Pour une réponse politique à la « crise des déplacés »

Pour qui visite nos pays et prête l’oreille à leurs habitants, la principale crise que connaît le Sahel est « silencieuse ». Des dizaines de milliers de Sahéliens sont « sur les routes » ou s’établissent à la périphérie des villes. Mus par la peur, ils fuient puis construisent des abris de fortune et tentent de survivre. Quelles perspectives pouvons-nous leur offrir ?
Leur détresse est moins spectaculaire que la disparition violente de certains de nos compatriotes, mais elle représente un défi majeur pour notre région. Vaincre l’insurrection, c’est d’abord réduire sa capacité de nuisance pour notre société. Il faut donc répondre aux besoins de nos concitoyens déplacés. De toute urgence.
Comment adapter nos économies et nos administrations à cette crise sans précédent ? Notre intelligence collective doit identifier des solutions pérennes – même modestes.
Les Etats peuvent émettre des obligations pour mobiliser la solidarité nationale. Ces emprunts extraordinaires permettraient de souligner la gravité de la situation, souder citoyens et entreprises autour d’un objectif commun et triompher des épreuves actuelles.
Des programmes de travaux à haute intensité de main d’œuvre peuvent être conçus. Qu’il s’agisse d’assainissement, de production maraîchère ou d’autres secteurs d’activités, il faut créer des initiatives permettant de réduire l’oisiveté et créer de la richesse. Il y va de la dignité de nos concitoyens, d’une politique publique stimulant la demande … et du meilleur moyen pour prévenir une délinquance qui accroîtra l’insécurité dans nos villes.
On peut également envisager le lancement d’un « programme civique ». Il consisterait à recruter et former de jeunes diplômés pour assurer l’éducation civique et sportive de certains jeunes déplacés. Par le sport, la culture ou d’autres activités d’intérêt général, la société doit transformer le traumatisme d’un « exil intérieur » imposé en opportunité de solidarité nationale. Il y va de notre détermination à triompher ensemble de cette épreuve – avec nos moyens et notre génie propre.
La crise socio-économique que nous connaissons ne disparaîtra pas « par enchantement ». Son issue dépend de notre capacité à identifier, mobiliser et coordonner les ressources rendant possibles notre rebond. Les effets néfastes de l’épidémie du COVID n’ont pas atteint les prévisions pessimistes de certains « experts ». Ils avaient peut-être tort, mais il est indéniable que nos sociétés sont parvenues à s’adapter et triompher de certains obstacles.
Ignorons donc l’enthousiasme des acteurs de « l’économie extravertie » qui louent les productions record ou le cours élevé de matières premières que nous exportons sans transformation et dont les prix sont fixés dans des bourses situées hors de notre continent. C’est dans la production de mil, de riz ou d’autres denrées alimentaires qu’il convient d’investir. Ou dans la transformation de notre coton pour résorber le chômage en stimulant une industrie textile locale. Ainsi, nous pourrons réduire la cherté de la vie dans nos campagnes et nos villes.
C’est notre première responsabilité collective. Les Sahéliens ne manquent ni de générosité ni d’inventivité. Il faut donc dépasser la gestion de l’urgence en permettant à la vie de « suivre son cours ». Quand la paix reviendra, certains concitoyens regagneront la campagne mais d’autres demeureront citadins – nous devons admettre que la crise actuelle changera profondément nos sociétés. Et s’y préparer en conséquence.
En conclusion, il faut canaliser nos énergies vers un élan de solidarité nationale active. Ceci permettra de réduire au silence les appels à la haine de certains fauteurs de troubles. Il ne suffit pas de condamner leurs propos irresponsables et de les poursuivre en justice, il faut démontrer par nos actes que nos adversaires ne parviendront pas à semer la discorde en notre sein. Agir ainsi, c’est renforcer le contrat social et démontrer que la première mission des institutions est de protéger les citoyens.

Wassim Nasr: « Tant qu’il n’y a pas de solution politique les groupes djihadistes vont continuer à proliférer »

Est-ce que les groupes djihadistes sont  plus forts aujourd’hui au Mali ?

