Mali : assassinat du président en exercice de la CMA

Le chef de la coordination des ex-rebelles du nord a été assassiné à Bamako. Un coup dur pour le processus de paix au Mali.C’est une mort qui risque de peser lourd sur le processus de paix en cours au Mali. Sidi Brahim Ould Sidati, président en exercice de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), a été assassiné aujourd’hui, mardi 13 avril, devant son domicile à Bamako.

« Nous venons de perdre notre président Sidi Brahim Ould Sidati assassiné ce matin à Bamako », a annoncé sur les réseaux sociaux Almou Ag Mohamed, porte-parole de la CMA, une alliance des principaux groupes armés autonomistes arabes et indépendantistes touaregs qui s’étaient insurgés en 2012 contre le gouvernement malien avant de conclure avec lui un accord de paix négocié à Alger puis signé à Bamako en 2015.

Au nom de la CMA, Sidi Brahim Ould Sidati, la soixantaine, avait signé cet accord paraphé à la fois par le gouvernement malien et une coalition de groupes armés loyalistes organisés dans le cadre d’une Plateforme réunissant divers mouvements menés par un ancien rebelle touareg devenu général de l’armée régulière, El Hadji Ag Hammou.

Cet accord, considéré par la communauté internationale comme la meilleure voie de sortie de crise au Mali, peine à être entièrement appliqué par les différentes parties signataires, alors qu’il est fortement malmené sur le terrain par les groupes jihadistes. Brièvement alliés aux rebelles nationalistes touaregs au moment du déclenchement de la rébellion en 2012, ces islamistes armés s’étaient alors vite retournés contre eux, avant de les chasser des principales villes occupées à l’époque.

Aujourd’hui, toujours très actifs dans le nord du Mali, les jihadistes ont largement étendu leur champ d’action dans le reste du pays, comme au centre, mais aussi dans les pays voisins comme le Niger ou le Burkina Faso. Les 5000 soldats de la force française Barkhane, aidés par l’armée malienne et plus de 12000 Casques bleus onusiens, ne parviennent pas à endiguer ces insurgés islamistes, alors que le conflit a déjà fait des milliers de morts et blessés et des centaines de milliers de déplacés et réfugiés.

Ancien maire de la commune de Ber, petite localité située dans la région de Tombouctou, Sidi Brahim Ould Sidati était l’une des principales figures du Mouvement arabe de l’Azawad, (MAA), une organisation politico-militaire créée au lendemain de l’insurrection lancée en 2012 par les touaregs du Mouvement national de Libération de l’Azawad.

Basé essentiellement dans la région de Tombouctou, le MAA est membre fondateur de la CMA, la coordination des groupes armés du nord mise sur pied à la veille du démarrage à partir de 2013 des négociations de paix, sous les auspices de la communauté internationale menée par la France et l’Algérie, entre Bamako et les anciens rebelles et alliés.

L’assassinat du chef de la CMA intervient dans un contexte malien d’une extrême fragilité. Une transition politique initiée par la junte qui a pris le pouvoir à Bamako en août dernier, après avoir renversé le président controversé Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), est censée conduire dans les prochains mois à des élections qui devraient déboucher sur un retour du pouvoir entre les mains de civils à Bamako.

Sidi Brahim Ould Sidati « fut un acteur important du processus de paix », a déclaré le Premier ministre de la transition, Moctar Ouane qui devait recevoir dans la journée le leader nordiste pour évoquer le processus de paix en cours au Mali.

Evoquant un « acte abominable », le chef du gouvernement malien qui s’est exprimé sur les réseaux sociaux a fait part de sa « stupeur » et promis une enquête pour identifier et juger les assassins.

Le chef de la Mission des Nations unies au Mali (Minsuma), le Tchadien Mahamat Saleh Annadif, s’est dit, lui aussi, « outré » par l’assassinat du leader de la CMA qui « faisait partie de ces Maliens qui croient et œuvrent réellement pour la paix et l’unité du Mali », selon ses propres mots.

Selon les spécialistes du Mali et des mouvements issus de l’ancienne rébellion, la mort du chef de la CMA est très vraisemblablement commanditée. Est-ce une action des jihadistes du Jnim, liés à Al-Qaïda, destinée à faire payer à Ould Sidati son engagement dans le processus de paix avec Bamako ? Est-ce le résultat d’un différend au sein de la CMA ? Sinon est-ce un règlement de compte intertribal issu d’un de ces antiques et insolubles conflits qui minent depuis toujours les communautés arabes de la région de Tombouctou dont Ould Sidati est originaire ?

Blocages dans l’Accord pour la paix : à qui la faute ?

Prévue pour le 15 juin, la 40ème session du Comité de suivi (CSA) de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali doit faire un nouveau point sur sa mise en œuvre. Censé aboutir à une « paix globale et durable, garantissant une solution définitive à la crise qui affecte le Nord du Mali », l’Accord est encore loin de l’espoir suscité. Cinq ans après, aucun des axes ne connaît une mise en œuvre satisfaisante, selon les acteurs. Réformes institutionnelles et politiques, défense et sécurité, développement et réconciliation nationale, ou encore justice et questions humanitaires, « les problèmes restent entiers ». Si une relecture peut s’avérer nécessaire, l’Accord doit être mieux partagé afin que l’ensemble de la population y prenne une part active, mais aussi que les parties signataires agissent avec plus de bonne foi.

Dans un communiqué rendu public le 28 mai 2020, en prélude à la 40ème session du CSA, la MINUSMA a exhorté « les parties signataires à s’abstenir de tout acte contraire à l’esprit de l’Accord ou susceptible de remettre en cause, non seulement la souveraineté et l’intégrité territoriale du Mali (…) », quelques jours après le refus de la CMA de laisser entrer à Kidal le bataillon de l’armée nationale reconstituée. Un communiqué du gouvernement reprochait au mouvement de s’emparer de fonctions régaliennes de l’État.

Ce « manque de confiance et de bonne foi des parties prenantes, mouvements signataires, Gouvernement et médiation internationale est le premier obstacle à la mise en œuvre de l’Accord », selon un observateur. Ainsi, malgré la signature de l’Accord,  les ex-rebelles restent armés et contrôlent toutes les régions du Nord du pays, ajoute t-il. Mais ce qui a manqué le plus depuis la signature, « c’est un réel portage politique », estime Monsieur Mahamadou Diouara, sociologue. « C’est un document éminemment politique, qui engage la Nation sur un chemin réformateur qui engendre beaucoup de changements et dont la matérialisation implique la participation inclusive de l’ensemble des composantes de la Nation, au niveau national et local ».

Accord non inclusif

Ce projet politique déterminant aurait obtenu les résultats escomptés s’il avait été mieux partagé, estime les observateurs. Tous les acteurs de sa mise en œuvre concrète, notamment les populations, devraient en avoir une conscience claire, afin d’en comprendre les « tenants et les aboutissants », ainsi que leurs rôles dans le processus.

« Malheureusement, depuis sa signature, ni le gouvernement ni les groupes armés signataires ne sont allés vers le peuple » pour expliquer le contenu de ce document signé en son nom, lui faire connaître les dividendes attendus, les rôles et les risques encourus en cas de non application.

L’absence de ce préalable, essentiel à l’appréhension du processus par la majorité des acteurs, a eu pour conséquence de faire de « la mise en œuvre de l’Accord une entreprise isolée entre le Gouvernement, la CMA, la Plateforme », ajoute M. Diouara.  Entre ces acteurs, les groupes non signataires et une partie de la société civile, qui manifestent leurs désaccords pour une disposition non appliquée ou le retard accusé dans l’application d’une autre. Pendant ce temps, la question de la qualité de l’Accord reste en suspens et ne permet pas au citoyen de participer à son application.

Or le projet politique porté par l’Accord est celui de la régionalisation. Une étape dans le processus de décentralisation pour offrir des réponses locales à des questions dont la connaissance et la maîtrise échappent souvent à l’État central. Mais, dans la réalisation de cette ambition, au lieu d’une vision globale capable d’assurer une mobilisation accrue de tous les acteurs, les parties prenantes ont privilégié « des questions subsidiaires, priorités d’intérêt immédiat ».

Intérêts particuliers

Dès lors, cette défense d’intérêts partisans a transformé « en condition imparable une disposition de l’Accord » : les autorités intérimaires, celles qui devaient durant une période transitoire permettre aux parties signataires, grâce à une convention, d’assurer ensemble la sécurisation des zones à conflit avec un Mécanisme opérationnel de coordination (MOC).

Ces forces, composées de combattants de chaque groupe signataire et de militaires, sous le commandement d’un officier supérieur de l’armée, devaient effectuer des patrouilles mixtes afin de permettre aux autorités d’exercer leurs missions.

L’impossibilité d’accomplir « correctement » ces missions a conduit à la mise en place d’autorités exceptionnelles. Ce qui n’a fait que « réveiller les peurs des populations du nord qu’une communauté se voit octroyer les droits et privilèges de disposer de la destinée des collectivités », estime le sociologue Diouara. Des craintes qui se sont  d’ailleurs justifiées, contribuant à démobiliser les acteurs locaux.

L’absence de vision globale dans la mise en œuvre de l’Accord a aussi entraîné la mise en avant d’une autre question comme condition, celle du DDR. Ainsi, au lieu d’une mobilisation des énergies et intelligences de chaque collectivité, c’est la réinsertion qui a été « vendue » aux jeunes, déplore le sociologue. Engendrant une course aux armes afin d’être affilié à un groupe armé et reconnu comme ex-combattant.

Alors qu’il aurait fallu que chaque région puisse s’organiser, créer une fonction publique territoriale et mettre en place une police territoriale, sous l’autorité du chef de l’exécutif local, élu au suffrage universel direct et appuyé à chacune des échelles  par un comité consultatif local de sécurité composé de représentants des jeunes, des femmes, des autorités traditionnelles. Cela aurait permis de mobiliser les jeunes de chaque ethnie pour constituer une force territoriale afin d’assurer cette sécurité et empêché les affrontements entre différentes ethnies à Mopti.

Mais une mauvaise lecture de l’Accord a engendré une mobilisation contre lui, empêchant cette mesure et favorisant les clivages intercommunautaires et l’émergence de singularités et fondamentalismes.

Pourtant, un tel programme pour utiliser les ressources locales allait créer de l’emploi  et de l’espoir, ainsi que de nouvelles aspirations.

Mauvaise foi

Manifestement, les parties prenantes de l’Accord font preuve de mauvaise foi. « Elles font semblant de jouer leurs rôles », mais comme « au chat et à la souris, prenant en otage le peuple et le pays », parce qu’elles « semblent toutes servir des intérêts personnels et/ou communautaires », plutôt que l’intérêt général, souligne un acteur.

Les principes et les engagements sont clairs et hiérarchisés, précise M. Diouara. L’unité, la souveraineté de l’État sur le territoire, la forme républicaine et la laïcité sont des principes acquis et acceptés par toutes les parties.

À partir de là, les gestes de la CMA ne peuvent se justifier que par « l’architecture institutionnelle de la mise en œuvre de l’Accord, la faiblesse de l’État malien et la duperie de la médiation de la communauté internationale », analyse cet observateur.

Rappelant que l’Accord prevoyait que 90 jours après sa signature les groupes armés donneraient la liste de leurs combattants et armes à la Commission technique de sécurité (CTS), pendant que les MOC sécuriseraient les sites de cantonnement, dont la MINUSMA en avait construit huit une année après la signature, le sociologue Diouara déplore « qu’à ce jour, ces forces n’aient pas déposé les armes. Nous sommes comme au jour de la signature ».

S’il n’est pas exclu de relire le texte de l’Accord, parce qu’il a été rédigé dans un contexte qui n’est pas le même actuellement, certaines déclarations ayant été plus « néfastes » qu’utiles, il est indispensable que « les gens en aient une compréhension claire », suggère M. Diouara.

Il faut surtout lui « donner une chance d’obtenir l’adhésion d’une grande partie des Maliens, afin qu’il soit un instrument approprié de paix, de prévention des crises, porteur de développement équilibré des régions du Mali », conclut un acteur.

Fatoumata Maguiraga

Quelques dates…

Infographie: Boubacar Diallo et Marc Dembelé

Ménaka : Accord CMA – Plateforme pour un retour au calme

Après une hausse des tensions mi-décembre entre la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) et la Plateforme des mouvements du 14 juin 2014 d’Alger, due à la mort d’un officier du MSA (Mouvement pour le Salut de l’Azawad) dans un accrochage à Andéramboukane, les deux coalitions sont parvenues dimanche 12 janvier à Ménaka à la signature d’un document contenant des « arrangements sécuritaires » pour la région. Mais, si cet accord est salué des deux côtés, sa mise en œuvre sera à suivre de près.

« Faire la lumière sur le regrettable incident d’Inchinanane, survenu le 21 décembre 2019, et recourir aux mécanismes coutumiers de gestion des conflits », mettre en place des « patrouilles mixtes dans le cadre de la lutte contre le banditisme et la criminalité » et organiser des « campagnes de sensibilisation en vue du renforcement de la cohésion sociale et du vivre ensemble à travers toute la région » sont quelques-unes des résolutions que les deux parties se sont engagées à appliquer.

