Crise politique : La désobéissance civile dégénère

A l’appel du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP), vendredi 10 juillet à la Place de l’Indépendance, des milliers de manifestants sont entrés en désobéissance civile face au refus du président de la République Ibrahim Boubacar Kéïta et de son régime de  démissionner. Ils ont vandalisé plusieurs services publics et occupé  les ponts et principaux axes routiers de Bamako.

« Le peuple a parlé à IBK, mais il fait la sourde oreille. On a trop parlé, maintenant place à l’action. On va chasser IBK et Boubou Cissé et non casser le pays. Commencez par occuper la Primature, l’ORTM et l’Assemblée Nationale », a ordonné aux manifestants, d’un ton martial, Issa Kaou N’djim, Coordinateur général de la CMAS (Coordination des Mouvements, Associations et Sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko).

L’Assemblée nationale saccagée

C’est de là que tout est parti. Les manifestants se sont dirigés vers les services publics indiqués par Issa Kaou N’djim. Selon les responsables du M5-RFP, la désobéissance civile devait s’exercer sans violence, en occupant pacifiquement les services publics de l’Etat, hormis ceux de la santé, et les principaux axes routiers. Ils n’avaient pas le droit de pénétrer dans les bureaux desdits services. Cependant rapidement la situation dégénère. Très excités, les manifestants ont vandalisé des portes d’entrée de l’ORTM et saccagé les locaux de l’Assemblée Nationale. Les accès aux ponts Fahd et des martyrs ont été bloqués ainsi que ceux de la primature et plusieurs ronds-points de la capitale. Les manifestants se sont également attaqués au domicile de Manassa Danioko, présidente de la Cour Constitutionnelle, très contestée pour son présumé rôle de tripatouillage électoral au profit du pouvoir lors des législatives passées. Les forces de l’ordre ont dispersé les contestataires à coup de gaz lacrymogènes. Au soir du 10 juillet, le bilan provisoire est d’un mort et de plusieurs blessés selon des sources sanitaires.  Le M5 dit dans l’attente de faire le point « tenir pour responsable le pouvoir IBK de toutes les violences ». Le mouvement a également annoncé l’arrestation de trois de ses membres.

Le mémorandum désormais « caduc »

Le M 5- RFP a adopté une résolution dans laquelle il déclare que le mémorandum de sortie de crise du 30 juin dernier est désormais « caduc ». Dans ce document, il demandait entre autres la dissolution de l’assemblée nationale, le renouvellement des membres de la cour constitutionnelle ou la mise en place d’un gouvernement de transition dont le premier ministre, doté du plein pouvoir, serait de son choix.  Le président IBK, dans son adresse à la nation du 9 juillet, n’a donné de suites aux revendications du mémorandum. Et le mouvement contestataire demande désormais « la démission pure et simple d’IBK, de son régime et l’ouverture d’une transition sans lui ».

Les contestations se sont également déroulées à l’intérieur du pays à Sikasso, Ségou ainsi qu’à Kayes.

Boubacar Bocoum : « Élire un homme est une chose, s’opposer à une politique en est une autre »

L’Honorable Moussa Timbiné a été porté au perchoir de l’Assemblée nationale le 11 mai 2020, lors de a session d’ouverture de la 6ème législature. Une  consécration pour cet ancien leader de l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM). Boubacar Bocoum, politologue, livre à Journal du Mali son analyse de cette élection.

Comment analysez-vous l’élection de Moussa Timbiné ?

Le symbole le plus important est que pour la première fois un jeune de cette envergure arrive à la tête de l’Hémicycle. C’est un signal fort. Au niveau de l’Assemblée nationale,  aujourd’hui il y a également un quota de femmes élevé. Cela montre que la législature sera placée sous le signe de la jeunesse et des femmes.

Il revenait quand même de loin…

Il faut faire le distinguo. Ce sont deux problèmes différents. Celui de l’élection locale et celui au niveau de l’Hémicycle. Ce qu’il est important de retenir est que la Cour constitutionnelle, dans sa composition actuelle, peut prêter à suspicion. Mais le format n’a pas changé et il a profité à cette même classe politique en d’autres lieux et en d’autres temps. Il est convenu par tout le monde que le ministère de  l’Administration territoriale ne donne que des résultats provisoires et que les réclamations sont redressées par la Cour constitutionnelle. Maintenant, si cette loi n’est pas bonne, il faut la changer, mais c’est un autre débat.

