Prisons maliennes, grand malaise et basse sécurité

En début de semaine, la prison de Niono a été attaquée par des hommes armés qui ont libéré plus d’une cinquantaine de détenus. Un mois auparavant une attaque visait la prison de Banamba. Dans ces deux cas les assaillants ont, sans mal, pu arriver à leur fin, relançant la question du dispositif sécuritaire dans les établissements pénitenciers et de la prise de conscience, pour un nécessaire changement.

« Il faut qu’il y ai un événement tragique pour qu’on se rende compte qu’il y avait une menace potentielle », déclare Brahima Sogodogo, secrétaire général de la section syndicale des surveillants de prison. Au moment de l’attaque de la prison de Niono, il n’y avait que 3 surveillants en service pour plus de 90 détenus. Beaucoup de choses n’ont pas fonctionné lors de cette attaque, le chargeur des surveillants était vide, ils n’étaient pas en nombre suffisant, l’établissement était mal éclairé et vétuste, il ne comportait pas de mur de sécurité ou de mirador pour permettre de mieux défendre le site.

Pour le syndicaliste, Niono, n’est que l’expression d’une crise plus profonde dans le dispositif sécuritaire et le système de fonctionnement des établissements pénitentiaires maliens. « il y a un manque crucial de personnel, manque de matériel, manque d’actualisation de la formation et maintenant on est la cible des attaques, au moins qu’on nous donne le matériel pour nous défendre », s’exclame-t-il.

Au Mali, dans les 59 établissements pénitentiaires que compte le pays, le moral n’est pas au beau fixe et le malaise est grand, à cause des conditions déplorables dans lesquels travaillent les surveillants, « il n’y a rien qui est fait et je ne vois pas quelque chose à court terme, même si au niveau du statut des lois ont été promulguées mais ne sont toujours pas appliquées », souligne Brahima Sogodogo, qui s’évertue à faire comprendre le rôle que le surveillant de prison joue dans la sécurité publique. « On peut prendre un chef de gang mais ses éléments peuvent vouloir aller le libérer, vous avez souvent des mutineries à l’intérieur des prisons, des attaques. Un agent de sécurité normalement ne doit pas être surpris par une attaque, car si vous êtes surpris ça veut dire que c’est trop tard et que quelque chose n’a pas fonctionné. il faut être prêt à être attaqué même si on doit attendre 1 an, 10 ans. Si les autorités s’attendaient à ce que les prisons soient attaquées, ils recruteraient, ils achèteraient des armes , ils formeraient des agents, il faut que cette démarche sécuritaire soit intégrée », ajoute le syndicaliste.

Après l’attaque de Niono, le ministre de la Justice qui s’est rendu sur place a déclaré, « Cette visite m’a permis de toucher du doigt la réalité et je puis vous donner la garantie que toutes les dispositions seront prises pour, non seulement, prendre totalement en charge les frais de traitement des deux blessés mais aussi améliorer les conditions de travail des gardiens de prison ».

« Je ne suis pas trop optimiste sur une prise de conscience après Niono car ce n’est pas la première fois que cela arrive, répond Brahima Sogodogo. « Si il y a prise de conscience c’est bien, mais elle aurait déjà du arrivé avant », conclut-il.

Prison de Niono, et de deux !

Dans la nuit de lundi à mardi, des assaillants ont attaqué la prison de Niono, situé à 350 km de Bamako. Plusieurs dizaines de prisonniers en ont profité pour s’échapper.

Il était aux alentours d’une heure quinze du matin quand des hommes armés vêtues de boubous et de tenues militaires ont pris d’assaut la maison centrale d’arrêt de Niono, blessant au passage deux gardiens et permettant la fuite de 90 détenus. L’un des gardiens blessés a par la suite succombé à ses blessures. Selon des témoins, les assaillants criaient Allah Akbar et étaient spécifiquement venus pour libérer un de leur frère d’arme détenu. Ils en ont profité pour ouvrir en grand les portes et laisser tous les autres prisonniers s’échapper.

