Carte d’électeur : la clé des votes

Mercredi 20 juin 2018. Il est 10h et dans la cour de l’école Candigue en Commune 3 du District de Bamako, se déroule ce que Mohamed H. qualifie de « premier acte concret de la tenue de cette élection ». Celui qui en doutait encore, assiste de loin au lancement par le Gouverneur du District de Bamako de la distribution des cartes d’électeur biométriques. Le dernier lot, fraichement débarqué de l’avion, avait été réceptionné quelques heures plus tôt et les équipes fin prêtes pour entamer une tâche qui devrait, au vu de l’attente manifestée par les Maliens vis-à-vis de cette présidentielle, être menée rondement. Mais, après plus de vingt jours de distribution, les chiffres du retrait progressent lentement.

Force est de constater que les électeurs ne se bousculent pas dans les centres où les membres des commissions mises en place à cet effet se tournent les pouces.

Responsabilité des partis Au ministère de l’Administration territoriale, en charge de l’organisation matérielle du scrutin, c’est l’effervescence. Les réunions se succèdent, les fax tombent à une fréquence régulière sur la table du Directeur général de l’Administration territoriale. Les priorités sont nombreuses, au nombre desquelles, le suivi de la distribution des cartes d’électeurs biométriques, à Bamako et dans les centaines de centres créés à l’intérieur du pays et où les électeurs sont invités depuis le 20 juin, à aller retirer le précieux sésame sans lequel, point de droit de choisir celui qui présidera aux destinées du Mali pour les cinq prochaines années. Dans tous les quartiers généraux de candidats approchés, au milieu de la fièvre de la campagne lancée sur les chapeaux de roues le 7 juillet dernier, la question préoccupe. « La mobilisation de nos militants est en cours. On passe le message du retrait massif afin de garantir une bonne participation. Les gens ne sont pas tous informés sur la nouvelle carte, malgré la communication du ministère et ses partenaires. Donc dans les meetings, dans les réunions, on revient dessus. Le maître-mot, c’est vraiment d’aller chercher la carte pour pouvoir voter le 29 », explique un cadre de la jeunesse URD. Me Demba Traoré, secrétaire à la communication du parti, assure que « ce travail est fait. Le travail de terrain est en train d’être fait et les résultats seront à hauteur de souhait ». Il est en effet du ressort des partis politiques et autres candidats indépendants en lice de battre le rappel de leurs électeurs et les diriger vers les centres de retrait, rappelle Souleymane A. Sangaré, Directeur général de l’Administration territoriale. C’est pour cette formation politique et civique qu’ils reçoivent une subvention de deniers publics, se plait-il à préciser. Le regard est donc tourné vers les formations qui font de « leur mieux » pour faire tomber la menace de l’abstention, grande gagnante des 5 précédentes présidentielles tenues au Mali.