« Vu la situation à Ménaka, cet accord permettra de faire baisser les tensions et d’éviter l’affrontement entre les parties. Quels que soient les problèmes ou les dissensions qui ont été évoqués entre elles, mieux vaut finir par un accord, aussi mauvais soit-il, qu’une guerre entre les parties », se réjouit Daouda Maïga, Gouverneur de la Région de Ménaka.

« Le fait que ces deux coalitions soient arrivées à une entente va conduire à une cessation des hostilités et donc à un retour au calme », souligne-t-il.

Accord et après ?

Si une chose est de parvenir à un accord, mettre en œuvre les résolutions qui en sont issues en est une autre. Mais les acteurs des deux groupes armés semblent prêts à les traduire en actes.

En ce qui concerne les patrouilles mixtes, Ag Hamadouna, chargé de la Communication du GATIA, membre de la Plateforme, affirme que les choses seront bien coordonnées pour y parvenir.

« Nous avons un état-major à Ménaka, la CMA également. Nous allons donc organiser une autre rencontre après, avec les autorités et les Famas, pour concrétiser ces patrouilles » indique-t-il.

« Aujourd’hui, la situation est décantée. Il y a moins d’ardeur à aller à la violence. Nous allons continuer les discussions pour la mise en œuvre effective des résolutions et nous avons grand espoir d’y parvenir », relève également  Attaye Ag Mohamed, chargé des Questions de droits de l’Homme à la CMA.

Germain KENOUVI

Kidal : Un CSA de haut niveau le 17 septembre ?

La prochaine session du Comité de suivi de l’Accord (CSA) pourrait se tenir à Kidal. Prévue pour le 17 septembre, cette réunion de haut niveau, à laquelle participeront le ministre algérien des Affaires étrangères et son homologue malien, sera une première depuis la signature de l’Accord pour la paix, en 2015.

Le 17 septembre prochain, la ville de Kidal pourrait acceuillir la 38ème session du Comité de suivi de l’Accord. Une réunion de haut niveau qui verra la participation des ministres des Affaires étrangères et de la coopération internationale de l’Algérie et du Mali. Le porte-parole de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), Mossa Ag Attaher, est confiant. « Nous avons prévu de tenir la prochaine session du CSA à Kidal, pour la délocaliser et amener tous les acteurs et la communauté internationale à voir les réalités sur place. Elle devait se tenir le 9 septembre, mais elle a été repoussée, normalement au 17 ». Même si le Président du CSA reste prudent quant au lieu, tout porte à croire que la rencontre pourrait bien se tenir dans la capitale de l’Adrar des Ifoghas. « Rien n’est encore définitivement décidé. Il y a plusieurs propositions à l’étude. Cela peut être Bamako ou ailleurs. Pour l’instant rien n’est tranché », souligne Ahmed Boutache. La délocalisation d’une session du CSA à Kidal, avec le cortège d’acteurs qui en sont membres et les hautes personnalités qui y participent, peut être plus qu’un symbole. La région échappe depuis plusieurs années à l’État et de plus en plus devient source de discordes. « C’est une innovation qu’on veut apporter, pour que les ambassadeurs et les autres personnalités aillent voir ce qui se passe sur le terrain. L’objectif est de voir de plus près les réalités. Les symboles de l’État dont parlait Tiebilé, il va les voir ». Mais, « si on veut vraiment les symboles qui représentent un État, il faut créer les services de l’État qui préserveront ces symboles » ajoute Mossa Ag Attaher.

Pour le retour de l’administration, le porte-parole de la CMA estime qu’il ne peut se faire que dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord. « Il n’y a pas de calendrier formel ». Quant au Gouverneur, il assure que les administrateurs sont déjà à Kidal. « On travaille dans le calme et les gens reviennent petit à petit », glisse Sidi Mohamed Ag Ichrach. 

Accord pour la paix : Une nouvelle feuille de route

Le 17 juin, le Comité de Suivi de l’Accord (CSA) a tenu, à l’invitation du ministre algérien des Affaires étrangères, sa 3ème session consultative de haut niveau. Après une évaluation de la feuille de route du 22 mars 2018, les participants ont convenu d’une feuille révisée. Avec quelles incidences ?

Ils étaient tous présents : membres des mouvements signataires, gouvernement, chef de la MINUSMA, et le ministre algérien des Affaires étrangères de l’Algérie, chef de file de la médiation, et ses homologues du Niger et du Burkina Faso, le 17 juin dernier à Bamako. Des ambassadeurs accrédités, le directeur Afrique du Quai d’Orsay et d’autres personnalités impliquées dans la mise en œuvre de l’Accord ont pris également part à cette réunion. « Ce CSA s’est tenu à un moment crucial dans l’agenda de mise en œuvre de l’Accord et ce rendez-vous était important, parce que tous les partenaires et toutes les parties avaient ces derniers mois décidé d’accélérer la mise en œuvre de l’Accord, vu la détérioration de l’aspect sécuritaire au nord mais aussi au centre du pays », a justifié le nouveau porte-parole de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), Mossa Ag Attaher.

Pour avancer sur les axes prioritaires, dont certains issus de la feuille de route du 22 mars 2018, les parties ont élaboré une feuille révisée à mettre en œuvre d’ici fin 2019. Elle met l’accent, selon le porte-parole de la CMA, sur « la finalisation du DDR, l’envoi en formation des éléments du MOC qui ont fini le DDR et la mise en route rapide de la Zone de développement des régions du Nord, et invite toutes les parties à œuvrer pour que le dialogue inclusif ait lieu et que les éléments de l’Accord qui nécessitent clarification ou interaction entre les parties et les acteurs sont vus afin d’intégrer ce qui doit l’être dans la Constitution en révision ».

Le nouvel élan affiché ne convainc pas Boubacar Bocoum, analyste politique et spécialiste de la communication institutionnelle. « Je ne pense pas qu’il accélère grand-chose, parce que les aspects évoqués dépendent des moyens financiers promis par les bailleurs. L’État n’est pas entré en possession de ces montants et s’il n’y a pas d’argent les discours sont inutiles ». « Il s’agit d’une feuille de plus, qu’on ne pourra pas appliquer. Ils sont dans leur rôle, sauf que pendant ce temps la crise perdure ».

Accord pour la paix : Faut-il une relecture ?

Le 15 mai 2015, la salle Djeli Baba Sissoko du Centre international de conférences de Bamako accueillait solennellement la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale entre le gouvernement du Mali et la Plateforme, puis avec la CMA un mois plus tard. Un vent d’espoir soufflait. Quatre ans après, la situation a empiré et certains s’interrogent sur la viabilité de l’Accord en l’état.

Chaque jour qui passe, le sang coule dans une partie du territoire national. Des attaques armées, des mines, des braquages, ont installé un climat de terreur inégalé. Pourtant, il y a quatre ans, un Accord pour la paix et la réconciliation nationale à l’issue du  processus d’Alger avait été conclu en deux temps entre le gouvernement, la Plateforme et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA).  Sa mise en œuvre prévoyait tout, sauf la situation actuelle de violence du nord au centre. Pour le porte-parole de la CMA, « c’est le manque de volonté qui a fait qu’il y a un pourrissement de la situation ». « Aujourd’hui, nous ne sommes pas en train de perdre seulement le Septentrion du pays, mais aussi le Centre et le Sud. Nous avions dit qu’il fallait une armée nationale refondée, reconstituée et redéployée dans les régions septentrionales pour circonscrire l’ensemble des problèmes de sécurité auxquels nous pouvions faire face, mais on ne nous a pas écoutés », se plaint Mahmoud Ould Mohamed. Selon lui l’aggravation de la situation découle du retard accusé dans la mise en œuvre et du fait d’avoir occulté les axes principaux de l’accord. « Quand nous avons signé l’accord, en 2015, le problème de Mopti et du Centre n’existait pas. En 2014 et 2015 on cherchait à redéployer l’armée à Kidal. Aujourd’hui il y a des difficultés à le faire à Ségou et à Mopti », précise-t-il. Le porte-parole de la CMA estime que l’Accord devrait s’attaquer aux axes majeurs, comme la révision constitutionnelle, au lieu de s’attarder sur les autorités intérimaires ou le MOC, 48 mois après sa signature. « Cela n’est plus du retard mais un rejet », accuse-t-il.

Relire l’Accord ?

Ces absences de progrès et la crainte d’une partition programmée du pays  alimentent les velléités de relecture de l’Accord afin de l’adapter au contexte et pour le faire accepter par le peuple. « Il est aisé de constater que sur le terrain l’Accord n’a pas instauré la paix, parce qu’il n’émane pas des communautés concernées. Il a été conçu et imposé du dehors », explique le Professeur Issa N’Diaye. Il ajoute « l’insécurité et les conflits armés ont créé une économie malsaine, dont se nourrissent certains groupes armés » et « on ne saurait arriver à la paix sans démolir les bases de cette économie malsaine ». En outre, de la signature de l’Accord à aujourd’hui, de nouveaux acteurs sont apparus sur le terrain. « L’État est confronté à une réalité tellement complexe que s’attaquer à la mise en œuvre de l’Accord demande au préalable un certain nombre des réformes institutionnelles. Or, à ce niveau, il y a la réticence de la société civile, l’instabilité politique et le chef de l’État lui-même, qui semble être à l’arrière-plan sur toutes ces questions », relève le politologue Ballan Diakité. Selon lui, il y a des craintes qui expliquent la « nonchalance » de l’État. « Demander à un État fragilisé de mettre en œuvre un accord pour l’autonomisation de certaines régions alors qu’il y a des velléités séparatistes, c’est précipiter d’une certaine façon la division ». Le Professeur Issa N’Diaye pense que « cet accord est mauvais » et que « sa viabilité passe par sa renégociation avec les populations concernées ». Une alternative qui ne fait pas l’unanimité. « Il est prévu que les parties maliennes, entre elles, discutent d’un certain nombre des choses, mais il n’est pas question de remettre l’Accord sur la place publique pour en débattre avec des partis politiques ou d’autres », réfute le porte-parole de la CMA.

Sidi Brahim Ould Sidatt : « Notre volonté n’a jamais été de participer au gouvernement »

Du 27 au 29 avril s’est tenue à Kidal la 6ème session du Comité directeur de la CMA. Au cours de cette  cérémonie, le Président en exercice,  Alghabass Ag Intallah, a passé le témoin à Sidi Brahim Ould Sidatt pour six mois. Le nouveau Président, Secrétaire général du MAA détaille ses ambitions pour ce nouveau mandat.

Sous quel signe placez-vous votre mandat ?

Celui de la continuité dans le processus de mise en œuvre de l’Accord. Une feuille de route a été  signée avec le gouvernement du Mali et l’ensemble des acteurs lors de la dernière rencontre du Conseil de sécurité de l’ONU. Celle-ci parle des réformes politiques et institutionnelles, de l’armée reconstituée, de la formation et du déploiement des premières unités, de la zone de développement du nord. Ce sont les priorités, mais il faut aussi doter les autorités intérimaires d’un appui pour qu’elles puissent financer des activités socio-économiques pour les populations. 

Quelle analyse faites-vous de la mise en œuvre de l’Accord ?

Beaucoup d’activités ont été faites au cours des  quatre années, mais elles ont été superficielles. Les actions essentielles pour rendre l’Accord irréversible n’ont pas été menées, notamment la réforme constitutionnelle, la reconstruction d’une armée nationale, capable de défendre l’intégrité de tout le territoire, et une zone de développement avec une stratégie spécifique, qui permettra de mettre les régions du Nord au même niveau que les autres parties du pays. 

Un affrontement vous a opposé au MSA le 3 mai à Talataye. Comment est-il advenu ?

D’abord, le poste de la CMA qui est à Talataye est constitué essentiellement des populations de cette localité. Nous avons pour l’installer travaillé avec des gens du MSA. Nous l’avons mis en place d’un commun accord dans la quiétude et l’entente.  L’attaque est venue du côté du MSA. C’est à eux qu’il faut demander pourquoi ils ont attaqué un poste dont ils avaient consenti à la mise en place. S’ils devaient le faire, ils auraient dû nous appeler pour que nous puissions trouver une solution sans en arriver à l’affrontement. La CMA est perplexe jusqu’à présent par rapport à ce qui a poussé les gens du MSA à délibérément violer le cessez-le feu.

Que pensez-vous de l’Accord politique ayant abouti à la composition du gouvernement ?

Notre volonté n’a jamais été de participer au gouvernement, mais à la mise en œuvre de l’Accord délibérément signé par les parties maliennes. Si ce gouvernement dit de large ouverture est prêt pour la mise en œuvre de cet accord, nous ne pourrons que le féliciter.

Fahad Ag Almahmoud : « Nous ne pouvons pas accepter que cette tendance prenne le contrôle de la Plateforme »

La Plateforme des Mouvements du 14 juin 2014 d’Alger, partie signataire de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale est depuis quelques semaines sujet à des dissensions internes.  Le dernier acte de discorde était le retour au CSA du secrétaire général du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) en lieu et place de son secrétaire permanent. Fahad Ag Almahmoud, secrétaire général du GATIA, membre de la Plateforme, explique les points d’achoppements.

