La guerre au Sahel : la communauté internationale unie contre le djihadisme

Alors que tous les yeux sont braqués sur l’opération Barkhane et la présence française dans la bande sahélienne et au Mali, c’est une guerre de dimension internationale qui se joue actuellement au Sahel. La France y agit au nom de la communauté internationale, notamment dans le cadre de l’ONU, afin de soutenir les armées africaines dans une lutte commune contre le djihadisme. En repoussant ce dernier au Sahel, la communauté internationale vient en aide aux populations africaines, premières victimes du terrorisme djihadiste, et tente d’endiguer la menace terroriste internationale en évitant la création d’un nouvel état djihadiste à l’image de l’Etat islamique.

                                                          

L’engagement de la communauté internationale au Sahel

En 2013, la France a répondu à l’appel du Président Traoré afin d’empêcher la progression des forces djihadistes vers Bamako. Depuis, l’armée française a déployé 4500 soldats dans la bande sahélienne, et particulièrement au Mali, dans le cadre de l’opération Barkhane. Ces opérations ont un prix pour la France. Financièrement, son aide représente un coût financier et humain : depuis 2013, la France a perdu 41 hommes au Sahel – 13 soldats sont encore morts le 25 novembre. La France agit au nom et sous le contrôle de la communauté internationale. Son intervention au Mali est en effet encadrée par un accord de défense signé en mars 2013 et par une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies qui l’autorise à intervenir afin de soutenir la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma).

Depuis la création du G5 Sahel en 2014, la communauté internationale a décidé d’intensifier l’aide apportée aux pays africains qui ont uni leurs forces dans le projet d’assurer eux-mêmes leur sécurité. Les Européens, en particulier, et les Américains, apportent une aide financière, logistique et opérationnelle. Les pays partenaires se sont engagés, en accord avec le G5 Sahel, à fournir des équipements et des prestations à la Force conjointe, et non à opérer de simples transferts de fonds.

Au total, 414 millions d’euros ont été promis à Bruxelles en 2018 et 207 millions d’euros de contributions ont déjà été apportés par l’Union européenne et les Etats-Unis. A ce jour, n’ont pas encore été débloqués 100 millions promis par l’Arabie saoudite, la contribution des cinq Etats sahéliens au fonds fiduciaire (10 millions chacun) et la contribution chinoise (6,5 millions d’euros). En outre, les contributions versées sur le fonds fiduciaire du G5 Sahel atteignent 17,1 million d’euros : elles doivent provenir notamment des Emirats pour permettre l’achat de camions, de Turquie en vue de l’achat de matériel militaire ou encore du Rwanda.

 

Une aide concrète

Au-delà d’un engagement militaire de la France sur le terrain, c’est toute la communauté internationale qui intervient au Sahel à travers l’aide apportée aux pays engagés dans la guerre contre le djihadisme. L’aide européenne et américaine a permis la livraison d’équipements militaires, le financement d’infrastructures, etc. Concrètement, les bataillons de la Force conjointe ont déjà reçu des véhicules, du matériel contre les engins explosifs improvisés, ou encore des équipements de protection.

Le G5 Sahel bénéficie donc des équipements envoyés par la communauté internationale : véhicules, équipements de protection, etc. Les pays européens sont pleinement engagés au Sahel. Par exemple, la République tchèque a livré des équipements de protection individuelle pour le bataillon malien de la FC-5GS pour 400.000 euros, ou encore le Luxembourg a fourni un hôpital et des ambulances pour les bataillons burkinabé et nigérien de la Force conjointe du G5 Sahel pour un coût de 500.000 euros.

Certains retards de livraison et les échecs militaires créent une frustration compréhensible chez les populations, mais l’aide apportée au Sahel est pourtant bien réelle. Récemment, la France a par exemple été accusée sur les réseaux sociaux d’avoir livré des motos aux forces djihadistes alors que les forces armées maliennes ont confirmé que ces motos leur étaient destinées.

