Ousmane Madani Haïdara : « Nous assistons à l’islamisation politique de notre pays »

Seid Ousmane Madani Haïdara est l’une des figures emblématiques de l’islam au Mali. Religion, gestion du pays et de la chose publique, péril extrémiste, le leader incontesté d’Ansar Dine International et Président du tout nouveau Groupement des leaders spirituels musulmans du Mali, a livré sa vision préoccupée du monde à Journal du Mali (en langue bambara), en plein cœur de ce mois de carême.

Vous êtes l’une des personnalités les plus populaires au Mali aujourd’hui, mais peu vous connaissent vraiment. Qui est Ousmane Madani Haïdara ?

Je suis né en 1955 à Tamani, cercle de Baraouéli, dans la région de Ségou. J’y ai commencé les études coraniques. Je n’ai fréquenté l’école occidentale que pendant une année parce qu’elle était obligatoire. Mais mon père s’est arrangé avec le directeur de l’école et on m’a envoyé à Ségou à la médersa d’Oumar Touré. À la fin de mon parcours, j’ai été prêcher d’abord en Côte d’Ivoire, avant de venir m’installer au Mali où j’ai commencé d’abord à Sofara et à Mopti. C’est en 1984 que je me suis définitivement installé à Bamako.

Comment financez-vous vos nombreuses œuvres sociales ?

Le social et la religion vont de paire. Toute personne qui aime Dieu et qui a une portion de bonheur, a le devoir de partager avec les autres. Partager le peu que vous avez afin que tout le monde soit content, c’est ce qui est le plus important, en plus du fait de prier, de faire des bénédictions, de s’adonner à la lecture du Coran. Ce n’est rien d’autre que le comportement de tous les jours d’un bon musulman. Il faut toujours partager le peu qu’on a avec son prochain. Dieu n’a pas donné la chance à tout le monde de devenir riche, alors ce que j’ai, je le partage. De nombreuses personnes participent à cet effort et m’aident à financer ce que je fais. Les riches doivent se mettre en tête que Dieu leur a donné la part de plusieurs personnes et qu’ils ont le devoir de partager avec les autres.

Vous avez créé en avril dernier le Groupement des leaders spirituels musulmans du Mali (GLSM). Parlez-nous de ses objectifs.

Le groupement n’a d’autre objectif que la promotion d’une société paisible et prospère au bénéfice de tous les musulmans. Seules l’union et l’entente entre les leaders religieux permettront à l’islam de faire face à l’obscurantisme et aux mauvaises interprétations de ses ennemis. L’islam tel que nous l’avons appris auprès de nos grands-parents, n’est pas cette religion de violence où l’on tue son prochain parce qu’il n’est pas du même avis que soi. Nous étions habitués au vivre ensemble dans la diversité religieuse et culturelle. Moi, je pense que c’est l’islam qui peut me sauver. Si l’autre pense que c’est le christianisme qui peut le sauver, il n’y a pas de problème, c’est Dieu qui va nous départager. C’est aussi simple que ça et personne n’a le droit de verser du sang au nom de la religion. Il appartient donc aux leaders de rétablir l’image de l’islam, aujourd’hui écornée par les pratiques terroristes qui ne font que détruire les valeurs qui ont fait le rayonnement de cette religion pendant des siècles. On constate aujourd’hui qu’ils sont en train d’instrumentaliser les jeunes un peu partout dans notre pays. On leur donne de l’argent, on leur tient des discours haineux. Il y a des mouvements qui reçoivent des financements pour endoctriner la jeunesse. Ils ne reculent devant rien, ils sont prêts à tout pour arriver à leurs fins. Pour lutter contre cela, nous avons été voir le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de la Défense et cela bien avant l’arrivée de ce gouvernement. Mais jusqu’à présent, il y a des prêches qui se font dans certaines mosquées, sur certaines radios privées de la place, au point que l’on se demande s’il y a un gouvernement dans ce pays. Notre groupement depuis sa création ne fait que la promotion de la solidarité et de la cohésion entre les Maliens.