Chiffres disparates A Bamako, et dans les capitales régionales, les choses se passent « bien ». Les chiffres en date du 10 juillet annoncent le retrait de 2 884 982 cartes d’électeurs, soit 35,56% du corps électoral. Pas de quoi s’effrayer, à 17 jours de la fin de l’opération de distribution, prévue le 27 juillet. Ce chiffre cache cependant de nombreuses disparités. La région en tête des retraits est la région de Ségou avec près de 60% tandis que dans les chancelleries à l’étranger, ce taux dépasse à peine les 6%. La diaspora malienne forte de plusieurs millions d’individus, a un poids certain dans les résultats d’une présidentielle. A l’intérieur du Mali, faible intérêt mais surtout conditions de sécurité difficiles rendent les choses encore plus compliquées. Dans  la région de Mopti par exemple, la situation est inquiétante. D’après nos informations, plusieurs communes du cercle de Mopti (Soye, Ouromodi, Salsalbé, Dialoubé, entre autres, toutes situées à quelques kilomètres de la ville de Mopti) et plusieurs villages d’autres communes n’ont pas reçu leurs lots de cartes d’électeurs. Dimanche dernier, le constat effectué par un ressortissant de la zone était que les « cartes n’avaient pas été acheminées « de l’autre côté du fleuve ». Tout le monde connait les conditions sécuritaires là-bas ». Les autorités administratives en sont réduites à « négocier » les personnes en charge de la distribution pour qu’elles se déplacent pour récupérer les lots à l’arrondissement de Sokoura ou à Mopti-ville. Des dispositions sont en train d’être prises pour remédier à cette situation, assure le préfet de cercle. Affirmation à laquelle répond le rire jaune de B. qui n’y croit pas du tout. « Aucun d’entre eux n’aura le courage de venir ici pour donner les cartes. D’ailleurs, aucun d’entre nous n’aura le courage d’aller voter… », conclut-il. La situation sécuritaire influence effectivement les électeurs qui craignent des représailles de la part des djihadistes qui ont le contrôle de vastes territoires dans la région. A Gao, la situation est moins dramatique mais « on constate des situations qui ne sont pas en faveur de la distribution rapide de ces cartes », déplore Kader Touré, résident. Il signale, à titre d’exemple, un débrayage des agents de distribution, en fin de semaine dernière, pour « manque de conditions ». Au ministère, on ne confirme ni ne dément cette information… Un autre habitant de la ville révèle que des lots de cartes sont enlevés alors que la règle l’interdit. « On m’a apporté ma carte au grin », avoue-t-il, poursuivant que c’est le cas de « beaucoup à Gao ». Et, il y a ceux qui, frustrés de chercher ou de tomber sur des portes closes « pour cause de jour de repos, un vendredi aux heures ouvrables, vous y croyez ? », renoncent tout simplement et retournent à leurs occupations. « On ne peut pas vouloir une chose et son contraire. Les conditions sont créées pour rendre disponibles les cartes et les remettre à leurs propriétaires. Maintenant si quelqu’un choisit lui-même de laisser sa carte, là… », soupire le directeur général Abdoulaye Sangaré.

Initiatives citoyennes  Renoncer au droit de vote ? Il n’en est pas question, s’insurge Djebou Kanté, unique représentante de la gente féminine à cette présidentielle. Elle a largement communiqué sur le fait que 3 000 jeunes et femmes, « prêts à me soutenir » sont allés retirer leurs cartes. « Cela est un bon signe », se réjouit-elle, convaincue que seule la mobilisation autour de ce sujet du retrait peut faire changer la balance. L’information et la motivation des électeurs, c’est ce sur quoi ont décidé de s’engager plusieurs organisations mais aussi des citoyens qui veulent s’engager. Connaitre son centre de retrait qui est normalement également son centre de vote, rien de plus facile, rappelle Rachid, jeune lycéen. Il n’a de cesse de revenir sur les numéros gratuits mis à disposition pour demander par SMS cette information. Il la publie de manière quasi quotidienne sur les réseaux sociaux. « L’élection d’un président de la République, c’est quelque chose d’extrêmement important et il faut que nous les citoyens en âge de voter puissions y participer. C’est notre droit et en même temps un devoir. Et pour le faire, il faut être doté de sa carte d’électeur », affirme le jeune homme. Une autre initiative : enregistrer des messages dans les langues nationales, pour expliquer l’importance du retrait de la carte d’électeur, seul sésame valable pour accéder au bureau de vote le 29, sauf dans les cas de force majeure reconnus par l’autorité. Enfin, une idée pour le moins originale : profiter de l’engouement autour du sport pour inciter à aller récupérer la carte d’électeur. Daraja Haïdara, jeune leader associatif, a eu l’initiative de proposer sur les réseaux sociaux, une rencontre festive autour de la finale du mondial en Russie. Au menu, discussions, jeux, networking, diffusion du match, repas… Pour y accéder, il faudra présenter non pas un ticket payant, mais… sa carte d’électeur !

 

Distribution des cartes d’électeurs : Début timide

La distribution officielle des cartes d’électeurs débute ce 20 juin au Mali sur tout le territoire national.  Plus de 8 millions  doivent être retirées dans les différents centres  de vote indiqués. A Bamako, en commune  IV, le rendez-vous dans les deux centres de Djicorini Para est manqué.

20 juin. Il était 10 heures passé, l’école Mamadou Sylla de camp Para  vient de recevoir une caisse contenant les cartes d’électeurs. Etaient présents, l’adjoint chargé des élections au niveau de la mairie de la commune 4, le représentant de la  CENI, les représentants des partis politiques, l’huissier de justice, le secrétaire général de la mairie et les policiers du 14eme arrondissement. « Initialement, la distribution était prévue comme d’habitude dans les mairies  mais  finalement le département a décidé que ça se fasse dans le lieu des votes mêmes », déclare Issa Sidibé, chargé des élections en commune 4. « Nous avons terminé de livrer celles de Lafiabougou, Lassa, Hamadallaye, après nous irons à l’école du fleuve qui est le second centre de distribution de Djicoroni Para » précise l’agent communal.

