An 4 d’IBK: Accueil mitigé pour l’exercice de l’interview

A l’occasion des 4 ans de son accession au pouvoir, le président de la République Ibrahim Boubacar Keïta a accordé une interview à l’ORTM ce 04 septembre 2017. Un entretien au cours duquel il est revenu sur la situation sécuritaire, les projets sociaux d’urgence et la révision constitutionnelle notamment. Si le ton est jugé plus direct par certains, pour d’autres il s’agit d’une mise en scène pas d’une interview.

Sur la paix, le président de la République se veut optimiste. Se réjouissant de l’absence « de belligérance entre l’armée malienne et les groupes armés ». Il note cependant une évolution inquiétante de la situation au centre du pays. Ce qui est d’ailleurs « l’objet de tous nos soucis aujourd’hui, aussi bien politiques, militaires que sécuritaires », poursuit-il. Il y a cependant un acquis auquel le président tient et qui, s’il ne constitue pas la panacée offre un cadre dans lequel on peut évoluer vers une paix durable, souhaitable pour les Maliens. Il s’agit de l’accord pour la paix et la réconciliation nationale signée en mai et juin 2015. Un accord dont la mise en œuvre se poursuit et suscite l’espoir. Le président en veut pour preuve l’arrivée à Kidal du gouverneur Sidi Mohamed Ichrach    et la trêve entre la CMA et la plateforme signée le 23 août2017. Même si le président regrette par ailleurs le manque de diligence pour sa mise en œuvre. Sur cette question et d’autres, Amadou Maïga directeur de la rédaction du journal le « Guido » estime que le président fait preuve de courage en évoquant aussi bien les points positifs que négatifs. Comparant cette interview à celle réalisée en 2016, il estime que cette année la « communication a été meilleure »

La question d’un dialogue avec Iyad Ag Ghali et Hamadoun Kouffa a été aussi abordée. Et selon le président IBK, ceux qui ont remis en cause la laïcité de l’Etat se sont exclu eux-mê.  Et même s’ils doivent rejoindre la nation, ils doivent répondre de leurs actes selon le chef de l’Etat. Ce qui constitue pour Issa Fakaba Sissoko, journaliste, une réponse « contradictoire ». Sur la forme Mr Sissoko estime que cette interview est plutôt « une dictée préparée ». A la place, il préconise une interview avec l’ensemble des médias de la place pas seulement avec le seul média d’Etat.

 

Adam Thiam, Éditorialiste – Chroniqueur

Quelle appréciation avez-vous de cet An 3 du Président IBK ?

Je crois que le rituel annuel de la célébration des investitures ne donne en général qu’une idée tronquée des bilans. Le président a été élu pour cinq ans. C’est vrai que des évaluations à mi-parcours sont nécessaires mais je me demande si cela doit être fait sur une base annuelle. Ce n’est pas une démarche pertinente, à mon avis.

Qu’avez-vous pensé de cette interview « anniversaire » du président ?

Sur le principe de l’interview accordée à la presse, je pense que c’est salutaire pour la forme, mais il faut le refaire plus souvent parce que c’est la presse nationale qui parle aux nationaux. Dans certains pays on aurait simplement fait appel à un journaliste qui représente la majorité et un autre qui représente l’opposition. Pour le fond…

Comment pourrait-on attendre des deux prochaines années du règne IBK ?

Il ne faut pas oublier que le président est venu dans un contexte extrêmement difficile, celui d’un État en crise multiforme. Les gens ont voulu aller à l’élection au plus tôt, parce qu’ils pensaient que la crise était tellement profonde qu’un gouvernement de transition ne pouvait pas la régler. Je ne crois pas qu’à la pratique cette donne a été suffisamment intégrée par la majorité présidentielle, qui est venue avec la conviction que la majorité doit gouverner et l’opposition doit s’opposer. Or, je pense que le pays est encore trop fragile pour une politique de « confrontation ».

AN 4 : Le tournant politique ?

En septembre 2014, un an après son investiture en grandes pompes à Bamako, le Président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), 71 ans, pouvait avancer comme bilan le fait d’avoir restauré l’ordre en mettant fin au pouvoir de Kati incarné par le capitaine Sanogo, et rendu au Mali sa place sur la scène diplomatique internationale, fruit des nombreux voyages effectués. L’année suivante, la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation, de même que la lutte victorieuse contre Ebola, avaient permis d’afficher un résultat honorable. En 2016, il apparaît plus difficile d’être satisfait, tant les difficultés demeurent, sur les plans sécuritaire, économique, comme social, et au niveau de la gouvernance. « N’oubliez pas que je ne suis qu’un homme ». Cette phrase, prononcée à la fin d’une interview sans tonus, sur l’ORTM le 4 septembre, sonne-t-elle comme une marque d’humilité ou un aveu d’impuissance ?

La paix introuvable Le dossier le plus épineux sur la table du Président IBK est sans conteste la crise du nord. Plus d’un an après la signature de l’Accord, le processus semble au point mort. Les combats meurtriers, sur fond de rivalités communautaires entre le GATIA (Groupe d’autodéfense touareg, Imghad et alliés), membre de la Plateforme, et le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), élément de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), pourtant tous deux signataires, a considérablement retardé la mise en œuvre. Et malgré les efforts déployés par le Haut représentant du Président de la République, Mahamadou Diagouraga, les parties, faute d’un consensus sur la gestion de Kidal, bloquent l’avancée de la paix. Une réunion de la dernière chance est prévue avant les Assemblées générales de l’ONU, fin septembre, en marge desquelles des sanctions pourraient être décidées par le Conseil de sécurité. La communauté internationale, jusque-là impuissante, « impute cet échec à l’absence de cohésion au sein du gouvernement et à la faible implication des plus hautes autorités qui manquent cruellement de vision sur ce dossier », selon un diplomate membre de la médiation.