Comment expliquer les votes des députés de l’opposition en sa faveur ?

Quand on est élu député, on l’est d’abord au plan national. On n’est pas élu contre tel ou tel parti politique ou individu. Pour l’instant nous n’avons pas de Déclaration de politique générale du Premier ministre. Nous ne savons pas non plus dans quelle direction est en train d’aller le Président de la République. Élire un homme parce qu’on a confiance en ses capacités est une chose, s’opposer à une politique en est une autre. Une fois que le Président de la République va donner ses orientations, les partis politiques et groupes parlementaires se positionneront pour ou contre. Mais il ne faudra pas qu’on entre dans des oppositions systémiques.

Peut-il être à la hauteur des attentes ?

Je ne vois pas pourquoi il ne le serait pas. Il est jeune et la gouvernance de l’Assemblée, c’est juste du management. Il s’agit de diriger les débats, d’avoir des orientations par rapport à une vision nationale. C’est un poste électif, pas technique. Moussa Timbiné a les capacités de tenir le rôle. Il ne faut pas oublier qu’il a été longtemps 1er Vice-président de l’Hémicycle lors de la législature écoulée.

Germain KENOUVI

Assemblée nationale : Jeux et enjeux de la 6ème législature

Alea jacta est. Le renouvellement tant attendu de l’Assemblée nationale est désormais acté. La nouvelle législature devrait très bientôt remplacer la 5ème, six ans après. La nouvelle composition de l’Hémicycle, selon les résultats provisoires du ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation, ne présente pas de changements majeurs pour les forces politiques en présence. Mais d’autres aspects, liés, entre autres, à la cohabitation, au fonctionnement même de l’Assemblée nationale et à l’orientation des débats sur les réformes en attente au cours de cette 6ème législature suscitent des interrogations.

43 députés pour le RPM, 23 pour l’Adema, 19 pour l’URD, et 11 pour le MPM. Tel se présente le nouveau quatuor de tête à l’Hémicycle. Ensuite suivent l’Asma-CFP et l’ADP-Maliba, avec 8 députés chacun, la Codem avec 6 élus, et l’UDD, Yelema ainsi que le PRVM Fasoko, qui auront chacun 4 représentants dans la nouvelle Assemblée nationale. D’autres partis comme le Parena, Sadi, le PDES ou encore l’UM-RDA complètent le tableau.

Des résultats qui n’augurent pas de réels changements au sein du Parlement, selon plusieurs analystes politiques. « Le premier constat est que la majorité se maintient. On aurait pu croire que l’opposition, après tant de bruits et de gesticulations, allait tirer beaucoup plus d’avantages de ces législatives, mais elle n’a pas percé. L’URD a tenté de résister, mais il y a d’autres partis qui ont complètement disparu. Ce qui me fait penser que, jusqu’à preuve du contraire, l’Adema originelle tient toujours la dragée haute au plan politique national », relève Salia Samaké, analyste politique.

Pour le politologue Boubacar Bocoum, il aurait été souhaitable qu’il y ait une force qui s’oppose au régime et donne une certaine impulsion pour que les choses aillent dans un autre sens. « Malheureusement, dès lors que le RPM est finissant, les partis qui s’inscrivent dans la logique de l’accompagner sont également vers la sortie. Ils n’ont donc pas d’autres choix que d’accompagner le régime pour que le Président IBK finisse tranquillement son mandat. Dans la configuration globale de l’Assemblée, il n’y aura pas de changement majeur, parce qu’il n’y aura pas de force réelle qui puisse s’opposer à la majorité », déplore-t-il.

Le RPM recule

Le parti présidentiel caracole toujours en tête en termes de nombre de députés élus à l’Assemblée nationale. Mais, comparativement à 2013 où il avait été largement plébiscité dans les différentes circonscriptions et avait obtenu 66 sièges, le RPM est cette fois en net recul, surtout à Bamako. 1 seul siège arraché sur les 14 à pourvoir dans la capitale, contre 9 il y a un peu plus de 6 ans.