 

Vers l’autonomie de la défense des pays du Sahel

La France et la communauté internationale sont intervenus au Mali en réponse à une situation d’urgence qui n’est pas destinée à durer, même si certains sont découragés. Le combat continue face à la recrudescence des attaques djihadistes, mais l’un des projets essentiels de la communauté internationale est de former les armées nationales au Sahel, afin qu’elles deviennent progressivement autonomes dans leur défense.

Ainsi, la Mission européenne de formation de l’armée malienne (EUTM Mali), lancée en février 2013, réunit 620 militaires de 28 pays européens : sa mission est de former les militaires maliens. Son mandat a été prolongé en 2018 et son budget a été doublé pour être étendu aux pays réunis depuis 2014 au sein du G5 Sahel.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2017, le président français, Emmanuel Macron, a maintes fois souligné son attachement à la formation des armées sahéliennes. En Côte d’Ivoire, la France finance ainsi la construction d’une Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT) à Jacqueville. Celle-ci formera les acteurs de la lutte antiterroriste pour toute la bande sahélienne.

 

An III de l‘Accord pour la paix: Des avancées, mais surtout des chantiers…

« Ce n’est pas l’anniversaire de l’Accord »… Cette réponse d’un membre d’un groupe armé donne une idée de la divergence d’opinions qui entoure encore l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, signé le 15 mai 2015 et parachevé quelques semaines plus tard, le 20 juin. En trois années de mise en œuvre, des étapes ont été franchies, mais il semble aux Maliens que la tâche reste énorme, tant les enjeux, en particulier sécuritaire mais aussi du côté de la réconciliation, sont encore importants. Accord pour la paix, An III, quel chemin nous reste-t-il à parcourir ?

Si on devait noter sur 20 la mise en œuvre de l’accord, Aboubacrine donnerait « un 10. Tout juste la moyenne. Parce que je suis large », sourit cet enseignant qui, déplacé du nord en 2013, s’est finalement installé à Bamako. « Il y a un sentiment, que je crois partagé, d’immobilisme. C’est aussi comme si on était pris en otages par cet accord. On n’arrive pas à avancer à notre rythme, mais on ne peut pas en sortir non plus », soupire le quadragénaire, pour qui ce qui manque le plus c’est la bonne volonté. Son propos est repris jusque dans les instances internationales, où la question du Mali continue de préoccuper, même si les avancées et autres signaux positifs sont salués et soutenus. Dans ses rapports trimestriels, dont le dernier a été présenté au mois de mars au Conseil de sécurité, le Secrétaire général des Nations Unies souligne les actions entreprises avec succès, mais aussi les chantiers restants, appelant surtout les parties à faire preuve d’engagement pour une mise en  œuvre diligente de l’accord.

