Dialogue national : Consensus difficile

Sollicité par tous les acteurs, le dialogue national semble désormais la seule voie indiquée pour sortir de la crise au Mali. Les différentes réformes institutionnelles, l’insécurité, la crise de l’école, etc… toutes les préoccupations de l’heure ne pourront trouver leurs solutions que dans un débat franc et inclusif, où tous les acteurs conviendront de l’essentiel. Si le principe paraît acquis, la mise en œuvre et les modalités de ces discussions ne font pas encore l’unanimité. Au-delà de la forme, les questions de fond et leurs réponses restent encore à définir.

« Lorsque nous connaissons une crise aussi profonde et multidimensionnelle, qui touche tous les pans de la société nationale, il faut prendre son temps pour analyser les causes et faire ensemble l’état des lieux de la Nation », explique M. Bréhima Noumadi Sidibé, secrétaire général adjoint du parti Forces alternatives pour le renouveau (FARE- Ankawulli).

Depuis le coup de fil du Président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, au chef de file de l’Opposition, Soumaïla Cissé, en février 2019, une décrispation du climat politique semble s’amorcer pour ouvrir la voie à des solutions concertées. Une initiative saluée par les acteurs, qui estiment que le « Président a pris la mesure des choses ».

Au-delà de « l’impérieuse nécessité d’instaurer un dialogue », selon le Président du parti Alliance Démocratique pour la Paix (ADP- Maliba), Amadou Thiam, il faut un climat de « décrispation politique et sociale ».

Le processus, entamé par une série d’entretiens entre le chef de l’État et les différentes sensibilités de la société, doit cependant se poursuivre à travers un « dialogue ouvert et sincère », qui va évoquer « les questions de fond et l’implication de chacun dans la résolution, y compris la gouvernance », ajoute M. Thiam.

Conférence nationale bis ?

Si l’idée d’un débat ouvert et large, impliquant tous les acteurs de la vie de la Nation, fait son chemin, les acteurs sont plutôt réticents au concept d’une « conférence nationale » bis, qui deviendrait plus un exutoire où l’on exprimerait des humeurs qu’un cadre où l’on discuterait des solutions aux maux qui assaillent le Mali.

Pour aboutir à un « nouveau pacte social », ultime objectif du dialogue national, il faut une base et des préalables qui ne pourront être peaufinés qu’à l’issue d’un « dialogue politique de haut niveau et des consultations restreintes », estime le Président du parti ADP-Maliba, menés par le Président de la République avec les différentes sensibilités de la société qui pourront ensuite prendre part à une concertation plus large et se sentir concernées.

Compte tenu des enjeux, il est important que les citoyens soient au même niveau d’information et de compréhension, afin d’apporter leurs idées. Le travail de proximité doit donc continuer, avec « méthodologie et pédagogie », suggère M. Thiam, pour que le dialogue national « consacre l’unité » au lieu d’accentuer les divisions.

Ce dialogue doit par contre être mené de la « base la plus décentralisée au sommet », estime pour sa part le secrétaire général adjoint du parti FARE – Ankawuli. Si les partis ont leur rôle à jouer dans l’animation de la vie politique, tous les citoyens n’appartiennent pas à ces regroupements, or ce sont eux qui doivent être les principaux acteurs de la situation. C’est pourquoi, aux FARE – Ankawuli, on prône « un dialogue national refondateur », pour «  revisiter » notre système et nos pratiques démocratiques, qui ont montré leurs limites. Il faut  surtout nous ressourcer à partir de certaines de nos « valeurs sociétales », que nous n’aurions jamais dû abandonner, estime le responsable des FARE – Ankawuli.

La gravité et l’urgence des questions nécessitent un diagnostic commun, afin que les priorités dégagées à l’issue du dialogue national soient « une boussole » pour le peuple et les régimes successifs qui devront s’atteler à sa mise en œuvre.