Une régression que l’analyste politique et chercheur au CRAPES Ballan Diakité met sur le compte de l’insatisfaction de la majorité du peuple malien vis-à-vis de la gouvernance actuelle, les élections législatives n’étant pas séparées de la gestion politique générale du pays. « Le recul du RPM durant ces législatives peut d’abord s’expliquer par la non satisfaction des citoyens de la gouvernance d’IBK. Dans un deuxième temps, cet échec relatif est aussi dû à l’incapacité du parti à remobiliser ces électeurs. Quand les électeurs ne sont pas mobilisés, il est difficile d’asseoir une victoire écrasante, même si on est le parti au pouvoir », analyse-t-il.

Selon lui, il faut aussi pointer le relâchement du Président de la République lui-même vis-à-vis de sa propre formation politique, dû notamment au fait que son pouvoir tend vers la sortie et  qu’il ne peut constitutionnellement pas briguer de 3ème mandat.

Nouveau rapport de forces?

Pour la formation de la nouvelle majorité à l’Hémicycle, le RPM pourra compter sur certains de ses alliés politiques, au premier rang desquels l’Adema et le MPM. Mais pour les autres partis actuellement membres de la convention de la majorité et signataires de l’Accord politique de gouvernance du 2 mai 2019, rien n’indique qu’ils vont continuer dans cette direction.

Pour les analystes, tout dépendra des capacités des partis ayant des représentants à l’Assemblée nationale à former des groupes parlementaires, mais surtout de leurs stratégies d’alliances ou de coalitions, en fonction d’intérêts politiques pour l’heure non encore définis.

« Pour le moment, tout cela n’est pas encore dévoilé. Mais on sait que dans notre système politique l’Exécutif a toujours une certaine mainmise sur l’Assemblée nationale. Je pense donc que le rapport de forces, s’il doit y en avoir, ne sera pas en défaveur du régime en place », indique Ballan Diakité.

Toutefois, à en croire l’analyste politique Salia Samaké, dans le contexte malien, après les législatives il y a des appétits qui s’aiguisent. Si certains partis politiques aujourd’hui membres de la convention majoritaire qui ont eu un nombre important de députés ne sont pas associés à la gouvernance, il n’est pas exclu qu’ils se démarquent.

« Si cela se passe ainsi, la majorité risque d’être fragilisée. Le RPM va devoir jouer très fin, sur le fil, pour ne pas provoquer cette fragilisation. Il n’a plus la capacité d’en imposer aux autres », pense M. Samaké

« En la matière, le combat risque d’être serré et il va falloir que le parti présidentiel bataille dur pour conserver cette majorité afin de pouvoir travailler. Ce qui, aujourd’hui n’est pas très évident, parce que les uns et les autres, après avoir engagé autant de moyens dans les élections, s’attendent à des retours », ajoute-t-il.

Un point de vue que ne partage pas Boubacar Bocoum, pour lequel, aujourd’hui, tous les partis politiques tournent autour du RPM. Il n’y aura donc pas de réelle démarcation vis-à-vis de ce parti à l’Assemblée nationale.

« Ces partis ont eu peur de s’opposer à l’organisation des élections dans le contexte que nous connaissons, juste pour ne pas que la machine les lâche. Cela veut dire qu’ils vont forcément chercher des équilibres à l’Assemblée. Il n’y a pas d’opposition fondamentale politiquement viable pour le Mali aujourd’hui », avance le politologue.

Réformes enfin effectives ?

Cette 6ème législature est fortement attendue pour l’adoption de différentes réformes institutionnelles et administratives, notamment la révision de la Constitution de 1992 et la relecture de certains paragraphes de l’Accord pour la paix dont l’application est bloquée en partie par la non effectivité des réformes.

Le 1er avril 2019, un comité d’experts chargé de la révision constitutionnelle avait  remis au Président de la République un nouveau projet comportant certaines propositions comme, entre autres, la création d’un Sénat, la redéfinition des rôles du Président de la République et du Premier ministre au sein de l’Exécutif , la mise en place d’une Cour des comptes, conformément au traité de l’UEMOA, ainsi que le réaménagement des attributions, des règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour suprême, de la Cour constitutionnelle et de la Haute cour de justice.