Equilibrisme Les contraintes dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord sont nombreuses. Elles ont pour noms sécurité, priorités de développement multiples, immensité du territoire, multiplicité des acteurs et de leurs intérêts. Ce dernier paramètre est d’autant plus important que ce sont ces acteurs qui implémentent sur le terrain le processus. Qu’ils soient des mouvements indépendantistes, qui se réclament désormais de l’accord sans abandonner leurs ambitions autonomistes, voire territorialistes, ou qu’ils soient des groupes dit « pro gouvernement », la difficulté de l’exercice réside dans le fait de mettre tout le monde « d’accord ». Sans compter que le gouvernement lui-même poursuit son agenda et doit faire face à d’autres défis inhérents à la gestion quotidienne de la chose publique. C’est donc à un jeu de funambule que se livrent et la médiation et les parties pour trouver l’équilibre qui permette d’avancer. De la composition des commissions de travail à la clé de répartition des quota de recrutement dans l’armée et le paramilitaire des anciens combattants des groupes armés, tout est pesé pour respecter les forces en présence et n’en frustrer aucune, au risque de voir la machine se gripper, comme ce fut le cas à plusieurs reprises. « C’est frustrant de voir qu’à chaque discussion, chacun s’arque-boute sur ses positions et intérêts. Pour ramener le collectif au centre du débat et avancer, ça prend des jours voire des semaines. Mais on finit par y arriver », explique un diplomate qui décrit des situations parfois très tendues aux réunions mensuelles du Comité de suivi de la mise en œuvre de l’accord (CSA). La dernière, la 23ème, a permis de fixer un cadre d’actions prioritaires, chronogramme à l’appui. « Nous avançons, même s’il y a quelques retards ici et là. La dynamique est la bonne », se réjouit le Commissaire à la réforme du secteur de la sécurité. Pour la paix et la réconciliation au Mali, plusieurs structures ont en effet été mises en place. Il s’agit du Comité de suivi de l’accord (CSA), présidé par l’Algérie, du Conseil National pour la réforme du secteur de la sécurité, présidé par le Premier ministre, dont le bras technique est le Commissariat à la réforme du secteur de la sécurité, de la Commission nationale DDR, en charge du désarmement et de la démobilisation, et de la Commission Vérité justice et réconciliation(CVJR). Elles travaillent ensemble afin de mettre en œuvre, de manière quasi simultanée et en collaboration avec les parties, les actions inscrites dans l’accord. La plupart d’entre elles ont d’ailleurs intégré des représentants de mouvements non signataires de l’accord, pour sceller l’inclusivité, qui est un maître-mot pour réussir.

Sécurité avant tout ? A ce jour, les actions les plus médiatisées relèvent sans conteste du secteur de la sécurité. La mise en place des bataillons du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) dans les régions de Gao, Tombouctou et Kidal cristallise les efforts, car, pour les parties, « c’est la condition pour que tout redémarre. La sécurité pour rassurer les gens, c’est cela le plus urgent. Il faut aussi accélérer le retour des anciens combattants dans les rangs », explique un cadre de la Plateforme. La sécurité, oui, mais pas que. Le développement, et en particulier celui des régions du nord, qui ont vu leur nombre passer à six dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord, en est l’autre volet important. L’installation des autorités intérimaires, qui devait, en entérinant le retour de l’administration, permettre le retour à la normale, est loin d’avoir produit les fruits escomptés. Si les partenaires internationaux continuent de montrer leur volonté d’accompagner financièrement la mise en œuvre des actions, les questions sécuritaire, mais aussi de l’ancrage institutionnel, de la gouvernance ou encore des droits de l’homme restent sur la table. Le CSA, dans une présentation faite lors de la rencontre des chefs religieux du 13 au 15 mai, comptabilise comme avancées dans le volet Développement économique et social de l’accord, « la création des Agences de Développement Régional (ADR) dans toutes régions, sauf Taoudénit et Ménaka, la mise en place des Conventions-État / Collectivités (signature et mise en œuvre des CPER/D) au niveau de l’ensemble des régions du Mali, exceptées les régions de Kayes, Koulikoro, Taoudénit, Ménaka et le District de Bamako, ainsi que l’élaboration et la mise en œuvre de grands projets et programmes de relèvement et de reconstruction ». Ceux-ci, s’ils ont permis une amélioration substantielle des conditions de vie des populations affectées par la crise, sont encore insuffisants pour combler des besoins plus urgents les uns que les autres. Prochaine étape, la création de la Zone de développement des régions du Nord, pour rassembler les synergies et accélérer les efforts d’investissements en faveur desdites régions.

