Forsat : « Nous ne reculons pas »

Le commandant C. de la Forsat – police (Force spéciale antiterroriste) a le palmarès d’un chef de guerre. Après avoir été garde du corps, passé des années dans la police puis au GIPN (Groupe d’intervention de la police nationale), l’homme ne manque pas de bravoure. Cinq jours après l’assaut qu’il a mené avec la Forsat au campement Kangaba pour libérer des dizaines d’otages et neutraliser 4 terroristes, ce membre du groupe d’intervention aussi discret qu’efficace, dont la devise est « Conserver et maintenir la loi », a exposé, sans gilet pare-balles, au Journal du Mali, le fonctionnement de cette force spéciale qui lutte contre la menace terroriste, et a livré des précisions sur la récente intervention de la force, lors de l’attaque du campement Kangaba, revendiquée par Nusrat al-Islam et qui a fait 5 victimes. Interview exclusive.

 Qu’est-ce qui a motivé la création de la Forsat et quelles sont les missions et les spécificités de cette force ?

La Forsat existe depuis bientôt 1 an. Notre mission spécifique est l’antiterrorisme. Toutes les formations, tous les entraînements que nous faisons aujourd’hui se concentrent sur le terrorisme. Il y a la BAC (Brigade anti criminalité – ndlr), le GIPN, le PIGN (Peloton d’intervention de la gendarmerie nationale – ndlr) et le GIGN (Groupe d’intervention de la garde nationale – ndlr), des forces anti-gang contre le banditisme mais il n’y avait pas de force spécialisée dans la lutte antiterroriste. La Forsat est la première unité entièrement consacrée à cela. L’attaque du Radisson Blu a été une première pour tous ces corps d’intervention, car c’était la première fois que nous étions confrontés à une attaque terroriste en plein cœur de Bamako. Cela a été en quelque sorte une épreuve du feu.

 Cette force a-t-elle aussi comme mission de frapper les terroristes en profondeur, éliminer les racines, à savoir la contrebande, le trafic humain et les trafics d’armes et de drogue ?

Bien sûr. Ce qui est perceptible par la population ce sont les coups de feu, mais derrière, il y a toute une structure qui est là pour détecter comme le CENTIF (Cellule nationale de traitement des informations financières), avec qui nous travaillons. Si une information au niveau financier tombe, nous sommes alertés pour que nous puissions faire des investigations. Ce sont des processus d’enquête que nous sommes en train de développer au niveau des Forsat et que nous allons améliorer. Mais oui, cela fait partie de nos missions.

 Le périmètre d’action de cette force est-il cantonné à Bamako et ses alentours ?

La Forsat a vocation à intervenir partout sur le territoire malien. Dernièrement nous étions dans la région de Mopti, lors de l’attaque de l’hôtel de Sévaré. Là-bas, nos unités sont intervenues avec la gendarmerie. Notre périmètre d’action est élargi à l’ensemble du territoire malien.

Quels sont les critères et épreuves pour intégrer cette force ?

Les recrues sont testées physiquement, psychologiquement et techniquement. Nous sommes épaulés dans cette sélection par nos partenaires comme Eucap Sahel, l’ambassade de France et les Américains, qui nous ont aidé à établir des programmes de test efficaces pour filtrer ceux qui veulent intégrer la Forsat et ne retenir que les meilleurs. Mais être recruté ne garantit pas de rester à la Forsat. Vous êtes sélectionnés et au cours des formations que nous imposons aux nouvelles recrues, si elles se montrent défaillantes, on les écarte. De même, si une recrue a toutes les capacités physiques demandées mais qu’elle a peur des coups de feu ou a un mauvais comportement sous une fusillade adverse, nous l’écartons, car nous faisons souvent face aux tirs nourris de l’ennemi et il faut pouvoir riposter. Les membres de la Forsat sont régulièrement testés pour être au top.

Donc les unités de la Forsat qui partent au feu ne connaissent pas la peur ?

Non, nous faisons face et nous ne reculons pas.

