« L’Etat Islamique n’est pas une génération spontanée » selon André Bourgeot

Journaldumali.com : Qu’entend t–on par Etat Islamique et o๠est-il localisé ? André Bourgeot: Il y a un abus de langage lorsqu’on parle de l’Etat Islamique. Il s’agit d’une nouvelle mouvance de la tendance salafiste-djihadiste incarnée par Al Qaeda avec une puissance de feu et financière. C’’est une tendance qui dépasse Aqmi, Al Qaeda et autres. Les objectifs sont les mêmes et les modes opératoires sensiblement identiques mais avec l’Etat Islamique il y a un enjeu de leadership. La force de cet Etat Islamique demeure dans son absence d’assise territoriale et donc sa mobilité très grande. Mieux l’EI a une capacité d’adaptation extraordinaire et des armes d’une technologie supérieure à  celle des armées nationales. Journaldumali.com: Au vu de votre analyse, doit-on s’inquiéter pour de la prolifération des groupes djihadistes au nord du Mali ? André Bourgeot: Toute situation qui crée la confusion répond à  des intérêts. Je ne peux comprendre qu’on tienne une réunion à  Kidal regroupant des éléments de la Minusma, de Barkane et des militaires du Mnla pour engager une poursuite contre des groupes narco-djhadistes comme le Mujao, Ansardine et Aqmi ? Comment peut-on reconnaitre au niveau international ces éléments du Mnla qui négocient à  Alger, en ignorant les Forces Armées Maliennes qui ont des compétences ? Tout le monde sait qu’il y a des membres du Mnla proches des circuits d’acheminement de la cocaà¯ne et de la drogue et des réseaux djihadistes. On est en droit de s’inquiéter ! Journaldumali.com: La marginalisation des FAMA ne fragilise t-elle pas le pouvoir de Bamako dans les négociations directes d’Alger? André Bourgeot : Bien sûr que oui. Pour rééquilibrer les choses, l’Etat aurait paraphé des accords avec la Russie pour doter l’armée Malienne de matériels militaires et ceci nuance la présence, l’importance et la dépendance de l’Etat Malien vis-à -vis des forces étrangères présentes au Mali comme Barkane. Il y a un retour au développement avec la Chine et la Russie. La question qui se pose actuellement est la suivante : quelle est la marge de manœuvre du Mali face aux pressions des puissances occidentales et face à  la dominante religieuse malienne ?

André Bourgeot sur le Nord : « Il faut créer les conditions de la négociation sans faire de compromissions ».