Qu’est-ce qui explique les dissensions au sein de la Plateforme ?

Après la signature de l’Accord en 2015, on nous a communiqué le nombre des représentants de la Plateforme au sein du Comité de suivi de l’Accord (CSA). Il y a eu un tiraillement entre le secrétaire général du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), Ahmed Ould Sidi Mohamed et  son secrétaire permanent.  Nous, nous avons estimé à juste titre que le secrétaire permanent nous est plus utile que le secrétaire général, vu l’âge de ce dernier, ses problèmes de santé et sa lucidité. Nous avions donné la liste mais quelques temps après il écrit au CSA pour dire qu’il conteste. Le CSA a estimé que la Plateforme a donné une liste et il a été prié de sortir de la salle en 2016. Entre temps, il y a eu un problème d’humeur entre la branche MAA de Tombouctou et celle de Gao. Cette dernière a écrit au CSA pour lui demander d’enlever le secrétaire permanent. Le président du CSA a donné une suite favorable à cette missive, or qu’en 2016, la demande avait été déboutée. Et cela,  sans donner aux parties concernées une marge de manœuvre suffisante à fin de parvenir à un compromis.  Au sein aussi de la Plateforme et de la CMA il y a des mouvements qui ont des liens avec des groupes terroristes et d’autres qui n’en ont pas et qui les combattent comme nous. C’est en fonction de cela que défendons ou pas. C’est ce qui a créé notre proximité avec la tendance de Moulaye Ahmed Ould Moulaye Reggani (secrétaire permanent), car  nous pensons que l’autre de Gao est complètement sous les ordres de la CMA.  Nous ne pouvons pas accepter que cette tendance prenne le contrôle de la Plateforme.  Ce vieux a vécu 35 ans en Mauritanie et n’a aucune attache militaire chez nous.

Que comptez-vous faire ?

Nous ne comptons plus être assimilés à des gens qui n’ont pas le même agenda que nous. Nous tous faisons partie de la Plateforme originelle. Chacun de nous est là parce qu’il représente des hommes en armes. On ne peut pas faire sortir celui qui représente ces hommes  et amener quelqu’un qui ne représente personne. Je ne peux pas comprendre que le président (Algérie) du président du CSA (Ahmed Boutache) ait été obligé de démissionner il y a quelques  semaines parce qu’il est inapte, et que, dans le même temps, ce dernier veuille que nous acceptions une personne tout aussi inapte. Nous comptons entreprendre tout ce qui rendra audible notre mécontentement.

Ces dissensions ont –elles un lien avec Me Harouna Touré que vous récusez?

Tout le monde sait depuis très longtemps que Me Harouna Touré est au service de la CMA. Nous ne partageons plus les mêmes valeurs. Il n’est plus notre porte-parole  et même la CMFPR a officiellement écrit au président du CSA et à la communauté internationale pour leur dire qu’il ne les  représente plus. Lui et ce vieux sont tous au service d’une certaine partie obscurantiste de la CMA.

 

Sidi Brahim Ould Sidatt : « Nous avons accepté 90% du décret»

Du 8 au 9 avril s’est tenu à Bamako la « Concertation de haut niveau Défense et sécurité », consacrée à l’adoption d’une version définitive et consensuelle du projet de décret fixant les modalités d’attribution de grade, de fonction de commandement et de reclassement des ex-combattants des mouvements signataires candidats à l’intégration dans les corps constitués de l’État, y compris dans les Forces armées et de sécurité. Tous les participants ont validé le projet, sauf la CMA. Sidi Brahim Ould Sidatt, chef de la délégation de la Coordination explique à Journal du Mali pourquoi.

Pourquoi la CMA n’a-t-elle pas signé ce texte ?

Il y avait un détail dans le projet qui demandait un petit traitement politique. Nous avons laissé le temps à la partie malienne de se concerter pour résoudre cela. Il n’y avait rien de grave. Nous avons accepté 90% du décret mais il restait ce petit détail,  qui permettrait de liquider totalement la situation des grades.

Quel était ce détail ? 

C’est un petit détail politique par rapport au retour des anciens FAMAs. Cela permettrait d’évacuer tous les problèmes de ceux qui sont vivants, décédés ou handicapés. C’est à tous ces cas  de figure qu’il faut trouver une solution. Il ne faut rien laisser en suspens. On ne peut pas traiter un cas et occulter les autres. Il faut trouver des solutions pour ceux qui sont physiquement aptes, pour ceux qui sont invalides et pour ceux qui sont décédés. C’est ce que le décret doit dire politiquement.

Pour certains analystes, votre suspension du cadre de concertation en mars et ensuite l’absence de votre signature sur ce projet de décret dénotent d’un manque de volonté d’accélérer la mise en œuvre de l’Accord…

Nous avons quitté le cadre de concertation parce que nous ne nous sentions pas bien dans ce cadre. Nous avons dit au gouvernement de ramener tous les projets de décrets dans ce cadre de concertation. Il a la prérogative d’analyser tous les projets avant la signature des décrets, mais si ceux-ci ne passent plus par lui, il n’a plus aucune raison d’être. Le gouvernement a décidé récemment de ramener tous les décrets qui ne sont pas passés par le cadre formel mis en place dans ce « cadre normal » pour y être modifiés. Il a pris l’engagement aussi que le cadre serait respecté par tous les ministres. C’est nous, les parties maliennes, qui avons mis en place volontairement ce cadre, donc il n’a aucun sens si on se met à le violer.

Boubacar Bocoum : « La CMA ne peut prendre tout un pays en otage »

Le gouvernement a institué à travers un décret en date du 08 mars l’opération ‘’Dambé’’ qui doit couvrir l’intégralité des régions du nord et du centre. Il créé aussi à travers un arrêté des bataillons d’unités spéciales dans ces régions pour faire face à l’insécurité et lutter contre le terrorisme. Le politologue Boubacar Bocoum analyse l’impact de ces nouvelles mesures rejetées par la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA).

Que pourront apporter ces nouvelles mesures dans la situation actuelle ?
En réalité, elles n’apporteront pas grande chose. Elles permettront seulement de montrer que l’armée est en train de se réorganiser. Ce qui n’arrange pas la CMA. Même si vous transporter l’armée des États–Unis au Mali, elle ne changera rien à la situation sécuritaire aujourd’hui. Il faut revoir l’organisation et la vision politique. Il s’agit d’une tentative de maillage de terrain, mais aucun bataillon ne pourra empêcher des attaques. La solution doit être globale en résolvant les problèmes économiques, sociologiques et politiques. En ce moment, les attaques deviendront un problème résiduel. Au lieu de créer des bataillons à tort et à travers, pourquoi ne pas désarmer les mouvements?
La CMA a rejeté ces dispositions estimant qu’elles violent l’accord alors qu’en même temps la Plateforme et d’autres mouvements y adhèrent. Qu’est-ce qui s’explique cela ?
Elles ne violent pas l’accord. La CMA pense que c’est elle l’État alors qu’elle est une entité qui est à l’intérieur du Mali et qui a signé un accord dans lequel elle reconnaît l’intégrité et l’autorité de la République. Donc, elle ne peut pas remettre en cause l’autorité de l’État. L’État a le droit et le devoir de prendre des initiatives et ses initiatives s’imposent à la CMA si elles visent à consolider la paix et des intérêts de la Nation. La CMA a les armes et fait du chantage à l’État. Quant à la plateforme, ses objectifs sont différents. Elle a toujours été plus ou moins un mouvement qui accepte dans ses principes fondamentaux L’État du Mali. La CMA ne peut pas être une entité qui prend tout un pays en otage. A un moment donné, il faut s’inscrire dans la construction nationale.
Pourrait-il y avoir un lien entre l’attaque de Dioura et son opposition à ces mesures ?
Il y a toujours des spéculations possibles. Aucune preuve n’indique qu’elle fait partie, mais puisqu’elle est sur le terrain, les portes sont ouvertes pour qu’elle soit suspectée. Ses services de renseignement doivent être bel et bien au courant de ce qui s’est passé mais pourquoi n’ont- ils pas informé les autorités ? Ce sont des spéculations mais elle est suspecte à cause de son attitude.

 

Alhamdou Ag Illyene : « Il faudra panser toutes les plaies »

Du 2 au 4 février, le Conseil supérieur des Imghads et Alliés tiendra à Gao une rencontre autour de la cohésion sociale et du vivre ensemble. La question sécuritaire sera aussi au cœur des échanges, avant une autre rencontre, plus large, sur les mêmes sujets. Alhamdou Ag Illyene,  Vice-président du Conseil et ancien ambassadeur du Mali au Niger, répond aux questions de Journal du Mali sur cette initiative.

Pourquoi cette rencontre ?

La cohésion sociale, le vivre ensemble, mais aussi la sécurité, dans le cadre de l’Accord.

Quels sont les thèmes qui seront traités ?

D’abord la réconciliation. Par choix politiques et options diverses, les personnes ont été amenées à se dissocier. Cela a dégénéré par endroits et a même conduit à des conflits. Il y a des antagonismes et des conflits d’intérêts et de leadership qui ont fait que les gens se sont retrouvés de part et d’autre. Certains dans la République, certains dans les mouvements, certains dans des mouvements opposés et d’autres dans des groupes armés non signataires. Tout cela a amené des tensions qui aujourd’hui causent énormément de préjudices à la population. Il y a eu des morts d’hommes. Maintenant, il faut une normalisation. Il est important que les gens s’acceptent dans leur diversité. Certains vivent sur le même espace et sont dans des mouvements différents, à la CMA, à la Plateforme, dans des partis de l’Opposition ou de la Majorité. De 2012 à nos jours, il y a eu trop de conflits. Il faudra panser toutes ces plaies et revivre les uns aux côtés des autres.

C’est une rencontre des Imghad et Alliés uniquement ?

Pas seulement. Il y a des Imghad qui sont à la CMA et d’autres qui ne sont dans aucun mouvement, même si c’est rare. Il s’agit essentiellement de communautés des deux côtés du fleuve, Haoussa et Djerma, et de Ménaka et Kidal. Nous essayerons d’identifier les foyers de tensions pour les assainir.

D’autres communautés vivent les mêmes situations, pourquoi ne pas les associer ?

Cela est prévu lors de la grande rencontre que le comité de pilotage va organiser plus tard. Nous l’avons reportée pour des problèmes de logistiques et de calendrier. Il nous semblait plus intelligent de régler les conflits à petite échelle d’abord.  

Quelle lecture faites-vous des attaques contre la coalition MSA / GATIA à Ménaka et Gao ?

Le MSA et le GATIA sont des mouvements qui ont pris des positions, adopté une certaine ligne de conduite. La question est pourquoi ces deux mouvements seulement sont attaqués? L’Accord est très clair. Il a des principes, la paix, la réconciliation et la sécurisation, ce que le MSA et le GATIA font. Quand vous vous attaquez à ceux qui créent l’insécurité, attendez-vous à des réactions.

Insécurité : Le centre fait-il oublier le nord ?

Dans le nord du pays, des personnes sont assassinées, souvent en masse. Au centre de l’attention au début de la crise, cette zone est supplantée depuis des mois par des violences, tantôt de milices communautaires, tantôt de groupes djihadistes au centre. Qu’en est-il ?

« Le bilan est passé aujourd’hui à  49 morts, parce qu’un blessé a succombé », informe Mohamed Ag Albachar, porte-parole du Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA). Ce chiffre macabre est le résultat du forfait commis par des « bandits armés » en motos à l’est de Ménaka, les 11 et 12 décembre. Les victimes étaient de la communauté Daoushak, principale base du mouvement. Quelques semaines plus tôt, le 12 novembre, une attaque terroriste menée par des hommes non identifiés faisait trois morts et de nombreux blessés à Gao, malgré la présence des nombreuses forces armées. À Tombouctou, le constat est similaire. Les  populations se sont habituées aux violences. « Le centre est devenue l’épicentre de la crise, mais l’arbre ne cache pas la forêt. Cela ne fait pas ombre aux exactions qui se passent au nord », rappelle Drissa Traoré, coordinateur du projet conjoint AMDH –  FIDH. Des mesures sécuritaires sont annoncées pour réduire le banditisme dans les régions de Gao et Tombouctou. « Il est vrai qu’il y a une recrudescence des exactions au nord, mais ce qui se passe au centre est très grave», reconnait le charge de communication du MSA. La situation « est préoccupante » parce que les milices locales sont devenues un véritable danger pour la cohésion sociale et la paix. « C’est au centre qu’il y a le plus d’affrontement intercommunautaires. Il a fait oublier le nord, mais c’est surtout parce que l’ennemi au nord est connu, alors qu’au centre il y a également des populations locales qui s’affrontent », souligne Dr Fodié Tandjigora, sociologue à l’Université des lettres et sciences humaines  de Bamako. Il y a urgence selon lui, « c’est à gérer rapidement parce qu’il y a un risque que cela se transmette à la future génération ».