On vous accuse de vouloir supplanter le Haut Conseil islamique ?

Je suis le premier vice-président du Haut Conseil islamique (HCI), ce qui signifie que moi-même je suis du Haut conseil. Il est clair cependant, qu’il y a une différence entre le Haut conseil et le Groupement des leaders spirituels musulmans du Mali. Le Haut Conseil est une structure mise en place par le gouvernement pour être une interface entre lui et les musulmans. Donc ce n’est pas une  association musulmane et c’est ce que beaucoup ne comprennent pas. Mais Dicko (le président du HCI) et moi, on travaille main dans la main, même si parfois il y a divergence d’idées sur un certain nombre de choses. Ce qui ne signifie pas que le GLSM va supplanter le Haut Conseil. Seulement les deux entités ne font pas le même travail. Le Haut Conseil travaille pour le gouvernement alors que le GLSM mène une action citoyenne. Nous sommes un rempart contre l’extrémisme et la radicalisation des jeunes.

Justement, quelles sont vos relations avec le ministère du Culte ?

Rien ne nous oppose au ministère du Culte. On peut même dire que nous avons de bonnes relations. Le problème, ce n’est pas le ministère du Culte. C’est le gouvernement même qui est en train de croiser les bras face aux problèmes que le pays connait. Rien n’est fait aujourd’hui par le gouvernement pour lutter contre le fléau de l’extrémisme. Nous ne sommes pas contre une religion, mais il faut admettre que tout ce qui peut amener les jeunes au radicalisme doit être empêché. La création même du département a soulagé les musulmans, mais le problème est qu’il n’a pas suffisamment de poids pour interdire par exemple un prêcheur de ne pas tenir tels ou tels propos.

On vous sent plutôt critique envers le gouvernement… Que lui reprochez-vous dans la gestion actuelle du pays ?

Il serait difficile de me prononcer sur la gestion du pays qui relève de la tâche des hommes politiques. Je suis religieux, c’est la religion que je connais un peu. Mais du constat général dans le pays, nous assistons à un mélange de la politique et de l’islam. Autrement dit, nous assistons impuissants à l’islamisation politique dans notre pays, encouragée et bénie par certains leaders religieux, dans un silence effroyable. Ce qui est très dangereux. Pour notre part, nous faisons de notre mieux pour sensibiliser ceux qui nous écoutent et qu’ils ne tombent pas dans cette situation qui peut être une bombe à retardement. Partout où je prêche, je demande aux leaders religieux de se retirer du terrain politique pour plutôt jouer un rôle d’arbitre. Nous ne baissons pas les bras. À la prochaine élection présidentielle, nous ne nous laisserons plus faire car nous allons montrer que la religion a sa place dans la vie démocratique. C’est inacceptable de laisser le pays plonger dans l’abîme sans faire quelque chose. On parle de la paix mais rien ne bouge dans ce sens. Nous ne laisserons personne décider à notre place. Le Mali n’appartient pas seulement aux dirigeants. Le Mali appartient au peuple.

Vous êtes d’ailleurs particulièrement efficace quand il s’agit de vous faire entendre. On se souvient de l’épisode du Maouloud dernier. Vous aviez menacé de faire élire un imam président de la République ?

