Fatouma Harber : le « Timbuktu » de Sissako n’est pas le Tombouctou que j’ai vécu

Le film du cinéaste mauritanien a été annoncé tambour battant comme étant le seul film africain sélectionné pour la palme d’or du prestigieux festival de Cannes cette année, cela interpelle. Encore plus quand la tombouctienne que je suis apprend que le film s’appellerait « Timbuktu » (Tombouctou en anglais) et porterait sur l’occupation que nous avions vécue d’avril 2012 à  janvier 2013. Pire, il aurait été accueilli par des applaudissements de la presse. Toute la journée, J’ai attendu la projection et les échos de la conférence de presse que le réalisateur mauritanien ferait devinant, presque ce qu’il raconterait en me fiant au casting du film qui donne une place de choix à  des acteurs Touaregs qui auraient vécu les mêmes évènements que moi. Je ne sais pas si mes tweets depuis Tombouctou lui sont arrivés, ni s’il connait l’existence de mon blog, même s’il aurait éclaté en sanglot en conférence de presse en disant « pleurer à  la place des autres », à  ma place en un mot ! Du cinéma ! Hum… quand le sage dit que le chasseur raconte toujours ses parties de chasse comme il le veut car la version de l’histoire du lion a un angle bien différent … je le comprends. Je ne mâcherai pas mes mots encore une fois, mais le scénario de ce film, les scènes qui ont un tel effet sur le cinéaste mauritanien, est cousu de mensonges et d’approximations qui sont honteux. Tous les faits peuvent être retracés par n’importe quel habitant de Tombouctou et malheureusement, C’’est peut-être le coté dramatique qu’il veut donner à  son film, mais je m’insurge en faux ! Rien ne s’est passé comme ce film le soutient, avoir vécu cela ne me fait pas éclater en sanglots, même pour femme que je sois. Ne rien dire après un tel film est un crime pour la militante de Tombouctou. Des faits qui se sont déroulés, il n’y a pas si longtemps sont complètement dénaturés et même transformés par le narrateur qui se permet de changer la tournure des faits pour prendre la place de la victime. C’’est honteux ! L’affiche peut en témoigner. En effet, on voit une femme noire en pleurs, habillée de noir de la tête aux doigts. Nous n’avons jamais eu droit à  cette scène à  Tombouctou o๠les pseudo djihadistes d’ansardine exigeaient que les femmes se couvrent avec le voile traditionnel des femmes arabes de Tombouctou. J’ai moi-même porté ce voile d’une couleur jaune, passant et repassant devant la police islamique qui n’était point éloignée de mon habitat. Je me rappelle encore de l’audience provoquée par mon article sur la protestation des femmes Bellahs, vendeuses de poissons au marché de Yoboutao, et qui se sont déshabillées pour protester contre le port du voile. Le film évoque également un cas de lapidation qui n’a jamais eu lieu à  Tombouctou. Un couple ayant eu un enfant sans mariage a été fouetté sur la place publique de Sankoré par des djihadistes qui se sont relayés, la population y a assisté sans broncher, juste devant la porte de l’Imam de la mosquée de Sankoré (jadis grande université de la ville historique) et qui n’a jamais accepté ne serait-ce que discuter avec les occupants…. Il y a un écart, si ce n’est un fossé avec une vraie lapidation et pour mauritanien qu’il est, monsieur Sissako n’ignore point la signification du mot ni la manière dont cela se déroule. La motivation du cinéaste viendrait du témoignage d’un touareg de sa connaissance, à  propos de l’exécution d’un touareg qui aurait tué un pécheur accidentellement, comme si l’homicide involontaire n’en était pas un. Mais ce qui exaspère le plus dans cette histoire , C’’est la dénaturation éhontée des faits, le tueur, serait un paisible berger touareg du nom de Kidane (un nom pas du tout touareg soit dit en passant) qui aurait réussi à  trouver la tranquillité à  l’écart du désordre régnant dans toute la zone occupée et sillonnée