Les Forsat s’entraîne quotidiennement pour être au top. Photo: DGPN

Qui assure la formation des Forsat ?

Le RAID (Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion – ndlr), l’unité d’élite française de la police, est en collaboration avec l’unité Forsat-police et nos forces suivent le programme SPEAR (Accroissement de la capacité de réponse – ndlr) de lutte antiterroriste, initié par le gouvernement des États-Unis. Ce qui nous amène à travailler en symbiose pour que chacun bénéficie de l’expérience de l’autre, donc au niveau des Forsat tout le monde a le même niveau de connaissance.

Comment est composée une unité Forsat ?

Une unité de la Forsat se compose généralement de 3 à 10 personnes. On y trouve des snipers, des tireurs d’élite formés uniquement pour les tirs de précision, des agents d’infiltration qui sont chargés de s’infiltrer pour la collecte de renseignement. Au campement Kangaba, quand nous sommes arrivés, nous n’étions que peu informés de la situation et il a fallu gérer. C’est le renseignement qui nous a permis de savoir s’il n’y avait pas d’obstacle entre l’entrée principale et la colline où les assaillants se trouvaient. Ces renseignements nous ont permis de monter sur la colline et d’en occuper les flancs, d’évoluer sur le terrain et de nous réorganiser pour faire face à l’ennemi. Nous avons des opérateurs, des communicateurs et aussi des techniciens qui facilitent notre progression tactique. Une unité Forsat, c’est un groupe de spécialistes dans leur domaine qui évoluent ensemble.

Photo : Emmanuel Daou Bakary/JDM

Quand la Forsat est amenée à intervenir, est-elle là pour arrêter ou tuer les terroristes ?

La mission primordiale pour nous c’est de tuer. Quand nous nous déplaçons, l’objectif est de neutraliser la menace, neutraliser voulant dire tuer. Le fait qu’on nous appelle veut dire que l’ennemi à déjà commencé à faire des victimes. C’est clair dans notre tête avant notre arrivée. Maintenant dans certains cas, comme un forcené qui prend par exemple sa famille en otage ou un terroriste qui a des revendications comme la libération de camarades et qui n’est pas là pour mourir au combat, nous pouvons entamer des négociations avec ces personnes via nos négociateurs. Nous avons un officier de renseignement en civil, généralement le premier sur zone, qui collecte et recoupe toutes les informations. Il nous informe si les preneurs d’otages sont en mesure de rentrer en contact avec nous. Mais une fois ce contact établi, ce même officier de renseignement nous permet de mettre en place nos snipers car ses renseignements sont précieux pour les positionner efficacement. Après nous constituons une équipe d’approche pendant la négociation pour pouvoir apprécier ce que fait l’ennemi . Comme dit le proverbe, « la confiance n’exclut pas le contrôle ». Mais si le terroriste tue un otage pendant la négociation, là nous cessons tout contact et nous intervenons pour le neutraliser.

Dans le cas de l’attaque du campement Kangaba, y a-t-il eu négociation avec les assaillants ?

Nous avons été accueilli par des coups de feu, donc il n’y avait pas lieu de discuter ou de négocier.

Comment avez-vous été alerté de l’attaque du campement Kangaba et en combien de temps êtes-vous arrivés sur zone ?

Nous avons été alertés sur nos talkies qu’il y avait tout d’abord une attaque de bandits au niveau du campement Kangaba. Nous avons donc demandé à nos équipes de se tenir prêtes et nous sommes restés sur le qui-vive. Dix minutes plus tard, on nous a confirmé que les coups de feu ne s’arrêtaient pas. Nous avons considéré que cela dépassait le seuil du grand banditisme et nous avons mis en branle les équipes. Malgré les difficultés de circulation nous sommes arrivés environ trente minutes plus tard, juste un peu après la Forsat-gendarmerie, car nous sommes en centre-ville. En moins de 40 minutes, les 3 corps de la Forsat étaient en débriefing face à la situation.

Photo : Emmanuel Daou Bakary/JDM
Quelle était la situation sur place ?