Le document prenait également en compte des propositions des précédentes tentatives de révision constitutionnelle, des clauses de l’Accord pour la paix et la réconciliation qui relèvent de la matière constitutionnelle et d’autres aménagements devant être apportés à la Constitution vu l’évolution du contexte institutionnel et juridique du pays.

Ce projet de loi, qui attendait d’être soumis à une Assemblée nationale légitime, le sera donc très certainement dans les prochains mois. Et si son adoption passe à l’Hémicycle, ce qui d’ailleurs ne devrait pas souffrir de contestations majeures, vue sa nouvelle configuration, toujours favorable à la majorité présidentielle, selon les analystes, il reviendra au peuple malien de trancher lors du référendum qui s’ensuivra.

« Même les grandes figures de l’opposition sont d’accord sur le principe des réformes, mais il y a débat sur des questions d’ordres temporel et structurel. C’est donc surtout la position des citoyens qui va être déterminante, pas celle des partis politiques. Tout va dépendre des positions des uns et des autres mais aussi de la dynamique qui sera enclenchée par la société civile », tempère Ballan Diakité.

Adama Kané : « Les députés sont dans une posture qui les met mal à l’aise »

Candidat malheureux à la présidentielle de 2018, où il avait récolté 0,8% des suffrages, terminant 16ème sur 24 candidats, Adama Kané est discret sur le terrain, mais pas sur les réseaux sociaux. Député à l’Assemblée nationale, l’élu y affiche ses convictions et ses prises de position, le plus à souvent à l’encontre du gouvernement.

Vous avez récemment demandé la démission du chef de l’État. Quelle alternative proposez-vous ?

Je suis profondément attaché aux institutions de la République. Si j’ai eu à faire cette demande, c’est suite à tout ce qui a concouru à nous mener à cette situation. L’élection du Président pour un second mandat n’y est pas étrangère. Depuis bientôt un an et demi qu’il a été investi, la situation a empiré. Il n’arrive pas à mener le pays dans une bonne direction. Mais, franchement, je dois le dire, n’ayant pas beaucoup de solutions alternatives, s’il venait à partir, je demanderai à réfléchir.

L’un des partis soutenant votre candidature en 2018 demandait le départ des forces étrangères. De nombreux Maliens adhèrent à ce discours. Les comprenez-vous ?

Je les comprends. Ils sont exacerbés par l’échec de leur présence. Mais je ne suis pas davantage convaincu que leur départ nous apportera plus de stabilité. Nous n’avons pas de force alternative solide et aguerrie pour leur succéder, même si elles ne nous donnent pas satisfaction pour contenir une menace qui s’est aggravée. Dire que ceux qui sont venus nous aider connaissent nos ennemis ou sont au courant de leurs faits et gestes? Je pense que les forces alliées doivent l’être au même titre que nous. Je suis d’avis que puisqu’elles sont déjà là les forces vives de la Nation doivent plutôt essayer de tirer le meilleur d’elles plutôt que de réclamer leur départ, qui laisserait un vide que notre armée actuelle ne saurait combler. Ceux qui peuvent le faire, ce sont des personnes dont les voix portent, notamment le Président de la République, ou encore comme vu récemment le chanteur Salif Keita. Ils peuvent contribuer à équilibrer le rapport de forces qui existe entre l’État Malien et ses partenaires.

Beaucoup de Maliens sont sceptiques quant au travail des députés…

Je le comprends. Quand l’Assemblée était dans son mandat normal, nul ne pouvait ignorer le nombre d’interpellations, de questions posées au gouvernement. Les députés sont actuellement dans une posture qui les met mal à l’aise. Notre pays a organisé une élection présidentielle et n’a pas pu organiser de législatives. Ce n’est pas un bon signal démocratique. Les ministres interpellés ne fourniront plus d’efforts parce qu’ils peuvent remettre en cause la légitimité de ceux qui le font.

Mandat des députés : Quelles options?

Le 30 juin, le mandat des députés, prorogé  pour six mois sur avis favorable de la Cour Constitutionnelle, prendra fin. À un mois de son expiration, aucun chronogramme n’est annoncé pour la tenue des législatives. Ce qui ouvre la voie à une éventuelle nouvelle prorogation. Certains partis de l’opposition s’y opposent déjà. Vers quel scénario s’achemine-t-on ?