par les troupes du MNLA qui ont été chassées des grandes villes du nord par les islamistes, qui ont épargné les populations des pillages du MNLA Bon ! Certainement. que son ami témoin était un membre du MNLA, car la Mauritanie est la base arrière des défenseurs de la cause du « touareg victime de l’état malien », et je n’irai pas jusqu’à  dire que Sissako est un membre du MNLA, mais C’’est incroyable comme il s’est laissé avoir par le discours de victimisation. Comme la presse internationale d’ailleurs. Quand il affirme que « les Touaregs sont des victimes au Mali » dans l’interview accordé à  jeune Afrique, C’’est aisément compréhensible. Mais C’’est creux ; Avec deux ans de recul, il avait la possibilité d’échapper à  la compassion envers un peuple dont il est proche, je ne sais pas s’il est touareg, mais les différents changements de cap du MNLA durant cette occupation pouvaient l’aider avec un peu de bonne volonté et d’objectivité. Mais il faut reconnaitre que C’’est difficile et que les minorités victimes sont « les chouchous de l’opinion occidentale ». Cannes n’est pas Ouagadougou ! Incohérences, inexactitudes Pour revenir à  son histoire et à  Kidane, qui vivrait tranquillement avec sa femme, sa fille et un petit garçon qui garde son bétail – certainement un petit noir qui est leur esclave en réalité, mais comme cela n’arrangerait pas l’image du gentil touareg, pas de précisions !- aurait tué malencontreusement le pêcheur qui a tué une de ses vaches et tombe entre les mains des djihadistes. Je le dis haut, l’écris en gras : C’’est faux ! Rien n’est vrai dans cette histoire ! Ce touareg qui a été la seule personne exécutée par Ansardine à  Tombouctou, était un membre du mouvement, il n’était pas un habitant de la région et C’’était une personne qui persécutait la population des villages des alentours de Tombouctou. Son acte était prémédité et il a déclaré au pécheur qui refusait d’exécuter ses ordres qu’il était venu spécialement pour lui avant de le tuer froidement de plusieurs coups de fusil. Il est resté libre longtemps et d’ailleurs ansardine a essayé de donner le prix du sang à  la famille de la victime, qui a refusé et a exigé que le coupable soit tué comme le veut la charia. s’il y a un véritable buzz autour du film sur Grace de Monaco, C’’est parce que l’histoire de la roturière devenue reine est bien connue, mais malheureusement, pendant l’occupation de Tombouctou, l’heure était à  la débandade et au repli stratégique des militaires et des fonctionnaires de l’état qui étaient les ennemis des troupes de Touaregs qui sont entrés à  Tombouctou en scandant un Azawad que nous (habitants de la ville ) n’avions jamais réclamé. Les arabes les ont rapidement ralliés. Je n’ai même pas vu le film et J’en crache parterre, je me demande si je pourrais le regarder un jour tellement je suis dégoutée ! Mais il faut reconnaitre qu’il illustre parfaitement le hold-up dont nous faisons l’objet au nord du Mali : les Touaregs se révoltent, invitent tous les bandits du Sahara sur nos terres, des cheiks du Qatar prennent leurs pieds en regardant des obscurantistes torturer d’innocentes populations, fouetter des femmes, en enlever pour des viols collectifs, détruire des mausolées millénaires, détruire tout ce qu’il y a comme infrastructures, des écoles aux dispensaires, faire du bois de chauffe de nos bancs d’école – je me rappelle que l’ambulance de l’hôpital servait à  amener leurs femmes au marché et ce sont eux qui deviennent les victimes de l’oppression et du racisme ? Quand l’histoire a pris une autre tournure et les troupes de serval sont intervenus pour chasser , ils sont devenus les victimes et la guitare a aussitôt remplacé la Kalach. Heureusement qu’il utilise cet orthographe, TIMBUKTU, qui me permet de concrétiser cette différence. Ce film est le fruit d’une imagination fertile! Il y a des choses qu’il faut oser dire !

