MINUSMA : Vers un mandat « robuste » ?

Le 30 juin, le Conseil de sécurité des Nations Unies doit renouveler le mandat de la Mission multidimensionnelle des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Déployée dans le pays depuis 2013, elle a pour mandat principal de stabiliser les grandes agglomérations et de contribuer au rétablissement de l’autorité de l’État en soutenant la mise en œuvre de l’Accord pour la paix de 2015. Six ans après, la paix est toujours un mirage et le centre, jadis stable, est rongé par la violence des milices et des groupes terroristes.

Chaque année, et ce depuis 2013, le Conseil de sécurité de l’ONU prolonge à l’unanimité le mandat de la MINUSMA pour un an, lui fixant des priorités et résultats à atteindre. La principale mission est d’aider le pays à retrouver la paix et à affirmer son autorité, en mettant l’accent sur la protection des civils contre les violences. Avec la signature en 2015 de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale issu du processus d’Alger, la MINUSMA s’est investie auprès des parties signataires pour sa mise en œuvre. Mais cette signature « à l’arraché » n’a pas permis le retour de la paix. Le cycle de violences a au fil du temps gagné progressivement le centre du pays, avant que cette zone ne devienne en 2018 la plus dangereuse. Les attaques terroristes visant les forces de défense et de sécurité maliennes ainsi que les forces internationales se sont intensifiées. Les derniers massacres de civils au centre du pays ont couronné « l’impuissance de la MINUSMA » et ré ouvert le débat sur son utilité en l’état, à la veille du renouvellement de son mandat. Car restaurer la paix dans un pays en guerre semble être une mission impossible pour elle.

En conférence de presse, le vendredi 21 juin à l’hôtel Sheraton, le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies au Mali, chef de la MINUSMA reconnaissait les attentes déçues des Maliens. « Je sais depuis que je suis là que les attentes des Maliens lambda sont au-delà du mandat de  la MINUSMA. Ils estiment qu’il faut une force d’imposition de la paix pour lutter contre le terrorisme. Nous, notre mandat, c’est un mandat de stabilisation du Mali », affirmait Mahamat Saleh Annadif.  « À partir du moment où il y a ce péché originel, que j’ai toujours évoqué, et à partir du moment où nous sommes là et qu’il y a toujours des morts, considérons que nous avons tous échoué et que le premier échec est celui des Maliens d’abord », répliquait-il à une question.

Mandat robuste ou statu quo ?

Alors que les critiques visent la mission, qui a payé un très tribut en vies humaines, le gouvernement, à travers son ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, plaide depuis quelques mois auprès du Conseil de sécurité le renouvellement de son mandat. Tiebilé Dramé a demandé « une présence accrue de la MINUSMA dans les régions du centre du Mali, aux côtés des Forces de défense et de sécurité maliennes, afin de protéger les populations civiles et leurs biens, de mettre un terme au cycle de violences et de permettre le retour de l’administration et des services sociaux de base ».  En visite de « solidarité » au Mali du 19 au 21 juin, le Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux opérations de maintien de paix, Jean-Pierre Lacroix informait du renforcement de l’action de la MINUSMA dans le centre mais sans changements majeurs. « L’effectif ne sera pas augmenté, mais notre défi c’est comment faire mieux et plus pour aider les Maliens à inverser la  tendance. L’essentiel, c’est de faire en sorte de prévenir les menaces (…) et de créer des espace de sécurité pour permettre à l’État de revenir ». Le diplomate soulignait que « la MINUSMA a été créée pour répondre aux problématiques du nord et surtout à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale ».

S’il fut un temps où ce mandat était incompris d’une frange de l’opinion malienne, aujourd’hui, il s’avère à ses yeux inadapté au contexte. « Le mandat, tel que défini, ne répond pas du tout à l’urgence du moment. Il faudrait revoir les dispositions, pas un renouvellement seulement. La MINUSMA est considérée aujourd’hui comme une force tampon, d’interposition, il faut penser qu’elle puisse aller au-delà », estime Khalid Dembelé, économiste et chercheur au Centre de recherche et d’analyses politiques, économiques et sociales (CRAPES). Selon lui, rien ne laisse présager du mandat « robuste » tant réclamé. « C’est à nous de faire en sorte que le mandat puisse aller au-delà : qu’ils acceptent ou qu’ils quittent le pays », affirme-t-il.

Dans son dernier rapport, en date du 31 mai, sur la situation au Mali, le Secrétaire général de l’ONU recommandait une augmentation en « efficacité et en efficience, en assurant une protection accrue lors des déplacements, en étant plus souple et plus agile et en adoptant une attitude proactive dans toutes ses zones de déploiement. Ce qui nécessitera la reconfiguration de certaines unités existantes et le déploiement de capacités supplémentaires ».