Quand nous sommes arrivés, on entendait tirer d’un peu partout. La difficulté était de localiser les tireurs, ce que nous sommes parvenus à faire. Les renseignements issus du terrain nous disaient qu’ils étaient très nombreux. Ensuite ça s’est réduit à 5, puis à 6, les versions divergeaient. Nos collègues de la BAC ont retrouvé le fusil d’un des assaillants. C’est lorsque nous avons établi la stratégie opérationnelle pour localiser les tireurs, qu’on a compris qu’il y avait deux points de départ des tirs, puis il y en a eu trois et enfin un quatrième, caché. Deux tireurs se trouvaient sur la colline au niveau de la piscine et deux autres étaient dans les ravins un peu derrière, en attente de notre passage.

Comment s’est déroulé l’assaut ?

Nos renseignements nous disaient que les assaillants étaient montés sur la colline, donc nous avons envoyé des équipes qui sont parvenues à exfiltrer pas mal de clients de l’établissement. Pendant qu’une équipe les exfiltrait, une autre équipe progressait pour tenter de localiser le danger. Notre objectif était d’exfiltrer le plus de personnes possible pour qu’il y ait le moins de victimes, alors qu’eux, au niveau de la piscine, voulaient faire un maximum de victime, et tiraient sur les gens qui couraient pour fuir. Il fallait arrêter cette hémorragie et ensuite parvenir à les neutraliser. Nous avons demandé à notre point focal au ministère de la Sécurité qui coordonne les opérations et qui est informé en temps réel, d’intervenir immédiatement, parce que les coups de feu ne s’arrêtaient pas et la vie des gens étaient en danger. Sous son autorité, qui émane directement de celle du ministre, nous avons donné l’assaut. Le premier assaut a été donné vers 18h pour les bousculer et estimer le nombre de tireurs car nous avons des gens qui pendant l’assaut sont chargés de localiser leur position. L’un avait perdu son fusil que la BAC a récupéré. Il restait à savoir s’il avait une autre arme et localiser les autres.

Le sommet de la colline du campement qui abritait une terrasse et un bar a été considérablement dévasté. Que s’est-il passé ? Les terroristes ou vos forces ont-elles  fait usage d’explosifs ?

Les assaillants nous ont imposés un combat de nuit. Il y a eu un premier feu vers le crépuscule déclenché par les assaillants pour faire de la fumée et s’échapper. Ils ne voulaient pas mourir avant d’engager le combat avec nous. La nuit tombant, le combat était tellement engagé, de manière si difficile, qu’il nous fallait « allumer », pour éclairer la zone et pouvoir opérer, donc faire flamber des choses. Nous avons les moyens de mettre le feu et on en a fait assez pour pouvoir se faire de la lumière et permettre à nos équipes de progresser. Ça été un facteur décisif pour les mettre hors d’état de nuire, surtout pour la dernière personne qui était très mobile. Elle a voulu fuir vers les collines mais s’est accrochée avec une de nos équipes en attente de l’autre côté de la colline, qui a pu le neutraliser. Au terme des combats, nous avons abattus 4 assaillants et nous avons appris dans la foulée qu’un suspect avait été appréhendé dans un village un peu plus loin par la population, qui l’a conduit à la gendarmerie. Nous ne savons pas s’il faisait partie du groupe. À 3h du matin, tout était fini. À 3h moins le quart, on a fait entrer les autorités, le juge antiterroriste pour lui montrer un premier corps, les autres dans les rochers étaient difficilement accessibles.

Une partie de la terrasse au sommet de la colline au campement Kangaba, au lendemain des combats. Photo :Olivier Dubois/JDM

Quelles difficultés particulières présentait une intervention sur le site du campement Kangaba ?