Les élections législatives, maintes fois reportées, ne devraient pas se tenir au mois de juin prochain. Le mandat des députés, prorogé de six mois, expire le 30 juin. Les dernières élections législatives datent de 2013 et, plus de cinq ans après, leur légitimité est entachée. Initialement prévu pour le 28 octobre (1er tour) et le 18 novembre 2018 (2ème tour), le scrutin pour renouveler l’Hémicycle a déjà connu un premier report (les 25 novembre et 16 décembre 2018 étant les dates initiales). Mais le temps n’a pas permis de réunir les conditions pour l’organiser. Face au vide juridique, la Cour constitutionnelle avait prorogé de six mois le mandat, en espérant la tenue des élections dans ce délai. « Nous attendons toujours les orientations du gouvernement. Les discussions sont en cours. Tous les cas de figure sont envisagés, proroger le mandat ou légiférer par ordonnances avant les législatives », explique Brahima Coulibaly, conseiller technique au ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation.

Pour l’analyste politique Salia Samaké, plusieurs options s’offrent. « Faut-il aller à une prorogation, à une assemblée constituante ou gérer le pays par ordonnance ? ».  Il préconise d’aller au dialogue national, « car c’est ainsi qu’on pourra adopter l’une des options, y compris celle de la reconduction ». Certains des partis de l’opposition, comme l’ADP Maliba, rejettent la prorogation du mandat des députés. « Nous n’aurons pas le temps d’organiser les législatives d’ici le 30 juin, mais on peut procéder à la mise en place d’une assemblée constituante inspirée des résultats du 1er tour de la présidentielle de 2018. C’est plus proche de la réalité actuelle que l’assemblée, qui date de 2013 », estime Cheick Oumar Diallo, Président du mouvement national des jeunes de l’ADP Maliba.

Alors que le climat social s’apaise depuis l’arrivée du nouveau gouvernement, Dr Woyo Konaté en appelle au triomphe de l’esprit démocratique. « Il ne faut surtout  pas que les uns et les autres entrent dans des considérations non maitrisables. Si l’on refuse la prorogation, on va se retrouver sans assemblée, ce qui est le pire des scénarios », avertit le professeur à  l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako.

Après la présidentielle, cap sur les législatives

Le premier défi majeur du gouvernement était la tenue de la présidentielle. Après cet épisode réussi, les regards se tournent maintenant vers les législatives, prévues pour novembre 2018. Certains regroupements peaufinent déjà leur stratégie.

L’effervescence du 2ème tour de la présidentielle est encore notable au ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation. Le nom du nouveau Président de la République sera connu dans quelques jours, lors de la proclamation des résultats définitifs par la Cour Constitutionnelle. Mais déjà les échéances de proximité, comme les législatives, sont dans le viseur des politiques.

Dans environ trois mois, les citoyens maliens seront en effet appelés à élire leurs députés. Ce scrutin apparait après la présidentielle comme très important, de par la légitimité qu’offrent les populations à leurs représentants à l’Hémicycle.

Rappel des troupes Si la guéguerre entre les deux finalistes de la présidentielle se poursuit, d’autres ténors politiques se concentrent sur l’avenir. « Nous sommes en train de battre le rappel des troupes pour que les uns et les autres s’engagent dans une dynamique de remobilisation de l’ensemble de la base militante », avertit le chargé de communication de l’Alliance pour la démocratie et la paix au Mali (ADP Maliba). Pour Cheick Oumar Diallo, très bientôt des réflexions seront engagées sur les potentielles listes que sa coalition proposera. « Ces propositions remonteront au Bureau exécutif, qui va les apprécier et qui engagera début octobre la phase des discussions approfondies avec les différentes structures et les alliés qu’elles auront choisis localement », révèle-t-il, très confiant. Avec neuf députés ADP, le porte-parole d’Aliou Diallo ne regrette pas leur présence à la présidentielle. « Nous sommes quand même un peu déçus du fait qu’il y ait eu autant d’irrégularités et de fraudes, mais dans l’ensemble nous sommes très fiers d’avoir pu nous hisser dans le trio de tête final et d’être aujourd’hui une force politique incontournable ».

