Ibrahim Boubacar Keïta : président mal aimé ou mal compris ?

Depuis des semaines, l’opposition politique et populaire au projet de révision de la constitution, semble avoir considérablement érodé la cote de popularité du président. Au fur et à mesure que la rue gronde au son des partisans du Non, la figure présidentielle semble en prendre un coup, et quand la riposte s’organise, les éléments de langage : « désamour », « haine » « attaque » et les propos agressifs de certains ministres, loin de susciter l’accalmie, clivent et divisent le population malienne sommée de prendre parti pour le Oui ou pour le Non, pour ou contre le président. Cette communication politique non-maîtrisée, autour d’un sujet aussi sensible, à un an de l’élection présidentielle, risque d’abîmer encore plus l’image du président, qui peine à faire imprimer durablement son action politique dans l’opinion publique.

« Aujourd’hui, il est clair qu’IBK est très impopulaire, vous avez sûrement appris que dans un quartier où il passait, il a été hué ? », interroge ce membre de la Plateforme An té A bana Touche pas à ma constitution, en marge de la grande marche des partisans du Non, le 15 juillet dernier. « Chez nous, Maliens, un chef d’État qui se fait huer c’est le summum de l’impopularité », ajoute-t-il.

Parmi les slogans scandés par les manifestants, demandant le retrait pur et simple du projet de constitution, on pouvait aussi en entendre d’autres, adressés directement au chef de l’État : « IBK démission ! IBK dégage ! », preuve que ces manifestations en faveur du Non à la révision constitutionnelle, sont devenus petit à petit un réceptacle de toutes les frustrations, un pot-pourri des mécontentements qui se sont agglomérés avec la loi référendaire. « Une réforme constitutionnelle a toujours soulevé partout dans le monde des partisans et des détracteurs. On l’a vu à Dakar, en Côte d’Ivoire, partout dans le monde », souligne le ministre Baber Gano, secrétaire général du Rassemblement pour le Mali (RPM), parti au pouvoir, qui considère que cette réforme est nécessaire. « Ils ont inventé des arguments qui ne sont pas contenus dans la constitution. Il s’agit de rancoeur, de rancune et d’une haine envers le président. Mais IBK a su préserver son image, il a accepté toutes les critiques, souvent très extrémistes, voire injurieuses, il s’est comporté en vrai homme d’Etat. Quand tout ça se calmera, son travail de chef d’Etat continuera », assure le ministre des Transports.

Popularité en berne Il en avait suscité pourtant de l’amour ce candidat à la présidentielle. L’homme qui pouvait sauver le Mali, porté aux plus hautes fonctions par 77 % des suffrages, un score inédit dans le pays, qui a surpris tout le monde, à commencer par ceux qui ne l’avaient pas vu venir, ses adversaires, tous issus de la même génération politique, amis d’hier, et qui se pensaient favoris. « Est-ce que vous voyez le mal que cela a pu leur faire quand celui qui n’était pas dans leurs calculs est venu les gouverner ? Ils ne veulent pas attendre qu’il finisse son mandat, il faut le torpiller pour montrer qu’il est incapable », lance Badara Aliou Sidibé, chef de cabinet au Conseil économique et social, confortablement assis dans un fauteuil de son bureau à Koulouba.

C’est à Koulouba justement, au palais présidentiel, une bulle où les bruits du pays remontent difficilement, que le nouveau président va connaître un bref état de grâce en 2013, stoppé net par l’acquisition de l’avion présidentiel et l’affaire des marchés de l’armée. A Koulouba, sans des canaux fiables capables de remonter les humeurs du pays, la réalité du terrain s’estompe. « Il faut aussi reconnaître que le président IBK, c’est quelqu’un d’inaccessible, il l’a toujours été. C’est un chef, tout le monde n’a pas accès à lui. Il y a des ministres qui ne voient IBK que lors du Conseil des ministres. Au RPM, au bureau politique national, certains ne l’ont pas vu depuis très longtemps », explique ce collaborateur de la présidence de la République, sous couvert d’anonymat.