Nous sommes entraînés à évoluer sur différents types de terrains. La difficulté pour le campement Kangaba c’est que c’était la première fois que nous combattions dans la nuit noire. On avait de la lumière mais on ne pouvait pas se permettre de se faire repérer. Le terrain là-bas est difficile, mais nous sommes formés pour ça. De plus, il y a des cases qui sont un peu cachées dans la forêt. Nous sommes parvenus à toutes les fouiller avant le crépuscule et à faire en sorte qu’il n’y ait pas d’infiltration. Pour opérer, il fallait que le terrain soit clair. Nous ne connaissions que peu les lieux. Une personne du campement nous a fait la description des deux piscines sur la colline et du bar en haut et de l’état du terrain, ce qui nous a donné une idée de ce qui nous attendait.

À quoi tient l’efficacité de l’approche antiterroriste malienne ? 

Toute bonne unité est à l’image de son chef et nous sommes à l’image de notre ministre. C’est quelqu’un qui a la capacité d’écouter ses hommes. Nous sommes à son service et au service de l’État mais lui est à notre service aussi. Son comportement avec les équipes c’est comme quelqu’un qui donne des petites claques à un autre qui veut somnoler. Nous sommes à l’image du ministre.

Photo : DGPN

Plus d’un an et demi après l’attentat du Radisson Blu qui a déclenché la création de la Forsat, est-ce qu’un nouvel attentat de grande ampleur est toujours redouté, envisagé à Bamako ?

C’est possible, car dans le pays où il y a cette guerre qu’on nous impose contre le terrorisme, aucune partie du pays n’est épargnée et nous nous attendons à tout moment à une attaque d’ampleur. Nous nous préparons à ça. Voilà pourquoi la pérennisation d’une équipe comme la Forsat est obligatoire.

Comment analysez-vous les évènements terroristes au Mali ?

C’est un jeu d’intérêt. Un terroriste n’est certainement pas Dieu. Dans le Nord du Mali, il y a beaucoup de passages et de trafics pour la drogue. Je n’ai jamais entendu un groupe terroriste s’opposer à ces trafics. Les vrais musulmans ne sont pas pour la guerre. Un vrai musulman contribue à vivre en harmonie avec les autres, avec son prochain, et prie Dieu pour qu’il puisse amener la paix dans le pays. Mais ceux-là veulent nous imposer leur guerre, ne disent pas non à la drogue, donc ce sont des jeux d’intérêt.

En dehors des interventions, qu’est-ce qui est fait pour lutter contre le terrorisme au Mali ?

La sensibilisation contre le terrorisme est régulière. Cette sensibilisation doit aller de pair avec le développement socio-culturel et économique du pays. Aujourd’hui l’État est en train de tout mettre en œuvre pour développer des secteurs qui peuvent être des facteurs de développement. Pour ce que je sais, c’est la couche vulnérable qui est touchée. Je ne connais pas un leader terroriste, un leader-bandit comme je le dis, qui a son fils, sa femme, engagé dans les guerres pour aller se faire exploser publiquement. C’est la couche vulnérable qui est exploitée, le développement pourrait amoindrir ce nouveau fléau qu’on nous impose et qu’on impose aujourd’hui à tous les pays.

 

 

Attentat du Radisson : « un an après, on n’oublie pas ! »

Le vendredi 20 novembre 2015, Bamako se réveillait aux bruits des coups de feu et la nouvelle se répandait comme une traînée de poudre dans la ville : l’hôtel Radisson Blu était attaqué. Un an après, le souvenir reste vivace mais les enseignements tirés portent leurs fruits.

Aucune manifestation officielle pour marquer ce triste anniversaire. Bamako est concentré ce dimanche 20 novembre 2016 sur les élections communales qui se déroulent après maints reports. Mais Bamako n’oublie pas, le Mali n’oublie pas.

Des souvenirs encore vivaces Depuis quelques heures, les messages fleurissent sur les réseaux sociaux pour rappeler le souvenir de l’attaque qui avait causé la mort de vingt personnes dont six employés de l’hôtel. « Nous nous souvenons de nos collègues aujourd’hui, ils sont dans nos pensées. On a prié pour eux ce matin. Le traumatisme est là mais nous essayons de continuer », affirme Mohamed, extra à l’hôtel et qui avait vécu ce jour fatidique depuis les entrailles du bâtiment. « C’est vrai, les traces de balles ont disparu, mais il y a des images qu’on n’oublie pas », poursuit le jeune homme qui avait assisté à l’exécution d’un otage. Le propriétaire de l’hôtel, le Malien Cessé Komé avait annoncé que les victimes ne seraient pas oubliées. Il a tenu parole en prenant en charge leurs conjoints et enfants, à ces derniers il offre une prise en charge totale jusqu’à leur majorité.