Imposer le changement Dorénavant, la scène politique réserve du suspense. Parmi ceux qui comptent agir autrement, la Coalition Cheick Modibo Diarra. « Nous sommes en train de concentrer nos efforts sur l’intérieur du pays. Nous faisons des réunions. Nous avons conçu notre programme avant même la présidentielle », affirme Yehia Maiga, son chargé de communication. Sorti quatrième du 1er tour de la présidentielle, le mouvement mise sur les législatives pour semer les graines du changement. « Si on arrive à avoir de bons députés à l’Assemblée nationale, on pourra même imposer des choses au Président de la République et aux ministres dans leur façon de gérer le pays, le grand problème de ces 20 dernières années ».

Le Premier ministre face aux élus de la Nation

 

Le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga a sacrifié ce 20 avril 2018, à une tradition républicaine bien établie. Devant les députés, il a présenté sa déclaration de politique générale. Axée sur les grandes préoccupations du moment, il a sollicité l’accompagnement des élus de la nation pour « sortir des épreuves que nous affrontons.»

Rappelant les missions dont il a été investi lors de sa nomination le 30 décembre 2017 à la tête du gouvernement, le Premier ministre a exposé les quatre axes majeurs autour desquels est orientée l’action de son gouvernement (la poursuite de la mise en œuvre de l’Accord de paix et de réconciliation nationale, la résolution des problèmes de sécurité au centre du Mali, la satisfaction des demandes sociales et l’organisation d’élection transparentes, crédibles et apaisées).
« Convaincu de l’urgence et de l’importance » des missions assignées au gouvernement, Soumeylou Boubèye Maïga s’est dit conscient des défis à relever, sans douter de la capacité des Maliens à les relever. Compte tenu de l’importance et l’ampleur des reformes de l’accord, également, le gouvernement est conscient du retard pris dans la mise en œuvre de l’accord. Une politique concernant toutes les parties prenantes a été mise en place, afin de mener à bon port la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali. « Dans cette mise en œuvre, nous ne faiblirons pas dans notre volonté de travailler à l’union et à la cohésion entre toutes les filles et tous les fils du Mali », insiste le Premier ministre.

Au cours de cette déclaration de politique générale, le chef du gouvernement a évoqué plusieurs chantiers capitaux de l’Etat. Parmi lesquels, il y a « le réarmement et le redéploiement de l’armée sur l’étendue du territoire », « un processus de dialogue de proximité ouvert à tous ceux qui renoncent à la violence », « l’organisation d’une élection paisible et transparente ». En outre, plusieurs préoccupations allant dans  divers domaines à savoir, la santé, l’éducation, l’industrie, l’électricité entre autres. « Nous ferons en sorte que la prise en charge des besoins fondamentaux et pressants bénéficie en priorité aux couches fragiles et aux revenus modestes », précise Soumeylou Boubèye Maïga. Ainsi, un processus participatif sera engagé pour l’adoption d’une loi sur la transparence de la vie publique, afin de lutter contre la corruption. L’un des problèmes majeurs du pays.

Appel à l’union sacrée

Pour la réussite de ces actions, le chef du gouvernement d’une part sollicite l’accompagnement et le soutien de tous les Maliens à travers le monde, d’autre part l’appui des partenaires multinationaux. La Déclaration de Politique Générale sera soumise au débat ce 23 avril 2018.

 

Contestations des textes adoptés par l’AN : Élus versus citoyens ?

L’une après l’autre, elles ont été mises en difficulté et revues, sous la pression de la rue ou des organisations de la société civile : Code des personnes et de la famille, révision constitutionnelle, loi sur l’enrichissement illicite… La résistance des acteurs sociaux est de plus en plus récurrente au Mali.
Le dimanche 5 novembre 2017, à quelques heures d’une nouvelle grève du Syndicat des travailleurs de l’administration de l’État (SYNTADE), la nouvelle tombe : le gouvernement capitule. La loi sur l’enrichissement illicite, dont les débuts de mise en œuvre avaient provoqué l’ire des syndicalistes, est retirée et doit être relue afin d’obtenir l’adhésion de tous. Ce scénario s’est souvent répété au Mali. Avant ce texte, la révision constitutionnelle avait elle aussi été retirée et, plus loin dans le temps, le Code des personnes et de la famille (2009) avait également subi un toilettage. Réformer, au Mali comme ailleurs, n’est pas chose aisée. Et il semble que la résistance active des acteurs sociaux soit de plus en plus forte.

