Mali -Sécurité : Les FAMa infligent des pertes aux terroristes

L’armée malienne a annoncé, dimanche avoir infligé de lourdes pertes à des hommes armés non identifiés dans le village de Kèrèkara à 7 km au sud de Koro (région de Mopti). Selon les FAMa, les assaillants avaient emporté des bétails. Informé le Poste de Commandement Tactique a dépêché une mission de poursuite.  La mission s’est dirigée vers Kiri près de la frontière avec le Burkina Faso où elle a été accrochée par des hommes armés. Après avoir engagé les combats avec les assaillants, aux alentours du village de Ogodourou, les FAMa ont récupéré les bétails enlevés. À l’issue des affrontements deux ennemis ont été neutralisés et du matériel récupéré.  Ils seront par la suite désignés par les FAMa comme terroristes. Au cours de cet accrochage, aucune perte en vies humaines n’est à déplorer côté armée malienne. Sur le chemin de retour à 4 km de Koro la mission a été encore accrochée. Là aussi, quatre autres terroristes ont été neutralisés, un Pistolet Mitrailleur saisi. Les animaux enlevés ont été conduits à Koro.

Échalote de Bandiagara : L’identification géographique validée

Le Centre malien de promotion de la propriété industrielle (CEMAPI) a organisé du 30 septembre au 1er octobre un atelier d’examen et de validation des études pour la reconnaissance de l’échalote de Bandiagara en Indication géographique (IG). La démarche vise à lui donner une portée sur le marché et à promouvoir les produits locaux à l’interne que sur le plan international. Au Mali, plusieurs autres produits pourraient bénéficier des avantages de ce label.

Les produits bénéficiant du label IG ont des liens propres, traditionnels ou spécifiques, avec le sol où ils sont cultivés, que l’on ne retrouve pas ailleurs.

Comme la mangue du Mali, la pomme de terre de Sikasso ou le poisson fumé de Mopti, l’échalote de Bandiagara est cultivée sur une terre particulière depuis des générations. Autour de ce produit phare, une population de jeunes, de femmes et d’adultes qui travaillent environ 6 mois pour deux récoltes, qui font vivre beaucoup de personnes.

En 2018, la production était estimée à 78 000 tonnes. Environ 250 producteurs volontaires se lancent dans l’identification géographique de l’échalote. Cela pourrait augmenter le coût de production « mais, vu du marché, il s’agit de viser des consommateurs moyens qui cherchent une certaine qualité », explique Sidiki Tangara, chef du département Études et partenariats du CEMAPI. Le produit labellisé sera disponible en deux formules : frais ou séché.

Qualité garantie

Derrière ce produit de qualité, « il y a des hommes et des femmes qui se battent pour préserver son histoire », poursuit M. Tangara. Le produit ainsi classé acquiert une réputation au niveau national et international : c’est un produit-phare d’origine malienne qui a des caractéristiques propres, dont on ne peut douter.

Cette démarche, commencée en 2008, n’avait pu aboutir à cause de l’absence de règles institutionnelles. Actuellement, grâce à la Fédération des unions « Djaba Kounou toumou paix de Bandiagara », qui a obtenu un financement de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), deux consultants ont été recrutés. L’un s’occupera de la reformulation du cahier des charges et de la mise en place du plan de contrôle et le second de la restructuration du groupement. Parce que l’IG exige d’être défendue par un groupement solide. Après cette réforme, le modèle économique se basera sur un plan marketing adéquat pour mener les activités, car le groupement devra fonctionner désormais comme une vraie entreprise.

Fatoumata Maguiraga

Quelques Chiffres :

OAPI : 17 pays

Production annuelle : 78 000 tonnes en 2018

Reconnaissance échalote de Bandiagara : 2018

Centre du Mali : La défiance gagne du terrain

43 personnes sont mortes, selon des chiffres officiels, dans l’attaque des villages de Niangassadiou et de Binedama, les 3 et 5 juin dans le centre du Mali. L’association Tabital Pulaaku a accusé l’armée malienne d’être responsable de ces massacres. Le gouvernement, « très préoccupé par ces graves allégations », a ouvert une enquête le 7 juin, afin « d’établir immédiatement les faits. La justice est également saisie ».

L’État a ouvert plusieurs enquêtes à la suite d’autres situations dramatiques du genre. La deuxième attaque d’Ogossagou, le 14 février dernier, en est une illustration, alors que les conclusions de la première se font toujours attendre. Le gouvernement avait promis « d’arrêter et traduire les auteurs devant les juridictions compétentes » et, depuis, c’est le silence radio. La récurrence de tels faits constitue le terreau de la défiance des victimes envers la justice malienne. C’est dans cette optique que Tabital Pulaaku a demandé une enquête internationale indépendante des Nations Unies ou des organisations de défense des droits de l’Homme à la suite des attaques des villages de Niangassadiou et de Binedama. « Plusieurs tueries ont été perpétrées et aucune des enquêtes ouvertes par l’État pour situer les responsabilités n’a donné de résultats », remarque Mody Diakhaïté, Président de Tabital Pulaaku à Bankass. Même son de cloche chez Ginna Dogon. « Les enquêtes n’ont jamais produit de résultats, mais nous sommes républicains et nous soutenons la justice de notre pays. Cependant, nous n’avons jamais fait confiance à ce que l’État nous dit par rapport à la situation réelle au centre », renchérit Dramane Yalcoué, Président de la jeunesse Ginna Dogon.

Néanmoins, M. Diakhaïté relativise : le premier rapport trimestriel 2020 de la division des droits de l’Homme de la MINUSMA a accusé les forces de défense nationale et d’autres acteurs de tueries de civils au centre du Mali. Cependant, il n’a jamais été suivi d’arrestations.

Afin que la crédibilité en la justice malienne renaisse, il propose de mettre fin aux « arrestations et exécutions extrajudiciaires de la part des forces armées de l’État ». « Si c’est l’État le premier responsable d’une tuerie, osera-t-il enquêter sur lui-même ? », questionne-t-il.

Pour Dramane Yalcoué, faire appel à une enquête internationale indépendante n’est pas la solution à long terme. « La solution, c’est que les Dogons et les Peulhs s’acceptent, qu’ils règlent ce qui se pose comme problème au centre. Les morts ne vont pas revenir, mais faisons en sorte qu’il n’y en ait plus ».

Boubacar Diallo

La crise au centre du Mali ou les larmes du Yamé

Il est aujourd’hui inutile de faire la genèse du conflit dans la région de Mopti ; par contre, il est utile que l’on se souvienne que le conflit s’est véritablement installé dans cette partie du Mali suite à des assassinats ciblés sur des personnalités connues et reconnues. Ce que les autorités ont considéré comme un incendie d’une chaumière se transforme inexorablement, au gré des évènements, en un inextinguible feu de brousse. Désormais, même les larmes du Yamé n’arrivent plus à contenir cette tragédie qui, si elle n’est pas circonscrite à temps, conduit à une catastrophe aux conséquences incalculables. Qu’est-ce qui arrive au peuple de Yambo Ouologuem ? d’Amadou Hampaté Bâ ? de Nagabanou Tembely ? Qu’est-ce qui arrive au patrimoine de l’UNESCO ? Qu’est-ce qui arrive à cette partie du Mali qui reste, je continue de le croire, un modèle vibrant de notre vivre-ensemble ?

« La première victime de la guerre, c’est la vérité », disait Kipling. Au Mali, nous avons évité de voir cette réalité en face pour nous contenter de considérer l’assassinat de Théodore Somboro comme un vulgaire fait divers. Que l’on se souvienne ! C’est à partir du macabre sort qui a été réservé à cette personnalité connue, reconnue et respectée du Pays Dogon que l’on a vu naître des milices dans le centre du pays. Non pas par soif de vengeance, mais pour empêcher que des hommes se réclamant de l’époque de l’Inquisition  ne viennent détruire ce que construisirent, des siècles entier, parfois au prix du sacrifice ultime, des générations entières de célébrités, d’humbles et d’anonymes. Ainsi, au lieu de chercher à éteindre le petit feu de paille, des intellectuels, des parlementaires, des manipulateurs professionnels, des sangsues et autres pêcheurs en eaux troubles ont pactisé, au su et au vu de tout le monde, avec le Diable pour tirer les ficelles de ce que les adeptes des raccourcis ont tôt fait de désigner par conflit ethnique. C’est la pire idiotie qu’il me soit donné d’entendre depuis que je suis sur cette terre des hommes.

Leurs sordides manœuvres rappellent une certaine Blitzkrieg expérimentée par les nazis au siècle dernier et, bien avant ces derniers, par un certain Samory Touré qui ne voulait laisser aucune possibilité aux colonnes du capitaine Gouraud de le marquer à la culotte.

Qu’il soit dit à haute et intelligible voix que les intellectuels et autres notabilités sur lesquels on pouvait logiquement compter ont été, pour l’essentiel, des traîtres à la cause du vivre ensemble et de la convivialité qui constituent le ciment de la nation malienne.

Les solutions à la petite semaine sorties de leurs cervelles de moineau sont pires que le problème qu’ils feignent de résoudre. La preuve, c’est qu’ils s’évertuent à éteindre un début d’incendie avec du kérosène, la main sur le cœur, comme pour proclamer urbi et orbi leur bonne foi.

Le Septentrion malien passe à la trappe ; le centre préoccupe puisqu’il constitue le dernier verrou avant le Sud. Avant Bamako. Il faut se secouer et comprendre, sans tarder, que « l’enfer a déjà ouvert ses portes, libérant les créatures les plus ignobles, les plus hideuses et les plus corrompues » qui n’auront de cesse de s’attaquer aux fondements de notre nation, ainsi que l’écrirait Carl Zuckmayer dans son injonction.

 

Les réseaux sociaux, la mauvaise communication, les fake news et autres prophéties de cassandre

 

Comme dirait Umberto Ecco : « Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles ».

Le communicologue que je suis serait malhonnête de nier le fabuleux apport des nouveaux médias à la société de l’information et du savoir. Toutefois, je m’interroge à haute voix : avons-nous bien approprié ces outils ? En faisons-nous le meilleur usage possible ?  Donnons-nous seulement la peine de regarder chez nos voisins pour copier les meilleures pratiques ? Il va sans dire que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », et dans un Mali en proie à un conflit asymétrique, les conséquences sont des plus désastreuses. Du jour au lendemain, nous avons vu pousser, comme des champignons, des experts dignes des professeurs de Harvard. Ils enseignent tout. Ils connaissent tout. Certains ont été invités à la table de Jésus et du prophète Mohammed (PSL). D’autres, dépositaires de la science infuse, ont décliné un rendez-vous avec Dieu le Père préoccupés qu’ils avaient à réaliser un Facebook live ou quelque autre prestation sur Whatsapp ou Instagram. Au bout du coup, leurs prestations qui étaient supposées compétiter aux Grammy Awards ne se réduisent qu’en une litanie de vulgaires injures, dénigrement, déni de la réalité et chapelet de haine et de peur.

Pendant que nous excellions dans l’autodénigrement, dans l’autoflagellation et dans l’autodestruction, les terroristes, eux, n’ont pas perdu du temps. Ils ont instauré dans nos différents terroirs si paisibles des khalifats qui distillent la terreur, la méfiance et la peur de l’autre. Ces bandits qui ne sont en réalité que des vestiges archéologiques sortis des sarcophages sans âge ne respectent qu’une seule loi, la leur : l’obscurantisme, la barbarie et le goût du sang des innocents.

En voilant nos faces pour ne pas voir la réalité et en nous terrant dans nos conforts égoïstes, nous nous sommes rendus complices d’une œuvre satanique de démolition de notre civilisation. Par la même occasion, nous avons amplifié l’audience des radios « mille collines » et journaux de l’époque de la ruée de l’or sur le nouveau continent où les caïds étaient « Wanted alive or dead ». Face à certains des idéologues de l’ombre de ce conflit de la bêtise, Goebbels le tribun et Hitler le manipulateur apparaissent comme de vulgaires apprentis sorciers qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur nez.

 

La théorie du complot, les stratégies terroristes, les irresponsabilités notoires…

 

Ceux-là que nous avons applaudis il y a peu comme de véritables sauveurs sont aujourd’hui hués. Le bouc émissaire idéal est tout trouvé. Des manifestations sont courantes pour désavouer la force Barkhane, les éléments de la MINUSMA ainsi que toutes les forces étrangères présentes au Mali qui cristallisent la colère et le courroux du citoyen. On en vient à plaindre tous ces couples qui ont gentiment prénommé leurs rejetons Damien Boiteux, François Hollande par respect pour leur sacrifice et par admiration pour leur sens de l’Etat. Je ne peux être suspecté de défendre quelque force étrangère sur le sol malien, mais en même temps, il m’est difficile de ne pas constater que, de plein gré, nous avons accepté de planter des tiges dans nos yeux. Aujourd’hui, je ne sais pas s’il faut en pleurer ou en rire mais nos autorités d’alors savaient pertinemment que dans un monde capitaliste, aucun pays n’engage son armée dans un autre pays pour des raisons humanitaires. Aucun chef d’Etat lucide ne peut accepter de sacrifier des femmes et des hommes pour sauver un pays fut-il menacé de disparition par une horde de djihadistes moyenâgeux. Qu’on se le tienne pour dit : les raisons de toute intervention sont d’abord et avant tout économiques. Quelques fois, nous sommes même obligés d’accepter la main tendue du diable pour souffler un peu en attendant la tornade. Au Mali, la mission salvatrice espérée nous a réveillés avec des bombes et des coups de canon. Non pas sur les terroristes seulement mais également sur des innocents qui n’ont rien demandé.