Deux électeurs étaient venus pour récupérer leur outil civique de vote mais ils devront patienter. Un travail de  classement  sera effectué par la commission avant la distribution proprement dite. « A l’heure actuelle,  nous n’avons pas reçu de notre tutelle la liste d’émargement. Sans cette liste nous ne pouvons pas remettre les cartes.  Vous verrez que cette caisse peut ne  pas contenir seulement les cartes du centre Mamadou Sylla, donc la commission va commencer à défaire et classer les cartes centre par centre et par ordre alphabétique », explique Issa Sidibé.

En plus de ce retardle seulement cinq partis politiques étaient représentés. « Il faut que tous les représentants des partis politiques viennent, on va travailler ensemble », souhaite Abdoulaye Kané, président du centre.  Après vérification, ils se sont rendu compte que parmi les 19 593 cartes destinées au centre Mamadou Sylla certaines sont pour le  centre Ecole du fleuve non loin de là.

A l’école du fleuve, le constat est  le même. Dans la salle, seul le président du centre avec à ses côtés deux agents de sécurité. Aucun électeur ni représentant des partis politiques sur les 19 prévus. En outre, le président du centre relève qu’il a également reçu des cartes destinées à un autre centre. « Nous sommes à l’école du fleuve, mais dans notre lot se trouve certaines cartes du centre Mamadou Sylla. Or on ne peut pas distribuer ces cartes là ici. Il faut que la commission soit là, qu’on fasse le tri d’abord, classer par ordre alphabétique et ensuite commencer la distribution ». Selon lui, la commission débutera la distribution demain dans l’après-midi, après avoir signalé à l’autorité ces cartes égarées dans leur lot pour qu’elles en soient déduites.

Les difficultés dans ces deux centres pourront être résolues dans un bref délai, mais c’est surtout le manque d’intérêt pour les citoyens à retirer leurs cartes qui interpellent.

 

 

Soumeilou Boubeye Maiga : « Nous n’allons pas nous laisser entrainer dans une spirale de violence »

Le Premier ministre Soumeilou Boubeye Maiga a donné ses impressions à l’occasion de l’arrivée du premier lot de cartes d’électeurs biométriques à l’Aéroport International de Bamako.

49% de cartes d’électeurs réceptionnés

C’est une étape importante dans le processus de préparation des élections. Nous avons reçu ce matin un peu moins de 4 millions de cartes qui représentent 49% des cartes d’électeurs. Les premières cartes que nous avons reçues sont celles des régions de Kayes, Mopti, Gao, Tombouctou, Kidal, une partie de Segou et celles des maliens de l’extérieur.

Un chronogramme rigoureusement respecté

Cela confirme que nous tenons notre calendrier, notre chronogramme. Quand nous aurons réceptionné l’ensemble des cartes, le Ministère de l’Administration Territoriale, en concertation avec les différents acteurs, organisera avec les commissions de distribution qui sont en place partout, la distribution des cartes, à partir probablement du 20 juin. Nous disposerons d’un mois et demi avant les élections du 29 juillet pour que tous les maliens inscrits soient en position de retirer leurs cartes. Je crois que jusque la, nous avons eu un processus qui s’est déroulé conformément au chronogramme que nous avons arrêté sur des bases consensuelles, des bases inclusives, un processus à l’élaboration duquel tous les acteurs concernés intéressés ont participé, souvent avec la présence de certains de nos partenaires, de manière à s’assurer que tout se fait dans la transparence, dans la clarté avec la participation de tout le monde.