C’est ainsi que le camp de Diabali devrait être transféré aux FAMAs début 2020. Les responsables onusiens rappellent souvent que la MINUSMA n’a pas à se substituer à l’État, mais à l’appuyer dans ses efforts. « Il y a une nécessité de réponses maliennes à la crise du centre. Chacun a son rôle. N’essayons pas de considérer qu’il y a une baguette magique quelque part qui s’appelle MINUSMA,  EUTM ou G5 Sahel », rappelle le chef des opérations de maintien de  paix, ajoutant « il faut un renforcement des capacités de l’État, des FAMAs et des forces de sécurité ».

Même si la contribution des Nations Unies est considérable, le mal est toujours vif et le pays peine à se remettre debout. La persistance de l’hémorragie malgré l’assistance des forces internationales agace de plus en plus en l’absence de perspectives. Dr Bréma Ely Dicko, chef du département Sociologie – anthropologie de l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako, recommande un mandat robuste pour la MINUSMA. « C’est le minimum que les Nations Unies puissent faire, pour la simple raison qu’il permettra à la MINUSMA d’être plus efficace sur le terrain et de contribuer à la lutte contre le terrorisme, ce qui n’est pas dans son mandat actuel », souligne-t-il.

Une mission à laquelle doivent faire face, selon Abdoulaye Tamboura, Docteur en géopolitique, d’autres forces. « C’est aux Forces armés maliennes, à Barkhane et au G5 Sahel que revient cette mission ». C’est d’ailleurs dans cette lutte qu’un groupe armé terroriste a abattu mi-juin lors de combats dans le nord-est du pays un hélicoptère de la force Barkhane. Un témoignage de leur capacité de nuisance et de l’urgence à circonscrire les violences au centre.

Pour Dr Bréma Ely Dicko, le temps n’est plus au statu quo. « À quoi sert de vouloir sauvegarder des institutions si le pays sombre de jour en jour et tend vers l’inconnu ? Il est aujourd’hui plus que nécessaire de revoir la façon de faire de la MINUSMA, de la sortir de cette position de stabilisation pour être une force combattante ». Il ajoute « si l’on n’accorde pas à la MINUSMA un mandat robuste, lui permettant de combattre les groupes terroristes, elle comptera toujours ses morts et sera là pour une dizaine d’années ». 

Toutefois, le sociologue suggère qu’à défaut d’accorder un mandat offensif à la mission « ses effectifs soient réduits et de faire en sorte que l’argent qui servait à les prendre en charge soit réorienté au bénéfice du G5 Sahel, qui est une force de lutte contre le terrorisme sans moyens ».

Pour l’heure, malgré les critiques, la présence de la MINUSMA reste indispensable, tant la menace est réelle. Les Forces armées maliennes supposées prendre la relève sont  toujours en reconstruction.

Conseil de sécurité nationale : Un de plus ?

Il y a deux semaines, le Conseil des ministres a adopté un projet d’ordonnance portant création du Conseil de sécurité nationale. Une nouvelle structure multisectorielle née du programme « Initiative Obama ». Placée sous l’autorité directe du Président de la République, elle vise l’amélioration de la gouvernance et de  la sécurité et se veut un outil d’anticipation et de résolution des crises.

« Ce conseil fait suite à ce qu’on appelle l’Initiative Obama. En 2014, il (Barack Obama) a rencontré les présidents africains et décidé de mettre en place  un programme d’amélioration de la gouvernance et de la sécurité dans les pays test. Six pays ont été choisis, trois anglophones, le Kenya le Ghana et le Nigeria, et trois francophones, le Mali, le Niger et la Tunisie », explique l’Inspecteur général de police  Ibrahim Diallo, Commissaire à la Réforme du secteur de la sécurité. Le projet a été adopté lors du Conseil des ministres du 28 février et est l’un des volets de la réforme. Selon l’Inspecteur général, l’objectif est « d’améliorer la gouvernance dans le secteur particulier de la défense et de la sécurité et  plus spécifiquement de la police et de la justice ».

Les insuffisances constatées dans le suivi de ces questions, mais aussi dans la coordination du renseignement au niveau national, ont motivé la création du conseil.  « Nous avons suggéré la création de ce conseil, rattaché au Président de la République lui-même, pour qu’il  soit au centre des questions de défense et de sécurité et pour que s’il y a un problème de défense ou d’urgence  les informations remontent directement au chef de l’État, qui prend les décisions ».

Pourtant, des structures similaires existent, notamment le Conseil supérieur de la défense  et le Conseil supérieur de la sécurité. Selon le Commissaire à la réforme du secteur de la sécurité, la différence se situera au  niveau de l’efficacité. « Les compétences de certaines de ces structures vont revenir à ce conseil. Cela permettra la célérité dans les décisions ».