L’Afrique, le cygne noir de Cannes

Tapis rouge, icônes vivantes, robes et bijoux de créateurs, smoking de grande classe. Pour des millions de personnes dans le monde, Cannes c’est avant tout la fête du glamour. Mais pour les amoureux de la bobine, la grand-messe du cinéma est l’occasion de vivre une quinzaine endiablée entre salles obscurs et événements mondains sur la Croisette. La vile du sud de la France s’anime à  partir de ce 15 mai pour le Festival de Cinéma le plus célèbre du monde, qui porte son nom, Cannes. Cette année encore, de grands noms, de beaux films et des activités plus grandioses les unes que les autres vont faire la une de l’actualité. L’édition 2013 présidée par le réalisateur Steven Spielberg sera marquée sans nul doute par La venue de Leonardo DiCaprio, star de Gatsby le magnifique, du réalisateur australien Baz Luhrmann. Le film sera présenté en 3D ce soir en ouverture du 66e Festival. D’autres stars sont également à  l’affiche avec un palmarès composés de 20 films seront en lice. Ceux-ci sont plus axés cette année sur des histoires intimes que de grands sujets politiques et on promet même et quelques scènes torrides… Les autres membres du jury sont la star australienne Nicole Kidman, l’acteur autrichien Christoph Waltz, le Français Daniel Auteuil ou encore les cinéastes taiwanais Ang Lee et roumain Cristian Mungiu. L’Afrique, petite présence remarquée Sur le papier, la lutte promet d’être rude compte tenu du nombre de talents confirmés et prometteurs retenus par le délégué général Thierry Frémaux: le Danois Nicolas Winding Refn («Only God forgives» avec Ryan Gosling), l’Américain James Gray («The immigrant» avec Marion Cotillard), l’Iranien Asghar Farhadi («Le Passé» avec Bérénice Béjo et Tahar Rahim). L’Afrique est représentée par deux cinéastes. Il s’agit du Tchadien Haroun et du Franco-Tunisien Kechiche. Et avec eux, plusieurs films tournés sur le continent africain. Une cinquantaine de films ont été retenus sur presque deux mille propositions de long-métrages envoyés à  Thierry Frémaux, délégué général de la manifestation, dans l’espoir de figurer dans la sélection officielle du Festival de Cannes. Parmi eux, plusieurs ont été tournés sur le continent africain ou au Moyen-Orient. Surtout, deux longs-métrages de cinéastes originaires d’Afrique seront en lice pour la Palme d’or. Le Tchadien Mahamat-Saleh Haroun réussit l’exploit de figurer pour la deuxième fois en trois ans sur cette liste prestigieuse. Prix du jury en 2010 pour Un homme qui crie, il présentera Grigris, du nom de son héros, un jeune de 25 ans qui veut devenir danseur malgré sa jambe paralysée, mais doit abandonner ce rêve pour se livrer à  divers trafics afin d’aider son oncle malade. Le Franco-Tunisien Abdellatif Kechiche, plutôt habitué de la Mostra de Venise, o๠avaient été projetés La Graine et le mulet et Vénus noire, est quant à  lui pour la première fois à  Cannes. Avec La Vie d’Adèle, changeant semble-t-il complètement de sujet, il raconte une histoire d’amour passionnelle entre une adolescente et une jeune femme aux cheveux bleus, adaptation d’une bande dessinée de la Française Julie Maroh (Le bleu est une couleur chaude, prix du public au festival d’Angoulême en 2010). Projeté le soir de la clôture, Zulu est, lui, hors compétition. Réalisée en Afrique du Sud par le cinéaste français Jérôme Salle, cette adaptation du polar éponyme de Caryl Férey, paru chez Gallimard en 2008, bénéficie d’un casting hollywoodien : l’Africain-Américain Forest Whitaker et le Britannique Orlando Bloom. Le premier a déjà  reçu un prix d’interprétation à  Cannes en 1988 – il incarnait le jazzman Charlie Parker dans Bird de Clint Eastwood – et un oscar pour son rôle d’Amin Dada dans Le Dernier roi d’à‰cosse en 2007. Le second s’est illustré dans les Pirates des Caraà¯bes. Zulu évoque une enquête périlleuse menée par deux policiers, un Zoulou et un Afrikaner, dans les townships du Cap. Un portrait sans concessions de l’Afrique du Sud post-apartheid.