Il faut savoir replacer les mots dans leur contexte. Je pense que vous avez été témoins lors du Maouloud 2015, des difficultés auxquelles nous avons été confrontés. Imaginez : pendant que nous étions en pleine organisation de notre célébration, nous apprenions à la télé que l’état d’urgence était décrété ! Du coup, nous nous sommes sentis visés par l’État qui voulait par là interdire la fête du Maouloud, qui est une tradition. En tant que patriotes, nous nous sommes pliés à leur décision car il faut respecter les textes de son pays. Après une réunion de la commission d’organisation, nous avons accepté de faire la célébration le jour et le gouvernement a promis de nous envoyer de 200 policiers pour la sécurité. Telle ne fut pas notre surprise, le jour du Maouloud, de ne voir aucun agent de sécurité sur place. Du coup j’ai compris que l’État ne respectait pas du tout son engagement ou bien que les activités religieuses étaient prises à la légère. C’est dans ce contexte que j’ai déclaré que nous allions élire un imam qui allait s’occuper des affaires des musulmans au Mali. Sinon loin de moi l’idée de politiser la religion. Cela ne m’est jamais venu à l’esprit. Mais mon propos a été interprété de telle sorte que des ambassadeurs des pays occidentaux se sont déplacés jusque chez moi pour demander des précisions. Je les ai rassurés. Peu m’importe la religion de celui qui dirige ce pays. Qu’il soit chrétien, musulman, animiste ou même athée ! L’important, c’est qu’il aime ce pays et se batte pour que les Maliens vivent dans la paix et mangent à leur faim.

Revenons à votre lutte contre l’extrémisme. Que faut-il faire, que faites-vous contre certains prêches extrémistes ?

L’islam est une religion de paix et de tolérance. Même le prophète (PSL) a été solidaire envers les mécréants. D’ailleurs, le Coran nous enseigne que le musulman peut manifester sa solidarité envers un non croyant qui ne le gêne pas dans sa pratique religieuse. Dieu nous a créés dans nos diversités. Chacun suit son chemin. C’est pour dire que le prophète n’a jamais imposé l’islam aux gens. On parle des guerres qu’il a livrées, mais ce qu’on ne dit pas c’est que c’était pour se défendre. Il était menacé et Dieu lui-même lui a donné l’ordre de se défendre. Une fois de plus l’islam n’est pas une religion de violence comme on le montre à nos enfants. Une image qui la dessert d’ailleurs, puisqu’aujourd’hui ce sont les musulmans qui sont montrés du doigt dans le monde comme des assassins, comme des sauvages. C’est cette vérité crue que j’ai toujours transmise à mes fidèles. Malheureusement, cette vérité dérange les islamistes. Ma tête est mise à prix depuis 2013. J’ai reçu des menaces de mort par écrit et par téléphone. Il existe même une vidéo réalisée par les islamistes dans laquelle mon nom est cité et on me désigne comme une cible à abattre. Je suis aujourd’hui protégé par des gendarmes et des policiers déployés par le gouvernement. Cela ne fait que me réconforter dans ma mission d’édifier l’opinion publique sur un islam modéré. Je fais tout cela pour mon pays.

Nous sommes à la moitié du mois de carême. Cette année est particulièrement difficile à cause de la hausse des prix des produits de première nécessité. Que pensez-vous de cette situation ?

Ce mois est difficile parce que certains font en sorte qu’il le soit. Ils ont créé les conditions pour que les prix augmentent, alors que les gens souffrent. Il est vrai que le Malien est habitué à faire face à la dureté de la vie. Mais il faut le dire, c’est surtout à cause de l’État qui ne respecte pas ses propres engagements. Comment on peut comprendre que le ministre affirme à la télé que toutes les mesures ont été prises pour stabiliser le prix de viande, que les bouchers sont subventionnés pour que la viande soit accessible et que malgré cela, le prix flambe ?

Vous revendiquez plus de deux millions de fidèles au Mali, en Afrique et au-delà. Quel est votre secret?

Je n’ai aucun secret. Les gens ont besoin de la vérité, qu’ils soient religieux ou non, même s’ils ne peuvent pas la pratiquer. J’ai toujours dit que c’est Dieu qui est la vérité. Même quand on n’est pas instruit, tout le monde sait ce qui est bien ou mauvais. Dieu a donné à chacun un esprit d’analyse et de compréhension pour distinguer la vérité du mensonge. Tout ce que je peux vous dire comme secret est que les paroles que je prononce appartiennent à Dieu. Tout ce que je fais a été soutenu par Dieu.