Le préalable à ce dialogue est la restauration de la confiance entre la classe dirigeante et la population. Car les « Maliens n’ont plus confiance en la majorité de leurs institutions », tranche M. Sidibé.

Changement de gouvernance

Crise de confiance ou même « crise de la gouvernance », reconnaît le Président de l’ADP – Maliba. L’insuffisance de légitimité populaire qui caractérise la gouvernance actuelle doit être corrigée pour prendre en compte les différentes sensibilités et mettre en confiance ceux qui ne se reconnaissent pas dans celle-ci. « Élargir  la base politique et sociale ne peut qu’aider à améliorer la gouvernance et à donner de la visibilité à l’action politique », estime M. Thiam.

Plutôt qu’un gouvernement d’union nationale, le parti FARE – Ankawuli préconise « un gouvernement de mission ». Une équipe resserrée autour de l’essentiel, dont la mission principale sera l’organisation du dialogue national. Mais il ne doit pas être précipité, selon le responsable des FARE – Ankawuli, et doit durer le temps nécessaire pour écouter tous les Maliens, sans exclusive.

Pourtant le temps presse et « tout est urgent », estime M. Thiam. En effet, plusieurs échéances sont en vue, parmi lesquelles l’élection des députés, dont le mandat prorogé arrive à terme en juin 2019. S’il faut « accélérer la cadence pour ne pas être dans un vide constitutionnel », selon M. Thiam, il faut surtout éviter tout « replâtrage » dont le Mali n’a pas besoin, estime M. Sidibé.

Quant à la réforme constitutionnelle, dont le processus continue d’être critiqué par les acteurs, elle n’est pas la priorité, même si les acteurs en reconnaissent la nécessité.

Recherche de compromis

Dans un « contexte exceptionnellement grave », où c’est l’existence même du Mali qui était menacée, l’obstacle majeur au dialogue a été levé grâce à l’implication personnelle du Président de la République, affirme M. Iba N’Diaye, deuxième Vice-président de l’Union pour la République et la Démocratie (URD) et chef de cabinet du chef de file de l’Opposition. Certes « timidement », mais le dialogue a déjà commencé et il faut s’en réjouir, malgré les différences de vision. Et ce processus, qui en est à ses débuts, doit conduire à un forum dont c’est le contenu qui sera important.

Si un « gouvernement  d’union  n’est pas la priorité », il faut s’entendre sur l’essentiel et tenir le dialogue sur les questions de réforme et de corruption, notamment. La mise en œuvre de ce dialogue, qui ne saurait être menée par une seule partie, justifiera alors l’entrée dans un gouvernement, selon M. N’Diaye. Sur la base  d’un contrat, au respect duquel « chacun veillera ».

Pour sa participation, le parti URD se dit prêt, avec même des propositions dans les différents domaines, notamment les réformes nécessaires au sein de toutes les institutions.

Le parti, qui ne souscrit pas à la démarche entreprise pour la réforme constitutionnelle, adhère pourtant à son principe et espère même que les reproches faits au premier projet seront pris en compte pour la future mouture, dont la copie a été remise au chef de l’État le 1er avril par le comité d’experts.

Tenir des forums à la base afin de consulter le peuple, avant la tenue du forum national, c’est l’idéal, affirme M. N’Diaye. Mais un tel exercice demande une mise en place matérielle et surtout un délai qui « n’est pas en notre faveur ».  C’est pourquoi «  c’est tout cela qui doit faire l’objet d’accords », car nous en avons l’habitude.

Cette prédisposition pour le dialogue connaît néanmoins de nombreux obstacles. Suite aux tueries survenues à Ogossagou le 23 mars 2019, l’URD, par la voix de son président, a appelé à la démission du gouvernement. Une demande réitérée aussi par des associations de la société civile.

Mais cette  situation ne constitue pas pour M. N’Diaye une entrave à la poursuite des rencontres et du dialogue, qui doit être « inclusif et total ». Le dialogue étant la seule issue «  au chaos actuel », il nous faut «  trouver un consensus national », conclut-il.