Carte biométrique sécurisée : l’opérationnalisation se précise

Presque devenue une Arlésienne, la carte nationale d’identité biométrique sécurisée conforme aux normes de la CEDEAO est en phase de voir le jour au Mali. La volonté a été annoncée le 3 novembre dernier via un décret présidentiel qui liste les dispositions pour sa mise en œuvre.

C’est un vieux rêve de la communauté ouest-africaine qui refait surface et pourrait enfin être réalisé au Mali. Le 3 novembre dernier, par un décret signé par le Président de la Transition Assimi Goïta, les autorités ont mis à jour leur volonté d’instituer la carte biométrique sécurisée, une recommandation de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) depuis 2014. Elles font même de cette mesure une « réforme essentielle » avant la tenue des élections.

« À la faveur des prochaines échéances électorales, la question de l’identification des Maliens refait surface, avec en ligne de mire la crédibilité de l’ensemble du processus électoral, qui constitue un axe stratégique du Gouvernement de Transition. Dans cette perspective et à l’effet d’apporter une solution durable à cette importante question, le Gouvernement a décidé, à partir de la base de donnée du RAVEC, de doter les Maliens d’une carte nationale d’identité biométrique sécurisée », peut-on lire dans le communiqué du Conseil des ministres. L’objectif est de promouvoir la mobilité intra-régionale tout en offrant un titre sécurisé permettant de lutter contre les trafics et migrations irrégulières et de répondre aux enjeux de la lutte contre le terrorisme.

Spécificités de la nouvelle carte

Elle est plus petite que l’actuelle carte d’identité nationale, dotée d’une puce et valable 5 ans. La carte est fabriquée à partir d’une matière plastique en polycarbonate comprenant tous les dispositifs de sécurité destinés à limiter les risques de falsification ou de contrefaçon. Sa première dotation est gratuite pour chaque citoyen.

Les changements

Le Dr Fousseynou Ouattara, Vice-Président de la Commission Défense nationale, sécurité et protection civile du Conseil national de la transition (CNT), compare sa forme à celle d’une carte bancaire. « Elle sera facile à garder et même à conserver dans un porte-monnaie, contrairement à l’actuelle carte, qui est trop volumineuse », explique le Dr Ouattara, aussi Président du Collectif pour la refondation du Mali (COREMA).

Le nouveau document va comporter un certain nombre de données personnelles. Il s’agit, entre autres, « de son numéro d’identification nationale NINA, du nom de famille ou du nom du père, du prénom, du sexe, de la date et du lieu de naissance du titulaire, de l’adresse de son domicile, de sa taille, de sa profession, de sa photo et de la couleur des yeux », détaille-t-on dans le décret paru début novembre.

Autre innovation majeure, la durée de validité de la nouvelle carte est de cinq ans, contre trois pour l’actuelle carte. Tout citoyen malien âgé de cinq ans au moins pourra s’en procurer une gratuitement la première fois.

Pour le mineur, la demande est effectuée par une personne exerçant l’autorité parentale. La carte est exigible à partir de l’âge de 15 ans, contre 18 ans actuellement, et sa présentation obligatoire lors de toute réquisition de l’autorité compétente.

Aussi et surtout, la nouvelle carte biométrique sera munie d’une puce qui comportera d’autres éléments biométriques du citoyen, comme ses empreintes digitales, à l’exception des personnes vivant avec un handicap au niveau des mains.

« Les sciences ont tellement avancé qu’identifier les individus par leurs empreintes est devenu logique. Ces données seront enregistrées sur une puce qui sera lisible par des appareils qui seront adaptés à cela. Ainsi, chaque personne sera, de façon individuelle, identifiée et personne ne pourra s’accaparer l’identité d’un autre », assure le Dr Ouattara.

À cet effet, le Vice-président de la Commission Défense nationale, sécurité et protection civile du CNT prévient : « que les gens sachent qu’il y aura une base de données. Ils doivent s’assurer de donner les bonnes informations lors de l’acquisition de la carte biométrique car en cas d’erreur il sera impossible de les changer ». La carte, bénéficiant d’une sécurité fiduciaire, sera « impossible » à trafiquer également, ajoute-t-il.

Les raisons de l’innovation

Pour le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, le Général Daoud Aly Mohammedine, elles sont premièrement sécuritaires. « Depuis un certain temps, le terrorisme et le djihadiste gagnent du terrain dans nos États de l’Afrique de l’Ouest et au Sahel. Avec cette insécurité, il nous faut mettre certaines mesures en place pour protéger nos citoyens. C’est dans cette optique que les autorités de la CEDEAO ont pris la décision, le 14 décembre 2014 à Abuja, de mettre place cette carte », s’est-il justifié à la télévision nationale après l’adoption de l’institution de la carte biométrique en Conseil des ministres.