La MINUSMA a déployé une équipe spéciale d’enquête sur le lieu des exactions à Ménaka « pour établir les faits et les circonstances » de ces exécutions. L’AMDH et la FIDH invitent les autorités « à mener des enquêtes sur ces crimes qui ne peuvent pas être tolérés », soulignant la recrudescence d’actes insoutenables.

Ménaka : 42 civils de la communauté Idaksahak tués

A Ménaka, de nouveaux crimes ont été commis dans plusieurs localités à l’est de la région, vers le Niger voisin. Une quarantaine de civile ont été exécutés par des individus armés se déplaçant sur une vingtaine de motos. Une tragédie qui se répète dans cette partie du pays où sévit l’État Islamique au grand Sahara.

« 42 civils ont été exécutés dans leurs campements parmi lesquels deux enfants de moins de huit ans », annonce le communiqué en date du 12 décembre du Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA). Ce mouvement est essentiellement composé de membres de la communauté Idasahak et est dirigé par Moussa Ag Acharatoumane. Les faits macabres se sont déroulés entre la nuit du 11 et la matinée du 12 décembre. Des hommes armés se déplaçant sur une vingtaine de motos « ont fait irruption dans plusieurs localités au sud de la région et ont exécuté des civils » de cette communauté. Ces crimes se seraient déroulés entre la localité de Tinabaw située à 20 km de la ville de Ménaka et celle de Tabangout-Tissalatene à environ 50 km. Selon le communiqué du MSA, « les assaillants après leur forfait sont repartis vers la frontière nigérienne après avoir allumé un feu de brousse.» Des troupes du MSA, du GATIA, de la CMA et des forces armées maliennes ont été dépêchées sur les lieux du « massacre ». Trois blessés, rescapés de la tuerie ont été évacués sur l’hôpital de Ménaka. Tout en condamnant « avec la plus grande fermeté ces crimes abominables », le MSA appelle la cellule de droits de l’homme de la MINUSMA à faire la lumière sur cette affaire. Pour la même circonstance, le mouvement demande aux organisations humanitaires et au gouvernement malien de venir « urgemment » en aide à ces populations en situation difficile. Dans un communiqué en date du 13 décembre la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) se dit « indignée qu’au jour même de la célébration de la Journée internationale des Droits de l’Homme » que « ses principes sont souillés par le massacre d’innocents ».  La CMA appelle « à plus de déterminations afin que des dispositions draconiennes soient prises pour que cesse ce genre de massacres ».

Ce n’est pas en effet la première fois que des civils de cette communauté sont pris pour cible. Il y quelques mois déjà des exactions ont été rapportées dans cette partie de la région. Le plus souvent, ce sont des conflits intercommunautaires entre les Idaksahak et les peuls qui sont mis en avant. Mais la présence du groupe Etat islamique au Grand Sahara, dirigé par Abou Walid Al –Sahraoui a semé le chaos. Ses éléments en représailles à la guerre que lui mène la coalition GATIA-MSA en collaboration avec Barkhane, ciblent des civiles  proches de ces mouvements.

Ces récentes violences, risquent de se multiplier, au regard de la situation. Pourtant,  cette région était  considérée autrefois comme une exception à l’insécurité et à la criminalité.

Mahmoud Ould Mohamed : « Ce DDR accéléré est un premier processus de mise en confiance»

La cérémonie du lancement officiel du programme DRR des ex-combattants des groupes armés présents dans le MOC de Kidal, Gao et Tombouctou a eu lieu le 6 novembre à Gao.  L’enregistrement des 1 600 premiers d’entre eux s’est tenu le lendemain. Mais les intéressés demandent des garanties sur certains points avant de s’engager dans un processus qui pourrait leur être fatal. Le porte-parole de la CMA, Mahmoud Ould Mohamed, présent lors du lancement, explique ses réserves.

Qu’est-ce qui explique les réticences des combattants à s’engager dans le processus ?

Ce sont des incompréhensions et un manque de communication. Depuis qu’on a déclenché le système de DDR accéléré, la  commission technique de sécurité (CTS) qui gère le MOC  n’avait pas fait de feedback aux intéressés par rapport aux questions qu’ils soulevaient, notamment sur les grades et les statuts de ceux qui sont morts ou blessés au cours des différents attentats. Ils attendent plus de réponses et d’éclaircissements que des questions de revendications. La commission DDR a péché sur ce plan pour n’avoir pas procédé à ces genres de flux d’information et de communications avec les intéressés. Au niveau de la CMA nous portons ces revendications à un niveau plus élevé, ce ne doit pas constituer un blocage pour nous.

Avez-vous la même compréhension du DDR que les autres parties ?

Nous avons la même vision que le gouvernement et la Plateforme. Le problème c’est beaucoup plus la commission DDR elle-même qui est un peu confuse, parce que son plan de travail n’est pas très clair. Elle pense que ce sont seulement des étapes pendant qu’il y a un travail de communication et d’appropriation qu’il faudrait faire avec les acteurs sur le terrain. C’est ce qui a péché.

En quoi le processus pourrait contribuer à la sécurité dans ces régions ?

C’est pour cela qu’on l’a appelé DDR accéléré, pour essayer de mettre en marche l’armée reconstituée qui commence avec le noyau du MOC. Ils vont faire les mêmes missions dévolues au MOC auparavant, que sont la sécurisation des institutions et les patrouilles mixtes. Ils vont rentrer dans le processus et être redéployé immédiatement. C’est le noyau de l’armée reconstituée.

Est-ce que l’objectif à terme d’un désarmement des groupes armés est atteignable ?

Une fois que le processus se met en place sur le plan politique et sécuritaire il n’y a aucun problème. Le désarmement n’a jamais été un blocage. Mais il a toujours été sur les avancées politiques. Ce DDR accéléré est un premier processus de mise en confiance entre les acteurs. S’il marche, désarmer devient une question banale.

Point-presse MINUSMA: Pacte pour la paix, de l’ordre enfin ?

La Minusma  a tenu le 18 octobre à son siège à Badalabougou, son traditionnel point de presse bimensuel. Son  porte-parole, Olivier Salgado  est revenu sur les dernières activités de la mission avant d’introduire l’invité spécial Danilson Lopes Da Rosa, responsable de la médiation de la MINUSMA. Ce dernier a développé l’objectif  visé par le pacte pour la paix signé le 15 octobre entre le gouvernement et l’ONU avec l’adhésion des mouvements signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation.

Un nouveau document d’à peine trois pages fait désormais  figure de canevas de référence pour  l’accélération de la  mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation. Le pacte pour la paix, a été signé lors de la 28e session du Comité de suivi de l’Accord entre les Nations unis et le Gouvernement du Mali, avec l’approbation de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et de la Plateforme, parties prenantes de l’Accord. « Cet acte fort a  pour but de réaffirmer l’engagement des différentes parties pour la résolution du conflit », explique le porte-parole de la Minusma, Olivier Salgado. Ce document avait été annoncé par la résolution  24-23 du conseil de sécurité de l’ONU.

Plus d’engagements des partis                    

Même si le pacte poursuit le même objectif qui est la mise en œuvre de l’Accord, elle insiste selon le représentant de la médiation sur des éléments nouveaux, tel l’inclusivité . « Il faut prendre en compte les réalités sur le terrain, car il y a des groupes armés qui ont  une importance au niveau locale », souligne-t-il. « Nous sommes arrivés à un moment ou les mouvements armés doivent penser  à autre chose qu’être dans une logique de mouvements armés », ajoute Danilson Lopes Da Rosa.  L’invité du jour a rappelé que « la responsabilité de la mise en œuvre de l’Accord incombe au gouvernement et aux groupes signataires, appuyés par la communauté internationale.» Le pacte stipule qu’en cas des divergences dans la mise en œuvre de l’Accord, les décisions de la médiation auront un caractère exécutoire. Une nouveauté aussi qui découle d’un constat selon le conférencier. « Nous prenons des décisions aux CSA mais quand on quitte la salle,  chacun fait comme si la décision n’a jamais été prise », dit –il. « Nous essayons de mettre de l’ordre .Mieux vaut tard que jamais », a-t-il poursuivi.

Défier le statu quo

C’est face à l’absence des progrès tangibles trois ans après la signature de l’Accord qu’une telle idée est née.

Avant la signature du document, des négociations ont été menées pour harmoniser les points de vue entre la CMA, la Plateforme, le Gouvernement et la médiation internationale. Le texte a ainsi été retravaillé pour que toutes les parties s’y retrouvent. « Comme les mouvements ne doivent pas signer,  et que c’est un pacte entre  le Gouvernement et les Nations-Unies, il a été décidé que la CMA et la Plateforme fassent une déclaration d’adhésion », informe  le médiateur.

Pour  atteindre les engagements, toutes les décisions en lien avec la mise en œuvre de l’Accord sont désormais prises  au sein du  ministère de la Cohésion sociale, de la Paix et de la Réconciliation nationale. « Les parties maliennes se réunissent dorénavant tous les jeudis pour débattre de tous les sujets en conformité avec les quatre piliers de l’Accord », assure Danilson Lopes Da Rosa.

Dr. Anasser Ag Rhissa: « L’inclusivité est l’élément clé de ce pacte pour la paix »

Pour accélérer la mise en œuvre intégrale et inclusive de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, les Nations unies et le Gouvernement du Mali ont signé, le lundi 15 octobre 2018 à Bamako, le pacte pour la paix. Anasser Ag Rhissa, expert TIC, Gouvernance et Sécurité, répond à nos questions sur les contours de ce pacte qui doit  booster le processus.

 

La signature du pacte pour la paix marque-t-elle un tournant ?

Cette signature du pacte pour la paix entre les parties prenantes à l’Accord pour la paix et la réconciliation est un tournant décisif et une stratégie pour garantir l’engagement des acteurs concernés pour une mise en œuvre diligente, intégrale et inclusive de cet accord.

En quoi ce pacte pourra-t-il accélérer sa mise en œuvre ?

En fixant une vision et un objectif précis pour les acteurs concernés, assortis d’un chronogramme, de critères de suivi-évaluation pour valider sans complaisance le bon déroulement de la mise en œuvre de l’accord de paix. En appliquant aussi des sanctions, après des enquêtes sérieuses, si une partie prenante empêche le bon déroulement de cet accord.

En cas de divergences dans la mise en œuvre de l’Accord, les décisions de la médiation auront un caractère exécutoire. Pourquoi l’autorité de la médiation et comment pourrait-elle être accueillie par les parties signataires ?

La nécessité d’un leadership global, indépendant des parties signataires, sur le suivi de l’accord de paix explique cette autorité de la médiation. Elle serait bien accueillie par les autres parties signataires en cas d’indépendance de ce leadership et d’une bonne gouvernance, sans complaisance du suivi de cet accord de paix et des engagements pris par les acteurs.

« A terme, l’ensemble des mouvements et groupes armés est appelé à disparaitre pour laisser place à une armée reconstituée,  fondée sur la diversité et les valeurs républicaines ». Cet engagement est-il tenable ?

Cet engagement est tenable, de façon graduelle, au fur et à mesure que les différents MOC (Mécanismes opérationnels de coordination) s’installeront dans les régions du nord du Mali et au centre ainsi et que se déploiera le DDR (Démobilisation, désarmement et réinsertion) qui doit alimenter ces MOC. Tout se fera de façon progressive.

Ce pacte pour la paix implique-t-il d’autres acteurs en dehors de l’Accord ?

L’inclusivité est l’élément clé de ce pacte pour la paix. De ce fait, des acteurs maliens en dehors de l’accord de paix tels que certains membres de la CME (Coordination des mouvements de l’Entente), les milices au centre du pays et la société civile devront être intégrés dans ce pacte pour la paix. Déjà, le Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga a promis l’intégration de cent membres de l’association Dan Amassagou dans ce pacte pour la paix.

 

Zahabi Ould Sidy Mohamed : « Le DDR ne restera pas éternellement ouvert »

La date limite pour l’application effective du processus de désarmement, démobilisation et réinsertion est prévue pour ce 15 octobre. Longtemps une arlésienne, le DDR semble désormais en passe d’enclencher la vitesse supérieure. Le président de la commission nationale de désarmement, démobilisation, et réinsertion (CNDDR) Zahabi Ould Sidy Mohamed revient pour nous dans cette longue interview sur les différents aspects du processus.

Quelles sont les avancées enregistrées depuis la mise en place du DDR ?

Le processus de désarmement, de cantonnement fait partie des mandats de la commission nationale désarmement, qui a été mise en place au dernier trimestre 2017. C’est une structure qui est prévue par l’accord de paix et qui est composée de commissions mixtes dans lesquelles on retrouve les parties signataires, c’est-à-dire essentiellement le gouvernement, la CMA et la Plateforme. Plus tard, pour des questions d’inclusivité, les commissions verront leurs effectifs augmenter, parce que les mouvements au cours du processus se sont éclatés en sous-groupes à cause de divergences. Nous avons toutes les structures qui sont déjà mises en place et ce au niveau national et régional. Les différentes antennes sont opérationnelles. Le travail de la commission se divise principalement en trois étapes. La première qui est la mise en place des structures est déjà terminée. La deuxième est celle de l’enregistrement des combattants. Il était convenu que les mouvements donnent la liste de leurs combattants quatre mois après la signature de l’accord, malheureusement ceci a pris du retard pour diverses raisons. Si je devais faire un bilan d’étape, les structures sont en place, le personnel est formé et nous en avons presque fini avec le processus d’enregistrement. Nous avons plus de 32 000 combattants enregistrés, certains avec leurs armes et d’autres avec des munitions. Nous avons une date butoir qui est le 15 octobre afin que les derniers registres nous parviennent. Vous avez des retardataires, des indécis.