Afrique Noire, l’éternelle « oubliée » du Festival de Cannes

C’’est ce mercredi 11 mai que va s’ouvrir en France la 64ème édition du Festival de Cannes. Haut lieu de compétition entre les cinéastes du monde entier, cette fête constitue un cadre et d’échanges entre les professionnels du 7ème art. Très présent l’année dernière sur la croisette, l’Afrique semble être la grande oubliée dans la sélection officielle du Festival de Cannes 2011. Au vu de la sélection officielle, annoncée le 14 avril, aucun de ses réalisateurs ne peut prétendre suivre la trace du Tchadien Mahamat-Saleh Haroun, dont le film «Â Un homme qui crie » (premier film africain en compétition pour la Palme d’or depuis 1997), avait remporté le prestigieux prix du jury. Tout au plus le Maroc apparaà®tra-t-il sur l’immense écran du Palais des festivals grâce à  «Â La Source des femmes », de Radu Mihaileanu, un réalisateur français d’origine roumaine. Entièrement tourné dans l’Atlas, ce long-métrage raconte comment, des femmes, lasses d’accomplir des tâches éreintantes, décident de faire la «Â grève du sexe » jusqu’à  ce que les hommes amènent enfin l’eau au village. Dans la sélection officielle non compétitive, «Â Un certain regard » représentera le continent pour la deuxième année consécutive, avec Skoonheid, du jeune Oliver Hermanus, déjà  remarqué en 2009 avec Shirley Adams. Le cinéma égyptien à  l’honneur l’Afrique peut néanmoins se consoler avec une nouvelle. Car, l’Egypte sera cette année le premier pays invité du festival de Cannes qui inaugure ainsi un hommage annuel aux grands pays du cinéma, avec un programme spécial de projections et de festivités le 18 mai. « Cette journée, sur laquelle planera le souvenir du regretté Youssef Chahine (mort en 2008), permettra de mettre l’accent sur les forces vives du cinéma égyptien qui sera représenté par des réalisateurs, des acteurs, des producteurs, des techniciens », ont indiqué jeudi les organisateurs du festival dans un communiqué. Mais, a précisé à  l’AFP le délégué général du festival, Thierry Frémaux, « le choix de l’Egypte n’est pas seulement motivé par les événements récents dans toute la région : il s’agit d’abord de rendre hommage à  un grand pays de cinéma ». Le président égyptien Hosni Moubarak a été contraint de quitter le pouvoir le 10 février après plus de deux semaines de manifestations populaires. Ces dix-huit jours de manifestations ( à  partir du 25 janvier ) ont d’ailleurs inspiré la première œuvre projetée le 18 mai : « 18 jours » réunit les courts-métrages de dix réalisateurs (Sherif Arafa, Yousry Nasrallah, Mariam Abou Ouf, Marwan Hamed, Mohamed Aly, Kamla Abou Zikri, Sherif El Bendari, Khaled Marei, Ahmad Abdallah et Ahmad Alaa), tournés dans l’urgence, « sans budget et de manière complètement bénévole », précise le festival de Cannes. L’histoire du cinéma égyptien est un véritable conte, o๠se mêlent larmes et sourires, et o๠les drames s’entrelacent au chant et à  la danse Deux longs-métrages égyptiens seront également présentés, l’un dans la sélection « Cannes Classics », avec une copie neuve du Facteur (Al Bostagui) d’Hussein Kamal (1968) et « Le Cri d’une fourmi » de Sameh Abdel Aziz (2011). Par ailleurs, le festival proposera un documentaire inédit sur la révolution de jasmin, en Tunisie, « Plus jamais peur » de Mourad Ben Cheikh (Tunisie), et « The Big Fix » (Surdose) de Josh Tickell (USA), documentaire environnemental produit par Peter Fonda. En choisissant l’Egypte comme pays invité d’honneur de cette 64ème, le Festival de cannes rend un hommage mérité au cinéma africain. On se rappelle qu’on 2009, le film «Â Minyé » de notre compatriote Souleymane Cissé avait été projeté en hors compétition.