Aujourd’hui, cette image de président déconnecté du pays, dont les actions ne satisferaient que 46 % des Maliens, selon le sondage Mali-Mètre de mars dernier, et qui s’obstine dans un choix que beaucoup disent ne pas comprendre, lui colle à la peau. A l’international, le président suscite de plus en plus de réserves quant à sa capacité d’être à la hauteur des enjeux. « IBK ne voit pas le peuple dans cette opposition au référendum, il voit des adversaires qui veulent se comparer à lui, qui veulent montrer qu’ils sont les chefs : Tiébilé Dramé, Madame Sy Kadiatou Sow, Modibo Sidibé, etc. Ce sont eux qu’il voit et pas le peuple malien, c’est pour cela qu’il est en déphasage », observe ce chroniqueur de la scène politique malienne.

Au RPM, les partisans du président se sont lancés avec zèle dans la bataille, reprenant en éléments de langage les paroles formulées par le président, au risque de desservir ce dernier. « C’est une communication élaborée et dirigée de manière maladroite. Quand vous entendez un membre du RPM dire que c’est « une haine » qui vise le président, ça créée un malaise. C’est une grosse erreur d’appréciation », commente ce spécialiste français en communication politique, qui considère que ce type de communication peut potentiellement amener à des situations de pure confrontation.

Objet communicant non-identifié Pointés du doigt, les communicants du président, qui ne maîtrisent pas vraiment ce domaine et n’ont pas réussi, depuis son accession au pouvoir, à élaborer une stratégie de communication politique efficace valorisant l’homme, ses idées et ses actions, abîmant par là-même son image. « La communication du président fait partie du problème. On sent un passage en force, on sent un mépris de tout ceux qui peuvent avoir une autre position. C’est nous le pouvoir, nous allons l’imposer. Ce sont des invectives, des menaces. Quand vous entendez le langage des dirigeants de ce pays sur les antennes nationales, c’est incroyable ! », s’exclame Soumana Kalapo, syndicaliste et membre de la Plateforme An té A bana. Pour ce chroniqueur politique, il y a aussi une certaine crainte à aborder le chef de l’État sur ses sujets. « Je ne connais pas un conseiller en communication qui ose taper à la porte du président. Je n’ai pas vu de gens autour de lui assez responsables pour aller lui dire « on est en train de foncer dans le mur, il faudrait vraiment faire une ouverture et voilà l’ouverture qu’on peut faire. Il faut une personnalité qui pourra lui parler, lui exposer sincèrement l’État de la situation ».

Reste que cette communication « artisanale » se traduit dans l’opinion par une perte de crédibilité évidente, une image dégradée auprès des Maliens et un manque de visibilité de son action. « Il y a tellement de choses qui sont passées inaperçues que finalement on peut se dire qu’il n’y a rien. Les militaires le disent, ce qu’il a fait pour l’armée, en 50 ans d’indépendance, aucun président ne l’a fait. Moi je sais que le tableau n’est pas totalement noir, même si le bilan n’est pas reluisant. Il a fait des choses mais ce n’est pas forcément perceptible ici à Bamako. À l’intérieur du pays, le peuple croit encore à IBK », affirme ce militant du RPM.

Le sursaut ? A un an jour pour jour de la prochaine élection présidentielle, le temps semble court pour le président candidat à sa succession, qui devra mettre les bouchées doubles pour inverser la vapeur. « Tout ce qui se passe créée des sympathies pour nous et diminue, à mon avis son électorat. Le régime doit faire attention et se souvenir que les Maliens qu’il menace et maltraite aujourd’hui sont des électeurs », assène Soumana Kalapo. Mais certains veulent y croire. « C’est un patriote, c’est indéniable. Il est vraiment attaché aux intérêts du pays, mais toutes ces erreurs de communication comme de casting ont fait que ça ne s’est pas manifesté comme il le voulait. Il est largement insatisfait », poursuit ce même militant.