Le traumatisme, le personnel du Radisson Blu essaie de le surmonter. Rouvert 27 jours après l’attaque, l’établissement a tout mis en œuvre pour rassurer la clientèle et son personnel. « Notre hôtel est certainement le plus sécurisé aujourd’hui et nous continuons à améliorer cet aspect. Les contrôles sont plus stricts autant pour les clients que pour le personnel et nos experts en sécurité évaluent régulièrement le dispositif pour l’adapter. Bamako a servi de leçon à tout notre groupe qui a depuis mis en place un dispositif sécuritaire dans tous ses hôtels », explique Michael Mensah, de la direction marketing du Radisson Blu Bamako. Des mesures qui semblent avoir rassuré la clientèle, car après les premiers mois plutôt difficiles, l’affluence est de retour et l’hôtel reprend sa place de centre d’affaires et de conférences de Bamako.

Hommage restreint Une cérémonie commémorative s’est déroulée ce 20 novembre dans la stricte intimité. Y ont pris part les parents des victimes maliennes, les chefs des représentations diplomatiques des pays qui ont perdu des ressortissants dans l’attaque, le personnel de l’hotel et quelques invités triés sur le volet. « Nous avons voulu le faire sans publicité. C’est un moment important pour nous et nous souhaitions le vivre en toute sérénité », poursuit M. Mensah.

Le 15 décembre, à la réouverture de l’hôtel qu’il a présidé, le chef de l’Etat malien déclarait que « nous combattrons comme d’habitude le terrorisme avec la dernière énergie et nous allons renforcer la sécurité à Bamako ». Depuis l’état d’urgence a été reconduit trois fois et une force anti-terroriste a vu le jour pour faire face à ce genre de situation. En ce qui concerne l’enquête, pas de grandes avancées depuis. Les deux personnes soupçonnées de complicité et qui avaient été arrêtées, ont été libérées après quelques semaines en prison.

Ce 20 novembre 2016, Bamako, le Mali et le monde se souviennent de ce matin où deux hommes d’une vingtaine d’années ont semé la terreur et mis fin à la vie de vingt personnes innocentes et fait basculer celle des cent trente clients rescapés et du personnel de l’hôtel.

Radisson : 9 heures sous les balles des terroristes

Vendredi 20 novembre 2015, Bamako a vécu dans l’incertitude et l’effroi, alors qu’une prise d’otages était en cours dans l’établissement le plus chic de la ville, l’hôtel Radisson Blu. Des terroristes ont ouvert le feu et pris en otage 170 clients et employés de l’hôtel. C’est au bout de 9 heures d’âpres combats, qu’une opération conjointe et massive a fini par neutraliser les terroristes. Retour sur une prise d’otages sanglante.

