Wade laisse tomber son ami Kadhafi

C’’est ce qu’on appelle un lâchage en règle. Connu pour être l’un des alliés inconditionnels de Mouammar Kadhafi en Afrique subsaharienne, le président Abdoulaye Wade tourne le dos au Guide libyen. Le président du Sénégal a reconnu jeudi 19 mai 2011 le Conseil national de transition (CNT), en rébellion ouverte contre le régime de Tripoli, comme «opposition historique et légitime» chargée de préparer la mise en place d’institutions républicaines à  travers des élections libres et démocratiques. La délégation libyenne, reçue au palais présidentiel à  Dakar, était composée d’Ali Zeidan, membre du CNT et envoyé spécial de son président, et de Mansour Sayf Al-Nasr, également membre du CNT, chargé de la coordination des relations avec la France, ainsi qu’un certain… Bernard-Henri Lévy. Même s’il s’est fait très discret et s’est refusé à  toute déclaration devant la presse, le philosophe le plus médiatique de France, qui a joué un rôle important dans la décision du président Nicolas Sarkozy d’intervenir militairement en Libye, a convaincu Wade de lâcher le Guide. Redoutable animal politique, Wade n’a pas eu besoin de chercher loin pour trouver une explication à  ce qui, vu de Tripoli, ressemble à  un coup de poignard dans le dos en affirmant «rester fidèle à  une position qui a toujours été la [sienne] bien avant [son] accession à  la magistrature suprême, lorsque des chefs d’Etat faisaient appel à  [sa] médiation pour dialoguer avec les opposants plus habitués à  créer des mouvements de libération armés à  l’étranger au lieu de mener une opposition interne». Et comme pour enfoncer un clou de plus dans le cercueil de son ex-ami, Abdoulaye Wade a déclaré qu’il a pris «bonne note du fait que, pour le CNT, toute solution d’avenir passe par le départ de Mouammar Kadhafi», ce qu’il a déjà , lui-même, conseillé à  ce dernier, «considérant que le processus engagé est irréversible». Virage à  180° Cette prise de position de Wade apparaà®t comme un virage à  180 degrés. En effet, quand le régime de Tripoli a commencé à  réprimer dans le sang l’insurrection libyenne, le président sénégalais Abdoulaye Wade et son homologue guinéen Alpha Condé, après un entretien téléphonique commun avec Kadhafi, avaient jugé utile d’exprimer leur «solidarité et celle des peuples sénégalais et guinéen avec le peuple libyen contre toute atteinte à  ses acquis concrétisés par la révolution du 1er septembre 1969 et son guide au profit du peuple libyen et des peuples du continent africain». Vraisemblablement, avec la tournure que prennent les événements en Libye, avec un Guide affaibli par les bombardements de l’Otan et les défections en série de piliers du régime, Wade, qui a souvent eu le nez creux, a compris peut-être que l’heure était venue de prendre ses distances avec un allié très encombrant. Wade-Kadhafi: des relations en dents de scie Wade a toujours entretenu des relations très ambiguà«s avec le régime libyen. Dans les années 80, alors farouche opposant au régime du président Abdou Diouf, Wade avait été inculpé pour «atteinte à  la sûreté de l’Etat» dans le cadre de l’affaire dite des «armes libyennes». En clair, on lui reprochait de vouloir renverser le pouvoir de l’époque avec l’appui d’un «Guide» qui passait pour être un expert en déstabilisation. Ainsi, une fois arrivé au pouvoir en 2000, C’’est naturellement que Tripoli a été l’une des premières destinations du président Wade, qui comptait beaucoup sur la manne financière libyenne et un Guide réputé très généreux avec ses amis. Mais las de voir le robinet à  pétrodollars couler à  flots, Wade avait profité en 2001 d’une maladresse commise par Tripoli pour provoquer un clash en accusant les autorités libyennes de s’adonner à  un trafic de mannequins sénégalaises. Quelques gros chèques plus tard, Wade s’était calmé et la lune de miel avec la Libye s’était poursuivie. Au point que par le biais du Fonds libyen d’investissement, le Guide, qui s’est entre temps proclamé «roi des rois d’Afrique», avait promis d’ériger à  Dakar la «tour Mouammar Kadhafi», estimée à  250 millions de dollars, censée être la plus élevée en Afrique de l’Ouest. Mais là  aussi, malgré la pose en grande pompe d’une première pierre, la capitale sénégalaise attend toujours son World Trade Center.