Garantie et fiabilité

La garantie est là, ce sont des cartes avec les photos des intéressés, adossées à la carte NINA de chacun. Comme vous le savez, il y a des commissions de distribution dans lesquelles seront présents tous les acteurs concernés et l’administration. Les cartes non distribuées seront dans les bureaux de vote le jour du scrutin. Et dans chaque bureau de vote le gouvernement a décidé de prendre à sa charge la présence dans les environ 23 000 bureaux de vote, la présence d’un représentant de la majorité et d’un représentant de l’opposition, de manière à ce qu’il n’y ait pas de problème dans l’identification des électeurs. Pour le gouvernement ce sera environ une charge de trois milliards de francs  CFA, puisque c’est exactement 2 milliards 990 millions de francs CFA que nous allons dépenser pour cela, mais nous avons pensé que c’était une des conditions pour garantir plus de transparence, et enlever toute contestation de bonne foi, étant attendue que dans tous les pays du monde il n’y a pas de processus parfait. Il existe un dispositif légal qui permet a chacun de faire éventuellement les recours qu’il croit devoir faire.

Un processus inclusif et participatif

Le message que j’ai, est que jusqu’à présent, nous avons fait un effort d’inclusivité, de participation, de consultation, de concertation avec tous les acteurs. Quand le gouvernement a été mis en place, nous avons organisé un atelier les 1er et 2 mars avec l’ensemble des acteurs. A la suite de cet atelier, il y a eu des modifications à la loi électorale, qui ont été adoptées avec seulement 2 voix contre. Le rapporteur était d’ailleurs un membre l’opposition, c’est la preuve que ce sont des modifications consensuelles. Nous avons procédé à l’audit du fichier, là aussi tout le monde y a participé. En raison de la configuration actuelle de la CENI, le comité d’expert était présidé par premier Vice-Président qui se trouve être de l’opposition, ce qui n’enlève rien à la crédibilité, la neutralité ou l’impartialité des uns et des autres, ce n’est pas une affaire de partie politique.

Jusque-là, nous travaillons, nous continuons de travailler en associant tous les acteurs dans le cadre des concertations que le Ministre de l’Administration Territoriale anime avec les parties politiques et puis naturellement chaque fois que c’est nécessaire moi-même fait les arbitrages qui me sont soumis. C’est dans ce cadre-là que récemment avec le Ministre de l’Administration Territoriale, nous avons décidé d’opter pour un bulletin unique pour le deuxième tour, parce qu’il y avait une hypothèse de bulletins multiples.

Donc nous essayons de réunir toutes les conditions pour que tout se passe très bien.

Stabiliser le Mali dans la démocratie

Quel que soit les aspirations des uns et des autres, je crois que notre défi commun c’est de faire en sorte que notre pays se stabilise.  Il ne pourrait se stabiliser  que dans la démocratie et c’est cette démocratie qui nous permettra d’avoir des  pouvoirs légitimes pour que l’ensemble du pays se mobilise après pour faire face à cet autre défi qui est d’instaurer la paix et la sécurité. Je suis dans une attitude d’écoute attentive, dans une attitude d’ouverture pour toutes les propositions qui peuvent améliorer la mise en œuvre  du processus électoral. Cela dis je suis aussi dans une attitude de vigilance et de détermination pour faire en sorte que nul ne puisse nous dévier de la trajectoire sur laquelle nous nous trouvons et qui est en conformité avec la volonté des maliens d’avoir une élection crédible, transparente et apaisée. Toutes les améliorations, toutes les revendications sur la transparence des élections peuvent être obtenues, discutées dans le cadre des concertations que nous avons. Je pense que ça ne nécessite pas le recours à des invectives, quelques fois à des propos désobligeants des uns vers les autres. Notre objectif est d’avoir une démocratie de considération réciproque, parce que nous avons tous comme volonté de doter notre pays d’institutions solides, crédibles, en adéquation avec les attentes des populations.

Un arbitre impartial ouvert à l’écoute

Pour ma part, je reste d’égal partage envers tous les acteurs, en fonction des situations, j’apprécierais avec les autres membres du gouvernement quelle est la meilleure décision à prendre pour assurer la stabilité, la sécurité, la protection des populations et de leurs biens. Comme dans toute démocratie, il y’a pas d’unanimité sinon on ne serait plus une démocratie, mais nous restons attentif à tout ce qui peut améliorer le processus. Nous n’allons pas nous laisser entrainer dans une spirale quelconque de violence, d’invective dont l’objectif est de dénaturer notre processus voire qu’il n’y ait pas lieu. Nous travaillons pour que le processus se tienne avec la volonté majoritaire des maliens.

 

Transcription de l’interview réalisée par Mohamed Diarra (ORTM)