Il est 6h45 quand Mohamed, 25 ans, serveur au sein du “service banquet”, pénètre dans l’enceinte de l’hôtel Radisson, situé dans le quartier ACI 2000. Comme tous les jours, il prend son service à 7h. Tout est calme. Il gagne le vestiaire, en sous-sol, avec d’autres collègues, pour enfiler sa tenue de service. À 6h50, des membres du personnel font brutalement irruption dans le vestiaire. « Sortez, sortez, il y a des hommes en haut, ils sont en train de tirer ! », hurlent-ils. Mohammed se fige, effaré, ses collègues paniqués, se ruent vers l’extérieur. Ne manquant pas de sang-froid, le jeune homme décide d’aller voir ce qui se passe. Il remonte le couloir, entrouvre la petite porte de service et glisse sa tête à l’extérieur : « c’est à ce moment que j’ai vu un Blanc (NDLR – client de nationalité russe) se faire égorger. À l’intérieur il y avait des cris partout, ceux des clients, des djihadistes criant « Allahou akbar », partout des coups de feu, ils tiraient sur tout ce qui bougeait, tout était mélangé. Je n’ai plus cherché à savoir… J’ai refermé la porte et je suis redescendu en courant». À ce moment, la prise d’otages meurtrière du Radisson vient de débuter, il est 7h du matin. Tandis que Mohamed ressort à l’air libre, Konaré, un autre employé qui travaille au room service, se cache pour tenter de sauver sa peau. Il n’oubliera jamais le moment où il s’est retrouvé face à face avec deux des terroristes : « quand j’ai entendu les coups de feu, je me suis réfugié dans la salle des bagages, j’ai éteint les lumières et mon portable, et je suis resté dans l’ombre sans bouger. Ils sont entrés. Ils avaient la peau noire, étaient vêtus de chemises et de pantalons jean, et parlaient en anglais. L’un a aperçu mon pied qui dépassait de l’ombre et m’a tiré vers lui. J’ai pensé que c’était la fin ! Je me suis relevé, je me suis présenté à eux en récitant des sourates du Coran. Ils m’ont regardé sans ciller, puis l’un à parlé à l’autre dans une langue que je ne connaissais pas, et l’a tiré par le bras pour sortir de la pièce. Ce dernier a hésité, puis l’a suivi. Je les ai entendu partir, puis de nouveau des coups de feu. Je me suis enfermé, silencieux, dans l’obscurité, sans bouger ». L’attente sous les balles, pour les otages du Radisson pris au piège, durera 1h30 avant l’arrivée des premières forces de sécurité.

Une opération policière d’ampleur  L’alerte est donnée peu après 7 h, les premières forces de police à être sur place sont celles du commissariat du 14ème arrondissement, qui gère la commune IV où se trouve l’hôtel. Ils sont rapidement rejoints par les hommes de la BAC, les forces d’intervention de la police nationale (FIPN) et le peloton d’intervention de la gendarmerie nationale (PIGN). Pour ces unités surentraînées, c’est une première. «Nos forces d’intervention étaient physiquement et mentalement prêtes à intervenir sur le terrain malgré l’inconnu des lieux, ils étaient parés pour s’adapter à la situation», explique un gradé des forces de sécurité. En une vingtaine de minutes, les forces maliennes bouclent le périmètre de l’hôtel et commencent à planifier l’assaut.

Du côté du Radisson, des employés qui ont pu s’échapper se réfugient dans le salon de coiffure qui jouxte l’hôtel et tentent tant bien que mal d’aider les forces de sécurité. « Ils m’ont demandé si je pouvais localiser les issues de secours pour eux, et j’ai fait un schéma. On a essayé de leur donner un maximum d’informations sur l’hôtel, les clients », témoigne un serveur. Vers 8h, un important dispositif composé de la garde nationale, d’officiers de police et d’éléments d’intervention de la MINUSMA, de la protection civile, et de la brigade spéciale d’intervention a rejoint les unités déjà présentes. Ils sont appuyés par des forces spéciales française et américaine. Ces dernières apportent un appui logistique et de renseignement, permettant de se faire une idée plus précise de ce qui se passe à l’intérieur du bâtiment. Un PC de sécurité, une cellule de première urgence, pour assurer la prise en charge médicale des blessés ainsi qu’un soutien psychologique aux personnes évacuées, sont mis en place non loin du théâtre d’opération par la MINUSMA. Un centre de gestion de crise est constitué sous l’autorité directe du ministre de la Sécurité intérieure et du ministre de la Défense. Le Palais des sports de Bamako est réquisitionné pour accueillir et regrouper les otages qui seront exfiltrés lors de l’opération. Sur le terrain la tension est palpable, les véhicules blindés et les pick-up de la police arrivent et démarrent en trombe. Les premiers journalistes sont sur place, la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. De nationale, la prise d’otages du Radisson de Bamako devient une information internationale, dont les rédactions mondiales se font l’écho. Le nombre et l’identité des terroristes, restent confus. La gorge serrée, l’angoisse et la peur dans le regard, des rescapés de cet enfer échangent avec les forces de l’ordre, sur ce qu’ils ont vu : «j’ai pu apercevoir au moins 3 terroristes différents », « ils venaient de plusieurs directions, ça tirait dans tous les coins, ils devaient être au moins une dizaine !». « Ils devaient avoir des complices qui étaient déjà à l’intérieur! ». Officiellement, les autorités font état de 2 à 3 terroristes dans l’établissement.