Quant à la force de l’ONU, nous ne pouvons pas cracher dessus mais de ma modeste mémoire d’homme, je ne connais pas deux pays au monde où les casques bleus ont pu assurer la protection des populations. Ces derniers ont toujours un sacré alibi pour regarder les populations se massacrer entre elles en arguant du fait qu’ils n’ont pas un mandat pour tirer sur des méchants or « pour un soldat qui se bat, la différence entre la réussite et l’échec, c’est sa capacité à s’adapter à son ennemi », affirme Sutherland.

Si cette dernière règle n’est pas respectée, tout le reste n’est qu’inflation sur les produits de premières nécessités accessibles seulement aux gros salariés. Avec toutes les forces présentes au Mali, même les prostituées ont augmenté leur tarif.

Et pour mieux comprendre l’intervention de toutes ces armées étrangères au Mali, il faut simplement recourir au « triangle dramatique » ou « triangle de Karpman ». Ce triangle est un « des jeux psychologiques » de manipulation de la communication. Comme explique son auteur dans son article Fairy Tales and Script Drama Analysis, ce jeu malsain met en évidence un scénario relationnel typique entre victime, persécuteur et sauveur. Mettant l’homme face à sa destinée pour mieux contrôler, la communication est perturbée lorsque les protagonistes adoptent ces rôles plutôt que d’exprimer leurs émotions et leurs idées.

 

Pour mieux expliquer, nous pouvons faire appel à certains auteurs à l’instar de Sandrine Gelin et Khuê-Linh Truong, André Moreau, Pierre Agnese et Jérôme Lefeuvre qui se sont penchés sur le sujet. Nous caricaturons ici leur enseignement selon les rôles de la victime, du sauveur et du persécuteur.

La victime attire le sauveur qui veut la sauver. C’est donc un rôle de choix pour attirer l’attention sur soi quand on sait bien en jouer. C’est un rôle qui appelle quelqu’un à être persécuteur, une attente qui sera remplie ou non par l’entourage. Le plus souvent, la victime a un problème de dépendance.

La position de la victime est « Pauvre de moi ! » La victime se sent victimisée, opprimée, impuissante, sans espoir, honteuse et semble incapable de prendre des décisions, de résoudre des problèmes, de prendre plaisir à la vie ou d’obtenir des idées. La victime, si elle n’est pas persécutée, cherchera un persécuteur et également un sauveur qui sauvera la journée, mais perpétuera également les sentiments négatifs de la victime.

 

Le sauveur a un rôle très gratifiant d’un point de vue narcissique mais qui place l’autre en incapacité. Il attend un persécuteur pour justifier son existence et une victime à sauver. L’entourage pourra suivre ou ne pas suivre dans cette pièce de théâtre.

La ligne du sauveur est « Laissez-moi vous aider ». Un facilitateur classique, le sauveur se sent coupable s’il / elle ne va pas à la rescousse. Cependant, son sauvetage a des effets négatifs : il garde la victime dépendante et donne à la victime la permission d’échouer. Les avantages découlant de ce rôle de sauvetage sont que l’attention du sauveur à lui-même est supprimée. Quand il / elle concentre son énergie sur quelqu’un d’autre, cela lui permet d’ignorer sa propre anxiété et ses problèmes. Ce rôle de sauvetage est également très important, car leur intérêt principal réside dans l’évitement de leurs propres problèmes déguisés en préoccupation pour les besoins de la victime.

Le persécuteur ou bourreau agit sur la victime. Si le persécuteur tente de nouer cette relation avec une potentielle victime, celle-ci pourra réagir différemment : adopter une position de victime ou ne pas se laisser faire.

Le persécuteur insiste : « Tout est de votre faute. » Le persécuteur contrôle, blâme, critique, oppressant, est en colère, fait preuve d’autorité, est rigide et supérieur.

Ces lignes dignes de célèbres psychothérapeutes peuvent expliquer la situation actuelle. Chacun peut considérer les autres acteurs comme il veut mais l’évidence est que le Mali est dans la position de la Victime. Et, c’est mortifère et absolument contre-productif d’autre plus que la victime semble ne pas réaliser son vrai statut et continue de faire comme si de rien n’était.

 

Le piège communautaire…

 

C’est la dernière trouvaille des bienpensants ; ils ont vite fait d’opposer Dogons et Peulhs ; Bambara et Peulhs ; Dogons, Bambara, Bozo et Peulhs…. Et que sais-je encore !comme si, du jour au lendemain, l’architecture civilisationnelle bâtie au fil des âges pouvait s’écrouler aussi facilement qu’un château de cartes. Les ennemis de notre peuple sont à l’œuvre ; il ne faut leur donner ni arguments ni minutions pour les conforter dans leur entreprise de destruction. Il nous faut puiser des ressources insoupçonnées enfouies en chacun de nous pour faire échec à leur basse manœuvre. Chacun de nous est Peulh, Dogon, Bozo, Bamabara, Sonrhaï, Touareg… et ce brassage est notre meilleur argument pour mettre en déroute les ennemis déclarés de notre pays. Secouons-nous un peu ; transcendons nos intérêts immédiats et pensons à notre pays et, en toute simplicité, les solutions sauterons à nos yeux. Quelle que soit l’issue de la crise au centre du Mali, elle interpellera notre capacité à gérer efficacement les conflits qui jalonneront la marche de l’Etat-Nation que nous sommes, que personne ne nous conteste mais que des entités malintentionnées voudraient voir mise à mal sur l’autel de leur sombre dessein. Plaise à Dieu, le Mali sera le cimetière des aventuriers !

 

Drissa KANAMBAYE,

Université Catholique de Louvain (Belgique)

Oumar Aldiana : « Avec Sobame, nous avons atteint un nouveau seuil »

Après deux semaines de captivité, Oumar Aldiana a été libéré début juin par ses ravisseurs. Membre actif de la communauté peul, adhérent du MNLA et ancien chef d’un éphémère mouvement armé, Aldiana se présente comme un « acteur majeur » du Centre. Dans cet entretien, il revient sur sa captivité, la situation dans le centre et la possibilité de négocier avec les djihadistes.

Vous avez été enlevé par des hommes armés dans la nuit du 19 au 20 mai, avant d’être libéré deux semaines plus tard. Qui étaient vos ravisseurs ?

C’étaient des individus qui sont venus à motos et qui parlaient peul.

Pourquoi avez-vous été ciblé ?

Je crois que c’était une erreur. Ils sont venus vers une heure du matin. J’étais couché avec famille. J’ai entendu une kalachnikov engager une balle. J’ai éloigné mon épouse de moi. Directement j’ai pensé que c’était des personnes qui venaient pour me tuer. Ils m’ont touché afin que je me réveille, car je faisais semblant de dormir. Celui qui essayait de me réveiller m’a dit de ne pas avoir peur, qu’ils souhaitaient simplement me poser des questions. Je me suis donc levé, je les ai suivis et une fois devant la porte ils m’ont demandé si je savais qui m’arrêtait. J’ai rétorqué que non et ils m’ont dit qu’ils étaient d’Al Qaeda. Nous avons pris la route et traversé un petit fleuve, jusqu’à arriver dans une forêt. Une fois là-bas, ils m’ont bandé les yeux et ligoté. Nous avons été dans trois localités. Dans la troisième, j’ai été présenté à un homme qui m’a posé la question de savoir si j’avais connaissance du motif de mon arrestation. J’ai dit non. Il m’a demandé si je connaissais une certaine personne, j’ai répondu « oui, de vue je le connais ». « Quel lien avez-vous ? » a-t-il rebondi. « Nous nous rencontrons chez certains doyens peuls à Bamako. La dernière fois, je l’ai vu au lancement du DDR de Mopti ». « Il a été arrêté avec son accompagnant » m’a-t-il coupé. « Lors de son interrogatoire, il a parlé de toi concernant le DDR ». Il a ajouté qu’ils allaient me donner l’audio afin que je puisse écouter moi-même. Ils m’ont assuré qu’ils n’allaient ni me torturer, ni me faire mal d’une quelconque manière. Toutefois, mon interlocuteur a précisé qu’aucune intervention ne saurait me libérer et qu’il ne me fallait que dire la vérité. Ils m’ont ensuite transféré ailleurs. Au fur et à mesure que les jours passaient, mes conditions de captivité s’amélioraient. Ils ont même fini par me donner une couverture, seule la nourriture ne me plaisait pas. Au bout de ma deuxième semaine de captivité, l’un de leurs agents de liaison est venu me voir. Il m’a fait savoir que le motif qui m’avait été donné comme ayant conduit à mon arrestation n’était qu’un prétexte. « C’était autre chose ». Ils ont fait des vérifications et se sont rendu compte qu’ils s’étaient trompés et qu’en aucun cas je ne m’étais mêlé de leurs activités. Mes liens m’ont été enlevés. J’ai essayé de savoir quel était réellement le motif de mon arrestation mais je n’ai pas eu gain de cause. J’ai été escorté vers un village voisin. Je voulais qu’ils m’emmènent ailleurs, mais les ordres reçus ne le permettaient pas. Ils m’ont remis 20 000 francs CFA pour le transport. J’ai donc pris la route pour arriver chez moi le lendemain.

Des négociations entre votre famille et les ravisseurs auraient-elles abouti à cette libération ?

Je ne pense pas que les négociations de la famille puissent changer quoi que ce soit avec ces gens. La seule chance que j’ai eu, c’est que je n’avais rien fait. Lors de mon arrestation, l’un de mes frères a assisté la scène. Ma femme ne dormait pas non plus. Mes frères ont appelé les médias, envoyé des messages dans différents groupes WhatsApp. Il n’y a pas eu de négociation, aucune rançon, rien de tout cela.

En 2016, vous avez lancé un mouvement politico-militaire pour la sauvegarde de l’identité peule, avant de déposer les armes la même année. Au regard de la situation actuelle, le regrettez-vous?

Non, je ne le regrette pas. Je n’ai jamais été sur le plateau dogon. Je n’ai jamais eu de problème avec les Dogons, ce sont mes frères. Depuis que le conflit intercommunautaire a débuté, je n’ai jamais rien commenté. Je suis le fils d’un chef de canton qui regroupe plusieurs communautés. Je ne peux pas prendre position pour une d’entre elles. Je n’ai jamais tiré sur un Dogon. L’État doit savoir qu’entre nous, Peuls et Dogons, il n’y a aucun problème. Je veux même organiser une rencontre intercommunautaire à l’intérieur du Macina, pour mettre tout le monde ensemble.

Comment en est-on arrivé à une situation aussi explosive dans le centre ?

L’État a fait de son mieux, mais il a été incomplet. L’État reçoit de nombreuses informations mais il n’arrive pas à les trier. Il invite les maires, les élus locaux et beaucoup d’autres acteurs. Il y a eu plus de 1 000 rencontres. Si je t’appelle pour résoudre un problème dans ta localité et que tu n’y arrives pas, je te mets de côté et je chemine avec un autre acteur, plus actif. Mais non, l’État ne change pas l’équipe qui échoue. C’est cela le problème. Un adage peul nous apprend « au lieu de donner à celui supplie celui qui te frappe, donne directement à ton tortionnaire, il arrêtera ».  C’est ce que l’État fait, donner à celui qui supplie. Il y a certains grands acteurs dans le centre auxquels aucun groupe n’oserait toucher et qui bénéficient de crédit, mais ils disent que s’ils ne sont pas mandatés par l’État ils ne bougeront pas. Je connais tous les acteurs qui œuvrent sur le terrain. Quand la zone a été désertée, j’y étais encore. Les populations du centre ont été laissées à l’abandon. Je l’ai dit à l’Assemblée nationale : les méthodes des djihadistes plaisent plus aux populations que celles de l’armée. Ils viennent pour prêcher, en disant que c’est ce que le Prophète a dit, et cela va droit au cœur des populations, puisqu’elles sont musulmanes. Quand l’armée vient dans la zone, c’est pour les impôts, c’est pour torturer, c’est pour tuer. Le pire pour un peul c’est l’humiliation. Lors de certaines rencontres, l’État procède même à des arrestations dans la salle. Et cela lui fait perdre du crédit. Il y a également un manque d’honnêteté de la part de beaucoup. De fait, lorsque certains viennent à ces rencontres et que des questions leur sont posées, ils rechignent à répondre, car après ils doivent retourner chez eux. Ce n’est pas dans une salle avec des officiers et des hommes en armes qui les gens auront le cœur de parler. La MINUSMA est dans le Centre. Lors d’une rencontre avec Annadif, j’ai eu l’occasion de lui dire que le Peul était très méfiant. Il ne parle pas à un inconnu, il ne fait pas confiance à des inconnus. Il n’est donc pas crédible de mandater des Congolais ou d’autres pour parler avec cette communauté, mieux vaut avoir des acteurs venant de la zone. Et le centre ce n’est que pas que Mopti ville, les rencontres ne devraient pas s’y tenir.

International Crisis Group préconise de dialoguer avec les djihadistes. Estimez-vous que la solution passe par ce dialogue ?

