répartition des quota de recrutement dans l’armée et le paramilitaire des anciens combattants des groupes armés, tout est pesé pour respecter les forces en présence et n’en frustrer aucune, au risque de voir la machine se gripper, comme ce fut le cas à plusieurs reprises. « C’est frustrant de voir qu’à chaque discussion, chacun s’arque-boute sur ses positions et intérêts. Pour ramener le collectif au centre du débat et avancer, ça prend des jours voire des semaines. Mais on finit par y arriver », explique un diplomate qui décrit des situations parfois très tendues aux réunions mensuelles du Comité de suivi de la mise en œuvre de l’accord (CSA). La dernière, la 23ème, a permis de fixer un cadre d’actions prioritaires, chronogramme à l’appui. « Nous avançons, même s’il y a quelques retards ici et là. La dynamique est la bonne », se réjouit le Commissaire à la réforme du secteur de la sécurité. Pour la paix et la réconciliation au Mali, plusieurs structures ont en effet été mises en place. Il s’agit du Comité de suivi de l’accord (CSA), présidé par l’Algérie, du Conseil National pour la réforme du secteur de la sécurité, présidé par le Premier ministre, dont le bras technique est le Commissariat à la réforme du secteur de la sécurité, de la Commission nationale DDR, en charge du désarmement et de la démobilisation, et de la Commission Vérité justice et réconciliation(CVJR). Elles travaillent ensemble afin de mettre en œuvre, de manière quasi simultanée et en collaboration avec les parties, les actions inscrites dans l’accord. La plupart d’entre elles ont d’ailleurs intégré des représentants de mouvements non signataires de l’accord, pour sceller l’inclusivité, qui est un maître-mot pour réussir.

Sécurité avant tout ? A ce jour, les actions les plus médiatisées relèvent sans conteste du secteur de la sécurité. La mise en place des bataillons du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) dans les régions de Gao, Tombouctou et Kidal cristallise les efforts, car, pour les parties, « c’est la condition pour que tout redémarre. La sécurité pour rassurer les gens, c’est cela le plus urgent. Il faut aussi accélérer le retour des anciens combattants dans les rangs », explique un cadre de la Plateforme. La sécurité, oui, mais pas que. Le développement, et en particulier celui des régions du nord, qui ont vu leur nombre passer à six dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord, en est l’autre volet important. L’installation des autorités intérimaires, qui devait, en entérinant le retour de l’administration, permettre le retour à la normale, est loin d’avoir produit les fruits escomptés. Si les partenaires internationaux continuent de montrer leur volonté d’accompagner financièrement la mise en œuvre des actions, les questions sécuritaire, mais aussi de l’ancrage institutionnel, de la gouvernance ou encore des droits de l’homme restent sur la table. Le CSA, dans une présentation faite lors de la rencontre des chefs religieux du 13 au 15 mai, comptabilise comme avancées dans le volet Développement économique et social de l’accord, « la création des Agences de Développement Régional (ADR) dans toutes régions, sauf Taoudénit et Ménaka, la mise en place des Conventions-État / Collectivités (signature et mise en œuvre des CPER/D) au niveau de l’ensemble des régions du Mali, exceptées les régions de Kayes, Koulikoro, Taoudénit, Ménaka et le District de Bamako, ainsi que l’élaboration et la mise en œuvre de grands projets et programmes de relèvement et de reconstruction ». Ceux-ci, s’ils ont permis une amélioration substantielle des conditions de vie des populations affectées par la crise, sont encore insuffisants pour combler des besoins plus urgents les uns que les autres. Prochaine étape, la création de la Zone de développement des régions du Nord, pour rassembler les synergies et accélérer les efforts d’investissements en faveur desdites régions.

Justice et droits de l’homme DDR, intégration, reconstruction… Quid de la justice ? Elle aussi poursuit son travail, assure-t-on au CSA. L’un des principes pour l’inclusion des mouvements et de leurs combattants et que ceux qui ont du sang sur les mains soient exclus du processus. La justice fera son œuvre en ce qui les concerne. « Si c’est le cas, ça prend du temps », déplore A.B. (pseudonyme), victime d’exactions pendant la crise à Tombouctou et qui attend que ses bourreaux soient arrêtés. « On nous parle de réconciliation, mais il faut impérativement que les gens coupables soient mis en prison et jugés, et non libérés, voire jamais inquiétés. La réconciliation a un prix, ce n’est pas le pardon, c’est la justice », conclut-elle. La CVJR est dans cette logique, assure-t-on du côté des acteurs. Il y a en cours un gros travail d’écoute et de collecte de dépositions sur le terrain. Prochaine étape : la constitution de dossiers qui seront dirigés vers la justice, ou pas. En attendant, les acteurs non gouvernementaux sont de plus en plus nombreux à s’activer sur le terrain, afin que la question de la justice, et plus globalement celle des droits de l’homme, reste au cœur du débat et que les « affaires », qu’elles datent de la crise ou soient plus récentes soient toutes prises en compte.

ll y a du retard mais on avance, assurent les membres du CSA. « Les difficultés rencontrées ne doivent pas occulter les avancées, même si elles se font avec beaucoup de compromis ». C’est un accord « pour la paix ». Il s’agit donc d’un  processus qui, même s’il trébuche et ralentit, doit atteindre son objectif : créer les conditions d’une paix durable et d’un développement équitable au Mali.