Et pour ceux qui n’auraient pas transmis les listes avant cette date ?

Les mouvements ont une réserve sur la date. Ils nous disent que d’autres de leurs combattants doivent arriver bientôt. Mais, il nous faut des repères. Si après le 15, d’autres se présentent cela fera l’objet d’une discussion au niveau du comité de suivi de l’accord (CSA) qui l’acceptera ou le refusera. Le DDR ne restera pas éternellement ouvert, parce que nous n’en finirons pas.

Le processus a connu du retard. A quoi cela était-il dû ?

Le DDR ne se déroule pas de manière isolée. Il est lié au processus politique. L’accord prévoit plusieurs volets : politico-institutionnel, sécurité-défense, développement et le volet humanitaire. Ces quatre volets sont souvent liés, et dans les négociations, les parties ne veulent pas lâcher du lest sur un aspect avant de connaitre les progrès liés aux autres aspects. Les combattants se disent également que s’ils donnent leurs armes, ils n’auront plus de moyen de pression. Sans compter qu’ils avancent en avoir besoin pour se sécuriser dans des zones hostiles, puisqu’AQMI et les autres groupes djihadistes sont contre le processus. Vous avez aussi une révision de la constitution qui s’impose pour mettre en place un sénat. Des autorités intérimaires qui ne progressent pas beaucoup, tout ceci est un package qui fait que les choses trainaient.

Quelles sont les conditions d’éligibilité pour les combattants ?

Pour un programme DDR, il est très important d’avoir une banque de données. Cette dernière servira de document de référence pour tous les autres volets. Nous avons les critères d’intégration sur lesquelles les parties sont d’accords. Ils le sont aussi sur le mode opératoire des cantonnements. Il reste à déterminer le quota de ce que la fonction publique ou les services de l’Etat peuvent absorber. Tout ce monde ne saurait être intégré. Il y a des débuts de discussion entre les mouvements et le gouvernement sur la question. Elles ne sont pas encore finalisées, mais nous espérons qu’elles le seront très vite. Une fois que nous serons fixés, nous commencerons le screening. C’est-à-dire tous les combattants qui se sont pas enregistrés passeront par le processus DDR qui se chargera d’abord de les identifier. Le processus n’est que pour les nationaux. Les étrangers ne sont pas concernés. Ensuite, nous ferons un test militaire pour savoir si réellement c’est un combattant ou un civil en arme. Par la suite, il y aura un test de santé sur les standards de recrutement dans l’armée nationale. Nous avons aussi le critère de l’âge, le recrutement concerne ceux qui ont de 18 à 35 ans. Au delà, ils ne seront pas éligibles à l’intégration y compris pour ceux qui iront à la fonction publique. Nous l’avons fixé en conformité avec la législation malienne. Passé un certain âge, vous êtes admis à la retraite. Et si tu es recruté à 40 ans, il y a des risques que tu ne puisses pas bénéficier de pension complète à la fin de ta carrière.

Quid de ceux qui ne seront pas intégrés ?

Tous ceux qui ne pourront pas être intégrés seront redirigés vers la réinsertion socio-économique. Elle est composée de trois catégories. La première est pour ceux qui optent pour l’apprentissage des petits métiers. Une fois la formation finie, nous leur donnons des kits d’installation. Pour cela, nous avons des partenaires, un programme de soutien de la Banque mondiale pour lequel nous avons déjà eu un premier financement destiné à 4000 combattants. Le deuxième est celui de la réinsertion communautaire. Le conflit a impacté les communautés. Les armes ne sont pas seulement détenues par les combattants. Des communautés aussi en ont pour l’auto-défense. Nous avons une approche que nous appelons arme contre développement. Puisqu’ils ont mis de l’argent dans ces armes, en contrepartie pour les récupérer, nous leur proposons de réaliser des projets d’intérêt communautaire. Nous ne voulons pas acheter les armes. L’expérience a montré que dans d’autres pays où le cash était utilisé, cela créait un trafic d’armes énorme. Nous avons une troisième catégorie : les projets pilotes de réinsertion. C’est destiné à des personnes qui peuvent créer des emplois.

Les sites de cantonnement sont-ils prêts?

Il y a dix sites de cantonnement, les mouvements en ont demandé 22. Mais, nous ne pouvons pas attendre. Si nous le faisons, nous en aurons pour dix ans. Ce qui est déjà fait, nous allons les utiliser. La MINUSMA en a construit huit, et le gouvernement en a ajouté deux. Nous allons procéder à des aménagements additionnels dans certains endroits. Il n’en faut pas beaucoup pour faire un site de cantonnement. Une tente, un forage deux conteneurs pour stocker des armes et le compte y est, on ne fait pas des cinq étoiles.

Les conditions sécuritaires sont-elles réunies ?

Nous n’avons pas la sécurité à 100%. Nous comptons justement sur le cantonnement pour améliorer la sécurité. Il y a des risques et nous prenons des mesures afin d’y faire face. Nous comptons commencer le processus de DDR avec les éléments du mécanisme opérationnel de coordination (MOC). Nous débuterons le 5 novembre.

Comment va se faire l’intégration des combattants de la milice Dana Ambassagou annoncée en début de mois ?

C’est un programme spécial, certes une approche similaire mais c’est un peu différent. Le regroupement se fera dans trois endroits : Tenenkou déjà construit, Douentza où il y’a des structures que nous pouvons utiliser et Koro. C’est là où se concentrent les groupes d’auto-défense. Nous ferons un screening là-bas aussi sauf qu’à ce niveau nous aurons du travail à faire en matière des droits de l’Homme. Il y’a eu beaucoup d’évènements là-bas et cela demande des dispositions spéciales. Ce sera comme ce que nous avons fait au nord, où nous avions des guichets de droits de l’Homme qui nous permettait de filtrer afin que les auteurs de graves violations n’intègrent pas les forces de l’ordre.

Comment mesurez-vous l’importance du DDR pour le processus de paix ?

Le DDR est le cœur de l’accord de paix. Tous les Maliens attendent que l’accord apporte la paix, qu’il mette fin à l’insécurité rampante. Si nous ne contrôlons pas les armes, nous tombons dans l’anarchie. Le cantonnement réduira la circulation des groupes armés sur le terrain. Les groupes qui sont hostiles à l’accord seront facilement identifiables par les drones qui surveillent la zone. Une fois le cantonnement effectif, des troupes non autorisées feront face aux forces qui combattent le terrorisme.

Mali : Que se passe-t-il à la CMA ?

Depuis près d’un mois,  des membres de la  Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) sont ciblés. Début septembre, l’un de ses commandants au  MOC de Tombouctou est assassiné. Puis d’autres attaques suivent. La dernière en date est une tentative d’assassinat sur un autre  responsable de la CMA au sein du même mécanisme, le 28 septembre, à quelques encablures de la Cité ville de 333 saints. Que se passe-t-il ?

« Nous pensons aujourd’hui que la CMA dérange beaucoup des gens ». C’est en tout cas à cette conclusion qu’est parvenu Ilad Ag Mohamed, l’un des porte-paroles de la Coordination des mouvements de l’Azawad, mouvement signataire en 2015 de l’Accord pour la paix et la réconciliation  au Mali. Le 28 septembre, le coordinateur du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) de Tombouctou, membre de la CMA, échappe à une tentative d’assassinat en dehors de la ville. Quelques semaines plus tôt, Salim Ould Mbekhi, commandant de ce même mécanisme pour le compte de la CMA, est assassiné par de présumés djihadistes. Pour Ilad Ag Mohamed, « les groupes terroristes s’opposent au MOC et le  considèrent comme leur cible », c’est pourquoi « ils visent très souvent » ses maillons forts.

Si la CMA est harcelée par des groupes terroristes, elle est aussi ces derniers temps dans les viseurs de la Force Barkhane. Le 27 septembre, cette force antiterroriste a arrêté au bureau régional du mouvement de Ménaka huit de ses éléments. C’était à l’issue d’une opération ayant mobilisé 120 parachutistes et des  troupes au sol. Ilad Ag Mohamed, qui n’apprécie pas ce genre d’incursions, s’explique. « Barkhane visait un individu qui n’est pas un membre actif de la CMA. Selon elle, il aurait participé à l’attaque de poste de garde de Ménaka en janvier et serait aussi membre du groupe Etat islamique dans le grand Sahara (EIGS), ce qui est faux ». Pour le journaliste et éditorialiste malien Adam Thiam, la Force Barkhane « intervient généralement quand il y a un soupçon de connexion avec des djihadistes », avance-t-il, sans pointer du doigt aucun groupe. Alors que des voix ne cessent d’invoquer des passerelles entre des groupes djihadistes et certains mouvements signataires de l’Accord, le porte-parole de la CMA apporte quelques éclaircissements. « Il est vrai qu’il y a des mouvements membres de la CMA qui ont un passé islamique, comme le Haut conseil islamique sorti des entrailles d’Ansar Edin. Mais aujourd’hui il n’y a plus aucune relation entre les deux », précise Ilad Ag Mohamed.

Tandis que le GATIA et le MSA mènent à Ménaka, avec Barkhane, des opérations contre des groupes terroristes, la CMA, quant à elle, campe sur ses positions.  « Il y a ceux qui veulent utiliser la CMA comme un mouvement supplétif des armées qui combattent le terrorisme, sans aucune condition. Or, nous nous pensons que notre première responsabilité est de faire tout pour que l’Accord soit mis en œuvre, dans toutes ses dispositions », met ainsi en avant le porte-parole du mouvement. Il ajoute toutefois : « quand on sera parvenu à une armée nationale reconstituée, il n’y a aucun doute que l’une de ses missions urgentes sera la lutte contre le terrorisme ».

Dans ces zones du nord, la question terroriste est complexe et très sensible. Et elle engendre le plus souvent des conflits communautaires et intracommunautaires.

Un nouveau tournant ?

« Il y a un nouveau tournant dans la guerre du nord, à travers l’assassinat d’un membre du MOC à Tombouctou et une plus forte implication de Barkhane dans des questions de proximité à Ménaka et à Kidal », souligne Adam Thiam. Le 26 août dernier, la force française a mené des frappes sur la position d’un membre de l’EIGS dans la région de Ménaka. Sa récente descente dans cette ville est surtout perçue par les analystes comme « un exercice d’avertissement ». « Il y a la volonté de mener une opération de communication », dit Baba Alfa Umar, chercheur sur les questions sécuritaires au Sahel. Selon lui, l’opération de Ménaka est « comme une action tactique faisant partie d’une stratégie robuste, inchangée pour tout ce qui revient comme horreurs depuis le terrain ces derniers semaines », relève-t-il.

Face à ces évènements, la CMA espère une accélération prochaine de la mise en œuvre de l’Accord et entend, dès le 15 octobre, discuter de toutes ces questions pour prendre des mesures internes.

Pacte entre le gouvernement et ONU : À quelles fins ?

La signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale, en 2015, entre le gouvernement, la CMA et la Plateforme, avait suscité des grands espoirs. Mais, trois ans après, les attentes restent énormes. Pour accélérer sa mise en œuvre, les Nations Unies signeront avec le gouvernement  du Mali,  ce jeudi à New York,  un Pacte pour la paix.

En marge des travaux de la 73ème session de l’Assemblée  générale de l’ONU, le gouvernement du Mali  débattra avec l’instance pour la paix mondiale des contours et du contenu du « Pacte pour la paix », qu’ils doivent signer. Même si les différentes parties signataires de l’Accord sont représentées, parleront-elles le même langage lors de ce séjour ? L’objectif de cet engagement, selon la résolution 2423 des Nations Unies, est « d’accélérer l’Accord, contribuer  à la stabilisation du Mali et renforcer  la cohérence des efforts déployés par la communauté internationale au Mali, avec l’appui de la MINUSMA ». Tout d’abord, les Nations Unies souhaitent que ce pacte « repose sur des critères convenus,  liés à la gouvernance, à l’état de droit, et à la mise en œuvre de l’Accord, en particulier de ses principales dispositions… ». Cet instrument permettra de fixer aux parties signataires des objectifs clairs et précis  qu’elles devront avoir mis en œuvre dans les six mois suivant l’investiture du Président IBK.