Ils sont en train de monter en puissance. Après l’opération franco-malienne, les éléments de Moctar Belmoctar sont partis d’un côté, ceux du MUJAO d’un autre et Iyad Ag  Ghaly aussi. Mais c’est en avril 2017 qu’Iyad a réussi à les réunir pour former un groupe capable de faire beaucoup des dégâts. Il a élargi le rayon d’opération jusqu’à Ouagadougou et Grand Bassam (Côte d’Ivoire).

Est-ce qu’il mène des opérations avec Al Sahraoui ?

Abou Walid Al Sahraoui a voué allégeance à l’Etat islamique. Ce qui est spécifique au Sahel en général. Al-Qaïda et l’Etat islamique ne se confronte pas, ils se tolèrent. Le conflit et la compétition entre les deux n’ont pas lieu d’être. Ce sont des relations tribales, claniques et parfois des intérêts communs qui priment.

Barkhane a-t-elle de la peine à faire face à la montée de ces groupes ?

Cela dépend de quelle perspective on voit les choses. Parce que Barkhane aussi a des résultats sur le terrain. Mais est-ce que ces résultats militaires suffisent à eux seuls à trouver une solution ? Elle est parvenue à élimer des chefs djihadistes avec une empreinte militaire assez faible. Tant qu’il n’y a pas de solution politique les groupes djihadistes vont continuer à proliférer et profiter des situations instables.

Louis Magloire Keumayou : « Le Mali est un pays qui a un semblant d’unité»

La période effrénée de la présidentielle malienne tend vers sa fin. Elle aura duré plus d’un mois, avec des discours enchanteurs et des grands meetings. Sur les 24 candidats du premier tour du 29 juillet, deux ont refait le jeu le 12 août. Le Président du club de l’information africaine, Louis Magloire Keumayou, a accepté de répondre aux questions du journal du Mali  sur le bilan du scrutin et l’évolution du Mali depuis l’élection de 2013. 

Quel bilan peut-on tirer de cette présidentielle ?

Le premier constat est que l’élection s’est tenue, malgré des conditions qui n’étaient pas totalement réunies pour qu’elle se tienne sereinement sur l’ensemble du territoire malien. Elle a eu lieu, tant mieux. Maintenant, avec toutes les violences qu’il y a eu sur le plan sécuritaire et verbal, il faudrait voir les suites qui seront données. Après c’est à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur les résultats acheminés et centralisés à Bamako. Il est un peu trop tôt pour savoir si toutes les conditions ont été réunies pour qu’on parle d’une élection transparente, inclusive et réussie.

Y a-t-il eu des nouveautés par rapport à 2013 ?

La grande nouveauté est que le taux de participation, notamment dans le nord, a été plus important. Mais il ne faut pas se méprendre sur le fait que les gens croient en leur pays. Ils croient en ce que la démocratie peut encore apporter au Mali. On ne peut pas dire que les acteurs politiques eux-mêmes aient fait beaucoup pour saisir l’électorat entre 2013 et 2018. Malheureusement, ni IBK, ni Soumaila, ni les autres n’ont investi le nord, qui est quand même une partie du territoire malien, pour le rassurer, pour le reconstituer avec le sud. L’accord pour la paix, c’est quelque chose qu’il faut appliquer. Il faut que les acteurs politiques s’en saisissent et fassent en sorte que le pays revienne à un fonctionnement normal, celui qui a été le sien avant les attaques dans le nord. Il y a un autre défi qu’il faut relever, celui de sortir du tout militaire. Il faut arrêter de penser que la seule solution aux problèmes du Mali est militaire. Gagner la guerre est beaucoup moins  compliqué que de gagner la paix, et aujourd’hui même la guerre n’est pas encore gagnée. Je pense qu’il faut surtout investir le champ social et économique pour que les gens se sentent sécurisés.  C’est la mission première de l’État, protéger ses citoyens.

Est-ce que l’attachement à l’Accord au nord explique le taux favorable à IBK ?

Je ne sais pas qui doit récolter le gain de cette forte participation au nord, si ce n’est le peuple malien lui-même. Que le nord se reconnaisse dans des élections le prouve. C’est le Mali qui sort gagnant de cette forte participation.

Qu’est ce qui explique le faible engouement ailleurs ?

