A quoi servent les rapports anti-corruption au Mali ?

«Â Je serai très exigeant sur la gestion des ressources publiques. Et la lutte contre la corruption et la délinquance financière sera mon cheval de bataille ». C’’est en ces termes que le président Amadou Toumani Touré s’est exprimé sur la corruption dès le début de son accession à  la magistrature suprême en juin 2002. Par cette déclaration, le chef de malien faisait preuve d’une volonté politique de s’attaquer à  un phénomène aussi délicat que la lutte contre la délinquance financière. Neuf ans après, de sérieuses interrogations demeurent quant aux résultats de cette déclaration. Du moins si l’on se réfère aux cas de détournement des biens publics et de corruption dénoncés par les différents rapports de contrôle. De 2002 à  nos jours, près d’une dizaine de rapport de contrôle sont produits. Le seul Bureau du Vérificateur Général, un instrument de vérification de contrôle de la gestion des ressources publiques, a fourni trois rapports édifiants parmi les 7 livrés pendans le mandat de Sidi Sosso Diarra. Le premier a porté sur un manque à  gagner de 20 milliards, le deuxième sur plus de 100 milliards, et le troisième a concerné un déficit constaté de d’environ 80 milliards de francs CFA. Par ailleurs, d’autres vérifications effectuées courant 2005-2006-2007 ont signalé un manque à  gagner de 138,58 milliards de F CFA, et seuls 31,78 milliards de F CFA ont été recouvrés. Le dernier rapport de la CASCA (Cellule d’Appui aux Services de Contrôle de l’Administration), remis la semaine dernière au président de la République, ne relève pas une baisse du phénomène. Encore moins les assises des «Â Etats généraux sur la corruption et la délinquance financière » organisées fin 2009. « C’’est de la diversion » A quoi servent alors les rapports de contrôle au Mali ? En réponse à  la question, Etienne Sissoko est catégorique. Pour lui, « ils ne servent qu’à  faire diversion ». Selon ce docteur en sciences économiques (diplômé de l’Université Paris X à  Nanterre), « les rapports au Mali sont publiés pour amuser la galerie ». « Le principe est connu, dit-il. Lorsqu’il s’agit d’attribuer de l’aide au développement à  des pays comme le nôtre, les bailleurs de fonds procèdent par tranche de 3 volets : les deux premiers sont mis à  disposition, et la troisième tranche n’est débloquée qu’après publication de rapports de contrôle. Comme une façon de montrer que la bonne gouvernance est mise en avant. Mais en réalité, ajoute, notre interlocuteur, ce sont des rapports pour la formalité ». Comme solution, le Dr Etienne Sissoko préconise que l’Etat prenne ses responsabilités. « On connait les secteurs o๠il y a problèmes » dit-il, plaidant pour la création de véritables structures répressives. « Le détournement et la corruption sont des fautes graves et répréhensibles dans le Code pénal. Il faut donc punir les fauteurs et les auteurs des malversations », préconise notre interlocuteur. Qui déplore « les limites du Pôle économique », dirigé par le juge anti-corruption. La faiblesse des revenus en cause Amadou Garan Kouyaté, lui, n’en dira pas moins. Professeur d’économie à  la FSJE (Faculté des sciences économiques de l’Université de Bamako), il dirige le Groupe de réflexion et de recherche sur la corruption. Pour lui, tout contrôle a un intérêt. Cependant, ajoute-t-il, l’impact de ces rapports semble très faible dans la réduction de la corruption. l’une des explications à  l’ampleur du phénomène réside, selon lui, dans la faiblesse du revenu des gens. « Tu ne peux pas demander à  quelqu’un de bien gérer des millions, alors qu’il a le salaire le plus bas. Et je crois que C’’est pour cela l’Etat lui-même, a pris les précautions en attribuant un salaire faramineux au Vérificateur général. Pourquoi n’en fait-il pas de même pour ses autres employés ? s’interroge notre interlocuteur. Qui ajoute que dans tous les pays du monde, toutes les enquêtes ont démontré que l’une des causes de la corruption, C’’est la faiblesse du revenu. On attribue des salaires de misère au gens et leur demander d’être transparents. C’’est absolument impossible. Je crois que l’Etat doit protéger les gens en augmentant leurs revenus », a déclaré M. Amadou Garan Kouyaté. Qui déplore par ailleurs le système de lutte adopté par le chef de l’Etat. « En lieu et place des poursuites judiciaires, l’Etat exige que le coupable rembourse ce qu’il a volé. Je crois que cette approche ne fait qu’empirer le phénomène. Car, C’’est comme si on avait prêté de l’argent à  l’Etat. Rembourser est obligatoire, mais le côté pénal, à  travers des poursuites, est impératif. Il faut que cette sanction soit là  pour dissuader les gens » conclut l’universitaire.