Réconciliation nationale : deux membres du CNT suspendus

Le ministère de la Réconciliation a annoncé, ce 10 décembre, la suspension de sa collaboration avec deux membres du CNT après des échanges jugés contraires à la Charte nationale pour la paix. Cette décision intervient alors que la Transition met officiellement en avant le rôle des chefferies et légitimités traditionnelles dans la mise en œuvre de cette Charte.

Le communiqué du ministère de la Réconciliation, de la Paix et de la Cohésion nationale annonce la suspension de toute collaboration avec Mohamed Ousmane Ag Mohamedoun et Abdoul Majid Ag Mohamed Ahmed dit Nasser, ainsi qu’avec leurs représentants, dans le cadre des activités de paix et de cohésion nationale. Le texte évoque des échanges « inamicaux, voire insultants » entre les deux personnalités, jugés contraires à l’esprit et aux principes de la Charte nationale pour la paix et la réconciliation, adoptée par le Conseil national de Transition comme référentiel des actions de réconciliation.
Les deux hommes occupent des positions centrales dans l’espace politique et social du Nord. Mohamed Ousmane Ag Mohamedoun est présenté comme acteur des processus de paix, ancien responsable de la Coalition du peuple pour l’Azawad et membre du CNT, à la tête d’une coordination d’associations à référence chérifienne. Abdoul Majid Ag Mohamed Ahmed, dit Nasser, se présente comme chef général de la tribu Kel Ansar, également membre du CNT, et intervient régulièrement dans les médias et les rencontres publiques sur les questions de paix, de sécurité et d’unité nationale.
Le différend mis en cause par le communiqué intervient dans un contexte où la Transition a officiellement revalorisé les autorités traditionnelles. Une Journée nationale des Légitimités traditionnelles est célébrée chaque 11 novembre, en vertu d’un décret qui consacre leur rôle dans la prévention des conflits, la médiation sociale et l’appui aux politiques publiques de réconciliation. Les chefferies et autres légitimités sont ainsi reconnues comme partenaires institutionnels de l’État dans la mise en œuvre de la Charte nationale pour la paix.
Légitimité en question
En arrière-plan, la question de la tribu et des chefferies renvoie à une histoire plus ancienne. Après l’indépendance, l’État malien a mené des politiques de centralisation qui ont retiré aux chefferies traditionnelles leur statut d’autorités administratives, avant qu’elles ne soient partiellement réintégrées comme acteurs consultatifs et relais locaux dans le cadre de la décentralisation. Aujourd’hui, les structures de type chefferie et les coordinations associatives coexistent dans plusieurs régions, chacune revendiquant une forme de représentation des communautés.
La suspension annoncée par le ministère concerne ainsi deux figures associées, chacune à sa manière, au discours de paix et de cohésion, à un moment où les légitimités traditionnelles sont officiellement appelées à porter la Charte nationale sur le terrain. L’incident s’inscrit dans un contexte de débats sur la nature de la légitimité – tribale, associative ou institutionnelle – et sur la manière dont ces différents registres coexistent dans le dispositif de réconciliation mis en place par la Transition.

La révision de la Charte de la Transition promulguée : les responsables de la Transition désormais éligibles

La nouvelle loi portant révision de la Charte de la Transition a été promulguée, le 8 juillet, par le Président Assimi Goïta et rendue publique le 10 juillet. Le texte, adopté par le Conseil national de Transition (CNT) le 3 juillet, enterre l’interdiction faite aux autorités de la Transition d’être candidats aux prochaines élections, une disposition qui figurait dans la Charte adoptée en 2022.

Le texte promulgué est issu du projet de loi adopté en Conseil des ministres le 12 juin 2025, puis transmis et adopté sans amendement par le CNT le 3 juillet. Il consacre plusieurs modifications substantielles de la Charte, qui complète la Constitution du 22 juillet 2023. Le préambule révisé évoque désormais explicitement les « recommandations des Forces vives de la Nation » issues des consultations d’avril 2025 et insiste sur le caractère « patriotique » des évènements du 18 août 2020.

Dans son article 4 nouveau, la durée de la Transition est fixée à cinq ans renouvelables « autant de fois que nécessaire » à partir de la promulgation, jusqu’à la pacification du pays. Cette durée peut toutefois être écourtée dès que les conditions d’organisation d’élections « transparentes et apaisées » sont réunies. Selon les nouvelles dispositions, le Président de la Transition conserve ses prérogatives définies par la Charte et la Constitution.

La principale évolution par rapport à la Charte de 2022 se trouve dans les articles 9, 12 et 13 nouveaux, qui stipulent désormais clairement que le Président de la Transition, les membres du gouvernement et les membres du Conseil national de Transition (organe législatif) « sont éligibles » à l’élection présidentielle et aux élections générales qui marqueront la fin de la Transition. Cette éligibilité était explicitement exclue dans la version précédente de la Charte, qui précisait que les responsables de la Transition ne pouvaient pas se présenter aux scrutins organisés pour clore la période transitoire. Le texte de 2022 visait alors à éviter tout conflit d’intérêts et à garantir l’impartialité des institutions de Transition.

Les autres modifications portent sur la réaffirmation des valeurs de patriotisme, de probité, de mérite, d’intégrité et de réconciliation dans la conduite de la Transition (article 1 nouveau) ainsi que sur la confirmation des missions de sécurisation, de refondation institutionnelle, de réforme éducative, de bonne gouvernance, et de mise en œuvre des recommandations des Assises nationales et des consultations populaires.

La nouvelle Charte précise enfin que la Transition prendra fin avec l’élection présidentielle, la prestation de serment et la passation de pouvoir au président élu. Elle stipule que, en cas de contradiction entre la Charte et la Constitution de juillet 2023, c’est la Constitution qui prévaut.

Le CNT, qui a adopté la loi à la quasi‑unanimité le 3 juillet, avait justifié cette révision par la nécessité d’adapter la Transition à la situation sécuritaire persistante et aux recommandations issues des consultations populaires d’avril 2025.

Cette promulgation ouvre donc la voie à la participation du Président de la Transition, de ses ministres et des membres du CNT aux élections à venir, ce qui constitue une rupture avec l’esprit initial de la Charte de 2022, laquelle interdisait cette possibilité. Elle prolonge également, de manière potentiellement indéfinie, la durée de la Transition tant que la « pacification » du pays ne sera pas jugée acquise.