Après la fin de leur mission commando, les bandits se sont éclipsés vers Molado où ils ont disparus. « Des dizaines de prisonniers se sont évadés. L’armée a réussi à en reprendre certains et poursuit les autres » a déclaré le porte-parole du ministère de la Défense, Abdoulaye Sidibé. L’attaque n’a pas encore été revendiquée mais les soupçons se portent sur le Front de Libération du Macina dirigé par Amadou Kouffa. Prêcheur radical, qui prône le djihad et l’application de la charia sur toute l’étendue du territoire. Il serait le principal allié d’Iyad Ag Aly, chef d’Ansar Dine au centre et au sud du pays.

Le modus operandi de l’attaque ressemble beaucoup à une autre qui s’est déroulée un mois plus tôt à Banamba et qui avait la même visée : libérer des combattants. Malheureusement pour eux, les personnes en question avaient été déplacés vers un autre endroit plus sûr. Ansar dine qui avait revendiqué la tentative, a par la suite fait la promesse de libérer tous leurs frères et qu’aucune fortifications ne leurs résisteraient.

 

Attaque de Banamba : Ce qu’on en sait

Aux environs de 0h30 ce lundi 07 novembre, des individus armés ont attaqué la ville de Banamba, située à 140km de Bamako, dans la région de Koulikoro. Cette attaque qui survient dans un contexte de regain de violences jette le trouble quant à ses auteurs et aussi leurs motivations.

« Les assaillants sont venus du côté de Niono, ils étaient une dizaine à bord de véhicules et étaient très lourdement armés », raconte un habitant de la ville. « J’ai entendu les premiers coups de feu vers minuit. Et ça a tiré jusqu’aux environs de 2 heures et demi. J’ai tenté de joindre les forces de l’ordre, mais personne n’était joignable. Koulikoro a répondu mais les gendarmes ne sont arrivés que ce matin vers 7 heures ».

Les hommes armés auraient d’abord pris d’assaut la gendarmerie et les locaux de la garde nationale d’où ils ont emporté des véhicules et des motos. Puis ils ont libéré les détenus de la prison de Banamba, avant de s’attaquer aux locaux de l’agence locale de la Banque pour le Développement du Mali (BDM) qu’ils ont plastiquée. Sur place les dégâts sont considérables. « Nous avons vu que le coffre blindé n’a pas pu être touché », témoigne un habitant de la ville qui s’est rendu sur place ce lundi matin.

On ne connait pas le nombre de prisonniers libérés pour l’instant, aucune autorité locale n’étant joignable pour l’instant. D’autres sources affirment qu’un gardien de prison aurait été amené avec les prisonniers. Les témoins affirment cependant que les hommes libérés ont été emmenés par les assaillants qui sont repartis en direction de Mourdiah comme le confirme le témoignage d’un villageois dont ils ont traversé la localité située à une cinquantaine de kilomètres de Banamba sur la route de Niono, aux environs de 8 heures du matin.  Au passage, selon des sources sécuritaires, ils ont attaqué le poste de sécurité de Tabacoro. Toujours selon les mêmes sources, le bilan de cette attaque est de deux véhicules et deux motos enlevées, aucune perte en vie humaine n’est à déplorer.

Dans la ville, la population fait le tour des lieux attaqués pour se rendre compte de la situation et les activités se déroulent comme d’habitude. « Les gens ont peur. Ils se demandent ce que veut dire cette attaque et surtout si les assaillants vont revenir », affirme cependant un jeune commerçant banambais. « Il y a des rumeurs qui disent que cette attaque avait pour but de libérer le célèbre « Modibo », célèbre coupeur de routes qui a terrorisé les commerçants et transporteurs pendant plus de trente ans et qui a été arrêté il y a quelques mois », continue-t-il. D’autres évoquent la présence, toujours dans la prison, d’un djihadiste peul. « Les gens qui sont venus parlaient peul et criaient Allahou Akbar, ce sont des djihadistes », assure une notabilité sous couvert de l’anonymat. Rien ne permet de confirmer ni l’une ni l’autre de ces affirmations mais l’attaque de ce lundi augmente définitivement la psychose au sein des populations de la ville mais aussi de Koulikoro et de Bamako, situées à quelques encablures de là.