Justice et droits de l’homme DDR, intégration, reconstruction… Quid de la justice ? Elle aussi poursuit son travail, assure-t-on au CSA. L’un des principes pour l’inclusion des mouvements et de leurs combattants et que ceux qui ont du sang sur les mains soient exclus du processus. La justice fera son œuvre en ce qui les concerne. « Si c’est le cas, ça prend du temps », déplore A.B. (pseudonyme), victime d’exactions pendant la crise à Tombouctou et qui attend que ses bourreaux soient arrêtés. « On nous parle de réconciliation, mais il faut impérativement que les gens coupables soient mis en prison et jugés, et non libérés, voire jamais inquiétés. La réconciliation a un prix, ce n’est pas le pardon, c’est la justice », conclut-elle. La CVJR est dans cette logique, assure-t-on du côté des acteurs. Il y a en cours un gros travail d’écoute et de collecte de dépositions sur le terrain. Prochaine étape : la constitution de dossiers qui seront dirigés vers la justice, ou pas. En attendant, les acteurs non gouvernementaux sont de plus en plus nombreux à s’activer sur le terrain, afin que la question de la justice, et plus globalement celle des droits de l’homme, reste au cœur du débat et que les « affaires », qu’elles datent de la crise ou soient plus récentes soient toutes prises en compte.

ll y a du retard mais on avance, assurent les membres du CSA. « Les difficultés rencontrées ne doivent pas occulter les avancées, même si elles se font avec beaucoup de compromis ». C’est un accord « pour la paix ». Il s’agit donc d’un  processus qui, même s’il trébuche et ralentit, doit atteindre son objectif : créer les conditions d’une paix durable et d’un développement équitable au Mali.

Intersessions : Dans les coulisses du CSA

Pour accompagner la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, il a été créé un Comité de Suivi de l’Accord (CSA). Le Gouvernement, la CMA, la Plateforme et la Médiation internationale y siègent.  Dans les coulisses de cette importante instance, des sous-comités thématiques travaillent avant chaque session pour faciliter leur bonne tenue. Coup d’œil.

Pour assurer une meilleure fluidité de son travail, le CSA a mis en place quatre sous-comités thématiques : « Politique et institutionnel »; « Défense et sécurité »; « Développement économique, social et culturel » et « Réconciliation, justice et questions humanitaires ». Au sein de chaque sous-comité, toutes les parties prenantes sont représentées. « Ce sont ces sous-comités qui produisent de la matière pour le Comité de suivi. C’est la branche technique », explique Ilad Ag Mohamed, porte-parole de la CMA. « Le plus souvent, ce sont les conclusions des sous-comités qui sont à l’ordre du jour de la session du CSA. On demande au gouvernement de faire une communication sur les actions entreprises et aux mouvements signataires aussi, sur les points dont ils étaient chargés, en pointant les avancées et les insuffisances », confie un membre de la structure de suivi. La présidence et la co-présidence de chaque sous- comité est généralement assurée par la médiation internationale. « Par exemple, le sous-comité Défense et sécurité est dirigé par l’Algérie », dit le chargé de communication de la CMA.

Malgré la mise en place de ces sous-comités, de nouveaux défis apparaissent chaque jour dans le processus de mise en œuvre de l’Accord. La 24ème session du CSA, annoncée pour les 12 et 13 février, ne s’est finalement pas tenue, ce qui est révélateur des divergences profondes concernant plusieurs dispositions inscrites au chronogramme à l’issue de la 23ème session. Deux sous-comités, chargés de discuter des modalités pratiques de mise en œuvre, ne tiennent plus de réunions depuis deux semaines. « Les sous-comités Développement et Réconciliation n’avancent pas parce qu’ils ont des difficultés à s’accorder sur certaines dispositions de l’Accord. Le sous-comité Développement a également perdu du temps sur la Zone de développement des régions du Nord », regrette Ilad Ag Mohamed. Seuls les deux autres sous-comités fonctionnent, même s’ils doivent gérer eux aussi en leur sein des divergences notoires sur les questions qu’ils traitent.

Pourtant, alors que l’essentiel des points inscrits dans l’Accord pour la paix et la réconciliation est en stand-by, l’urgence de répondre aux préoccupations perdure.