Top assaut  À 9 h, l’assaut est donné. L’objectif principal des forces d’intervention est la libé- ration des otages. En première ligne, ils investissent les lieux, bouclier pare-balles en avant, le sang macule les rangers, les victimes jonchent le sol. « Dès qu’ils sont arrivés les terroristes ont commencé à tirer. Nos forces d’intervention les ont repoussés dans les étages. La configuration des escaliers de l’hôtel et leur position en hauteur, leur permettaient de tirer sur tout ce qui se présentait dans l’escalier », confie une source appartenant aux forces de sécurité maliennes. Les unités d’intervention parviennent à se tailler un passage dans les premiers niveaux de l’hôtel, forçant les djihadistes à se retrancher aux derniers étages. Cette action permet l’exfiltration progressive des otages. Les informations arrivent au compte-gouttes. Les rumeurs vont bon train. Les bilans divergent sur le nombre de morts de part et d’autre : 10, 18 puis 27 victimes. Selon les médias, les terroristes se trouveraient reclus au 7ème étage de l’hôtel Radisson, qui n’en compte que 5… Les caméras retransmettent au monde entier la situation en direct. À 11h, on dénombrait déjà 80 otages exfiltrés, mais aucune nouvelle quant au sort des terroristes. Pendant 3 heures, la situation semble figée. Un officier malien s’énerve: « l’opération a pris du temps parce que les Français ont fait appel à quarante éléments des forces spéciales françaises positionnées à Ouagadougou. L’ordre implicite était d’attendre pour pouvoir conjointement terminer l’opération ». Ce n’est qu’à 14h30 qu’ils arrivent sur le théâtre d’opération, 133 otages ont déjà été exfiltrés par les forces maliennes. À 15h les deux terroristes, quelque part dans les étages de l’hôtel, n’ont plus aucun otage à exécuter entre leurs mains. L’étau peut se resserrer. Dans le même temps, la chaîne de télévision pan-arabe, Al-Jazeera, diffuse la revendication de l’assaut par le groupe djihadiste Al-Mourabitoune dans une opération avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). À 16 h, tout s’accélère. Un assaut conjoint est lancé. Les Maliens montent les escaliers pour se porter au-devant des deux forcenés, acculés au quatrième étage devant une porte bloquée menant sur une terrasse. Les Français les prennent à revers, passant par l’extérieur, et les balles pleuvent. Les terroristes, criblés d’impacts, s’écroulent morts, sans avoir pu utiliser les grenades offensives qu’ils portaient sur eux.

Le bilan de l’attaque est lourd. Officiellement on dénombre 22 morts : 18 clients, 3 membres du personnel de l’hôtel, 1 gendarme malien et deux terroristes, et 7 blessés dont 3 policiers. La majorité des victimes sont d’origine étrangère: six Russes, trois Chinois, deux Belges, une Américaine, un Sénégalais et un Israélien. L’épisode sanglant de la prise d’otages de l’hôtel Radisson s’achève à la nuit tombée. Pour les forces de sécurité maliennes c’est une réussite. Ils accusent des pertes mineures et grâce à leur courage, 133 otages ont pu être sauvés. Le président IBK sur l’ORTM, décrète 10 jours d’état d’urgence et un deuil national de 3 jours.

Le calme revient peu à peu dans les rues de Bamako, et avec lui un malaise lancinant, mélangeant choc et peur de l’avenir. Une seconde séquence commence, celle de l’enquête, qui devra amener des réponses, sur de nombreux points.