Oui. Un adage peul dit « quand tu ne peux pas, tu encaisses ». Ils sont nombreux, lourdement armés, très bien équipés, et, c’est le plus important, déterminés. Ils ont aussi une apparence trompeuse. Ils portent la même tenue que les civils. En aucun cas je ne vois pas comment l’armée malienne, qui est une armée composée de toutes les communautés, peut mener des assauts dans le Macina si ce n’est pour tuer des civils. Puisque c’est comme cela, mieux vaut négocier. Et le faire avec prudence, intelligemment et lentement. Il faut savoir qui épauler. Je soutiens à 100% la négociation avec eux. Si l’Occident, la France ou tout autre pays, nous dit de ne pas négocier, je comprends sa position. Et je pense qu’aucune négociation n’a eu lieu pour leurs otages. Ils ont été tranquillement réacheminés chez eux. Pour le Mali, il est bon de négocier. Il a déjà un point en commun avec ces gens : ils n’ont jamais voulu la division de ce pays. La Charia, c’est le mot arabe qui renvoie à la justice. Qui dit justice dit clarification. Si tu veux la clarification et moi aussi, pourquoi un conflit ? L’État doit s’engager en toute dignité à parler avec ses fils en tête-à-tête. Sans la médiation de l’Algérie, de la Guinée ou du Burkina. À continuer ainsi, la situation risque de lui échapper.

N’est-ce pas déjà le cas ?

Après ce qui s’est passé le 10 juin, nous avons atteint un nouveau seuil. Les Peuls disent que Dana Ambassagou a été épaulé, financé, formé par l’État pour les massacrer. Le même discours est repris par Dana Ambassagou. L’État, c’est qui alors ? Sur quel pied danse-t-il ? Que gagnerait l’État à faire massacrer ses fils ? Ça n’a pas de sens.

Comment dialoguer quand les positions sont aussi tranchées ?

C’est une question complexe. Les terroristes ne peuvent pas imposer à tout un État ce qu’ils veulent, mais l’État non plus ne pas leur imposer toutes ses conditions. Ils définissent la Charia comme étant la justice. Dans la Constitution, il peut y avoir le respect de la justice. Pas la Charia, mais le respect de la justice.

Pendant l’occupation du nord, ce n’était pas vraiment cela leur conception de la Charia…

Il est bon d’essayer de privilégier le dialogue. Ceux que je connais parmi eux ne coupent pas les mains et ne tabassent pas non plus. Si ce n’est durant ma captivité, je n’ai jamais été dans leurs bases. Je ne pense qu’ils soient à ce niveau. Négocier avec eux va soulager le pays

Violences au centre : La théorie du complot

Depuis les premières lueurs de l’année 2019, le centre du Mali est dans un effroyable tourbillon de violences. Après le massacre de 37 civils peuls du village de Koulogon, trois mois plus tard, la barbarie a atteint son paroxysme avec la tuerie d’au moins 160 autres personnes dans le village d’Ogossagou, indignant toute la Nation. Le cycle allait continuer. Le dimanche 9 juin, 95 habitants, selon certaines sources, ou 35, selon un communiqué du gouvernement, du village dogon de Sobame Kou ont péri dans une attaque armée. Comment en sommes-nous arrivés là ?

37, 160, 95 ou 35 ? Peu importe. Pour la énième fois, des hommes, femmes et enfants innocents ont été massacrés au centre du pays. Le dimanche 9 juin, c’est le village dogon de Sobame Kou qui a subi l’assaut d’individus armés tuant sans ménagement. Une tragédie qui suit celles de Koulogon, le 1er janvier 2019, et d’Ogossagou, le 23 mars dernier. Après chacun de ces crimes, l’émoi et les questions.

Pour Mahamadou Savadogo, spécialiste de l’extrémisme violent et la radicalisation au Sahel, « l’absence de l’État dans cette partie et son manque d’autorité vis-à-vis de certains groupes d’autodéfense » ont concouru à ces raids macabres. « Il y a aussi l’injustice, parce qu’après le massacre d’Ogossagou, il n’y a pas eu de mesures fortes, à part le simple fait d’avoir dissous une milice qui continue depuis de communiquer et d’agir. Le fait que l’État sous-traite un domaine régalien ne fait qu’envenimer les tensions communautaires, puisqu’il n’y a plus personne pour servir de tampon entre les communautés », affirme le chercheur burkinabé.

Pourtant, depuis 2015, des chercheurs maliens et d’ailleurs, ainsi que les médias, ne cessaient d’alerter sur ce qui se tramait dans cette partie du pays, où foisonnent groupes armés djihadistes et milices locales« Ce qui est arrivé était prévisible. Nous avons l’impression que c’est le retour du bâton, puisqu’il y a eu un massacre de Peuls et que là c’est celui de Dogons. C’est un cycle qui va continuer si l’État ne prend pas ses responsabilités en assumant son rôle régalien », prévient  Mahamadou Savadogo.

Prémices explosifs Pour comprendre le chaos au centre, il faut un regard rétrospectif. L’analyse du sociologue et chercheur malien Mahamadou Diouara touche du doigt des paramètres jusqu’ici occultés. Selon lui, c’est en 2012 que tous les ingrédients se sont réunis pour faire du centre ce qu’il est devenu aujourd’hui. « Le centre a été transformé en zone militaire et de guerre en 2012. Au moment où les esprits étaient tournés vers le nord, qui était occupé, le centre, principalement la région de Mopti, était déjà occupé par les troupes militaires qui avaient quitté Gao avec Didier Dacko et s’y étaient installées sans y être affectées. À cela s’ajoute tous les militaires sans ordre de mission qui ne voulaient pas composer avec la junte dirigée par le Capitaine Sanogo», dit-il. La région était devenue le dernier rempart du sud. « En plus de tout cela, il y avait des milliers de jeunes maliens qui voulaient participer à l’effort de guerre et qui ont pu avoir accès à une formation militaire à ciel ouvert et sans conditions, avec l’esprit et le corps fortement militarisés. S’y ajoute toute la horde des déplacés de guerre qui ont quitté le nord pour surpeupler la zone », témoigne le sociologue.

Au même moment, dans certaines parties de la région, « il y avait la présence de groupes terroristes associés à des groupes séparatistes ayant occupé jusqu’à Douentza », fait-il encore remarquer. Ce regroupement d’éléments étrangers a créé des conditions d’une situation explosive et la diversité des acteurs complexifie  l’identification des responsables de ces attaques ignobles. « Dans ces zones, nous sommes confrontés à la présence de groupes armés étrangers. Il y a des bandits armés qui viennent de la Côte d’Ivoire et de la Sierra Leone et qui s’adonnent au pillage. Nous avons arrêté des Nigérians, des Burkinabé et d’autres personnes qui opèrent là », confie un militaire sur le terrain. À défaut d’identifier les coupables, les doigts accusateurs se tournent souvent vers les « terroristes ». Or, une telle posture empêche de traiter le fond du problème, selon le chercheur burkinabé. « À chaque fois, lorsqu’on rejette la faute sur les groupes terroristes, on s’empêche de trouver les vraies solutions, c’est-à-dire à réconcilier les communautés. Il faut qu’on arrête de rejeter à chaque fois la balle sur eux. Même si les groupes terroristes attisent les tensions, il y a des communautés qui s’affrontent », précise Mahamadou Savadogo. Certains analystes, comme Diouara, pensent que certains acteurs tapis dans l’ombre « veulent à tout prix créer un conflit intercommunautaire dans le centre en profitant de la situation. Parce que je sais qu’Ogossagou n’a pas été attaqué par Dana Ambassagou. J’ai été sur le terrain, interrogé les acteurs, les victimes, écouté Dana Ambassagou et ma conclusion est ferme », révèle-t-il.  

Carte du Mali
Carte du Mali

Des mains invisibles ?

Malgré tous les efforts des gouvernements du Président IBK depuis 2013, le peuple malien se réveille chaque jour avec le pire. « L’entente de Bamako du 15 mai 2015, appelée Accord pour la paix et la réconciliation, était pour célébrer la défaite de la France, parce qu’elle avait programmé 2013 pour revenir assurer la sécurité dans les régions sahariennes, afin de permettre à la compagnie nationale minière créée en 2014 de pouvoir exploiter les réserves en terre qu’elle a laissées, selon la loi du 10 janvier 1957 qui a créé l’OCRS. La France, étant en rareté de ressources naturelles,  est retournée au Mali pour avoir accès de façon exclusive à ces ressources », accuse le professeur et chercheur Abdoulaye Niang.  Selon lui, une conférence des Nations Unies aurait dû se tenir juste après la signature de cet accord pour un partage des richesses entre le Mali et certains pays européens.  « Mais comme cela n’a pas été fait, on maintient le statu quo. Et on va de crise en crise, l’extrême violence a avancé du centre au sud », souligne le directeur du centre Senè. Après des années de recherche, il est parvenu à une conclusion. « Aussi longtemps que le Président IBK concentrera le pouvoir économique et politique dans sa main, sans l’application du principe du leadership de prospérité partagé, la progression de l’extrême violence va continuer. C’est une vérité synthétique ». Il met en avant dans cette « guerre économique » la volonté de Nations étrangères de s’accaparer nos terres. « Les terres des régions sahariennes, du Liptako Gourma, de l’Office du Niger, attisent la convoitise des nations européennes. En 1954, elles se sont mises d’accord pour qu’elles appartiennent aux nations chrétiennes. Donc le mot djihadiste est une fabrication. Il y a des forces spéciales d’Europe opposées à des forces arabes et africaines pour le contrôle des terres », poursuit-il.

Cette logique est soutenue par les arguments du chercheur Mahamadou Diouara. « Le Mali est l’objet d’intérêt de beaucoup d’acteurs. La France vient d’installer une base militaire à Gossi. En 2011, nous avions organisé une marche de la Tour de l’Afrique à l’ambassade de France pour dénoncer cette volonté, parce que nous avions déjà des documents qui attestaient d’un certain nombre de choses », affirme-t-il. L’enchaînement des événements alimente de plus en plus l’hypothèse que le Mali est pris en otage par des forces « supérieures ». « Il y a forcément quelque chose qui explique les choses, même si nous n’avons pas tous les éléments pour le certifier. Il y a des signes qui s’associent et qui donnent sens à d’autres éléments obtenus en amont », se convainc-t-il.

La multiplicité d’acteurs aux agendas divergents a créé un bourbier sans précèdent. « Nous avons plus de  53 pays au monde qui ont tous une stratégie Sahel, et parmi eux plus d’une vingtaine ont une stratégie pour le Mali. Quand un État, dans le cadre de la diplomatie, élabore une stratégie pour un pays, c’est en fonction d’intérêts. C’est à notre État d’avoir l’intelligence d’avoir des intérêts conciliables avec les intérêts des autres, ou non conciliables, ce qui requiert des mesures diplomatiques », conclut Diouara, ajoutant « nous savons que nous sommes un État relativement faible dans le concert des Nations aujourd’hui. Mais il faut que nous soyons conscient de ce que nous sommes en position de perdre et de ce que nous sommes en mesure de gagner pour opérer des choix ».

Déplacés internes : Survivre dans la précarité

Le nombre de déplacés internes au Mali s’élève à 99 039 individus, selon les évaluations menées  dans les régions de Koulikoro, Ségou et Mopti par les équipes de la DTM (Displacement Tracking Matrix, en anglais), la Matrice de suivi des déplacements. L’augmentation de ce nombre de 14 754 personnes, enregistrée du 1er au 31 mars 2019, fait suite à la dégradation de la situation sécuritaire dans la région de Mopti.

À Bamako, ils sont des centaines à vivre sur des sites d’installation spontanés, comme celui de Faladié, en Commune VI du District de Bamako. Outre l’insalubrité des lieux, ces familles, qui ont fui la violence et l’insécurité, survivent dans la précarité et redoutent l’arrivée de l’hivernage.

Difficile d’imaginer que ce sont des dizaines de familles et des centaines de personnes qui vivent sur ce site improvisé, en plein cœur de la commune VI du District de Bamako. C’est entre le parc à bétail et le dépôt d’ordures, situés à quelques centaines de mètres du monument de la Tour d’Afrique, que ces personnes en quête de survie ont trouvé refuge. Arrivés principalement de la région de Mopti, suite à la dégradation sécuritaire, ces déplacés continuent d’affluer. Ce 16 avril, il est un peu plus de 11 heures. Dans un abri de fortune, fait de paille et recouvert de divers tissus, Zakaria Diallo, membre du « Comité de soutien aux déplacés », recense les nouveaux arrivants. « Ils sont arrivés hier soir. Ils viennent de Yolo, dans le cercle de Bankass », explique t-il.

Rompu à cet exercice depuis l’arrivée des premiers occupants sur ce site, il y a environ 3 mois, M. Diallo, qui est maître coranique en Commune VI, note soigneusement les noms et prénoms de toutes les personnes nouvellement arrivées. Une liste dont les copies seront remises aux autorités, aux partenaires et aux bénéficiaires.

Conditions inhumaines

À ce jour, le site de Faladié compte 796 personnes, dont 575 enfants, sans les nouveaux arrivants, qui n’ont pas encore été recensés, explique Madame Kamaté Francine Dakouo, cheffe de la section promotion communautaire de la Direction locale du Développement social de la Commune VI du District de Bamako. Depuis 2 mois, avec son équipe, elle passe la journée sur ce site, où tout manque.