Des justifications soutenues par le Coordinateur national de l’Alliance citoyenne pour la reforme du secteur de la sécurité, Soumaïla Lah. Pour ce dernier, les pays de la CEDEAO sont dans une configuration asymétrique, où l’ennemi n’est pas connu. « Cette carte permettra aux États membres de la CEDEAO d’avoir une longueur d’avance sur ceux qui se rendent coupables d’infractions ou d’actes de nature à porter atteinte à la sûreté des États. Ses informations permettront également aux forces de défense et de sécurité d’avoir une base de données avec laquelle travailler. C’est une bouffée d’oxygène pour le processus en cours de la réforme de la sécurité », atteste-t-il.

D’ailleurs, outre la zone CEDEAO, le recours aux nouvelles technologies s’est développé un peu partout dans le monde après le 11 septembre, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Notamment dans les pays de l’Union européenne, qui ont mis en circulation en 2021 un nouveau format de cartes d’identité plus sécurisé.

Sous un autre angle, l’opérationnalisation de la carte biométrique CEDEAO permettra aux environ 407,68 millions d’habitants de la communauté d’avoir des pièces d’identité identiques et de pouvoir circuler avec elles librement dans les 15 États de l’organisation.

Par ailleurs, un nouvel avantage est que la carte fera office de carte d’identité, de carte consulaire, de carte NINA et aussi « de carte d’électeur », si l’on se fie aux propos du ministre de la Sécurité et de la Protection civile lors de sa sortie médiatique d’avril dernier.

Une autre raison est de mettre fin à la difficulté d’acquisition de la carte nationale d’identité qui se fait ressentir au Mali et que certains qualifient de pénurie. Sauf qu’au niveau de la Direction générale de la Police (DGPN), chargée de la mise à disposition de ces cartes, on réfute cette version. « Il a été constaté que certains commissariats ne versaient plus l’argent des cartes d’identité au Trésor public. C’est pourquoi le Directeur actuel de la Police a donné comme consigne de ne pas les ravitailler tant qu’ils ne donneront pas les preuves de versement. Là où il y a pénurie, c’est parce qu’ils n’ont respecté le protocole », soutient une source au DGPN. Nos tentatives de vérification au niveau des commissariats sont restées sans succès.

À quand la mise à disposition ?

La nouvelle carte biométrique de la CEDEAO est déjà opérationnelle dans certains pays de l’organisation ouest-africaine, dont le Sénégal. Au pays de la Teranga, sont coût est fixé à 10 000 francs CFA pour une durée de 10 ans.

Au Mali, la date de mise à disposition n’a toujours pas été officiellement annoncée. Le prix non plus. Selon une source proche du ministre de la Sécurité, les cartes devraient être disponibles avant fin novembre et coûteront 5 000 francs CFA après la première dotation qui sera gratuite.

Le marché de la conception des cartes a été attribué à la société allemande de biométrie Dermalog. Spécialisée dans le développement de produits et de solutions biométriques, c’est elle qui a conçu en 2018 l’une des premières cartes d’identité biométrique en Afrique. Celle de Djibouti, lancée en avril dernier.

Difficultés

Annoncée bénéfique pour les citoyens, l’opérationnalisation de la carte biométrique au Mali risque toutefois de se heurter à quelques difficultés. La première tentative non concluante de 2017 en témoigne. Les autorités d’alors avaient lancé le processus et même confié le marché à la société malienne Cissé Technologie spécialisée en imagerie médicale. Mais la réalisation fut ratée. L’inquiétude sur l’aboutissement de la mise en œuvre de la nouvelle carte est surtout de mise chez les Maliens de l’extérieur qui ne disposent pas de carte NINA, document exigé pour l’obtention de la nouvelle carte.

Selon les estimations du Haut conseil des Maliens de l’extérieur (HCME) sur les 6 millions de Maliens établis à l’extérieur seulement 1 736 000 personnes sont enrôlées au RAVEC. Ce qui entraînera que 2/3 des expatriés maliens ne disposeront pas de la nouvelle carte si les conditions restent telles que spécifiées dans le décret présidentiel.

« À ceux là s’ajoutent les 14 000 autres dont les cartes NINA comportent des erreurs. Les demandes de correction sont sur la table du gouvernement, mais jusqu’à présent même le tiers n’a pas été effectué », regrette un membre du HCME qui demande que le gouvernement accompagne l’idée d’octroyer la carte d’identité biométrique d’une loi dérogatoire permettant à ceux qui ont des problèmes de NINA de les régler.

Une autre question reste en suspens : comment les populations des zones en insécurité seront-elles dotées de la carte biométrique ?