Élus versus citoyens ?

Une fois passé le sas de l’Assemblé nationale, les textes ont force de loi et s’appliquent à tous. Cette paralysie récurrente pose question sur le processus et l’implication des citoyens dans leur élaboration. Il y a un fossé entre les élus et leur base, répondent les pourfendeurs du Code de la famille initial, qui estimaient que les députés servaient alors « des intérêts venus d’ailleurs et non conformes à nos valeurs sociétales », se souvient Adboulaye, enseignant, qui avait manifesté pour la relecture.
Le processus législatif, de l’initiative de la loi à sa mise en œuvre, en passant par son élaboration et son vote, est long. Pour le Directeur des services législatifs de l’Assemblée nationale, Siaka Traoré, « la procédure permet à chacune des commissions de s’entretenir, au cours d’une réunion à huis clos, avec les différents experts et acteurs de la société civile qui peuvent être concernés par les mesures à voter », pour avoir une vision claire et large de la question. Selon M. Traoré, « évidemment, il est possible que le texte final ne tienne pas compte des demandes des uns et des autres ».
Pour autant, le déficit de communication, voire de compréhension, entre élus et citoyens est au cœur du débat public. Des initiatives pour le résorber, comme celle de Tidiani Togola, avec l’application « Mon élu », qui permet aux citoyens de poser des questions à leurs élus et à ceux-ci d’y répondre.

Nouvelle loi électorale : dans l’air du temps ?

L’Assemblée nationale a adopté la nouvelle loi électorale vendredi 9 septembre. De quoi ouvrir, selon les autorités, une nouvelle ère de gouvernance. Cependant, l’agitation continue au sein de la classe politique, où certains parlent d’un recul démocratique. Mais qu’est-ce qui va réellement changer ?

Plusieurs mois d’écoute des partis politiques, de la société civile ou des mouvements syndicalistes ont permis aux représentants du peuple d’adopter le nouveau Code électoral, revu et corrigé après un débat houleux de 48 heures. C’est avec 78 voix contre 28 que les députés l’ont adopté le vendredi 9 septembre, au compte de la session extraordinaire débutée le 30 juillet 2016. Désormais, pour être candidat à la présidentielle, il faudra payer 25 millions de francs CFA de caution contre 10 millions auparavant, et avoir le parrainage de 10 députés ou de cinq conseillers nationaux dans chaque région du Mali. Le nouveau texte autorise également l’organisation d’élections locales « décalées » et stipule par ailleurs qu’aucun sexe ne doit dépasser 70% de candidatures pour le respect de la loi du genre.

Avis divergents Alors que les procédures, critères et conditions de participation aux différentes élections se précisent, que les seuils d’éligibilité se déterminent, on sent poindre une réelle appréhension du côté de certaines formations politiques qui ont voté contre le nouveau code, qu’elles considèrent comme une menace pour la démocratie et l’unité nationale du pays. « Ce texte ne garantit en rien l’unité du pays, au contraire, il sème les germes d’une partition programmée », déplore Seydou Diawara du groupe VRD (opposition). D’autres, comme Oumar Mariko du SADI, estime que cette loi est un recul démocratique. « On est maintenant dans la ploutocratie ». « C’est une réelle avancée démocratique. Nous avons, au cours de l’élaboration de ce texte, écouté une soixantaine d’organisations, des personnes ressources, des mouvements signataires de l’Accord d’Alger, des universitaires. Personne n’a souligné le caractère antidémocratique de cette loi », rétorque Zoumana N’Tji Doumbia, président de la Commission des lois de l’Assemblée.

Innovations Mais pour bon nombre des Maliens, cette nouvelle loi est un grand pas vers une adaptation de la démocratie aux réalités du moment. Elle contient des innovations majeures, dont l’introduction du genre, la parité entre opposition et majorité dans la constitution de la CENI, l’interdiction de campagnes dans les lieux de culte, et le renforcement de la légitimité des élus à travers le scrutin universel direct, des mesures qui viennent combler certaines insuffisances des anciennes dispositions.