Pour le moment, le concept et son contenu sont sujets à discussions. Il a été au cœur de la 27ème session du CSA tenue le 18 septembre. C’est pourquoi les conclusions des échanges de New York sont fortement attendues. Pour Sidi Brahim Ould Sidat, chef de la délégation de la CMA au CSA, qui participe d’ailleurs à cette mission, « beaucoup des gens ne comprennent pas le pacte et en ont  une vision différente ». Il estime que les échanges prévus permettront de dégager une compréhension claire du concept et de ses objectifs. « Il doit se baser sur un calendrier bien défini entre les parties maliennes et c’est sur la base de celui-ci que le gouvernement prendra un engagement avec l’ONU pour la mise en œuvre du document », dit-il, précisant que si tel n’est pas le cas le document n’aura pas d’impact.

Avant lui, Me Harouna Touré de la Plateforme avait estimé que le pacte était un acte de plus et que la « sincérité » dans son respect et son application était essentielle pour la suite du processus.

Tombouctou : La situation sécuritaire s’enlise-t-elle ?

Le retour de la paix et de la sécurité est la principale préoccupation des populations maliennes. À Tombouctou, même si on observe un certain calme, le récent assassinat du Commandant du MOC et les supposées infiltrations de groupes djihadistes dans la ville inquiètent quant à  une dégradation du climat sécuritaire. Qu’en est-il ?

« Ce qui s’est passé à Tombouctou n’est pas nouveau. Les assassinats ciblés se font aussi dans les autres régions ». C’est ainsi que Boubacar Ould Hamadi, le Président de l’Autorité intérimaire de la région, perçoit la situation d’insécurité qui peine à être endiguée. Il y a deux semaines, le Commandant du bataillon de la CMA au sein du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) de Tombouctou est assassiné par des individus armés non encore identifiés. Pour la CMA, ce genre d’acte est « un signal fort » de l’infiltration de terroristes dans la ville. Ceux-ci prouvant par la même occasion leur capacité à opérer.

Avant la présidentielle, la multiplication des braquages et enlèvements de véhicules avait suscité une montée des tensions. Depuis, selon le Président de l’Autorité intérimaire, la situation est stable. « La sécurité par rapport à la circulation des personnes et des biens s’est beaucoup améliorée. Nous avons engagé beaucoup de concertations impliquant les communautés. Mais, pour ce qui est des actes d’assassinats ciblés, c’est une question qu’on ne maitrise pas bien », témoigne-t-il.

Tout comme partout dans le Nord, la sécurité n’est jamais garantie. C’est pourquoi, Fousseyni Berthé, Commissaire principal de police de Tombouctou, soutient que la situation est « est calme mais imprévisible ». Selon lui, le tronçon Tombouctou – Goundam est celui qui enregistre le plus d’actes de banditisme, mais il écarte la thèse d’une dégradation du climat sécuritaire.

Alors que jusqu’à présent les patrouilles mixtes, censées sécuriser l’intérieur des villes, n’ont pas encore commencé à Tombouctou, des efforts sont à entreprendre pour instaurer la paix. Le rétablissement de la confiance entre les différentes parties signataires, objectif de ce dispositif, sera le pas qu’il faudra oser. « Seule la mise en œuvre de l’Accord peut être la solution », préconise Boubacar Ould Hamadi, qui ajoute « nous pouvons nous débrouiller pour rassembler les communautés et les s’impliquer dans la sécurité, mais c’est difficile ».

Selon Baba Alkaya, humanitaire à Tombouctou, des séances de sensibilisation auprès des populations sur le vivre-ensemble, la paix et la sécurité sont  entreprises dans la Cité des 333 Saints. Mais des telles initiatives suffiront-elles à faire régner la sécurité ?

Mohamed Ould Mahmoud : « Nous n’accepterons plus qu’un membre de la CMA soit arrêté comme ça… »

Ces derniers jours, la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) secoue l’actualité. Après l’assassinat de son commandant au MOC de Tombouctou, le 9 septembre, deux de ses combattants ont été enlevés le 11 à Tinzawaten, et le 15,  un de ses officiers a été arrêté par la gendarmerie à Bamako. Le porte-parole de la Coordination, Mohamed Ould Mahmoud sur ces différents épisodes.

Comment avez-vous vécu l’arrestation de votre officier ?

Tout d’abord nous avons été surpris par le fait qu’on arrête cet officier, parce qu’il est membre du sous-comité Défense et sécurité du Comité de Suivi de l’Accord (CSA). Il était venu pour cette réunion mensuelle à laquelle il a l’habitude de participer. Pour nous, s’il faut opérer des arrestations dans nos rangs, il serait bon de le faire conjointement avec nous. Nous sommes dans un partenariat. On ne peut pas arrêter un officier d’un si haut rang dans un style qui n’est pas respectable. Dans le style comme dans la forme nous n’avons pas été du tout contents. On a voulu jouer sur notre fibre émotionnelle, mais nous avons gardé notre sang froid.

Qu’est ce qui a motivé cette arrestation ?

Notre officier MOC à Tombouctou, assassiné il y a quelques jours, travaillait sous les ordres d’Ibrahim Ould Handa, qui a été arrêté. Ils ont retrouvé un appel de lui remarqué dans les échanges téléphoniques, ce qui est  tout à fait normal. Après les interrogatoires, il a été libéré, mais ce genre de situation ne devrait pas arriver.

Des rumeurs annonçaient que vous alliez boycotter le CSA du mardi ?

Nous, nous sommes une structure qui mesure l’envergure de sa responsabilité.  Nous voudrions plutôt comprendre pourquoi on a arrêté notre officier. Ceci pose aussi le problème de la sécurité de tous les membres de la CMA qui sont en mission à Bamako pour la mise en œuvre de l’Accord. Nous n’accepterons plus qu’un membre de la CMA soit arrêté comme ça par les structures du gouvernement malien. Nous avons fait notre communiqué mais nous avons participé aux travaux du CSA, pour être dans les fondamentaux et non à la périphérie de l’Accord.

Deux autres combattants ont été enlevés à Tinzawaten. Qu’est ce qui explique cet acharnement contre la Coordination ?

La CMA est la seule qui a une présence géographique dans tout l’Azawad, même  dans les coins les plus reculés. Nous imposons la sécurité. Les intégristes ont dénoncé le MOC et les patrouilles mixtes parce qu’ils savent que ce mécanisme pourrait les mettre en difficulté. Mais, malheureusement, le Mali aussi traine les pieds depuis trois ans. Les ennemis de la paix, aussi longtemps qu’ils pourront frapper, le feront. Il faut que l’armée nationale reconstituée soit déployée rapidement. C’est la priorité des priorités si le Mali veut conserver sa souveraineté et son intégrité territoriale.

Présidentielle 2018 : Après 5 ans, IBK de retour à Kidal

Le président IBK est actuellement à Kidal jusqu’à demain matin dans le cadre de sa tournée électorale. Sur place, il a rencontré les responsables de la CMA, les autorités traditionnelles et échangé avec la population, sur des questions cruciales comme la mise en oeuvre de l’accord de paix, le statut de l’Azawad et la sécurisation du processus électoral.

Cela faisait 5 ans que le président IBK n’avait pas foulé du pied le sable de Kidal, où il a atterri ce jeudi 19 juillet aux environs de treize heures dans un avion affrété de Gao par la Minusma. Sa venue dans ce bastion du Nord, fief des ex-rebelles de la CMA, s’est faite dans une relative discrétion. Cette étape, fortement symbolique dans la tournée électorale du candidat, avait d’abord été annoncée pour le 9 juillet dernier avant d’être à nouveau décalé au 19 juillet.

Sur le Tarmac de l’aérodrome de la Minusma, le président-candidat a été accueilli par Bilal Ag Chérif, président en exercice de la CMA, Mohamed Ag Intalla, l’Aménokal des Ifoghas ainsi que par les autorités traditionnelles de la ville.

Le cortège composé de plusieurs véhicules 4×4 s’est ensuite dirigé vers le siège du DDR, un ancien hôtel, ou le président a pris ses quartiers et a déjeuné avec ses hôtes avant de gagner le siège de l’autorité intérimaire, en fin d’après-midi, pour un meeting. C’est en présence des différents cadres et responsables de la CMA, de la société civile, des femmes et des jeunes, que le président candidat a fait un discours où il s’est engagé à construire sur place un aérodrome international, ainsi qu’un hôpital régional. Le président-candidat a ensuite pris part à des échanges directs avec l’assistance, notamment sur le retard dans la mise en œuvre de l’Accord et la question de la reconnaissance de l’Azawad.

Le président et ses collaborateurs passeront la nuit dans la ville où un impressionnant dispositif de sécurité a été déployé. Dans les airs d’abord, où les chasseurs de la force française Barkhane ont patrouillé le ciel lors du déplacement du président, et sur terre où sa sécurité est assurée à 100 % par les forces de la CMA et de la CSMAK, la police locale. Pour l’occasion, la ville a été bouclée à l’intérieur comme à l’extérieur, jusqu’à quelques kilomètres autour de Kidal. Les Famas, récemment intégrés dans le Mécanisme Opérationnel de Coordination (MOC), n’ont pas été convié à sortir de leur camp pour venir renforcer le dispositif de protection du président-candidat.

Si il y a 5 ans, l’ambiance était un peu tendue avec notamment des manifestations contre la venue du candidat, il n’en a rien été pour sa seconde visite dans la cité des Ifoghas, même si les « vives IBK » n’ont pas ponctué l’arrivée du président-candidat comme on a pu l’entendre sur d’autres étapes de sa tournée. On pouvait tout de même lire sur des banderolles, des messages de bienvenue à l’adresse d’Elhadj Ibrahim Boubacar Keita. « Pour nous, c’est comme la visite de n’importe quel candidat à l’élection présidentielle. Ce qui nous importe, c’est leur potentiel à mettre en œuvre l’accord de paix d’Alger. Nous avons déjà expérimenté IBK ces 3 dernières années. Nous nous baserons sur ce qu’il va dire et les propositions concrètes qu’il va faire, sachant que parfois les déclarations faites ne sont pas forcément suivis d’effet », affirme Mohamed Ould Mahmoud, actuel porte-parole de la CMA, qui réfute toute inclinaison particulière pour le président candidat. « Il y a des cadres de la CMA qui le connaissent, depuis même avant le temps de l’Accord, mais nous savons aussi que pour ce qui est de l’Accord, il n’a pas fait grand-chose. En fait, on ne sait pas si ça a évolué avec lui. Ça a plutôt évolué avec le premier ministre actuel, Soumeylou Boubeye Maiga. On a quand même eu à faire à 4 premiers ministres ! Donc, nous ne sommes pas forcément très proches d’IBK, mais nous restons quand même très liés à la mise en œuvre de cet accord, car c’est la seule chose qui nous lie avec le Mali et c’est le candidat qui nous satisfera le plus à ce niveau qui aura notre faveur » poursuit Mohamed Ould Mahmoud.

Pour Nasser, habitant de Kidal, qui déclare sans ambage, « je ne voterai pas ! », ce ne sont pas les quelque 30 000 potentiels votants que vise le gouvernement malien à travers cette venue à Kidal, mais plus la garantie que, « les élections se tiendront bien à Kidal le 29 juillet de 8 h à 19 h et sans incident. Ça démontrerait que Kidal est devenue une ville malienne comme les autres », explique-t-il.

Le bon déroulement du processus électoral, c’est justement l’un des enjeux des discussions que le président-candidat aura avec les responsables de la CMA avec qui il devrait s’entretenir dans la soirée. « La CMA a posé des conditions pour être impliquée dans le processus électoral : la prise en charge des militaires, la sécurisation des élections, les autorités intérimaires au niveau des cercles. Ce sont autant de questions auxquelles nous attendons des réponses, car nous voulons dans les zones que nous contrôlons, assurer la sécurité du processus électoral à 100 %. Nous sommes un mouvement politico-militaire et nous entendons jouer un rôle important et prépondérant dans la sécurisation de ce processus », avertit le porte-parole de la CMA.

Ces audiences avec des personnalités de la CMA, pourraient achever de convaincre ceux qui doutent encore, à 5 jours de la visite de son principal concurrent Soumaila Cissé, même si, comme le concède ce cadre de la CMA sous anonymat, « plusieurs responsables de la CMA soutiennent IBK, car ils estiment qu’il y a eu un début d’exécution de certains points de l’accord sous son mandat. Pour eux, il vaut mieux le soutenir pour parachever ce qu’il a commencé ».

Le candidat IBK devrait quitter Kidal demain matin pour s’envoler  pour Tombouctou.

Rapport de l’Observateur indépendant : les Parties occultent les priorités

L’observateur indépendant désigné par le CSA, le centre Carter,  a présenté le lundi 28 mai à l’hôtel Sheraton son premier rapport sur la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali. En présence des représentants des parties signataires, la présidente de l’Observateur, la conseillère spéciale Bisa William  a relevé sur une période de  4 mois ‘’un délaissement des fondamentaux de l’Accord’’ par tous les acteurs du processus.

Le 28 mai, l’équipe de l’observateur Indépendant du Centre Carter, dirigée par la conseillère spéciale Bisa William  a exposé à la presse son premier rapport depuis  sa désignation par le  Comité de Suivi de l’Accord (CSA). De 13 pages, ce rapport couvre la période du 15 janvier au 30 avril 2018. Son objectif comme consigné dans l’Accord est d’identifier les blocages dans le processus de mise en œuvre de l’Accord et formuler des recommandations pour le  faire avancer.