Sortir par le haut, dire que ce projet de révision a manqué de concertation, montrer qu’il est capable d’écoute, afin d’enclencher la dynamique pour la présidentielle de l’année prochaine, c’est ce que certains pensent au sein même de sa famille politique. « S’il a l’habileté de retourner au dialogue, de dire « je vous ai compris », comme disait De Gaulle, l’un de ses modèles, dans ce cas je crois qu’il y aura les moyens de redresser sa popularité », souligne ce cadre du parti majoritaire. « Il y a quand même un fond légitimiste dans ce pays, surtout dans le pays profond, s’appuyant sur des valeurs culturelles où, quand le chef reconnaît qu’il a eu tort et qu’il veut sincèrement réparer, il y a une possibilité. De plus, il n’y a pas dans l’opposition une personnalité qui émerge de manière évidente, qui peut opérer un renversement de l’opinion nationale en sa faveur. Donc IBK reste, malgré tout, un candidat évident et incontournable », conclut-il.

 

Hamadoun Touré : « Cultiver les réflexes démocratiques »

Un cocktail de presse à  la Maison de la Presse du Mali, jeudi 10 Mai, C’’est la formule qu’a choisi Hamadoun Touré, le nouveau ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement de transition pour rencontrer les acteurs de la presse malienne. «Â Cultiver le réflexe démocratique » Face aux rumeurs, intoxications et amalgames de toutes sortes, la presse dans son ensemble est ciblée pour le rôle qu’elle à  jouer dans la résolution de la crise malienne «Â D’autant plus, estime Hamadoun Touré, qu’une partie de ce que traverse le Mali, peut être mis en corrélation avec l’exercice plus ou moins transparent des médias ces dernières années. » Presse partisane, presse à  sensations, presse à  propagande, toutes les dérives existent dans le paysage médiatique malien. La crise que traverse le Mali représente donc une période particulièrement sensible : «Â Nous vivons une situation unique, nos valeurs, nos traditions, ce que nous avons de plus cher est malmené aujourd’hui », a souligné le ministre. Avant sa nomination au gouvernement, Hamadoun était porte-parole et directeur par intérim du Bureau de l’information publique de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (ONUCI). Il a toujours baigné dans le milieu : « La communication, les médias, C’’est-ce que je connais le mieux et C’’est pourquoi J’ai voulu vous rencontrer et vous transmettre deux choses : La première, C’’est de restaurer au plus vite l’autorité de l’Etat sur tout le territoire national. Et la deuxième, C’’est d’avoir les réflexes démocratiques. » Pour l’ancien fonctionnaire des Nations-Unies, rompu à  la tâche de porte-parole, les réflexes démocratiques sont une autre obligation, presque un état d‘esprit à  cultiver pour chaque malien. Quels démocrates sommes-nous ? Comment intégrer une notion qui a été mise à  rude épreuve depuis un mois maintenant. Il n’a fallu que quelques heures aux putschistes pour renverser ce qu’ils ont appelé une «démocratie de façade» jeune de 20 ans. « Communication de crise » Pour son premier exercice de communication post-crise, Hamadoun Touré a fait une déclaration télévisée pour appeler la population malienne au calme après les évènements du 30 avril o๠des affrontements ont opposé bérets verts et rouges. Une déclaration brève qui montrait le ministre prendre toute la mesure de la communication de crise. Pour la plupart des journalistes présents au cocktail de presse, la rencontre avec le ministre s’imposait dans un contexte o๠la communication est essentielle, voire primordiale. N’est-ce pas cette absence d’informations qu’on avait reproché au régime d’ATT ? Cette fois, le nouveau gouvernement que dirige Cheick Modibo Diarra, ne pourra échapper à  un devoir capital: celui de dire la vérité aux Maliens, toute la vérité sur ce qui passe dans leur patrie.