EDM SA : Consommateurs (très) mécontents

Il y a maintenant des semaines, alors que la saison hivernale battait encore son plein, les Bamakois ont été surpris de se retrouver confrontés à une de leurs hantises… les coupures de courant. Alors que l’on appréhende surtout les mois de mars à juin, c’est en août que les « délestages » ont commencé. Au grand dam des consommateurs, qui se déchainent contre la compagnie de fourniture d’électricité, EDM SA. Cette dernière peine à faire avaler la pilule, malgré une campagne de communication dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ces « trop fréquentes » coupures font monter la grogne et les appels à une libéralisation du secteur se multiplient.

« Courant naana ! » (L’électricité est revenue, en bamanakan). S’il y a quelques années c’est avec un sourire jaune que les parents entendaient cette exclamation de leurs enfants au retour de l’électricité après une coupure, c’est plutôt de l’exaspération que l’on peut lire maintenant sur les visages. « Est-ce qu’ils se rendent compte que nous devons travailler demain ? », tempêtait quelques secondes auparavant Mahamoud, chef de famille résidant à Kalabancoro Extension, sorti sur le pas de sa porte. L’homme est excédé. C’est la deuxième coupure de la soirée et il ne dispose ni de groupe électrogène ni de lampe solaire (gros business en développement au Mali) pour prendre le relais. « Ça nous arrive presque tous les jours, c’est fatiguant, énervant et ça nous handicape dans beaucoup de choses », poursuit-il, en autorisant ses enfants à aller se coucher sans avoir révisé leurs cours, faute de lumière. « Je ne vais pas leur abimer les yeux en les faisant étudier à la bougie… ». Devant un atelier de couture, non loin de là, petit attroupement autour de la théière qui fume sur le feu. Tous les tailleurs sont venus rejoindre les jeunes du grin qui « se pose » là tous les soirs. « Pas moyen. C’est compliqué, on a des commandes et dans la journée, ça avait déjà été coupé » se désespère Mass, la secrétaire, qui était restée sur place pour mettre un peu la pression sur les ouvriers afin que le travail avance cette nuit-là. « Comment peut-on développer un pays si l’électricité demeure une denrée de luxe ? Ce n’est pas possible ! » s’insurge Adama D, communicant. « Il faut voir quand il y a une coupure. Tout le monde est au chômage ici. Du standardiste au DG, tout le monde cesse de travailler et cela pour des heures parfois. Impossible d’être compétitifs dans ces conditions », ajoute son ami H, cadre dans une structure parapublique.

« Avis de perturbations » …

Des exemples de ce genre, il y en a par centaines et par milliers dans la capitale malienne, et ce depuis le mois d’août. C’est en effet au beau milieu de la saison des pluies que les coupures de courant ont commencé. Plus aucun quartier n’est épargné et les coupures interviennent de jour comme de nuit. « On ne comprend plus rien. D’habitude, c’est en période de chaleur qu’on a des délestages, là, EDM SA nous coupe alors qu’il pleut », s’interroge-t-on. Quelques incidents techniques, vite résorbés à l’époque, répond-on à Energie du Mali (EDM) sa, la compagnie qui a le monopole de la distribution de l’électricité au Mali, précisant qu’il ne s’agissait pas de délestages. Et les coupures actuelles ? « A Energie du Mali, nous avons deux périodes de pointe. Il y a la petite pointe, de la mi-septembre à fin novembre, et la grande, de fin mars à juin. Nous sommes donc dans la petite pointe », explique Abdoul  Malick  Diallo, chef de la cellule de communication de l’entreprise.