Le travail de l’Observateur s’est focalisé sur la dernière feuille de route pour la mise en œuvre du Chronogramme d’actions prioritaires signée le 22 mars par la CMA, la Plateforme et le Gouvernement, endossé par la 24eme session du CSA. Dès les premières pages,  l’observateur note des parties « la tendance à se focaliser sur les éléments de l’Accord revêtant un caractère périphérique  et de préalable , tels que l’installation du MOC, les autorités intérimaires, ou l’opérationnalisation des nouvelles régions au lieu des axes fondamentaux de l’Accord, tels que  : «  une nouvelle architecture institutionnelle pour le Mali, une armée nationale représentative, reconstituée, et redéployée, y compris le désarmement des combattants ; et une Zone de développement au Nord », souligne-t-il.  Aussi, ce rapport note  que le Titre IV relatif au Développement socio-économique et culturel et le Titre V abordant Réconciliation, justice et questions humanitaires « tiennent peu de place parmi les considérations principales des parties maliennes lors de la période écoulée ».

La CMA, la Plateforme, le Gouvernement, la Communauté internationale, la classe politique et  la société civile malienne, tous, sont reprochés d’une manière ou d’une autre dans la stagnation du processus de mise en œuvre de l’accord. L’observateur reconnait ‘’ le besoin d’une communication mutuelle améliorée’’ entre les acteurs.

Il recommande entre autre à l’issue de ses constats que les Parties maliennes visent les objectifs centraux de l’Accord, y consacre énergie en changeant  leurs approches et méthodes de travail  pour accélérer la mise en œuvre. Une mise en place de façon urgente d’une stratégie de  communication, à fin de faire de l’Accord une cause nationale partagée  a été formulée. Les Mouvements sont aussi invités à fournir les listes de leurs combattants et le gouvernement à prendre des mesures exceptionnelles pour doter les autorités intérimaires des moyens financiers, matériels et humains pour l’exercice effectif de leur mission.

Il reste à savoir si ces différentes recommandations seront suivies d’effet, tant les parties impliquées dans la mise en œuvre de l’Accord sont habituées à tourner en rond.

MOC de Tombouctou et de Kidal : Gao a servi de leçon

Le 23 mai, le Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) de Tombouctou a été lancé en présence du commandant de la force de la Minusma. Celui de Kidal a démarré deux semaines plutôt. A la différence de l’installation du Moc de Gao en 2016, endeuillé par l’attentat,  le mode de déploiement et de sécurisation de cet outil dans les deux régions s’opère avec mesure.

Jeudi 24 mai, la conférence de presse bimensuelle de la MINUSMA s’est tenue au siège de la mission à Badalabougou. Animée par  Madame Myriam Dessables, chef de bureau de la communication stratégique et de l’information publique et le commandant de la force, le Général Jean Paul Deconinck en direct de Tombouctou.

Après la revue sur les différentes activités menées par la MINUSMA et sa force de police dans le pays, l’interaction sur  l’opérationnalisation du mécanisme opérationnel de coordination de façon générale a été engagée entre le commandant de la force de la mission des Nations Unies et les journalistes dont certains étaient en direct de Gao.

« J’étais il y a quelques instants dans le camp de MOC de Tombouctou où j’ai pu assister à l’inauguration officielle de ce  bataillon MOC  comme on l’avait fait le 11 mai à Kidal. Je retiens une certaine fierté d’avoir pu souligner les efforts consentis  par les parties tant au niveau politique, opérationnel que  tactique », s’est réjoui le General Jean Paul Deconinck.

Plusieurs fois annoncé, le lancement de ces deux MOC constitue un pont indispensable pour la poursuite de mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale. Comme dit un adage, « vaut mieux tard  que jamais ». Au-delà de la symbolique,  le Général Deconinck pense qu’il s’agit de bien plus. « Nous avons constitué aujourd’hui le socle du panthéon de Tombouctou, c’est-à-dire un commandant  intégré et cohérent», se félicite-t-il.  51 éléments, soit 17 pour le gouvernement, la CMA et la plateforme sont ainsi déployés à Tombouctou et à Kidal. Une compagnie de 150 hommes sera dans une semaine à Kidal et une autre dans deux semaines à Tombouctou selon le général.

Un acheminement progressif qui n’a rien avoir avec les 500 et  quelques éléments fournis d’un coup au MOC de Gao. Un  mécanisme  qui a subi un attentat terroriste incroyable et qui, depuis laisse à désirer. « Certaines  lacunes au niveau de Gao, ont été relevées dans le sens où nous étions allés trop vite. Il fallait atteindre certains objectifs alors que certaines conditions n’étaient pas remplies », regrette le commandant. C’est pourquoi, cette fois ci,  « ce n’est pas pour rien que nous commençons par le socle. On va les former, leur inculquer des éléments indispensables au niveau de la conduite militaire, de la discipline », réajuste-t-il. En même temps,  les équipes d’entrainement à Gao seront renforcés pour  rendre opérationnel ce MOC comme les deux autres. « Nous avons tiré des enseignements sur le plan sécuritaire, des aménagements du site, sur le progressivité  dans les  installations, aussi au niveau humain et inclusivité des différents mouvements signataires », conclut le commandant, appelant à la collaboration de la population pour parvenir à des résultats tangibles.

La force de la  MINUSMA assure pour le moment la sécurité de ses éléments à Tombouctou et à Kidal.  Mais « petit à petit ces unités » prendront la relève.

Ainsi, à terme, 600 éléments, dont 200 pour chacune des parties seront acheminés dans  chacune de deux régions. La mise en place des  MOC de Gao, Tombouctou et Kidal  ouvre la voie au processus démobilisation désarment et réintégration sans lequel la sécurité serait impossible.

CME : Plaidoyer musclé pour une inclusion dans l’Accord

Il y a deux semaines, la Coordination des Mouvements de l’Entente (CME) a organisé à Tin-Aouker, dans la région de Gao, son premier congrès. Elle a invité la communauté internationale et les autorités maliennes à trouver des solutions pour son inclusion dans les organes de l’Accord. A défaut, elle n’exclut pas un recours à la force.

L’Accord pour la paix et la réconciliation nationale, signé respectivement par la Plateforme le 15 mai et par la CMA le 20 juin 2015 à Bamako, avait suscité, au-delà des réticences, de grands espoirs. Les trois parties signataires ont été mises ces trois dernières années à rude épreuve. La  mise en œuvre du document progresse à pas de tortue. Au même moment, les mouvements dissidents de la CMA et de la Plateforme montent au créneau pour former la Coordination des Mouvements de l’Entente (CME), qui regroupe le Mouvement pour le Salut de l’Azawad (MSA), la Coalition pour le Peuple de l’Azawad (CPA), le Front Populaire de l’Azawad (FPA), le Congrès pour la Justice dans l’Azawad (CJA) et le Mouvement Populaire pour le Salut de l’Azawad (MPSA). Depuis des mois, la CME réclame son implication dans le processus.

Haussant le ton, elle a organisé son premier congrès ordinaire les 28, 29 et 30 avril à Tin Aouker, dans la région de Gao. « Durant trois jours, nous avons parlé de l’Accord, de son application, de la politique générale et de la protection de nos populations et de leurs biens », dit le Colonel Hassan Ag Mehdy, Secrétaire général du FPA et Coordinateur général des forces armées et de sécurité de la CME. Selon lui, « sans l’inclusivité, ce processus n’ira nulle part ». Dans sa déclaration, la CME prévient « qu’en cas d’absence de solutions idoines, elle  se réserve le droit d’utiliser tous les moyens, y compris la force, pour faire prévaloir ses droits ». « Nous sommes des mouvements signataires et nous ne comprenons pas pourquoi nous ne sommes pas dans les organes de réflexion », s’étonne le Secrétaire général du FPA.

Mais pour Mohamed Ould Mataly, membre de la Plateforme et du CSA, « la CME est dans l’Accord, elle ne peut s’estimer négligée. Les parties signataires tiennent compte de la CME. Dans l’application de l’Accord, elle aura sa part normalement. Mais, pour le moment, rien n’a été acté pour qu’on affirme qu’on les a mis à l’écart », rétorque  l’Honorable.

CMA et MSA-GATIA : la guerre des mots

Entre la CMA et le MSA-GATIA, la tension monte. Le 15 mai, le président  de la CMA à Ménaka aurait été enlevé par le MSA, puis relâché.  La CMA accuse, le MSA dément. Le même jour, des responsables du GATIA  du cercle de Gourma Rharous (Tombouctou) adhèrent au HCUA, membre de la CMA. Le GATIA  réagit.

Le 11 octobre 2017, plusieurs chefs de fraction ont démissionné du MSA, dont Siguidi Ag Maditt pour rejoindre le HCUA, membre de la CMA.  Un revirement que Moussa Ag Acharatoumane, l’un des fondateurs du MNLA et actuel secrétaire général du MSA ne digère pas, mais  considère de même  sans impact.

Le démissionnaire du MSA, Siguidi Ag Madit,  devenu président de la CMA à Ménaka a été enlevé le 15 mai 2018 alors qu’il sortait d’une mosquée. Le 2ème  adjoint au maire de Ménaka est aussi le chef de la fraction Idoguiritane de la communauté Daoussahak .

La CMA, dans un communiqué publié le lendemain informe que l’intéressé a été enlevé « par un certain Almahmoud Ag FANGAS, homme de main de Moussa Ag Acharatoumane ». Le communiqué poursuit : « cette montée verbale, suivi des enlèvements pourrait mettre à mal les relations déjà entamées entre la CMA et cette milice dans la zone de Ménaka. Les hommes de cette milice sont à leur énième fois de s’en prendre ouvertement à des populations pour leur appartenance à la CMA », accuse ainsi la coordination. La réponse ne s’est pas faite attendre. Le MSA, lui aussi, dans un communiqué dément ce qu’il qualifie d’ « allégations mensongères et honteuses  dictées par le HCUA ». Il rappelle que le contentieux qui a opposé Siguidi Ag Madit et Almahmoud Ag Fangas « a été réglé à l’amiable et en famille », excluant toute implication d’un quelconque mouvement.  Le MSA dit « condamner l’intimidation orchestrée par les groupes armés terroristes (GAT) à l’endroit des populations des régions de Ménaka, Gao et Tombouctou au profit du HCUA. » De même, il accuse le HCUA d’avoir assassiné deux de ses officiers,  et enlever puis massacrer plusieurs civils », soutient-il.

 CMA et GATIA : la discorde

Le 15 mai 2018,  des élus et notables du cercle du Gourma Rharous démissionnent du GATIA et adhèrent au HCUA. Dans le même communiqué du 16 mai, la Coordination des Mouvements de l’Azawad s’était réjouie de la nouvelle estimant que ce « retour n’est qu’une délivrance du joug du GATIA ». Par la même occasion, elle informe que « depuis un certain temps, des communiqués de certains responsables du GATIA affichent une rhétorique tendant à mettre à mal les accords du 20 septembre 2017 signés entre la CMA et la Plateforme », note la déclaration, appelant « à la retenue et au sens élevé de responsabilité. »

De son côté, le GATIA dans son communiqué du 16 mai,  dit prendre acte de cette  démission et  « informe que ces revirements s’opèrent en application des directives des Groupes Armés Terroristes, qui viennent d’arriver massivement dans le Gourma », réplique-t-il.  Il invite les acteurs du processus  de paix « de cesser de se voiler la face et à faire face à la réalité en dénonçant et combattant la collusion que certains mouvements signataires continuent d’entretenir avec les Groupes Armés Terroristes » conseille le communiqué.

La flambée de ses  échanges  est  indicatrice des divergences entre la coalition MSA-GATIA et la Coordination des Mouvements de l’Azawad.  Pour l’heure,  les différents mouvements appelle à sauvegarder les acquis et réaffirment leur volonté de poursuivre la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation.

Tombouctou et Kidal : enfin le MOC

Le mécanisme opérationnel de coordination (Moc), régulièrement évoqué  tarde à se mettre en place dans les régions du Nord.  Prévue par l’Accord pour la paix, réaffirmée  comme indispensable par la feuille de route signée  le 22 mars, l’installation de cet outil annoncé le 30 avril  à Tombouctou et  à Kidal n’a pas lieu,  mais reste programmée.

Le ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Tieman Hubert Coulibaly avait lors de sa conférence de presse  du 19 avril affirmé que ce dispositif essentiel  allait démarrer dans « dix jours ». Engagement non tenu, témoignage  des difficiles dépassements que les parties auront  à opérer pour avancer. Prévue officiellement pour 30 avril, la mise en place du mécanisme opérationnel de coordination à Tombouctou et à Kidal a donc été de nouveau ajournée.