Par exemple, depuis 3 jours, les cuves installées sur le site ne sont plus approvisionnées en eau. La corvée d’eau fait donc désormais partie des tâches quotidiennes de ces mères de famille, qui avec une résilience remarquable continuent de se battre pour assurer la survie des leurs.

Tedy Barry a quitté le village de Pissa, dans le cercle de Bankass, avec son mari et ses enfants. Dans une atmosphère suffocante, entre la fumée qui s’échappe des ordures qui brûlent à longueur de journée et  les odeurs venus du parc à bétail, l’air est irrespirable. Ces conditions inhumaines ne semblent pour le moment pas déranger la mère de famille. « Ceux qui sont ici ont fui une mort certaine. Nous savons que nous allons tous mourir. Mais mourir dans la paix vaut mieux que vivre dans l’anxiété », explique-t-elle.

Avec ses enfants, elle s’adapte tant bien que mal. Les plus grands font de petits boulots ou du commerce. Elle-même vend des condiments pour acheter ne serait-ce que des beignets pour les enfants le matin, confie-t-elle. En temps normal, chez elle, elle s’occupe de son bétail, dont elle vend le lait et fait de la coiffure le reste du temps. Ses deux premiers garçons voyageaient vers le Burkina ou la Côte d’Ivoire, « pour avoir un peu d’argent. Ils revenaient cultiver le champ pendant l’hivernage », ajoute Madame Barry.

Même si elle désire ardemment retrouver sa vie d’avant, elle n’envisage pas  de retourner chez elle de sitôt. « Trop dangereux. Tous les deux ou trois jours, nous devons fuir parce qu’il y a des attaques ».

Craignant de se faire tuer en cours de route, elle a même choisi de passer par le Burkina Faso et d’emprunter la route de Bobo Dioulasso pour rejoindre Bamako. Si elle ne se plaint pas de cet environnement particulièrement insalubre, Tedy espère que l’endroit sera « aménagé » pour faire face à l’hivernage.

Des actions insuffisantes

La saison des pluies qui pointe à l’horizon constitue la principale hantise sur ce site spontané. En effet, les tentes sont installées sur une partie où les  ordures ont été recouvertes de latérite, donc facilement inondée en cas de pluie. Déjà fréquentes, les maladies liées à ce cadre insalubre risquent de connaître une «  explosion » avec les premières pluies, craint Madame Kamaté du service du Développement social. Surtout avec des enfants en bas âge dont le seul espace de jeu est ce tas de déchets.

Sur le site improvisé, les occupants ont reçu plusieurs aides, dont celles des autorités et de leurs partenaires ainsi que plusieurs associations. Des dons en vivres et non vivres destinés à permettre à ces populations, aussi meurtries que démunies, de survivre. Des aides vitales cependant insuffisantes pour couvrir les besoins de ces déplacés, qui continuent d’arriver vers la capitale.

Adama Kouyaté est le président de l’ONG Initiative contre la faim et pour l’éducation des enfants (IFE Mali), créée en 2012. Les premières actions de son organisation ont bénéficié aux déplacés, avec des collectes de vêtements réalisés pour les déplacés de Gao dès 2013. Plus récemment, pour les déplacés de Mopti installés à Bamako, il a décidé de mener des actions s’inscrivant dans la durée. En plus des dons alimentaires ou non effectués par plusieurs organisations, IFE a choisi, après une enquête de terrain, d’aider notamment les femmes déplacées à Bamako à renforcer leurs capacités afin de pouvoir exercer des activités pour subvenir à leurs besoins.

« Dans un premier temps, une vingtaine de femmes seront formées et disposeront d’un fonds pour démarrer une activité », explique M. Kouyaté. Ce nombre limité, compte tenu du budget de l’ONG, marque tout de même sa volonté de s’inscrire dans une démarche plus durable.

Agir pour le futur

Une démarche  partagée par  d’autres organisations, comme Solidaris 223, qui espère aussi pouvoir former environ 200 femmes avec l’appui de l’Union européenne. Si l’organisation, à travers le réseau Fraternité, a participé à la remise de plusieurs tonnes de vivres aux déplacés, elle souhaite une réinsertion de ces derniers sur leurs lieux d’origine. En effet, la participation à la formation, qui sera donnée sur les lieux de retour, se fera sur la base du volontariat, explique M. Balla Mariko, membre du Conseil des fondateurs de l’association.

Pour « ces déplacés qui manquent de tout », tout est urgent. Des besoins les plus élémentaires, comme l’eau ou l’accès à des toilettes, à l’accès à l’éducation pour les enfants, qui « est un droit pour eux », selon M. Kouyaté. Il faut donc agir et vite.

La première nécessité est de reloger ces familles, car le site est tout simplement inapproprié pour accueillir des êtres humains. À ce besoin s’ajoutent ceux d’une réinsertion et d’un « suivi psychologique », estime M. Mariko. En effet, la plupart de ces personnes ont vécu des traumatismes importants et il est crucial de les aider à surmonter ces drames. D’autant que certains habitants présents sur le site en ressentent déjà les séquelles.

Cette prise en charge, qui s’avère indispensable, implique de «  réfléchir sur l’avenir de ces personnes, qui sont des Maliens et qui n’ont pas demandé à venir à Bamako dans ces conditions », s’indigne M. Kouyaté. Ces familles, dont certaines étaient propriétaires d’un cheptel important, ont dû tout abandonner pour fuir. Il faut leur trouver un site sécurisé à proximité de leur village d’origine, suggère t-il, scolariser les enfants et renforcer les capacités des femmes et des chefs de ménages, à travers des activités génératrices de revenus.

Parce que grandir dans de telles conditions pour des enfants peut nourrir des rancœurs, les rendre vulnérables et en faire des cibles potentielles pour des individus mal intentionnés, avertit M. Kouyaté.

Projet de sécurisation du centre : Objectifs atteints ?

Adopté en 2017, le Plan de sécurisation intégré des régions du centre a pour objectif global de pacifier cette région du Mali et d’y réduire de manière significative les causes de l’insécurité et du terrorisme. Aujourd’hui, où en est-on réellement ?

S’il y a un premier bilan à tirer de la mise en œuvre de ce plan, il est positif, selon le Colonel Major Ismaïla Deh, Conseiller technique au ministère de la Sécurité et de la protection civile et Président du comité de suivi du Plan. Pour lui, la mise en œuvre a été salutaire, parce que, « sans le plan de sécurisation, il n’y aurait pas eu d’élection dans ces deux régions ».

Sécurité et gouvernance

A Mopti, quatre zones que sont le fleuve, la zone inondée, la zone exondée et la frontière sont concernées par le volet sécuritaire.  Pour le fleuve, un projet dénommé PARSEC a été lancé et est en cours d’exécution avec l’Union Européenne. Il est également envisagé de mettre en place trois brigades fluviales, couplées à des centres de secours fluviaux, pour améliorer la sécurité dans la zone d’ici la fin de l’année. Dans la zone inondée, les forces de sécurité se sont installées notamment dans les cercles de Tenenkou, Djenné et Youwarou. Dans la zone exondée, des localités comme Sokoura, Mondoro, Doungani,  Dinangourou, Diankabou et Konna sont maitrisées, à en croire le Colonel Major. Dans la même zone, un autre projet, du nom de GSIR (Groupe Surveillance Intervention Rapide), mis en œuvre également avec l’appui de  l’Union Européenne, se poursuit. Quant à la zone frontière, même si le plan n’y a pas encore permis de grandes avancées, l’armée y est néanmoins présente. Il est à signaler que le poste frontalier de Bih est en reconstruction dans le cadre du projet PARSEC.

A Ségou, concernant le volet sécuritaire, le plan a permis de couvrir des zones comme Sokolo, Saye, Macina, Timissa et Monimpébougou. Trois brigades fluviales sont également prévues à Ségou ville, Markala et Macina.

Sur le volet gouvernance, selon le Colonel Major Ismaïla Deh, le plan de sécurisation a permis d’améliorer beaucoup de choses. « 19 localités à Mopti et une dizaine à Ségou, où l’administration était totalement absente, ont été comblées. Aujourd’hui on y note la présence des forces de sécurité ». Plusieurs actions ont été également menées sur deux autres volets, le développement socio-économique et la communication.

Comme difficulté majeure, « plusieurs ministères interviennent dans la réalisation du plan, mais il n’existe pas de fonds direct, ce qui rend la tâche un peu dure, vu que le Comité de suivi n’a pas de réel pouvoir de pression sur les ministres », conclut notre interlocuteur.

Centre du Mali: Kouffa, et maintenant ?

La force Barkhane et les forces armées maliennes ont mené dans la nuit du 22 au 23 novembre une opération d’envergure contre la Katiba Macina dans la forêt de Wagadou, au centre du Mali. Bilan : une  trentaine de morts, dont Amadou Kouffa, prédicateur peul  de renom et chef de cette branche, affiliée à Aqmi. Mais est-ce là la fin des tragédies et des conflits intercommunautaires dans cette zone en ébullition ?

« S’il s’avère aujourd’hui qu’Amadou Kouffa a été éliminé par Barkhane, je ne suis pas sûr que cela résolve le problème du djihadisme au Mali tant qu’Iyad Ag Ghaly est vivant ». Telle est la ferme conviction du Professeur Ali Nouhoum Diallo, l’un des  doyens de la communauté peule, ancien Président de l’Assemblée nationale du Mali. « Amadou Kouffa n’est rien sans Iyad Ag Ghaly », assure-t-il.

Dans la nuit du 22 au 23 novembre, la force Barkhane et les forces armées maliennes ont mené une opération « complexe » dans la forêt du Wadagou, au centre du pays. Elle aurait  abouti à la mort d’Amadou Kouffa,  chef de la Katiba Macina et membre du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) dirigé par Iyad Ag Ghaly. Une  trentaine de ses combattants ont également été tués. Annoncée d’abord comme « probable », la mort de celui qui aura semé le chaos dans cette zone a par la suite été « certifiée » par les forces armées maliennes. Mais les spéculations sur la véracité d’une telle nouvelle, fautes de preuves tangibles jusque-là, perdurent. « Kouffa, malgré qu’il soit un terroriste, était adulé dans certaines localités. Mais là où il oppressait les populations et les empêchait d’exercer leurs droits fondamentaux, elles peuvent se réjouir de cette nouvelle », estime Khalid Dembelé, analyste économiste au Centre de recherches et d’analyses politiques, économiques et sociales (CRAPES). Cependant, l’une des figures tutélaires de la communauté peule regrette la fin tragique de celui qui au début n’était qu’un maitre coranique. « Tout soldat qui tombe au Mali, je l’ai dit au temps où c’était la rébellion Kel tamashek qui était au-devant de la scène, qu’il soit blanc ou noir,  c’est un Malien qui meurt », avance le Professeur Ali Nouhoum Diallo. « Je ne peux pas être médecin et me réjouir de la mort d’un homme ».

Un tournant ?

Quoi qu’il en soit, neutraliser la tête de proue de la Katiba Macina ne constitue pas la fin des attaques et assassinats. Ses partisans, loin de le voir comme « un criminel », lui vouaient une allégeance aveugle.  Pour Khalid Dembelé, la disparition de Kouffa, « si elle est avérée, est une étape et non la fin ». « Elle pourra permettre à l’État malien de gagner en autorité sur le terrain et favoriser le retour de l’administration », indique-t-il, rappelant que « Kouffa avait  fermé plusieurs écoles dans cette partie du pays et instauré un certain nombre des lois de fonctionnement dans certaines localités ». L’action constitue tout de même un succès militaire notable et l’anéantissement de ce révolté donne du répit à des populations longtemps harcelées. Tout aussi prudent, Baba Alpha Umar, spécialiste des questions sécuritaires au Sahel pense que cette élimination pourrait être l’occasion pour l’État d’opérer son retour. « C’est une délivrance pour tous ceux qu’il oppressait et surtout pour les Peuls, dans le sens où les gens étaient entre le marteau et l’enclume », souligne-t-il. Mais il s’interroge : « l’État sera-t-il en mesure de donner aux communautés les possibilités de se sentir en sécurité de manière durable ?». Toujours est-il que les organisations terroristes ont la capacité de se régénérer. « C’est un mouvement très fort sur le plan national et international. Il y aura un successeur à Kouffa si sa mort se confirme », analyse Khalid Dembelé. Des sources sur le terrain croient à  une fin funeste. « Il semble-t-il qu’on l’ait remplacé. S’il était vivant cela ne serait  pas arrivé », dit Sekou Bekaye Traoré,  président du conseil de cercle de Youwarou.

Pour certains analystes, l’acharnement de Kouffa contre l’Occident et son rejet tenace de sa civilisation, combinés à son isolement, ont sonné son glas. Le 8 novembre, il apparaissait dans une vidéo aux côtés d’Iyad Ag Ghaly, chef du GSIM et de l’Algérien Djamel Ockacha dit Yahia Abdoul Hammam, dirigeant d’Aqmi. Amadou Kouffa appelait les musulmans, particulièrement les Peuls, de plusieurs pays de l’Afrique à faire le djihad. Le pas de trop ? « Il était devenu une grande menace pour les autorités françaises. Il menaçait directement les Occidentaux. Il avait fermé des écoles dans lesquelles on enseignait la langue française, or la langue est un outil de domination », explique Khalid Dembelé. 

