Habitat: Maisons en sursis

Il y a à peine un mois, dans la nuit du 13 au 14 août 2017, une gigantesque coulée de boue dévale une colline en banlieue de Freetown, capitale de la Sierra Leone. Après des pluies diluviennes, il n’aura fallu que quelques minutes pour qu’un glissement de terrain entraine des centaines d’habitations et déciment des familles entières. Les images de la configuration du quartier mutilé n’ont pas été sans rappeler les réalités d’une autre capitale africaine : Bamako. En l’espace de dix ans, l’habitat humain a colonisé, sans aucun cadre, les collines qui entourent la ville. Au même moment, on exploite à outrance les minerais et en particulier le sable qui les compose. Faisant craindre une catastrophe majeure.

« Personne ne peut dire qu’il ne sait pas que c’est dangereux de vivre ici. Que pouvons-nous faire ? Nous n’avons nulle part où aller ». Cette phrase prononcée d’un ton désabusé par une mère de famille, habitante de la commune 1 du District de Bamako, résume l’opinion des centaines de milliers de personnes qui vivent à flanc ou au pied des collines qui entourent Bamako. La ville est en effet une cuvette entourée de collines, dont les capacités ont largement été dépassées par ses quelques trois millions d’habitants. Ces derniers, toujours en quête de logement, s’éloignent de plus en plus du centre ville saturé et cherchent des solutions de logement en périphérie de plus en plus éloignée ou en hauteur, à flanc de colline. Des quartiers entiers ont ainsi vu le jour, sans aucun encadrement ni autorisation, si l’on en croit les pouvoirs publics. « Ces constructions ne font pas partie du tissu urbain de Bamako » déclare Drissa Coulibaly, directeur national de l’urbanisme et de l’habitat. Le technicien déplore ces installations qu’il qualifie d’anarchiques. Au Mali, la loi est en effet claire. L’article 3 du décret n° 05 113 P-RM du 9 mars 2005 fixant les règles spécifiques applicables aux différentes catégories de servitudes en matière d’urbanisme cite « les zones d’éboulements, d’érosion, d’inondation, et d’autres de catastrophes naturelles » comme servitudes non aedificandi (non constructible). Leur zone de protection varie de 50 à 200 m.

Zangué Coulibaly habite un de ces quartiers, celui de Banconi Razel. Ce nom est composé de celui de la rivière qui traverse la zone et de celui de la société qui, durant des années, a exploité les collines transformées en carrières de minerai. A Banconi Razel, « les gens ne sont pas là à l’insu de la mairie. Ils ont des papiers de la mairie. Donc, les autorités sont au courant de ce qui se passe ici. Les bornages ont bien été faits ? On a donc donné des papiers aux gens ! Comment peuvent-ils dire qu’ils ne sont pas au courant », soutient-il. « On ne peut pas dire que ce soit la mairie qui donne ces parcelles », nuance pour sa part Moussa Goïta, qui habite dans la même zone. « Les endroits que la mairie donne sont plus bas. On a déjà vu des agents de la mairie venir déguerpir les gens mais vous-même vous connaissez ce pays. Les gens vont négocier et ils reviennent s’installer » poursuit-il. A la mairie, on assure effectivement faire ce qu’il faut. « Nous allons régulièrement les voir, surtout en saison des pluies, pour les sensibiliser au danger qu’ils encourent. Il y a des actions qui sont faites pour les faire partir, mais rien n’y fait », confie un conseiller communal.