Le MOC et le processus de Démobilisation, Désarmement et réinsertion(DDR) constituent le volet sensible inclus dans les mesures sécuritaires intérimaires. L’un reste  un préalable pour l’autre. La 28e réunion de la  Commission Technique de Sécurité (CTS) tenue le 19 avril à Bamako avait recommandé l’installation de ces mécanismes de coordination dans les deux régions concernées. Selon la MINUSMA, les partis signataires ont annoncé lors de la dernière session du CSA, leur engagement à « démarrer graduellement  l’opérationnalisation des unités mixtes de MOCs de Tombouctou et de Kidal avec l’enregistrement d’une cinquantaine de combattants » pour chaque région. Des informations confirmées par  Ilad Ag Mohamed, porte-parole de la CMA. « Il  y a juste un problème de  regroupement des différentes parties qui n’est pas encore fait. Du côté de la CMA, tout l’effectif est regroupé à Ber et attend qu’il rejoigne Tombouctou. Celui de Kidal est sur place.  Les FAMAs  ont déjà  désigné leur effectif mais n’ont  pas rejoint le groupe », informe-t-il. Une  première vague de 51 officiers issus des différentes parties dont 17 pour chacune pour chaque région sera bientôt acheminée. « Nous nous sommes dits qu’ au lieu d’attendre  les  200, il faut démarrer pour que chaque deux semaines  le même effectif suivra », précise Ilad Ag Mohamed. Avec la signature de la feuille de route pour la mise en œuvre du chronogramme d’actions prioritaires endossées par la 23è session du comité de suivi de l’Accord, cet énième report n’entame donc pas l’optimisme des acteurs.  La poursuite de la mise en œuvre de ce nouveau  chronogramme devrait contribuer à faire avancer un processus dont chacune des étapes  est indispensable pour le succès de l’Accord.

Ilad Ag Mohamed : « Dès lors que les gens respectaient l’intégrité territoriale du Mali, rien n’interdisait de brandir un drapeau »

Le Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maiga, a effectué une visite le 23 mars  à Kidal. Une première pour un chef du gouvernement depuis 4 ans. Elle est apparue comme annonciatrice d’une nouvelle ère, basée sur la confiance. Ilad Ag Mohamed, porte-parole de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA), livre à Journal du Mali ses impressions sur ce déplacement.

Sur quoi ont porté vos échanges avec le Premier ministre ?

Ils ont porté essentiellement sur une nouvelle façon de faire. Il veut asseoir la confiance entre les acteurs et écouter les populations pour savoir directement ce qu’elles veulent. Nous pensons que c’est une bonne chose. Nous sommes  longtemps  restés dans l’immobilisme. Maintenant, on s’est dit qu’il faut anticiper pour qu’il n’y ait plus de prétextes. Il s’agissait de briser la  glace entre les différents acteurs en termes de mesures de confiance.

Pensez-vous que cette visite va accélérer le chronogramme pour le retour effectif de l’administration à Kidal ?

Oui. Nous avons un chronogramme qui  été  signé il y a quelques jours.  Avec cette nouvelle feuille de route, nous pensons que la  mise en œuvre de l’Accord sera facilitée. Aujourd’hui, ce qui est sûr, c’est que les messages du genre « aucun Premier ministre n’a été admis à Kidal » sont désormais derrière nous. On verra. Tout dépendra une fois de plus de la volonté et de l’engagement du gouvernement. Nous ne cessons de le dire.

Lors de cette visite, des couacs ont été relevés, comme l’exhibition du drapeau de l’Azawad et des chants indépendantistes de femmes. Était-ce délibéré ?

Ce sont des gens qui croient profondément en l’Azawad  et en son drapeau. Ils s’expriment librement. Qu’est-ce qu’on attend de nous ? De les empêcher de scander ? Ou de leur interdire de faire flotter leur drapeau ? Les gens ont dit ce qu’ils pensaient et je crois que c’était aussi l’un des intérêts de cette visite. Le Premier ministre doit écouter. En tout cas, il n’est jamais revenu vers nous  pour nous demander de quoi il s’agissait. Les gens ont le droit de s’exprimer démocratiquement et rien n’interdit d’exhiber un drapeau. Dès lors que les gens respectaient l’intégrité territoriale du pays et les autres aspects, rien n’interdisait de brandir un drapeau.

Il a été aussi question de l’élection présidentielle. Pensez-vous  que les conditions seront réunies d’ici là pour sa tenue ?

On verra. C’est le Premier ministre qui a tous les moyens entre les mains pour organiser les élections. Pour nous, de notre côté, rien ne peut empêcher l’organisation des scrutins.

Intersessions : Dans les coulisses du CSA

Pour accompagner la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, il a été créé un Comité de Suivi de l’Accord (CSA). Le Gouvernement, la CMA, la Plateforme et la Médiation internationale y siègent.  Dans les coulisses de cette importante instance, des sous-comités thématiques travaillent avant chaque session pour faciliter leur bonne tenue. Coup d’œil.

Pour assurer une meilleure fluidité de son travail, le CSA a mis en place quatre sous-comités thématiques : « Politique et institutionnel »; « Défense et sécurité »; « Développement économique, social et culturel » et « Réconciliation, justice et questions humanitaires ». Au sein de chaque sous-comité, toutes les parties prenantes sont représentées. « Ce sont ces sous-comités qui produisent de la matière pour le Comité de suivi. C’est la branche technique », explique Ilad Ag Mohamed, porte-parole de la CMA. « Le plus souvent, ce sont les conclusions des sous-comités qui sont à l’ordre du jour de la session du CSA. On demande au gouvernement de faire une communication sur les actions entreprises et aux mouvements signataires aussi, sur les points dont ils étaient chargés, en pointant les avancées et les insuffisances », confie un membre de la structure de suivi. La présidence et la co-présidence de chaque sous- comité est généralement assurée par la médiation internationale. « Par exemple, le sous-comité Défense et sécurité est dirigé par l’Algérie », dit le chargé de communication de la CMA.

Malgré la mise en place de ces sous-comités, de nouveaux défis apparaissent chaque jour dans le processus de mise en œuvre de l’Accord. La 24ème session du CSA, annoncée pour les 12 et 13 février, ne s’est finalement pas tenue, ce qui est révélateur des divergences profondes concernant plusieurs dispositions inscrites au chronogramme à l’issue de la 23ème session. Deux sous-comités, chargés de discuter des modalités pratiques de mise en œuvre, ne tiennent plus de réunions depuis deux semaines. « Les sous-comités Développement et Réconciliation n’avancent pas parce qu’ils ont des difficultés à s’accorder sur certaines dispositions de l’Accord. Le sous-comité Développement a également perdu du temps sur la Zone de développement des régions du Nord », regrette Ilad Ag Mohamed. Seuls les deux autres sous-comités fonctionnent, même s’ils doivent gérer eux aussi en leur sein des divergences notoires sur les questions qu’ils traitent.

Pourtant, alors que l’essentiel des points inscrits dans l’Accord pour la paix et la réconciliation est en stand-by, l’urgence de répondre aux préoccupations perdure.

 

Talataye : Vivre dans la peur

Depuis une dizaine de jours, la commune rurale de Talataye, une localité isolée située dans le cercle d’Ansongo, est en proie à de vives tensions. Terrorisme ou conflit interethnique, enjeu sécuritaire et jeux d’intérêts entre groupe armés, ont installé un climat délétère dans cette commune, restée longtemps dans le giron de la CMA et qui vit depuis des années comme repliées sur elle-même.

En ville, quand ils sortent, les gens ne s’attardent plus, le marché de Talataye d’habitude très fréquenté qui attire les samedi, forains, éleveurs et commerçants des alentours, comme du Niger et de l’Algérie a désempli, la peur et l’incertitude ont gagné la population depuis l’attaque par des hommes armés non-identifiés, le 2 février dernier, du village voisin d’Inwelane, qui a fait 4 victimes, dont l’imam de la mosquée pris en otage puis égorgé par les assaillants. La présence d’un important contingent du Mouvement pour le Salut de l’Azawad ( MSA ) épaulé par le GATIA ( Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés ), qui ont pris en chasse ces hommes armés qualifiés de djihadistes, au lieu d’amener la sécurité et l’apaisement semble avoir exacerbé les tensions. « Le MSA, après avoir pourchassé les présumés djihadistes, est revenu en armes à Talataye quatre jours plus tard. Ils nous ont dit que ceux qui ont attaqué Inwelane étaient des djihadistes et qu’ils avaient été guidés par des gens de Talataye. Ils cherchaient 5 personnes, mais ils ne les ont pas trouvées, car la plupart des hommes apeurés ont quitté le village ne laissant que les femmes et les enfants. C’est là que le harcèlement, les arrestations et les violences ont commencé et ont duré 3 jours », confie amèrement ce commerçant, affecté psychologiquement et qui songe depuis ces événements à quitter la commune. Pour le MSA, dans cette localité où l’on tient à la mosquée des prêches rigoristes, où on contraint les femmes à ne pas se rendre au marché et à se vêtir convenablement, la proximité de certains habitants avec les djihadistes ne semblait faire aucun doute.

Pourtant, dans la commune, bien que l’on ne sache pas réellement qui sont les assaillants, la thèse d’une attaque commise par des éléments djihadistes ne convainc pas vraiment. Les regards se tournent plutôt vers Inwelane où quelques semaines auparavant un éleveur peul a été assassiné et son bétail volé par des hommes armés du village, un état de fait loin d’être rare dans la zone.

Djihadistes ou conflit interethnique ?

« Les gens d’Inwelane et de Talataye appartiennent à la même communauté, les Daoussahak. La majorité des combattants du MSA viennent du village d’Inwelane et ils sont tous armés là-bas. Les gens de Talataye ont désapprouvé l’assassinat de ce Peul, ils en ont même appelé à la justice pour dire qu’ils ne veulent pas de ça chez eux, qu’ils ne veulent pas de problème avec d’autres communautés, une position qui n’a pas vraiment été appréciée à Inwellane. Je pense que cette attaque était surtout un règlement de compte. Si le MSA préfère dire que ce sont des terroristes, c’est peut-être qu’en disant cela ils pensent pouvoir obtenir un soutien du gouvernement ou de la communauté internationale», affirme cet habitant de la commune sous anonymat.

Un avis partagé par Salah Ag Ahmed, le maire de Talataye : « Je ne peux pas dire que ceux qui ont attaqué Inwelane sont des terroristes. Mais ils étaient majoritairement composés de Peuls et malheureusement les gens, dans l’ignorance, considèrent que tous les Peuls sont avec les terroristes. Quand les gens ont appris qu’un Peul avait été assassiné et volé, ils ont tout de suite su qu’il y aurait une réaction et ça n’a pas tardé », explique-t-il.

En dehors de cette attaque qui semble être à forte connotation ethnique, un autre enjeu, en forme de bras de fer, oppose la population de Talataye au MSA : la sécurisation de la commune, dans laquelle le mouvement armé aimerait implanter un poste de sécurité.

Sécurité et jeux d’intérêts

À Talataye, on voit d’un très mauvais œil l’installation d’une force armée dans le village, qui pourrait remettre en question la paix relative qui règne dans la commune. « La population de Talataye était en parfaite entente avec tous ses voisins, l’arrivée d’un groupe armé va créer plus de problèmes. S’il y a des attaques, la population dans sa grande majorité préfère que ce soit résolu d’une autre manière que par la force, parce qu’avec la force des représailles s’ensuivront. », soutient le maire de la commune. « Je n’ai aucune confiance dans les groupes armés, car ils sont comme les terroristes, ils ne suivent aucune loi, ils font ce qu’ils veulent », assène cet autre habitant.

Reste que la commune de Talataye demeure une zone convoitée par les groupes armés car elle est en quelque sorte une plaque tournante entre l’Algérie et le Niger. Le marché y est très important d’un point de vue économique et ces retombées conséquentes pourraient permettre à ces groupes de financer certaines de leurs activités. « C’est une zone qui a longtemps échappé au contrôle des mouvements armés qui sont vers Ménaka, le GATIA et le MSA , ça devient même un défi pour eux de la contrôler », explique Salah Ag Ahmed

« Moussa Ag Acharatoumane, le Général Gamou, Alghabass Ag Intalla, ils sont tous venus à Talataye, ils ont fait des réunions avec les responsables de la localité. ils veulent avoir leur part dans la gestion de la commune, car c’est une zone importante. Je pense que la population préférerait être sécurisée par le HCUA ( Haut conseil pour l’unité de l’Azawad ) puisque le maire est de ce mouvement. Il habite à Kidal et vient très rarement ici. Il doit certainement y avoir une rivalité entre la CMA ( Coordination des mouvements de l’Azawad ) et le MSA pour contrôler la zone », ajoute cet élu d’un village voisin.

À Talataye, un des villages où le drapeau du MNLA ( Mouvement national de libération de l’Azawad ) a flotté pour le première fois avant même l’éclatement de la rébellion, cette question de la sécurisation de la commune a pour le moment engendré un statu quo. Le MSA est parti avec armes et bagages, en début de semaine, en direction d’Indelimane, mais la population sait déjà qu’ils reviendront. La gestion de cette petite localité du cercle d’Ansongo reste un enjeu pour ces groupes armés qui ne semblent considérer la population que comme un faire-valoir à sécuriser, posant par la même des questions qui pour le moment restent sans réponse : peut-on protéger une population contre son gré ? et qui protégera cette population de ses protecteurs ?