Quid des conflits intercommunautaires ?

Le phénomène djihadiste dans le centre du Mali a fissuré le tissu social. Malgré les vieilles querelles liées au foncier entre les Peuls et les Bambara ou les Dogons, ces communautés, dans leur majorité, n’ont pas embrassé l’ordre  établi par « le maitre du Centre ». La longue absence de l’État a permis à la Katiba de s’imposer. C’est dans ce désordre violent que sont nées des milices d’autodéfense. La situation s’envenime. « Sa mort va aggraver même la situation ici. Les gens ont peur de ce qui peut arriver », témoigne un habitant de Youwarou sous anonymat. Il y a quelques jours, la milice dogon Dan Nan Ambassagou annonçait la fin de sa trêve. La même semaine, au moins douze Peuls ont été tués dans la commune de Ouenkoro, dans le cercle de Bankass.  « Sa disparition coïncide avec l’apparition d’un mouvement peul  non djihadiste, dirigé par Sekou Bolly, un radié de l’armée malienne. La balle est dans le camp de l’État, s’il sait saisir cette occasion », estime Baba Alpha Umar. Ce nouveau groupe entend se démarquer de toute accointance terroriste. Selon le dernier rapport conjoint AMDH – FIDH, le centre concentre depuis le début de l’année 2018 « environ 40% de toutes les attaques du pays » et est, par conséquent, « la zone la plus dangereuse ». Des crimes odieux se commettent loin des regards. Une situation qui risque de continuer.

À qui le tour ?

« L’attaque contre Kouffa prouve que les maitres du terrain sont les gens de la coalition Mali – France. C’est la preuve qu’elle peut traquer n’importe qui aujourd’hui », prévient Baba Alpha Umar. Cette intervention de Barkhane au centre marque un revirement, elle qui se confinait jusque-là au nord du pays. Iyad Ag Aghaly, leader du GSIM, doit-il désormais s’inquiéter ? « Toucher aujourd’hui Iyad est un risque de mécontenter l’Algérie, la Mauritanie, le Maroc et même la France. Mais, pour justifier sa présence au Mali, Barkhane  attaque Kouffa, le point faible,  pour dire que ce dangereux bonhomme est enfin éliminé », argumente le Professeur Ali Nouhoum Diallo. Selon Khalid Dembelé, « tant qu’Iyad ne sort pas de son domaine de prédilection, il n’aura pas de problèmes ».

La guerre contre le terrorisme  au Mali est un désastre. Dans certaines parties du territoire, les groupes djihadistes continuent de semer la mort. Leur violence attise les conflits intercommunautaires, mettant  à mal la cohésion sociale. Pour le professeur Ali Nouhoum Diallo, la solution est le dialogue. « On a vu la limite de nos armes, il faut discuter avec Iyad Ag Ghaly et Amadou Kouffa ». Il poursuit « je ne permettrai à personne dans ma vie, moi Ali Nouhoum, patriote malien, de me dire vous pouvez parler avec un tel Malien et non avec tel autre », assène cette voix qui défie les âges.  Mais, selon l’analyste Khalid Dembelé « s’il doit y avoir un dialogue, il va falloir changer le qualificatif terroriste », attribué à ces acteurs. Au regard des souffrances endurées, Ourmar Cissé, habitant de Bandiagara, pense « qu’il est trop tard » et que « la seule solution est militaire. »

Mais « le tout sécuritaire » pourra-t-il mettre fin au djihadisme, sans un volet politique ?

La paix dans le centre du Mali passera par le règlement des conflits locaux

Rétablir l’autorité de l’État seul ne suffit pas pour stabiliser les régions du centre du Mali – les griefs et les droits des populations locales doivent aussi être pris en compte.

 

Le 15 octobre, 11 civils ont été tués par des assaillants venus à moto à Telly, dans le cercle de Tenenkou dans la région de Mopti. Cette attaque est intervenue deux jours après la visite du Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, venu y “affirmer le retour de l’État” dans la région.

La hausse des violences depuis 2012 a entraîné le retrait de certains agents de l’État (tels que les administrateurs locaux et les juges) de la région. L’instabilité s’est accrue et les milices communautaires  d’autodéfense- notamment les chasseurs traditionnels dogons et bambaras – ont gagné de l’ampleur.

Depuis 2016, plus de 12 000 personnes ont été déplacées287 civils tués, 67 kidnappés et 685 écoles fermées dans le centre du Mali, en particulier la région de Mopti. La recrudescence des conflits intercommunautaires entre les éleveurs peuls et les agriculteurs dogon et bambara, les conflits communautaires internes à la communauté peule et les attaques de groupes extrémistes violents ont tous contribué à l’instabilité croissante.

Les dynamiques conflictuelles dans le centre plongent leurs racines dans les sécheresses successives et les politiques développementalistes promues par l’État

 

Les dynamiques conflictuelles dans cette région sont multidimensionnelles, plongeant leurs racines dans les sécheresses successives et les politiques développementalistes promues par l’État. Les facteurs structurels, liés au bouleversement de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche à la suite de la sécheresse des années 1970 et 1980, ont déstabilisé les systèmes de production, socles sur lesquels reposent les rapports socio-économiques entre les différentes communautés.

La plupart des conflits se situent dans le delta central du fleuve Niger, dans les localités telles que Djenné, Mopti, Tenenkou et Youwarou et dans le plateau Dogon, où les ressources agro-pastorales sont au cœur de l’économie. La pression sur les terres agricoles, due à la combinaison de facteurs climatiques et à l’accent mis sur l’agriculture soutenue par l’État et les partenaires internationaux du Mali, a affecté les éleveurs, souvent issus de la communauté peule, faisant de l’accès à la terre une source de tension.

Les conflits entre les éleveurs du Delta et les agriculteurs du plateau Dogon portent notamment sur l’occupation des couloirs de passage des animaux par des agriculteurs et sur des désaccords au sujet des calendriers agricoles et de transhumance, c’est-à-dire le mouvement saisonnier du bétail pour le pâturage. En 2012, des chasseurs prétendant appartenir à la communauté Dogon ont tué plus de 20 personnes de la communauté peul, incendié 350 hameaux et emmené du bétail à la suite d’un conflit autour d’un corridor réservé aux animaux entre Koro et la frontière avec le Burkina Faso.

Auparavant, ces conflits étaient pour la plupart réglés par le biais de mécanismes communautaires, y compris les autorités traditionnelles. Ces mécanismes sont maintenant dysfonctionnels à la suite des compromissions des autorités traditionnelles— tels que les Dioros (gestionnaires de pâturages) — avec l’administration. Ces conflits deviennent également de plus en plus complexes et sont exploités à la fois par les milices et les groupes extrémistes violents.

Les groupes extrémistes violents exploitent le mécontentement des communautés vis-à-vis des acteurs étatiques

Lorsque des groupes extrémistes ont occupé la partie nord de la région de Mopti en 2012, les armes sont devenues plus accessibles aux communautés belligérantes et la violence dans la région a augmenté. Ces groupes exploitent le mécontentement des communautés vis-à-vis des acteurs étatiques tels que les juges, les gendarmes et les agents des eaux et forêts, accusés de corruption.

Les tentatives visant à apaiser les tensions entre les communautés au centre du Mali remontent à 2016. La Mission gouvernementale d’appui à la réconciliation nationale, installée en avril 2017, s’est rendue dans les localités du plateau Dogon et du Delta central pour rencontrer les communautés.

La médiation par des organisations non gouvernementales, dont certaines mandatées par le gouvernement, a abouti à un accord de cessez-le-feu unilatéral début juillet 2018. Mais il n’a pas fait l’unanimité au sein de la milice Dogon, Dana Amassagou, qui est également traversée par des clivages. En conséquence, le conflit entre les milices dogon et les Peuls dans la région s’est poursuivi.

Le 28 août 2018, 34 chefs traditionnels des villages peul et dogon ont signé un accord de paix intercommunautaire à Sévaré pour mettre fin au conflit qui les opposait. Mais, l’enthousiasme du gouvernement et des ONG engagés dans la médiation trouve difficilement des relais sur le terrain où la violence continue.

Les mécanismes traditionnels de résolution des conflits sont dysfonctionnels à cause des compromissions des autorités traditionnelles avec l’administration

L’accord met en évidence les nombreux écueils des différents processus de paix au Mali au cours des dernières années. Premièrement, il met en scène le problème de l’incapacité des signataires, en l’occurrence les chefs de village, à influencer le processus de paix sur le terrain.

Deuxièmement, bien que le processus ait bénéficié du soutien de l’association culturelle dogon, Ginna Dogon, et de Dana Amassagou après la reddition de son chef d’état-major, Youssouf Toloba, il n’inclut pas les milices à prédominance peule. Troisièmement, l’association culturelle peule, Tabital Pulaaku, a dénoncé l’accord. Elle estime que Toloba et ses complices devraient être jugés par la Cour pénale internationale.

Le gouvernement cherche à intégrer certaines milices dans le cadre d’un processus de désarmement, démobilisation et réintégration, qui ne laisse pas beaucoup de marge aux victimes en quête de justice et réconciliation. Cette situation entrave le processus de paix.

La paix au Mali nécessite de passer de l’approche étroite actuelle des dialogues entre État et groupes armés à un dialogue national plus large et plus inclusif. Cela permettrait de jeter les bases d’un accord sur des principes communs pour un nouveau contrat social entre l’État et la société.

Les débats actuels sur le retour de l’État doivent inclure le type d’État auquel les populations maliennes peuvent s’identifier et accepter, et qui accorderait davantage de respect à leurs droits.

Boubacar Sangaré, Chercheur boursier, ISS Bamako

 

Cet article a d’abord été publié sur le site de l’Institut d’études de sécurité (ISS)

Jean Kassogue : « Si l’Etat prend ses responsabilités, Dana Ambassagou n’a plus intérêt à faire la guerre »

Lors de la visite du Premier ministre dans la région de Mopti cette semaine, le groupe d’auto-défense Dana Ambassagou s’est engagé à déposer les armes. Après avoir combattu ceux qu’ils appellent les forces extrémistes, les responsables du mouvement affirment désormais « laisser faire » l’Etat. Enfin le bout du tunnel dans le centre ? Le nouveau porte-parole du groupe Jean Kassogué répond à nos questions.

Le mouvement s’est engagé le 2 octobre à déposer les armes. En juillet déjà, un cessez-le-feu unilatéral avait été entériné conduisant à une dissidence au sein du mouvement, quelle en était la cause ?

La première signature de cessez-le feu n’a pas permis de mettre fin au conflit. Au contraire, il s’est intensifié. Cela veut dire que les vrais acteurs n’ont pas été consultés. A l’époque Youssouf Toloba a été clair. Il a dit que depuis qu’il a commencé le combat, aucune autorité ne lui a tendu la main. Ils ont voulu le contourner, hors, c’est lui qui a créé le mouvement Dana Ambassagou. Il a nommé des personnes qui ont signé en sa place, sans le consulter, il s’estime donc trahit. Quand nous avons commencé à travailler avec lui, nous nous sommes rendu compte que ceux qui l’entouraient sur le plan politique n’étaient pas à la hauteur. Mais Toloba lui-même est une personne extrêmement intelligente. Il a dit être prêt au dialogue. Mais il a fait savoir que toute personne voulant agir au nom du mouvement sans passer par lui, il ne sera jamais d’accord. Il est le premier responsable. C’est lui qui répond en cas de problème. Toloba ne cherche qu’à défendre le pays dogon contre ceux qui l’attaque.

C’est donc le fait qu’il n’ait pas été associé qui le dérangeait ?

Ils ont fait croire à l’opinion que ceux qui ne sont pas venu signer sont des bandits, des ennemis à la paix. Ce n’était pas vrai. Le problème est que la personne derrière le mouvement n’avait pas été consultée. Mais à partir du moment où l’Etat lui a tendu la main, il s’est dit prêt pour la paix. Et cela n’a pas tardé. Il a été convaincu au bout de trois semaines de discussion. Maintenant, vu que l’armée à assurer vouloir prendre la situation à bras le corps, il a signé le document et il dit  vouloir observer la suite. S’ils ont besoin de lui, il répondra à l’appel et apportera toute l’assistance nécessaire.

Il existerait un accord tacite entre le gouvernement et le mouvement pour la sécurisation du centre ?

Je ne crois pas du tout. Avant lorsque l’armée était alertée sur la survenue d’une attaque, elle trainait des pieds pour répondre. C’est pour cela que le mouvement a pris les choses en main. Ceux qui sont payés pour assurer la sécurisation, il est grand temps de leur céder la place.

D’où proviennent donc vos armes ?                                                              

Les chasseurs sont nantis de pouvoirs magiques. Ils ont d’abord combattu avec leurs fusils de chasse, mais par la suite, ils ont gagné des butins de guerre au fil des succès contre ces terroristes.  Ces derniers acculés ont dit ne plus vouloir combattre contre les chasseurs, préférant l’armée malienne.  Quand les gens voient ces chasseurs avec des armes de dernière génération, ils y voient la main de l’Etat derrière. Mais non, au contraire l’Etat cherche à désarmer le mouvement. L’Etat n’arme ni de près, ni de loin Dana AmbaSagou. La situation était chaude et les chasseurs ont usé de leurs pouvoirs mystiques pour venir à bout de terroristes et prendre leurs armes par la suite.