Un terrain instable « Quand on prend le paysage de Bamako, c’est un paysage fluvial, c’est le fleuve qui a façonné le relief de la ville. A travers le temps, il a fait sa route et a déposé des éléments en fonction des pluies et a laissé beaucoup de dépôts. On peut les voir dans la ville. Quand on prend la colline de Badalabougou, Magnambougou, Kalaban-coro…, toute la ville est bâtie sur ce que le fleuve a laissé sur son passage comme dépôt », explique N’tji dit Jacques Dembélé, maître-assistant à la Faculté d’histoire et géographie de Bamako, spécialiste de géologie du quaternaire et de géomorphologie. Il tient, avec ses collègues chercheurs, le Laboratoire Homme – Peuplement – Environnement qui étudie « comment l’environnement que Bamako occupe a évolué pendant les dernières deux millions d’années, ce qui est un temps long à vue d’homme, mais au vue de l’espace-temps, c’est une fraction de seconde ». « Les sédiments qui constituent les collines qui entourent la ville sont essentiellement des limons, de l’argile et du sable. Ce dernier matériau est très recherché dans une ville en chantier quasi permanent. L’exploitation de ce minerai, de très bonne qualité selon le chercheur, a mobilisé des entreprises formelles et informelles, dont les méthodes d’extraction ont fortement impacté le paysage de la ville. « Aujourd’hui, il y a des profils entiers qui ont disparu. Nous allons sur le terrain chaque année. Et à chaque fois, nous sommes sûrs de ne pas retrouver ce que nous y avions laissé. Les collines disparaissent à grande vitesse ». Quand elles ne sont pas colonisées.

Ces deux usages qui cohabitent augmentent encore plus le risque de catastrophe majeure. « Pendant la saison des pluies 2012, toute une famille avait perdu la vie dans un éboulement survenu  dans le quartier de Sikoro dans la zone appelée Bandiagara Kourani », se souvient cet ingénieur. Moussa Goïta se souvient lui d’un autre évènement. « Il est déjà arrivé que la colline s’effondre. Il y a quelques années, elle est tombée sur une maison. Heureusement pour nous, tout le monde était sorti », souffle-t-il. « On vend les collines comme des lots à usage d’habitation. Le piquet est placé en haut, et on le suit du sommet jusqu’à la base, au fur et à mesure que la colline est cassée, jusqu’au jour où le piquet se retrouve au ras du sol. Dès le lendemain, vous verrez des gens creuser pour monter les fondations de leur bâtiment. Les gens ne se rendent pas compte. Deuxièmement, il y a des gens qui ont déjà construit au sommet, alors que ceux qui sont en bas sont en train d’enlever le sable », témoigne un interlocuteur.

Aux risques d’effondrement des massifs, attaqués avec des explosifs, coupés à la machine ou à la pioche, érodés par les pluies, s’ajoute le danger du « scénario de Freetown ». « Au bord du fleuve comme par exemple à Djaniguila et à Sokorodji, on a des dépôts différents, l’eau attaque les limons et le sable. Quand l’eau contient des sédiments, elle devient beaucoup plus visqueuse et sa force, sa capacité de travail augmente. Elle peut attaquer les roches qu’elle cisaille. C’est ce qui se passe dans cette zone. C’est un danger dont les gens n’ont pas conscience », s’inquiète le géographe. Selon lui, c’est ce scénario qui a amené la catastrophe qui a frappé la capitale de la Sierra Leone en août dernier, faisant près de 1 000 morts.

Action politique requise « Les gens n’ont pas le droit d’être là et ils le savent. Pour sévir, nous avons des brigades au niveau de chaque commune. Après constat, des convocations ont été adressées aux propriétaires, des procès-verbaux de constats ont été établis et adressés aux tribunaux », confirme le directeur de l’Habitat. « Les dispositions sont prises mais en fonction des autorités. Par exemple pendant la transition, après l’éboulement, une commission a été mise en place après cette catastrophe. Après recensement et évaluation des coûts en vue du déguerpissement, la population s’est opposée à l’opération. Le temps de finaliser les négociations, le ministre a changé et on a mis fin à l’opération » se souvient notre ingénieur. Les actions des techniciens restent vaines si elles ne sont pas appuyées par les politiques, déplorent en effet les techniciens. « C’est comme dans la zone aéroportuaire. On a écrit, on a ramassé le matériel de construction, on a tout fait mais les gens continue parce qu’il y a l’impunité. Si on punissait quelques uns, les autres ne monteraient plus, mais rien n’est fait. Les gens jouent la montre, ils font fi du danger en pensant contourner la loi », explique Drissa Coulibaly. L’Observatoire national des villes, créé en mai 2016 et en cours d’opérationnalisation, mettra en synergie les différents ministères en charge de la question transversale de la gestion de la ville. Ses actions devraient permettre de mieux encadrer et suivre l’évolution de la ville, démographique comme géologique.