Toujours est-il que l’insécurité, autrefois cantonnée au nord, a gagné du terrain vers le sud, à Mopti comme à Ségou, avec son lot d’attaques meurtrières contre les casques bleus et l’armée. La dernière en date, à Boni, a coûté son poste le 3 septembre à Tièman H. Coulibaly, alors ministre de la Défense, remplacé par Abdoulaye Idrissa Maïga. Le 4ème en 3 ans.

Parallèlement, la montée du communautarisme et du repli identitaire, qui s’illustre par la création d’un mouvement armé pour la défense des peuls et par les fréquents conflits entre éleveurs et sédentaires, en inquiète plus d’un. « On est loin du bonheur des Maliens, contrairement au slogan de campagne », se plaint Amadou Togola, un déçu de la majorité présidentielle.

Une gouvernance décriée Il est vrai qu’IBK était surtout attendu pour son autorité. Mais trois ans après, l’État n’a toujours pas retrouvé sa souveraineté sur Kidal, l’armée n’est pas encore en mesure de lutter efficacement contre les terroristes, la corruption n’a pas été vigoureusement combattue, et le Bureau du vérificateur général est lui-même épinglé dans un rapport sur sa gestion ! Quant à l’autorité de l’État, elle semble plus faible que jamais, comme l’atteste le retour progressif des commerçants sur la voirie de Bamako, après avoir fait l’objet d’une opération de déguerpissement en juillet, fortement médiatisée. « On ne respecte pas l’État, car l’État lui-même ne se respecte plus ! », scandaient des manifestants aux abords du tribunal de la Commune IV de Bamako, pris d’assaut et partiellement brûlé le 17 août, alors que l’animateur de radio Ras Bath devait y être entendu. La mauvaise gestion de cette manifestation, dont le bilan est d’un mort, et la coupure des réseaux sociaux qui a suivi pendant 2 jours témoignent encore de la fébrilité du pouvoir.

Au sein de la majorité, il est rare d’entendre une voix forte défendre l’action de l’exécutif, et de nombreux ministres critiquent mezza voce « l’absence de cap, la gestion au jour le jour, et l’inaction du Premier ministre Modibo Keïta ». Pour d’autres, comme Racine Thiam, conseiller à la communication du président, « l’heure n’est pas au bilan, mais à l’évaluation, car le mandat est en cours ». À y regarder de près, les constats au sein de la majorité, y compris au Rassemblement pour le Mali (RPM), le parti d’IBK, ressemblent peu ou prou à ceux de l’opposition. Cette dernière tire à boulets rouges sur un exécutif qui manque de porte-flingues capable de porter la riposte. Pour autant, aucun opposant ne semble pour l’instant en tirer des bénéfices politiques, comme le prouve les 5 élections législatives partielles perdues depuis 2013.

Reprise en main politique C’est sans doute conscient de la faiblesse de son dispositif, que le président IBK a fait appel, le 29 août, à son ancien ministre, Soumeylou Boubeye Maïga (SBM), pour prendre en main le secrétariat général de la Présidence. Il remplace Mohamed Alhousseiny Touré, nommé en 2014 et déjà secrétaire général sous Moussa Traoré, il y a plus de 30 ans… Remanier Koulouba semblait donc une priorité pour redonner du souffle et une nouvelle impulsion à une institution censée être le pivot du système. Conscient de la tâche, SBM, fin politique, a évoqué son rôle lors du passage de témoin, qui serait de « suivre l’activité gouvernementale pour le compte du président ». Très critique sur la gestion du pouvoir avant sa nomination, il hérite d’une administration ankylosée, où se côtoient des membres de la majorité, comme des conseillers nommés par Amadou Toumani Touré. Le nouveau secrétaire général pourrait s’appuyer sur un second adjoint, aux côtés de l’ancien ministre Moustapha Ben Barka. En attendant, il devra aussi composer avec Boubacar Touré, dit « Bou », nommé chef de cabinet. Secrétaire à la communication du RPM, cet ancien député de Niono, animateur de radio et propriétaire agricole, a été choisi pour rassurer le parti majoritaire, alors que beaucoup se sentaient marginalisés depuis l’éviction du gouvernement de son secrétaire général, Bokary Treta, en janvier 2016.

Quelques jours après ces nominations, les cadres du parti ont pu rencontrer le président, et la date du 22 octobre a été fixée pour l’organisation du prochain Congrès, qui devrait voir le renouvellement des instances de la formation. C’est donc une reprise en main politique que vient d’effectuer le Chef de l’État, en vue d’amorcer la dernière ligne droite, notamment à l’approche des élections communales du 20 novembre. À ceux qui lui reprochaient sa « gestion sentimentale de l’État », il a répondu en se séparant d’un proche et allié, Tièman H. Coulibaly. Est-ce l’avènement du IBK nouveau ? Il manque probablement un dernier étage à sa fusée : le remaniement gouvernemental. Bien que de nombreuses voix le poussent à agir beaucoup plus vite, le locataire de Koulouba semble vouloir maintenir le Premier ministre Modibo Keïta, au moins jusqu’au sommet Afrique-France de janvier 2017. Jusque-là, Soumeylou Boubeye Maïga jouera sans doute le rôle de « Premier ministre bis ». En attendant une promotion ?