Avez-vous confiance en la capacité de l’armée à sécuriser la zone ?

Toloba a dit que ‘’si’’ sa signature  peut occasionner la paix définitive, il l’apposera. Le mot ‘’si’’ est une réserve. Si l’Etat prend toutes ses responsabilités pour faire face aux terroristes, Dana Ambassagou n’a plus intérêt à faire la guerre. Nous ne pouvons pas tous dire avoir confiance, il nous faut attendre de voir les forces à l’œuvre. Nous avons entendu beaucoup de choses, ce que nous voulons maintenant c’est du concret. Le gouverneur de Mopti a assuré à Toloba que l’Etat est prêt à prendre la relève à compter du 1er octobre. Nous verrons si cela est réel ou pas. Nous avons mis en place une équipe de suivi, maintenant avoir une confiance totale dépendra de l’Etat.

Centre du Mali : un cessez-le-feu qui divise

Le mouvement dogon d’auto-défense des chasseurs du groupe  « Dan Na Amba Sagou »  a signé lundi 2 juillet 2018 à Mopti, un engagement unilatéral en faveur d’un cessez-le feu au centre du Mali, dans les cercles de Koro, Bankass, Bandiagara et Douentza. Sauf qu’une partie de l’Etat major du mouvement ne reconnait pas l’engagement, au point où une dissidence s’est créée.

Dans le document signé, il est stipulé que « ce cessez-le-feu unilatéral est convenu afin de démontrer la bonne foi du bureau politique, de l’état-major et des coordinations des  chasseurs à entamer des négociations avec la communauté Peule par l’intermédiaire du médiateur HD en vue de la signature d’un accord de paix entre Dogon et Peul ». C’est le fruit d’un mandat  qui a été confié au Centre HD (Humaritarian Dialogue) par le Premier Ministre en mars dernier dans le cadre d’une ouverture  d’un dialogue non seulement entre les communautés mais aussi entre l’Etat et les groupes armés du Mali afin d’aboutir à des ententes.

Même si différentes sommités du mouvement d’auto-défense « Dan Na Amba sagou » ont apposé leur signature en faveur de ce cessez-le-feu, en présence d’autres autorités témoins, en l’occurrence  deux représentants des collectivités et chefs de villages, certains voix au niveau de l’état-major ne reconnaissent pas l’engagement. « L’essentiel, c’est la majorité qui décide dans un groupe. Ce que l’ensemble dit, c’est cela qui fonctionne. Il ya des politiciens qui nous ont infiltré pour faire une récupération politique mais ils ne pourront pas parce que nous avons pris des dispositions », martèle David Timbine, Président du bureau Politique de « Dan Na Amba Sagou, lui-même qui aurait été déchu quelques semaines avant cette signature. Interrogé sur la situation au niveau de la tête de la coordination à ce jour, sa réponse est claire. « Rien a changé, c’est toujours moi » rassure t-il. A l’en croire il n’ya qu’un seul homme derrière cette tentative de déstabilisation mais il ne ferait pas le poids parce que en réalité il n’a même pas la carte de membre du mouvement.

L’homme politique en question, à la tête de la dissidence n’est autre que Youssouf Toloba, qui a été démis de la coordination militaire du mouvement. « C’est lui qui ne reconnait pas l’accord et qui a mené des hostilités au lendemain de la signature du cessez-le feu » révèle Abdel Kader Sidibé, Chef de mission au Niveau du Centre HD. Selon lui cet engagement de cessez-le feu reste entièrement valable. «  C’est une faction qui ne reconnait pas l’accord. Mais juste après sa signature le lendemain, il y a une réunion de l’ensemble des chasseurs du pays dogon à Koro convoqué par le chef des chasseurs ». A en croire Abdel Kader Sidibé, Youssouf Toloba n’adhère pas à l’accord pour des raisons d’intérêts et de leadership  qui ne l’avantageraient pas si le conflit prenaient fin, ce qui s’oppose catégoriquement au souhait de la majorité des chasseurs qui, en réalité en ont  marre des affrontements. « Les communautés dogons qui adhèrent à Dan Na Amba Sagou nous ont dit que ce conflit les empêchait de faire la culture, les oppose à leur frères et qu’il faudrait y mettre fin. » indique le chef de mission HD.

C’est le même son de cloche au niveau de l’Etat major de « Dan Na Amba Sagou » où la fin du conflit passe en priorité.  « Nous reconnaissons la signature de cet accord, nous souhaitons la fin des conflits et nous allons laisser les armes du moment où les Peuls aussi le feront » assure Amadaga Niangaly, chef d’état major du mouvement. Il  promet que dorénavant les informations seront régulièrement transmises aux supérieurs sur l’évolution de la situation sécuritaire afin  que les mesures idoines soient prises. Comme un signe de son total engagement dans ce cessez-le-feu, il met en avant le retour au calme. « Notre souhait hardant, c’est la paix. Rien ne la vaut. Personne ne gagne dans un conflit, nous y sommes tous des perdants » reconnait-il.

 

Étienne Poudiougou : « C’est une manœuvre pour m’évincer de la mairie de Koporo-Na »

Étienne Poudiougou, maire de Koporo-Na (cercle de Koro) a été suspendu le 14 avril dernier de ses fonctions pour avoir rédigé une lettre intimant à la communauté peule de quitter sa commune. L’élu, traité de « raciste » par certains, qui vit aujourd’hui caché, a expliqué à Journal du Mali les tenants et aboutissants d’une affaire qui a secoué le pays tout entier.

Dans quelles circonstances avez-vous été amené à rédiger cette lettre ?

Je tiens d’abord à dire qu’il n’y avait pas de confrontation entre Peuls et Dogons dans mon village, pas de situation conflictuelle. Le samedi 7 avril, il y a eu une réunion sur la paix et la réconciliation à Pel Maoudé. À l’issue de la rencontre, les participants étaient convaincus que ces histoires de conflits entre Peuls et Dogons allaient prendre fin et étaient satisfaits. Parallèlement se tenait à Koro une autre réunion, rassemblant les chasseurs de Koro et de Koporo-Na. Peu de temps après, des soi-disant chasseurs de Koporo-Na sont revenus avec un papier, qu’ils ont distribué aux chefs de village, leur intimant de chasser les Peuls de leurs localités.

Il y avait donc déjà eu un appel à chasser les Peuls ?

Oui, et j’en ai été le premier surpris quand j’ai été saisi de la diffusion de cette propagande. J’ajoute que le dimanche j’avais reçu des appels disant que, pendant notre réunion, j’avais demandé à ce que l’on chasse les Peuls de la commune. Dès le lundi 9 avril, j’ai convoqué d’urgence tous les chefs de village. Je leur ai dit que cette situation était inacceptable, car nous vivons avec les Peuls depuis toujours et que les chasser était impensable. Ils étaient d’accord et nous avons décidé d’envoyer une mission à Koro pour avertir de ce qu’il se passait. Nous avons contacté les chasseurs pour qu’ils préviennent leur coordination à Koro. Il y avait 7 personnes dans la délégation, dont moi-même. Le 10 avril, tout le monde était présent, sauf les chasseurs. Nous sommes repartis. Durant notre trajet, nous les avons appelés plusieurs fois, mais ceux que nous avons contacté ont refusé de décrocher leur téléphone.

Vous pensez que les chasseurs sont derrière cette propagande ?

Le chef des chasseurs de Koporo-Na, ainsi que l’adjoint de la coordination des chasseurs, que nous avons rencontrés, nous ont fait savoir que leur confrérie n’était pas au courant et n’avait rien à voir avec cela. Je doute que ceux qui ont décidé ça soient vraiment des Dozos. Toujours est-il que je suis revenu à Koporo-Na pour y passer la nuit. J’ai été appelé par un proche qui m’a dit que deux personnes étaient venues le voir et lui avaient dit que je devais faire un communiqué demandant aux Peuls de quitter le territoire de la commune. Si je refusais, je serais tué, ainsi que ma famille et tous les Peuls. J’ai eu peur et j’ai écrit la lettre, pour me protéger, protéger ma famille et protéger les Peuls de ma commune.

Pourquoi ne pas en avoir d’abord parlé aux autorités ?

J’ai agi sous la menace et parce que je n’avais aucune protection. Je suis d’ailleurs toujours menacé. Je me désengage de cette lettre. C’est parce que j’ai refusé que le message de propagande soit diffusé partout dans ma commune que j’ai été considéré comme un ennemi. Les Peuls de Koporo-Na peuvent témoigner que ce n’est pas mon genre de tenir de tels propos. Je n’ai aucun sentiment xénophobe envers eux, nous avons toujours vécu en harmonie.

L’avis manuscrit rédigé le 12 avril dernier par Etienne Poudiougou, maire de Koporo-Na.

Selon vous, qui se cache derrière ces menaces et dans quel intérêt ?

Je suis visé par des personnes mal intentionnées. Pour que leur propagande soit crédible, elles m’ont forcé à écrire cette lettre en tant que maire. C’est une manœuvre politicienne pour m’évincer de la mairie, en faisant peser sur moi de graves accusations. Les deux personnes qui ont proféré ces menaces de mort sont connues, ce sont des émissaires de mes concurrents politiques. Je fais partie de l’UDD (Union pour la Démocratie et le Développement), le Président de la section de Koro, à laquelle j’appartiens, est Maître Hassan Barry. Comment peut-on me considérer comme raciste alors que le Président de la section locale de mon parti est un Peul ?

Qui sont ces concurrents politiques ?

Je ne peux pas les citer. Cela a commencé lorsque le maire élu est décédé. J’ai été désigné pour être le nouveau maire, ce qui a créé des contestations et des jalousies. Certains ont refusé ma nomination. L’affaire est allée jusqu’à la Cour suprême, mais leur requête n’a pas abouti. L’UDD a conservé la mairie. Les perdants n’ont jamais accepté cela malgré la décision de la Cour suprême.

La communauté peule a-t-elle commencé à quitter le commune ?

les Peuls sont toujours là , aucun chasseur n’est venu leur dire de partir. Aucun peul n’est venu me visiter à ce sujet.

Craignez-vous toujours qu’on attente à votre vie et comment voyez-vous l’avenir ?

J’ai quitté Koporo-Na pour me protéger. J’ai quitté ma maison et je suis parti loin. Je ne peux pas vous dire où je me trouve. Je reviendrai, mais actuellement la situation ne le permet pas. Je suis victime d’une conspiration et je ne sais pas ce que l’avenir me réserve.

Le Général Salif Traoré face à la Presse : « La sécurisation du pays est en bonne voie ».

 

C’est un ministre de la Sécurité et de la Protection Civile détendu qui a répondu aux nombreuses interrogations de la presse ce matin.

C’est à un exercice assez délicat compte tenu de la situation sécuritaire peu enviable du pays, auquel le ministre de la Sécurité et de la Protection Civile s’est prêté ce matin. Dans la salle de conférence de la Maison de la Presse, le Général Salif Traoré, a répondu sans fard et en bambara aux questions d’une dizaine de radios privées.  Insécurité au Nord et Centre du Mali, grand banditisme dans la capitale et ses alentours, répression des manifestations, tels sont entre autres les thèmes abordés lors de cette rencontre de plus d’une heure. Sûr de lui et très à son aise, le ministre a donné l’assurance que tout est mis en œuvre afin d’assurer une pleine sécurité sur le territoire. D’autant plus à quelques mois d’importantes échéances électorales. « Le président nous a demandé d’accélérer le processus de sécurisation, pour que les Maliens du Nord, du Centre et dans quelques localités de Ségou, puissent au moment des élections aller voter en toute sérénité », explique-t-il. Cette opération sécurisation est actuellement en cours et en ‘’très en bonne voie’’ à l’en croire. « Depuis quelques semaines, nos forces sont présentes dans de nombreuses localités où elles n’étaient pas avant, et dans les jours qui viennent, nous serons présents dans beaucoup d’autres », assure-t-il.

Coopération des populations

Pour en optimiser les résultats, le ministre a requis l’appui des populations, qui est, en son sens, indispensable pour mettre « hors d’état de nuire » et terroristes et bandits. Des plaques sur lesquels sont inscrits les numéros verts ont depuis peu été installées dans les grandes artères de Bamako. « Nos récents bons résultats sont en très grande partie dû à notre coopération avec les populations, il est impératif que cela continue pour le bien de tous », plaide-t-il. Mais cette « coopération » pourrait être mise à mal, par les récentes répressions dont des manifestants ont été victimes de la part des forces de l’ordre. Tout en ne cautionnant pas ces « violences » le ministre est resté ferme quant à la nécessité de respecter les décisions des autorités.

Respect de la loi

« Nous ne sommes pas là pour violenter qui que ce soit, mais pour faire respecter la loi, si les marcheurs ont l’autorisation de marcher, ils le feront en étant encadré par nos soins, mais même dans le cas contraire, les forces doivent les disperser sans avoir recours à la brutalité ». Apostrophé par un journaliste qui affirme avoir été violenté et emprisonné lors de la marche du mouvement Waati Sera, contre la France, le ministre sans se dérober, lui a demandé de porter plainte, avec preuves à l’appui. « Les responsables devront rendre des comptes », ajoute-t-il.