« Or, notre offre est pratiquement tangente à la demande et il suffit qu’il y ait une difficulté, comme une panne, pour que ça bascule. Nous sommes vraiment sur le fil du rasoir. Il suffit qu’un groupe tousse pour que ça bascule », poursuit notre interlocuteur. « Ces derniers temps, nous avons des perturbations sur le réseau. Nous avons eu d’abord un problème sur la ligne Dar Salam – Kodialani (derrière Sébénikoro), qui a été résorbé. S’en est suivit un souci sur les liaisons 30 kw. C’est par elles que transite l’électricité entre les différents postes – sources qui dispatchent le courant dans la ville. Aujourd’hui, nous avons des avaries sur ces liaisons, qui sont aujourd’hui d’un certain âge et commencent à montrer des signes de faiblesse. Sans oublier que dans l’exploitation normale des installations électriques, il y a toujours des imprévus, pannes de groupes électrogènes, camions qui arrachent des poteaux électriques, etc. En permanence il y a des cas comme ça, que nous devons régler à une cadence très régulière. Quand il y a une panne, il faut réparer et, pendant ce temps, il y a des coupures. En gros, c’est cela, la situation », précise M. Diallo.

« #Antorola » (on n’en peut plus, en bamanakan), sur les réseaux sociaux, c’est le maître mot des publications, désormais directement adressées à la société. « Depuis combien d’années c’est le même problème, le même constat. Toujours les mêmes coupures intempestives » peut-on lire sur une page Facebook. Les messages sont de plus en plus durs, appelant au refus de paiement des factures ou à des demandes de remboursements pour destruction d’appareils électroménagers et même d’outils de travail. Les rumeurs ont également pris la place de l’information : « EDM est en faillite », « elle a perdu ses actionnaires majoritaires », « le DG a bloqué les contrats avec les fournisseurs, c’est la raison des fluctuations dans la fourniture », etc. Faux ! répond Diallo. La société a donc entrepris une véritable campagne de communication. Elle multiplie les messages sur les réseaux sociaux et dans les médias. Les avis de perturbation de la fourniture en électricité sont relayés sur Facebook, en particulier, EDM sa estimant que ses clients sont plus faciles à toucher sur ce média social. Plus institutionnellement, ce mardi 17 octobre, c’est son Directeur Général Adjoint Technique, Ladio Sogoba, qui a fait le point sur la situation des perturbations dans la fourniture d’électricité. Il a rencontré la presse, à laquelle il a expliqué que la solution durable passait par des investissements dans la construction de nouvelles centrales et par le renforcement du réseau, pour faire face à la croissance de la demande, de 12% en moyenne chaque année. Aujourd’hui, la demande moyenne quotidienne de la ville de Bamako est de 300 Mégawatts.

Libéraliser le secteur ?

Si EDM ne peut pas, qu’elle laisse la place à d’autres !  C’est la phrase que l’on entend de plus en plus souvent chez les usagers excédés. Libéraliser le secteur de la fourniture de l’électricité ? C’est déjà le cas au Mali. Les investisseurs privés ont, en principe, le droit de monter des unités de production d’électricité, quelle qu’en soit la source, dans le cadre de la loi, et de la vendre à EDM SA.  « C’est le cas par exemple de la centrale solaire qui est en cours de construction à Ségou. Elle vendra de l’énergie à la société, qui la diffusera dans son réseau » explique-t-on chez le fournisseur d’électricité. Cela permettra de pallier l’incapacité des infrastructures actuelles à satisfaire les besoins. « Construire un barrage n’est pas le rôle d’EDM. EDM, c’est l’exploitation, c’est à l’État de faire des investissements. Aujourd’hui, le seul barrage qui appartient en propre au Mali, c’est Sélingué. Il date de combien d’années ? », interroge un technicien, qui ajoute « on doit dépasser les discours, arrêter de tendre un doigt accusateur vers la société, qui ne fait que ce qu’elle peut avec les moyens qu’elle a ». En attendant donc que l’État, qui a plusieurs projets d’ouvrages majeurs en cours, tel que le barrage de Taoussa, puisse augmenter la production, et qu’EDM SA arrive à optimiser les infrastructures dont elle dispose pour le moment, les consommateurs resteront dans l’angoisse de la prochaine coupure de courant…