Mahamat Saleh Haroun : le cinéaste Tchadien qui honora l’Afrique à Cannes

Mahamat Saleh Haroun a de quoi être fier et optimiste. En 13 années, C’’est la première fois qu’un film originaire d’Afrique sub-saharienne était sélectionné en compétition officielle à  Cannes. De même, depuis 1975 o๠la Palme d’or fut décernée au film algérien Chronique des années de braise de Mohammed Lakhdar-Hamina, C’’est la première fois qu’un film africain figure de nouveau dans le palmarès de Cannes. C’’est dire la place qu’occupe le cinéma africain dans le monde. J’ai l’impression de ramener mon pays, peut-être le continent sur la scène parce que ça fait très longtemps que ce continent est dans l’invisibilité. Je prends cette distinction comme une invitation à  faire partie de cette famille du cinéma. Le cinéaste tchadien de rappeler, je viens d’un pays o๠il n’existe pas grand-chose. Dans ce contexte désertique, j’ai appris une chose: il faut faire les films comme les petits plats mijotés qu’on prépare aux gens qu’on aime a-t-il déclaré avant de recevoir une salve d’applaudissement. Avec ce film, Mahamat Saleh a voulu ramener l’Afrique dans l’humanité. Il me semble que souvent, on lui a refusé cela a-t-il lancé à  la presse internationale réunie à  Cannes. On me dit que mes films sont universels, mais je suis un homme donc je suis porteur d’universel. Cela ne devrait étonner personne, que je fasse un film universel! Dans un Tchad en pleine guerre civile, Un Homme qui crie raconte l’histoire d’un père privé de son emploi de maà®tre-nageur par son fils. Adam, la soixantaine, ancien champion de natation est maà®tre nageur de la piscine d’un hôtel de luxe à  N’Djamena. Lors du rachat de l’hôtel par des repreneurs chinois, il doit laisser la place à  son fils Abdel. Il vit très mal cette situation qu’il considère comme une déchéance sociale. Le pays est en proie à  la guerre civile et les rebelles armés menacent le pouvoir. Le gouvernement, en réaction, fait appel à  la population pour un « effort de guerre » exigeant d’eux argent ou enfant en âge de combattre les assaillants. Adam est ainsi harcelé par son chef de Quartier pour sa contribution. Mais Adam n’a pas d’argent, il n’a que son fils. Le jury du festival a salué «l’universalité» de l’œuvre de Mahamat-Saleh Haroun, a souligné le compositeur Alexandre Desplat. A 49 ans, Mahamat Saleh a réalisé plusieurs autres fictions. Un homme qui crie est le quatrième long métrage. En 1999, son premier film, Bye bye Africa est sélectionné à  la Mostra de Venise et obtient le prix du meilleur premier film. Suivent ensuite Abouna (notre père) (Quinzaine des réalisateurs 2002), et Daratt, Prix spécial du jury à  Venise en 2006 et l’Etalon de bronze au Festival panafricain de Ouagadougou (Fespaco).

Cannes, la dernière frontière

Dimanche 24 mai, le 62ème festival de Cannes a refermé ses portes après une prestigieuse remise des trophées, comme chaque année. La grande famille du cinéma était une fois de plus au complet, une famille plus unie et soudée que jamais. Irions-nous jusqu’à  dire fermée ?? Non bien sûr : les films asiatiques y tiennent une place de plus en plus importante comme en attestent les différentes sélections. l’Asie, continent vers lequel convergent tous les regards du monde depuis une décennie, ne comptait pas moins de 5 films sur 20 en compétition. Et C’’est sans compter les œuvres présentées en sélections parallèles. Mais comme à  l’accoutumée, d’Africains, point. Ou plutôt, si, un seul. Le réalisateur malien Souleymane Cissé présentait son dernier film « Min Yé » en séance spéciale. Depuis