 

 

Musulmans et Chrétiens : Maintenir le dialogue

Au Mali la coexistence entre différentes croyances est garantie par la Constitution. Et, dans la pratique, elle se manifeste à différents niveaux. En famille, au travail ou à l’école, Chrétiens et Musulmans cohabitent depuis toujours. Un équilibre qui ne saurait être remis en cause par des actes marginaux, selon plusieurs spécialistes.

« Les attaques contre les églises, partout dans le monde et ici au Mali, sont des actes condamnables. La cohabitation entre Musulmans et Chrétiens est très ancienne », note Youssouf Diagouraga, islamologue. Il ajoute que le Prophète de l’Islam Mohamed (PSL), lorsqu’il est arrivé à Médine, y a trouvé des Chrétiens et des Juifs, à qui il a laissé la liberté d’exercer leur religion, interdisant à ses disciples de leur faire du mal. Ceux qui commettent ces agressions contre les églises et les justifient au nom de l’islam n’agissent pas conformément à cette religion, car « l’islam bannit toute violence à l’égard de qui que ce soit », poursuit M. Diagouraga.

Les fondements mêmes de la société malienne facilitent la cohabitation. Les mariages entre différentes communautés, des valeurs comme le sinankuya et le respect dû à l’autre contribuent à cet équilibre, selon Thierno Hady Thiam, Vice-président du Haut Conseil Islamique du Mali. « Ces attaques font mal au cœur et ne peuvent être attribuées à l’Islam, qui reconnaît d’autres religions dans plusieurs versets ».

Pour ne pas remettre en cause une coexistence séculaire, M. Thiam préconise une anticipation. Il ne faut pas attendre que les problèmes surgissent pour essayer de les résoudre. Tous les acteurs ont un rôle à jouer. Il revient aux religieux « d’enseigner que la cohabitation fait partie de la religion », et à l’Etat d’organiser ce cadre et de « faciliter le rapprochement entre les religions ». Les périodes de tension n’étant pas les plus favorables au dialogue, il faut maintenir les ponts et se retrouver autour de l’essentiel. Nous « avons le devoir de défendre et de protéger notre pays », conclut le leader religieux.

Curé de la Cathédrale de Bamako, l’Abbé Timothée Diallo avoue n’avoir aucun problème avec les Musulmans, avec lesquels il continue à vivre en harmonie. Il invite cependant « à reprendre l’école en main », car, sans éducation, on ne peut s’en sortir.

Rejeter les intégrismes de tout bord et respecter la différence est une manière de maintenir cette harmonie. « J’aurais toujours un ami Patrice et Patrice aura toujours un ami Youssouf. Nous continuerons à être ensemble dans les facs, dans les lieux publics. Le Mali est un tout qui appartient à tout le monde », conclut M. Diagouraga.

 

Commune de Dioungani : Les Chrétiens pris pour cible

Il est 14h30 quand, dans une cacophonie motorisée, 12 hommes armés convergent vers l’église catholique du village de Douna, chef-lieu de la commune de Dioungani, dans le cercle de Koro. Aux cris d’Allah Akbar, ils s’élancent en direction du bâtiment religieux. Les villageois comprennent vite ce qui va se passer et rentrent se cloîtrer chez eux. Nous sommes le vendredi 6 octobre, une date que la population et la communauté chrétienne de Douna n’oublieront pas. Deux longues heures d’une séquence violente et choquante, mais qui dans la commune, ces 8 derniers mois, est loin d’être inédite.

Une poignée d’hommes a pris position sur les principaux axes menant à l’église, tandis que d’autres escaladent le bâtiment et entreprennent méthodiquement de casser la croix en béton équipée d’un haut-parleur qui trône sur le toit. Elle finit par dégringoler et se briser au sol, accompagnée de clameurs de satisfaction. « Une femme est sortie et a essayé de leur faire entendre raison. Ils l’ont battue ! Malgré les coups, elle leur a dit qu’elle préférait être tuée que de ne rien dire. L’un des hommes a pris son coupe-coupe et lui a tailladé le bras », se remémore un habitant de Douna qui tient à garder l’anonymat. Une fois le lieu de culte décapité de son symbole, les hommes pénètrent dans l’église et rassemblent tout ce qu’ils peuvent : meubles, crucifix, portrait de la Vierge, effigie de Jésus, rideaux, nappe d’autel. Ils jettent le tout sur le sol en un grand tas. « Avec de l’essence, ils y ont mis le feu. Tout a flambé. Ils ont pris leur temps », témoigne un autre villageois. Les flammes ont déjà bien noirci les murs de l’église et calciné ce qui s’y trouvait, quand les profanateurs quittent le village en trombe, criant à la population abasourdie qu’il est interdit désormais d’y prier.

Malgré la destruction de nombreuses antennes-relais dans la commune, où plusieurs villages sont coupés du monde, la nouvelle se propage comme une traînée de poudre. 24 h plus tard, un contingent de l’armée malienne se rend sur place, inspecte l’église, fait une ronde, puis s’en retourne à sa base de Koro. À Douna, l’attaque a surpris, comme dans la paroisse de Barapeli, dont le petit village dépend. L’effroi a saisi les communautés qui redoutent que les djihadistes ne mettent en péril la présence chrétienne dans la commune.

Actes antichrétiens en augmentation « C’est la cinquième communauté visée », souligne un élu de la commune, « les djihadistes veulent imposer leur loi. Ils brûlent les églises et veulent chasser les Chrétiens ». « Depuis quelques mois, ils interdisent toutes les activités religieuses chrétiennes. Si ce n’est pas respecté, ils menacent de revenir pour sévir plus fort », confirme l’Abbé Edmond Dembélé, Secrétaire général de la Conférence épiscopale du Mali.

C’est le 15 avril dernier, lors de la nuit de Pâques, qu’une première attaque contre une église chrétienne est signalée à Didia, un village de la commune de Dioungani. Là-bas, les djihadistes ont intimé aux Chrétiens du village de ne plus sonner la cloche et de ne plus se rassembler. Le 15 août, ils s’en prennent au village de Djanwelli, dans la même commune, avec un procédé particulier. « Ils ont rassemblé Chrétiens et Musulmans sur la place publique et ont prêché le coran durant 3 heures, avant de leur ordonner de ne plus jouer du tam-tam et de ne plus chanter pendant la prière », raconte un commerçant du cercle de Koro. Le 26 août, c’est l’église du village de Bodwall qui est attaquée. « Ils ont voulu casser la cloche de la petite église, mais ils n’ont pas réussi. Alors, ils sont allés au hangar à palabre des Dogons et leur ont dit de dire aux Chrétiens de détruire leur église », poursuit le commerçant. Le 19 septembre dernier, ils défoncent les portes de l’église de Dobara, toujours dans la commune de Dioungani, rassemblent à l’extérieur tout ce qu’ils peuvent y trouver et y mettent le feu, avant de menacer de mort tous ceux qui dorénavant viendraient y prier.

Chasser les Chrétiens Dans l’importante paroisse chrétienne de Barapeli, qui s’étend sur 8 150 km², forte de 45 églises et de plus de 130 communautés dynamiques qui n’hésitent pas à bousculer les prêtres pour l’apostolat (propagation de la foi), on ne comprend pas pourquoi ces attaques visent seulement la commune de Dioungani. « La cohabitation entre Chrétiens et Musulmans était bonne. Dans les différentes fêtes religieuses, ils se rendaient mutuellement visite. Depuis l’arrivée des djihadistes, les choses ont changé. Certains, à l’est de Barapeli, pensent qu’il y a plus d’églises que de mosquées », relève un habitant. Une affirmation plausible pour ce prélat de la paroisse : « il est vrai que ces hommes armés, quand ils sont venus à Douna, ont dit à certains musulmans, « ils ont des églises partout et vous vous n’avez même pas assez de mosquées », et ils ont ordonné à ces gens d’en construire. En se basant là-dessus, on peut se dire que, peut-être, le dynamisme de nos communautés fait qu’ils pourraient se sentir un peu menacés », avance-t-il.

Une autre raison est évoquée par cet employé d’une ONG locale, qui rappelle que depuis des mois les djihadistes, au nom de l’Islam, ont interdit le tabac ainsi que les boissons alcoolisées. « À Douna, il y a deux églises. Ils ont seulement attaqué celle des Catholiques, pas celle des Protestants. L’église catholique a été attaquée parce que la consommation d’alcool n’y est pas prohibée alors que les Protestants l’interdisent. Dans le village, il y avait un maquis à côté de l’église attaquée. Après l’avoir saccagée, les djihadistes sont partis trouvés des consommateurs là-bas. Il y en avait deux, un Dogon et un Peul. Ils les ont frappé, ont bandé les yeux du Peul et sont partis avec. On a plus de nouvelles depuis », ajoute-t-il.

Pour l’Abbé Edmond Dembélé, la consommation d’alcool reste une explication négligeable. « Ce n’est pas seulement du côté des Catholiques, les adeptes de la religion traditionnelle, partout sur le territoire du Mali, sont aussi des consommateurs d’alcool. Je pense qu’il y a d’autres explications un peu moins sommaires ».

Dans les villages attaqués de la commune de Dioungani, désormais les Chrétiens font profil bas. Ils ne vont plus prier à l’église, conscients que ces lieux de culte sont devenus une cible privilégiée des djihadistes. « Nous leur avons dit de ne pas aller y prier pour leur sécurité et parce qu’il y a eu une forme de profanation de ces lieux de culte. Pour nous Chrétiens, ce qu’il s’est passé, ce sont des blasphèmes contre Dieu, Sa parole et Son église. Les fidèles sont inquiets. On est passé à un cran supérieur. Ils ne savent pas si demain ils se lèveront sur leur pied. Mais ils ne souhaitent pas partir, parce que le Mali est un pays laïc, que c’est leur village et qu’ils espèrent que des solutions seront trouvées et que le calme et la cohabitation pacifique qui régnait jusqu’ici reviennent », explique un curé.

À Douna, les blessures du 6 octobre mettront beaucoup de temps à se refermer. Pour les Chrétiens les plus âgés du village, qui ont vu la communauté se constituer, l’église se bâtir, ces images indicibles, ne pourront jamais être effacées.

Human Rights Watch accuse les FAMAs de violations de droits de l’homme

 L’organisation de défense des Droits de l’Homme Human Rights Watch a indexé  dans un rapport publié le 08 septembre dernier l’armée malienne des « graves violations des droits de l’homme ». Selon  l’organisation c’est dans la volonté de «  contrer les groupes islamistes dans le centre du Mali » que ces violations ont été commises. Pour vérifier  ces accusations,  en plus des allégations faites par la MINUSMA, la CMA et la Plateforme, le ministre des droits de l’homme et de la reforme de l’Etat a effectué une visite dans la région le 23 septembre.

L’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch dans un rapport publié le 08 septembre dernier, accuse l’armée malienne de violations de droits de l’homme dans la région de Mopti (Centre du pays). Le début de ces atteintes commises remonte à  fin 2016. Il s’agissait pour l’armée malienne  de contrecarrer la montée en puissance des groupes islamistes qui s’imposent en maitre des lieux dans certaines localités de la région. Elle aurait donc fait recours à des pratiques répressives allant « des meurtres extrajudiciaires, à des disparitions forcées, à des actes de torture et à des arrestations arbitraires à l’encontre d’hommes accusés de soutenir les groupes armés islamistes » souligne le rapport. En plus des ces actes dénoncés, l’organisation a documenté l’existence de trois fosses communes «  qui auraient contenues des cadavres d’au moins 14 hommes exécutés après avoir été détenus depuis décembre par des militaires maliens », accable le rapport, selon lequel les abus ont continué jusqu’en juillet 2017. Dans la même période, les groupes armés islamistes ont eux aussi commis dans la même zone du centre des  abus graves des droits de l’homme, « notamment des exécutions sommaires de civils et de militaires de l’armée malienne, des destructions d’écoles, et le recrutement et l’utilisation d’enfants comme soldats »  poursuit le rapport d’HWR.

Pour vérifier la veracité des accusations et les allégations formulées par la Minusma et les groupes armés signataires de l’Accord, le ministre des droits de l’homme et de la reforme de l’Etat a effectué  le 23 septembre, une tournée de trois jours dans la cinquième région. Sur place, le ministre Me Kassoum Tapo accompagné des membres de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) et des autorités administratives de la région a visité les  prisons, les gendarmeries et  les commissariats de certaines localités comme Douentza, Hombori  Bandiagara, Sevaré pour ne citer que celles-ci. Le ministre s’était dit «  séduit » par la qualité de certains lieux de détention qui répondent à un certain confort. «  J’ai été personnellement séduit, en tant qu’avocat par cette gendarmerie ou j’ai vu une cellule pour la première fois avec une douche intérieur » se réjouissait-il. Il a eu l’assurance lors de cette mission que tous les présumés terroristes arrêtés sont au bout de 48 heures transférés à Bamako.

Revenu a Bamako, il a tenu hier mardi dans l’après midi au sein de son département une conférence de presse. Lors de cette rencontre il a  dénoncé le rapport de l’organisation des Droits de l’Homme,  qui selon lui manque de « sérieux » et de professionnalisme. Selon lui, ce document aurait dû être transmis aux autorités maliennes avant sa publication. Toute chose qui scandalise le ministre qui par la même occasion a balayé d’un revers de la main les accusations formulées à l’encontre des forces de défense et de sécurité malienne.