André Bourgeot, chercheur au CNRS (Centre National pour la recherche scientifique), connaà®t le Sahel comme sa main, mais aussi le Mali et particulièrement les régions Nord, o๠règnent en rebelles, des groupes armés comme le MNLA, le MAA ou encore le Mujao. Régulièrement consulté, cet anthropologue a parcouru cette zone dangereuse o๠sévissent de nombreux trafics et autres poches de combattants djihadistes. De passage à  Bamako, il a répondu à  nos questions. Journaldumali.com : André Bourgeot, vous êtes anthropologue et spécialiste du Sahel : Quelle lecture faà®tes des dernières attaques à  Tombouctou et Gao ? André Bourgeot : Ce n’est pas surprenant. J’avais déjà  mentionné que la guerre éclair qu’a été l’opération Serval allait assez rapidement se transformer en guérilla. Ce court laps de temps entre la guerre et la guérilla a permis aux rebelles de se réorganiser et il faut savoir qu’il y avait encore des dépôts d’armes très importants qui n’ont pas été découverts par l’opération Serval. Tout comme certains éléments ennemis se sont repliés et d’autres fondus dans la ville. A Gao, ce qui est marquant, c’est qu’ils ont utilisé des roquettes pour la première fois et pas artisanales. D’après mes informations, ce sont des roquettes classiques, un armement moderne qui montre que le trafic d’armes est toujours présent dans la région. On se rend également compte que malgré la présence d’environ 5500 soldats de la Minusma et 2000 de la force Serval, les rebelles peuvent faire ce qu’ils veulent et commettre des attentats kamikazes à  n’importe quel moment. Journaldumali. com : La France va maintenir 2000 hommes au Mali, en prévision des élections législatives, cela suffit-il à  sécuriser le Nord, et malgré le fait que François Hollande se soit maintes fois félicité du succès de l’opération serval ? André Bourgeot : Peut-on sécuriser une telle zone qu’avec une présence quantitative de soldats ? Vous pouvez mettre 15000 ou 20000 soldats, mais lorsqu’ils auront décidé de faire des attentats, rien ne pourra les en empêcher. Il y a toujours des complicités locales, qui ne peuvent pas être contrôlées facilement. C’est là  la difficulté. Journaldumali.com : L’une des forces et faiblesses de l’armée malienne, c’est le renseignement et l’incapacité à  prévenir les attaques ? Pourquoi ? André Bourgeot : Je suppose qu’il y a des services de renseignements au Mali. Mais le problème que vous posez, en définitive, c’est la circulation des renseignements au niveau de la sous région et qui fait défaut. La CEMOC avait été crée pour cela mais elle est restée une coquille vide. Journaldumali.com : Le gouvernement a récemment levé des sanctions contre d’anciens chefs rebelles et libéré des combattants du MNLA ? Est-ce une bonne politique pour la suite des négociations ? André Bouregeot : En tout cas, sauf erreur de ma part, je ne me souviens pas avoir lu dans les Accords de négociation, qu’il y avait une clause qui permettait de lever les mandats d’arrêts internationaux qui avaient été délivrés par la justice malienne auprès de certains éléments du MNLA. Je pense à  Assaleh, Hamed Ag Bibi, Algabass Intalla et je sens une désaprobation du peuple malien, qui croit qu’il y a une continuité dans l’impunité. Est-ce que la légitimation faite par le Premier ministre a été suffisamment convaincante ? C’est à  voir. Journaldumali.com : Disons que le ministre malien de la justice a parlé de mesures de confiance ? Est-ce qu’on ne fait pas trop de compromis aux groupes armés, et faudrait-il arrêter de négocier pour passer par la voie forte ? André Bourgeot : Je ne dirai pas cela, mais il est clair qu’il faut arrêter d’exécuter les quatre volontés du MNLA; La négociation peut mener à  la paix, et compte tenu de l’inconstance dans la position du MNLA, on peut se demander s’ils ne cherchent pas l’affrontement direct, ce qui permettrait de légitimer tout leur discours tenu depuis le début : génocide, victimisation, et là  dessus il faut être extrêmement vigilant pour créer les conditions de la négociation sans passer par des compromissions. Ou des formes d’exigences difficilement acceptables quant elles sont émises par le MNLA. Journaldumali.com : Justement, il existe aujourd’hui des dissensions au sein des groupes armés du Nord ? Quelle influence cela peut-il avoir sur les négociations ? André Bourgeot : Parmi les groupes armés, il n’y a pas que le MNLA, mais aussi Ganda Iso, Ganda KOY, le front patriotique pour la résistance, et qui peuvent inverser le rapport de force au moment des négociations. Mais de manière générale, je ne comprends pas pourquoi, on focalise sur le MNLA. Si je prends l’exemple du MAA, le Mouvement Arabe pour l’Azawad, lorsqu’il se réclame de l’Azawad, leur Azawad n’est pas du tout le même que celui du MNLA; il se situe entre la partie arabe comprise entre Tombouctou et Arawane. Il y a même eu des positions d’antagonisme voire d’affrontements entre le MNLA et le MAA donc ce sont des alliances conjoncturelles qui peuvent être amenées à  évoluer. Il faut faire avec, mais pas aller dans la compromission, la marge de manœuvre des autorités maliennes est assez faible, et même sur le fil du rasoir, or dans les négociations, il faudra avoir sur des positions claires qui respectent les décisions de justice, c’est ça la séparation des pouvoirs ( exécutif, judiciaire et législatif). Ou alors, on restera dans une situation de flou et le peuple malien criera à  l’impunité. Journaldumali.com : Le président IBK avait pourtant parlé de fermeté et été clair sur l’intégrité du territoire malien, pourquoi une telle posture aujourd’hui ? André Bourgeot : Justement, c’est au président qu’il faut poser la question. Journaldumali.com : Est-ce qu’on peut imaginer que les groupes armés souhaitent un échec des négociations ? André Bourgeot : C’est en tout cas la position du MNLA, qui fait de la surenchère et joue comme dernière carte, celle de la nuisance, en créant les conditions d’un obstacle généralisé, ce qui leur fait dire qu’on ne peut pas tenir les élections dans le délai prévu, pour diverses raisons, des arguments fallacieux en somme. Ensuite, il appartient aux négociateurs maliens de prendre en compte ces positions. Il y a eu une élection présidentielle, un retour à  l’ordre constitutionnel et l’autorité de l’état désormais enclenchés, qui devrait être corroboré par les législatives. Mais, il existe à  l’heure actuelle, une espèce de flottement qui dérange. Journaldumali.com : Ce flottement pourrait venir du fait que certains, disent que parmi les adversaires, il y a des Maliens et qu’il faut faire le tri dans tout ça ? André Bourgeot : Oui mais la justice ne prend pas en compte les critères de nationalité et ne se base pas sur les critères dont vous parlez. La justice elle doit trancher sur des faits; et cela renvoie à  la loi, et la loi est porteuse de sanctions. Journaldumali.com : Développer ce nord selon l’ambition du président, achever la décentralisation, est-ce finalement la seule solution pour mettre fin à  ces rébellions une bonne fois pour toutes ? André Bourgeot : Non je ne crois pas que ce soit la seule solution. Il faut faire une analyse plus globale de l’ensemble du territoire malien, puisque même dans le sud du pays, il y a des poches de sous développement bien plus importantes que dans les régions nord. Il faut faire attention à  l’instrumentalisation politique de ce nord. Il y a quand même eu des efforts faits pour le nord, des projets de développements, certaines facilités. Donc, il y’a aujourd’hui, une politique pour rééquilibrer par rapport aux années 90 ou les revendications étaient plus légitimes, et analyser tout cela plus globalement.