plus d’une dizaine d’années, l’absence criante de tout film africain en sélection officielle longs métrages suscite quelques questions. Jugez plutôt : le dernier en date remonte à  1997… Les seuls qui parviennent à  s’imposer sont programmés hors compétition ou dans Un Certain Regard. La faible production qualitative et quantitative du continent serait en cause selon les organisateurs du festival. Pour ce qui de la quantité, force est de reconnaà®tre qu’en 2008, la production cinématographique du continent a été particulièrement faible. On l’expliquera principalement par les difficultés accrues pour mobiliser des financements, incitant les réalisateurs à  se tourner vers la production vidéo et télévisuelle. En revanche, la qualité des films africains n’est pas discutable et il aurait été justifié de retrouver, par exemple, le film algérien « Mascarades » de Lyes Salem en sélection officielle de cette édition. La preuve, il était sélectionné à  Hollywood pour l’Oscar du meilleur film étranger 2009. En 2007, l’absence de l’Afrique était encore plus incompréhensible. Pourquoi ni « Carmen » du sud-africain Mark Dornford-May, Ours d’Or à  Berlin en 2005, ni « Tsotsi » de son compatriote Gavin Hood, Oscar du meilleur film étranger en 2006, ni encore « Daratt » du tchadien Mahamat Saleh Haroun, Grand Prix du Jury à  la Mostra de Venise la même année, n’étaient dans la sélection cannoise ? Les critères cinématographiques d’Hollywood, de Berlin et de Venise seraient-ils donc dévalués ? Encore plus étrange, le jury « longs métrages » comptait dans ses rangs le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako. s’il méritait ce statut (et nous ne doutons aucunement de sa légitimité !), pourquoi en revanche aucun de ses films n’a-t-il jamais mérité la sélection officielle ? Alors comment expliquer cette exclusion ou plutôt cette marginalisation systématique ? Pourquoi relayer les cinématographies du continent au Pavillon des Cinémas du Monde, o๠l’on se gargarise des aides de la coopération française à  la culture des pays du Sud ? Le cinéma africain est semble-t-il passé de mode. Il le fut pourtant dans les années 80-90 et eut une représentation digne de ce nom au festival, avec notamment des grands réalisateurs comme Souleymane Cissé, Djibril Diop-Mambéty ou Idrissa Ouédraogo. Ce qui explique d’ailleurs qu’à  l’heure actuelle on ne connaisse encore qu’eux à  Cannes et presqu’aucun autre. Car comme d’habitude, l’Afrique est victime d’une méconnaissance associée à  une absence de curiosité et à  une bonne dose de préjugés à  son égard. La preuve, de plus en plus de films ayant le continent pour sujet, et censés remplacer la présence africaine sont projetés. En 2008, il s’agissait de « Johnny Mad Dog » de Jean-Stéphane Sauvaire. Cette année ce fut le documentaire « l’Armée silencieuse » de Jean Van De Velde. Tous deux traitent des enfants soldats enrôlés dans les conflits africains. Tout commentaire semble superflu : ce sont immuablement les images de violence, de misères et d’horreurs que l’on véhicule. Et C’’est avec ce misérabilisme que l’on compense la mauvaise conscience de ne pas proposer la version originale. Ainsi, à  la ville comme à  la scène, l’Afrique est désespérément maintenue en marge. Mais si le 7ème art est le reflet de nos sociétés et de nos visions du monde, pourquoi s’obstine-t-on, dans un pays comme la France, à  en refuser la conception africaine et à  la cantonner dans une sorte de catégorie hors normes ? C’’est que l’Afrique demeure à  bien des niveaux la dernière frontière dans les esprits ethnocentrés et étriqués.