 

EXCLUSIF : Amadou Ndjoum : « Mon bon comportement a été mon ticket de survie »

Mercredi 20 septembre aux environs de 18h, Amadou Ndjoum, l’agent de l’INPS kidnappé par la Katiba Macina, pénétrait dans Diafarabé, libre. L’homme fatigué, après plus de 4 mois de captivité en clandestinité, est malgré tout souriant. Quelques jours plus tard, il confiait au Journal du Mali le récit, parfois surprenant notamment sur la mansuétude de ses geôliers, de son enlèvement jusqu’à sa libération.

Depuis votre libération, comment vous-portez-vous ?

Je suis fatigué mais je vais bien. Depuis que j’ai été libéré, j’ai l’impression que je suis toujours en train de rêver ma libération. Je me demande si c’est vrai, c’est encore un peu confus dans ma tête. Je me sens fatigué. Là-bas je me couchais à 21h et je me réveillais à 5 h du matin car je ne pouvais plus dormir. Quand un nouveau jour se levait, c’était le signe du retour à la réalité, des soucis qui commencent, une nouvelle journée à affronter. Chaque jour qui passait était comme des années pour moi.

Pouvez-vous revenir sur votre enlèvement, le 26 avril dernier, comment cela s’est-il passé ?

J’ai quitté Mopti le 25 avril, je partais à Youwarou pour le paiement des pensions, chose que je fais mensuellement depuis 2010. Arrivé à Walado qui est environ à 25 km de Youwarou, il faut prendre le bac pour traverser avec les véhicules et continuer sur Youwarou. Nous étions deux sotramas à attendre le bac. Un homme est venu à moto enturbanné, il a intimé au conducteur de bac de ne faire traverser personne et d’immobiliser tous les véhicules. Quelques minutes sont passées et des hommes à bord de trois motos ont traversé de l’autre côté pour venir dans notre direction. Ils étaient en tout six, enturbannés et armés. Ils se sont directement dirigés vers moi. Ils m’ont demandé mon identité, où j’allais. Je leur ai dit qui j’étais et que j’allais à Youwarou. Ils ont voulu savoir ce que j’allais faire là-bas. J’ai répondu que j’allais payer les pensions. « Ah, donc c’est toi! » a dit l’un d’entre eux. J’ai compris qu’ils avaient ordre de venir me chercher. Ils ont pris mon sac. Nous sommes partis. On a traversé le fleuve en pirogue avec les motos. Arrivé sur la terre ferme, on m’a bandé les yeux, on m’a mis sur une moto, on a beaucoup roulé, on s’est juste arrêté à un moment pour prier et la nuit, on est arrivé dans un endroit que je ne connaissais pas. Je n’avais pas l’esprit tranquille car je ne savais pas où ils me menaient et ce qu’ils voulaient.

Vous ont-ils dit à ce moment-là pourquoi ils vous ont enlevé ?

Oui. Après la prière, ils ont ouvert mon sac où j’avais mes bordereaux de paiement, mes portables et tout. Ils ont tout enlevé. Ils m’ont dit qu’ils savaient que je partais chaque mois à Youwarou pour aller payer le salaire des militaires et des gendarmes de Youwarou. Je leur ai dit que non. J’ai essayé de leur expliquer en leur montrant les bordereaux, les noms et les paiements mais ils étaient illettrés, ils n’arrivaient pas à comprendre. Ils m’ont dit que ce que je disais était faux. Je leur ai demandé d’enquêter à Youwarou et voir si ces noms sont des porteurs d’uniformes ou des civils. Je savais que ma vie dépendait de ça et que s’ils comprenaient que je ne m’occupe pas des salaires des militaires, ce ne serait pas les mêmes conséquences. Pour eux, j’étais un militaire en civil qui cachait ce qu’il faisait pour payer ses collègues de l’armée. Ils ont pris mes affaires, compter mon argent, ils ont tout daté et scellé et ils m’ont dit que le jour que je serais libre, ils me le rendront.

Photo: Olivier Dubois

Savez-vous qui a pu leur dire que vous faisiez ces tournées pour payer les militaires ?

Ils m’ont dit que c’est quelqu’un qui me connaît très bien, quelqu’un qui savait quand et où je partais faire ma tournée. Cette personne leur a raconté que comme je payais les militaires, j’étais leur ennemi aussi. Je n’ai pas encore de preuve formelle sur l’identité de cette personne, mais je le saurai.

Vous avez été en captivité pendant plus de 4 mois, comment avez-vous été traité et comment êtes-vous parvenu à tenir ?

J’ai essayé d’être comme ils sont et de garder la foi. Je ne peux pas vraiment dire que j’ai été maltraité. Ce qu’ils mangeaient, c’est ce que je mangeais, c’était l’égalité totale. Je peux même dire que j’étais mieux traité que les autres du groupe. Ils faisaient tout pour me protéger. Malgré les conditions dans lesquelles nous vivions, ils faisaient en sorte que j’aille bien. Durant ma captivité, ils venaient me demander mes habitudes, ils voulaient savoir ce que je prenais, ce que je voulais. Ils m’apportaient de l’eau pour me laver, ce sont eux qui lavaient le linge pour moi. J’avais pas mal de droit sauf la cigarette car ils n’aiment pas ça, mais bon, moi je ne fume pas. Nous dormions principalement à l’extérieur. J’avais une natte, j’avais des couvertures. Côté nourriture, les 3 repas étaient respectés, on mangeait ensemble. J’ai observé les 30 jours de carême avec eux et malgré les conditions de détention, j’y suis parvenu à leur grand étonnement. La Tabaski, on l’a fêté ensemble. J’étais avec eux tout en pensant à ma famille. Je n’étais pas ligoté je pouvais quand même bouger. Je passais mes journées assis ou couché, je me levais pour la prière. Là-bas, on ne te dit rien, tu n’entends rien de l’extérieur, le temps était très long.

Avez-vous songé à vous échapper pendant votre captivité ?

Non je n’y ai pas pensé. C’est peut-être ça aussi qui m’a beaucoup favorisé. Je ne leur ai pas aussi menti. J’ai été enlevé pour une fausse accusation. J’ai pensé que comme ce qu’ils me reprochent est faux, je ne resterai pas longtemps leur prisonnier. Ça m’a permis de garder espoir. Je me suis bien comporté. Ils ont petit à petit eu confiance en moi. Au début, ils pensaient que j’allais m’échapper. Mais ils ont compris que je n’allais pas le faire. Les chefs me disaient que j’étais une personne de confiance. J’étais une sorte de prisonnier modèle pour eux. Ils m’ont même dit que c’est la première fois qu’ils capturent quelqu’un et qu’ils le félicitent et l’apprécient. Je pense que mon bon comportement durant ces longs mois a été mon ticket de survie.

Qui étaient vos ravisseurs, avez-vous pu communiquer avec eux, créer des liens ?

C’était les hommes d’Amadou Kouffa. Nous communiquions, car nous parlions la même langue, la langue peule et nous pratiquions la même religion, l’Islam. Il n’y avait que des hommes, il y avait aussi des enfants, des talibés, qui venaient nous visiter d’eux-mêmes. Je ne peux pas estimer leurs nombre car je n’étais pas directement avec eux. Il y avait une garde rapprochée, au moins 3 ou 4 personnes qui m’entouraient et me surveillaient. Ils discutaient toujours à distance, ils se méfiaient, ils ne voulaient pas que je les vois à visage découvert ou que j’entende certaines conversations.

Vous a-t-on souvent fait déplacer durant votre captivité ?

Jusqu’à ma libération, on m’a déplacé au moins 3 fois. J’avais toujours les yeux bandés pour ne pas savoir ou j’étais et ne pas les reconnaître. Les déplacements se faisaient à moto.

 

Y’avait-il d’autres otages avec vous ?

Non, j’étais le seul avec eux.

Vous ont-ils parlé de négociation visant à vous faire libérer ?

Non pas vraiment. Après 20 jours, ils sont venus me voir et ils m’ont dit que mes parents demandaient une preuve de vie et qu’il fallait faire une vidéo. C’est la vidéo que vous avez dû voir.

Quand j’ai demandé s’ils avaient fixé une rançon, ils n’ont rien dit. Chaque fois que je posais des questions ils me disaient « on est en train d’en parler avec ta direction, on est là-dessus ». Ils m’ont ensuite dit qu’ils n’ont jamais demandé de rançon à qui que ce soit. Je ne sais pas pourquoi ils m’ont libéré. Je pense que c’est Dieu qui m’a blanchi.

Comment s’est déroulée votre libération ?

Le mercredi 20 septembre, vers 15h, ils sont venus me chercher, je m’en souviens parce que j’ai prié à 14h. Ils m’ont dit de prendre mon sac et de les suivre. Je pensais que nous partions pour une autre destination. On a roulé jusqu’à environ deux ou trois kilomètres d’une ville. On s’est arrêté. On était deux seulement. Il m’a demandé si je connaissais l’endroit. J’ai répondu que non. Il m’a dit que c’était Diafarabé, puis il m’a dit que ses supérieurs lui ont demandé de me libérer aujourd’hui. Il m’a montré au loin des antennes et il m’a dit que c’est là-bas, dans la ville, que je devais aller. Il devait être 18h. Je n’avais plus qu’à marcher pour m’y rendre. Il m’a donné 5000Fcfa, pour payer le passage en pinasse ou en pirogue et il est parti. C’est quand il s’est éloigné avec sa moto que j’ai compris que j’étais réellement libre. J’ai marché et suis entré dans Diafarabé. Je ne connaissais personne là-bas. Il y avait des jeunes qui jouaient au ballon. Je me suis approché, j’ai demandé s’il connaissait la seule personne que je connaissais et qui habitait à Tenenkou. Chacun a appelé des camarades pour essayer de trouver cette personne. Je me suis présenté, je leur ai dit que j’étais Ndjoum, l’agent de l’INPS qui a été enlevé par les djihadistes. L’un des garçons présents a été très surpris, il était le fils du président des retraités de l’INPS de Diafarabé. On est allé voir son père qui était très ému. Je suis resté là-bas, je me suis lavé, j’ai mangé. Ensuite on a appelé notre direction. Ils ont pris la route pour venir me chercher en bateau, le rendez-vous était à 1h du matin. Ça a pris un peu de retard, le bateau est arrivé à 5h du matin, et on a enfin embarqué pour Mopti ou j’ai pu retrouver ma famille.

Aujourd’hui libre, que ressentez-vous et qu’allez-vous faire ?

Tous ces longs mois, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, je me disais pourquoi tout ça. On m’accuse de quelque chose qui n’est pas vrai. Ce qui m’est arrivé, c’est quelque chose que l’on ne peut pas prévoir. Là-bas on ne sait pas qui est qui. En tout cas je ne partirai pas, je resterai où je suis. Ma direction qui m’a demandé de venir à Bamako. Je dois les voir lundi. Je dois aussi voir les autorités. Je vais demander à avoir un congé pour me reposer et retrouver ma famille.

Amadou Ndjou entouré de proches à Bamako.

De nombreuses personnes se sont mobilisées pour faire en sorte qu’on ne vous oublie pas et tenter de vous faire libérer. Qu’avez-vous à leur dire ?

Quand j’ai appris cela, je ne savais même pas quoi dire. J’ai senti que vraiment on ne m’avait pas abandonné. Même si j’étais coupé de toutes informations, je tentais de garder espoir. Cette mobilisation, ces soutiens, ça m’a redonné des forces, savoir qu’il y avait tous ces hommes et ces femmes, ma famille, derrière moi. Si je suis aujourd’hui libre c’est grâce à eux et je les en remercie infiniment.

Un rapport de la FIDH pointe les exactions des FAMA au Centre du Mali

Un rapport de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), diffusé jeudi 11 mai, fait état des violences intercommunautaires et exactions commises par l’armée malienne, sous couvert de lutte antiterroriste, qui se multiplient dans Centre du Mali, une région délaissée par l’État et gangrenée par les groupes djihadistes.

L’association malienne de défense des droits de l’homme (AMDH) et la FIDH ont recensé, dans un rapport paru jeudi 11 mai, de nombreux cas d’arrestations arbitraires, de séquestrations, de tortures et violations des droits de l’homme imputées à l’armée malienne et qui visent pour l’essentiel les communautés peules dans le centre du Mali.

« Terrorisme et impunité font chanceler un accord de paix fragile » : l’intitulé du rapport de la FIDH avec l’ADMH, pointe du doigt la difficile mise en oeuvre de l’accord de paix de 2015. Deux ans après sa signature, le processus de désarmement n’a toujours pas commencé au Mali. Et les violences n’ont fait que redoubler.

Selon le rapport, l’armée malienne, dans sa lutte contre le terrorisme est incapable de faire le discernement entre djihadistes et populations. Ils procèdent dans les villages à des arrestations de masses, violant les droits humains de nombreuses personnes assimilées à des djihadistes, souvent par le simple fait qu’ils sont peules

Le 10 février dernier, des militaires maliens ont ainsi mené une importante opération anti-terroriste à Dialloubé, au nord de Mopti. Un village considéré comme une des bases arrières des hommes d’Amadou Koufa. Tous les suspects arrêtés appartenaient à la communauté peule. Ces violations, ont pour conséquence de créer une défiance légitime envers les services de sécurité et les autorités maliennes en général. Les populations locales étant souvent les premières victimes de cette guerre qui s’éternise.