Ce sont les leaders politiques qui n’arrivent plus à se montrer « sexy » vis-à-vis de la population. Même dans les grandes démocraties les taux de participation baissent. Mais au Mali, en plus du fait que les politiciens soient mauvais, il y a les situations socioéconomique, sécuritaire qui sont mauvaises, l’État qui est ébranlé dans ses fondements. Malgré cela, les politiques font comme si on était dans un pays normal, qui n’a pas de problèmes de sécurité, économiques et sociaux. Je pense qu’ils déçoivent les électeurs. Malgré l’engouement qu’il y a eu dans les années 90 pour que le Mali devienne un pays de démocratie exemplaire, aujourd’hui on a l’impression que le soufflé est retombé et que les gens n’y croient plus trop.

Quels enseignements peut-on tirer de cette élection ?

Le Mali est encore un pays qui a un semblant d’unité. Même si tout n’a  pas été gagné dans la conquête du nord, on sent que tous les Maliens, du sud au nord en passant par le centre, se sentent concernés par les enjeux politiques et démocratiques. Ce qui est une bonne nouvelle. Le reste est entre les mains des politiciens eux-mêmes.

Quels sont les défis auxquels le nouveau président devra faire face en urgence ?

Il faudra qu’il réconcilie les Maliens, parce qu’un pays qui est divisé n’est pas fort. Avant on parlait d’un pays divisé en deux, aujourd’hui, il n’est pas exagéré de dire qu’il divisé en trois, puisque le nord, le centre et le sud sont soumis à des tensions très fortes. Le deuxième enjeu est celui de reconquérir la souveraineté de l’État partout où elle doit être exercée. Le troisième est de remettre les hommes au centre de la politique, parce qu’il faut que les politiciens arrivent à rendre les Maliens heureux à nouveaux.

Critique littéraire : Un métier méconnu

L’abondance des œuvres artistiques ou littéraires a suscité une curiosité d’analyse, non seulement du fond mais aussi de la forme. La critique, dès lors, se fixe pour ambition de relever les qualités et les carences des productions au grand public. Au Mali, rares sont ceux qui évoluent dans ce domaine, pourtant passionnant.

« La critique, ce sont toutes les formes de commentaires, jugements et évaluations qu’on fait d’une œuvre littéraire, que l’on soit professionnel de la critique, amateur ou simple lecteur », explique Dr Mamadou Bani Diallo, critique littéraire et professeur à l’Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako. Il est l’un des rares  enseignants de cette discipline au Mali. Il cite le livre « Le Devoir de violence » de Yambo Ouologuem, paru en 1968, premier roman africain à recevoir le prix Renaudot. L’œuvre, taxée de plagiat, a suscité une avalanche de réactions et des prises de positions qui ont fait sa notoriété. « Sans l’œuvre littéraire, il n’y a pas de critique, car c’est elle la matière première», souligne Dr Diallo. A travers les débats et les réflexions, l’œuvre se propage et atteint un large public. Le lecteur participe aussi, par l’accueil et la réception, à la critique. « La critique  permet à l’œuvre d’être mieux connue et distribuée. Elle crée la mobilisation autour,  et sans un espace comme tel l’œuvre serait confinée », indique celui qui a par ailleurs produit des écrits sur cette discipline, souvent  assimilée à une profession.

Tous critiques? Des professionnels du domaine et des amateurs s’adonnent souvent à l’exercice. En plus de la critique universitaire, qui se base sur l’exposé et les commentaires des textes, il y a aussi la critique des amateurs. « Même l’exposé journalistique entre dans le cadre de la critique littéraire », soutient Dr Mamadou Bani Diallo. Mais il y a des différences. « Ceux qui font de la critique universitaire disposent d’un certain bagage conceptuel, acquis à l’université ou ailleurs, leur permettant de faire une critique élaborée et précise », affirme-t-il. La critique littéraire, bien qu’elle ne soit pas la seule, semble être la mieux outillée, du fait des progrès des sciences humaines. « Toutes les grandes découvertes dans ce domaine ont été exploitées par les critiques pour analyser le livre et faire ressortir toute la dimension humaine du texte ».

Il n’y a pas d’engouement sensible pour ce domaine au Mali et certains de ceux qui s’y engagent se limitent à « des approches superficielles », au détriment de la profondeur et de l’analyse réelle. L’appel est donc lancé pour que ce champ soit mieux investi.