Souleymane Cissé revient au cinéma avec Min Yè

A côté de « Baara » ou  » Yeelen » ses oeuvres majeures, Souleymane Cissé a à  son actif de nombreux documentaires et près d’une trentaine de films. Très tôt, Souleymane Cissé a fréquenté le cinéma, d’ abord comme spectateur, ensuite comme projectionniste à  Bamako après ses études secondaires. Passionné, il commentait les films qu’il montrait aux autres. Militant, il adhéra aux mouvements jeunes quant éclatait la Fédération du Mali dans les années 60. « J’ai vu ce film sur l’arrestation de Patrice Lumumba, et cela m’a donné envie de faire du cinéma » , raconte t-il . Grâce à  une bourse, le jeune projectionniste apprend les techniques de l’image, à  l’Institut des Hautes Etudes Supérieures de la Cinématographie de Moscou, dont il sort diplômé en 1969. De retour au Mali, Souleymane Cissé s’attelle au maniement de la caméra et travaille au Ministère de l’information, Par la suite, il réalise de nombreux documentaires sur le Mali, qu’il parcourt caméra à  l’épaule, durant trois ans Du documentaire, Souleymane Cissé passe au moyen métrage avec « Cinq jours d’une vie », l’histoire d’un jeune errant, qui abandonne l’école coranique. Première distinction au festival de Carthage en 1975. Un talent pour l’image visible également dans Den Muso, ( la jeune fille, ) un premier long métrage qui évoque les affres du viol et le rejet de la société. Cette œuvre se verra interdite et censurée par le gouvernement malien de l’époque. Le jeune réalisateur sera même emprisonné quelque temps. Le cinéma comme un miroir de la société Infatigable, Souleymane Cissé va s’impliquer davantage dans le cinéma. Il crée en 1977 sa propre société de production Sisé Filimu. ( les films de Cissé) et sort l’année d’ après Baara ( le travail ), une œuvre qui aborde les dures réalités des couches populaires face à  l’omnipotence des gouvernements post indépendances. Premier Etalon d’Or du Yennenga pour Souleymance Cissé. Dans Finyè, (le vent), sorti en 1982, Cissé aborde cette fois la révolte des jeunes face aux pouvoirs ! Une révolte qu’il comprend bien l’ayant lui même vécu. Ce film sera également primé au Fespaco, en 1979 et recevra un Tanit d’or au festival de Carthage. Ce qui lui vaudra une reconnaissance internationale. Parmi ses œuvres majeures, figurent Yeelen ( la lumière ), réalisée en trois ans. Le film brasse le douloureux passage de l’enfance à  l’adolescence, et obtiendra le Prix spécial du Jury à  Cannes 1987. Souleymane Cissé sera membre du jury du festival en 1983 et en 2006, pour le 59è anniversaire ! Si la notoriété confère au cinéaste un respect international, cela ne l’empêche pas de faire ce constat lucide sur la profession: « Notre cinéma est entrain de se casser la gueule ! ». Le cinéaste comprend cette situation d’autant mieux qu’il restera de longues années sans tourner après la sortie de Waati ( Le temps ) en 1995. L’ ambassadeur des festivals internationaux Aujourd’hui, Souleymane Cissé est un habitué des grands festivals internationaux. Quant il ne tourne pas, il s’implique dans le développement de l’audiovisuel au Mali. Il a fondé l’UCECAO, l’union des Créateurs et entrepreneurs du Cinéma et de l’audiovisuel de l’Afrique de l’ouest, une organisation destinée à  soutenir la production cinématographie avec la création de structures adéquates, là  ou l’ appui des gouvernements fait défaut : « Sans penser à  leurs peuples, les dirigeants , même quant il s’agissait d’ intellectuels et d’ universitaires, ont détruit, comme on le leur demandait, les quelques structures qui existaient », dénonçait-il dans une tribune de l’hebdomadaire Jeune Afrique. A l’occasion des 40 ans du Fespaco, Souleymane Cissé, présent à  Ouagadougou, rappelait une fois de plus la fragilité d’un cinéma qui peine à  trouver son public et la disparition dramatique des salles de cinéma en Afrique : « En l’espace de cinquante ans, il n’a pas été possible de créer les structures nécessaires pour mettre en place une véritable industrie de l’image ».Cette année encore, Souleymane Cissé, ambassadeur du cinéma africain, est présent au festival de Cannes, avec Min-Ye, son sixième long métrage, sélectionné dans la catégorie « Séances Spéciales ». Le film raconte les problèmes d’un couple, celui d’ un réalisateur et sa femme, employée d’une ONG et qui se séparent dans la douleur… » A quand un film africain dans la compétition officielle à  Cannes ? Si Souleymane Cissé avoue que chaque film réalisé est un petit miracle, il est aujourd’ hui un modèle incontestable pour la future génération de jeunes cinéastes africains… Une aura que vient de confirmer le British Film Institute qui vient de lui accorder une récompense pour l’ensemble de son oeuvre. Dernier chef d’oeuvre, le film Min Yè, qui évoque la polygamie sort en avant première officielle à  Bamako ce mercredi au Studio BlonBa de Faladiè. Une projection honorée de la présence du chef de l’état Malien.