Pour Khalid Dembelé, économiste et chercheur au Centre de recherches et d’analyses politiques, économiques et sociales (CRAPES), l’enjeu est ailleurs. « Aujourd’hui, l’enjeu n’est pas de créer des nouvelles structures de sécurité avec les mêmes acteurs mais d’associer des acteurs de la société civile à l’élaboration des solutions, car ce sont eux qui subissent tous les jours les impacts de  cette situation d’insécurité ».  « La solution, de toutes façons, ne viendra pas de ce conseil », insiste le chercheur. Et l’Inspecteur Diallo de conclure : « on ne peut jamais empêcher les crises. Le plus important, c’est de les anticiper et de proposer des solutions ».

Ballan Diakité : « Ce n’est pas un simple dialogue qu’il faut, mais un débat national »

La semaine dernière, le Président de la République a reçu le chef de file de l’opposition, l’Honorable Soumaila Cissé, son challenger lors des deux dernières présidentielles. Un geste pour décrisper le climat politique. Mais que vaut cette rencontre ? Ballan Diakité, analyste politique au CRAPES, la décode.

Quel sens peut-on donner à cette rencontre ?

Donner un sens à cette rencontre c’est voir si elle peut nous fournir des éléments de réponse à la crise sociopolitique. On a assisté à un simple jeu de langage entre un ainé et son cadet. La rencontre devait réunir un Président de la République et le chef de file de l’opposition. Elle ne répond pas au problème de légitimité du Président IBK, longtemps contesté par Soumaila Cissé. Dire j’ai été reçu par mon ainé, n’est-ce pas une manière de refuser de dire j’ai été reçu par le Président ?  Ce fut un coup de communication politique, car, depuis la dernière élection présidentielle, Ibrahim Boubacar Keita et Soumaila Cissé semblent être en perte de vitesse en termes de la visibilité. L’omniprésence de Soumeylou Boubeye Maiga « efface » IBK. Et Soumaila aussi l’est depuis quelque temps. C’est une manière d’affirmer leur existence aux yeux d’autres acteurs, notamment le Premier ministre et les religieux, qui ne cessent d’influencer le jeu politique.

Que va-t-elle changer ?

Elle ne changera rien. Les enjeux sont ailleurs. Ce n’est pas d’un salon présidentiel qu’on va résoudre les problèmes cruciaux de ce pays, d’un tour de magie. Il faut aller sur le terrain. Il y a une crise de démocratie, les opinions des populations ne sont jamais prises en compte. Il faut leur donner la possibilité de parler, de dire ce qu’elles pensent. Ce qu’il faut, ce n’est pas un simple dialogue, mais un débat national. Que la parole soit donnée à un vendeur de couscous, à un chauffeur de Sotrama, à un chef de village dans un coin reculé. En France, le Président Macron fait un débat national. Pourquoi notre Président ne ferait-il pas de même ? 

IBK prévoit aussi de rencontrer « ses autres frères ». Pourquoi maintenant ?

Parce qu’actuellement ce qui fait débat c’est la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation. IBK en est à son deuxième mandat et n’a pas l’ambition d’en briguer  un  autre. Ce qui lui donne  quelque audace pour aller à la rencontre d’autres personnalités.

Est-ce que l’opposition pourrait être intéressée à entrer au gouvernement ?

Je ne saurais répondre. Mais au regard des propos de Soumaila Cissé ou Tiebilé Dramé, ils demandent un dialogue national, une politique de consensus. Cela peut sous-entendre un gouvernement de consensus.

Opposition: En ordre de marche…dans la divergence

Le 8 décembre, les forces de l’ordre dispersaient à coup de gaz lacrymogènes une énième marche de l’opposition dans les rues de Bamako. Depuis la réélection du Président IBK en août, l’opposition ne cesse de contester. Certains de ses leaders, réunis au sein du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) ne reconnaissent pas la légitimité du président, contrairement à la Coalition des forces patriotiques (CoFoP), avec laquelle ils sont alliés pour dénoncer « la mauvaise gestion du pays ».

« L’objectif final  de toutes ces marches n’est pas de créer des problèmes au pays, mais qu’il y ait un cadre de dialogue pour traiter toutes les préoccupations en cours, par ce qu’il est illusoire aujourd’hui d’organiser des  élections sur la base de l’élection présidentielle, avec toutes ses failles ». C’est ainsi que l’Honorable Mody N’diaye, Président du groupe Vigilance républicaine démocratique (VRD) résume le combat que mène l’opposition. Depuis le début du nouveau mandat du Président Ibrahim Boubacar Keita, les différentes composantes de l’opposition, au sein du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) ou de la Coalition des forces patriotiques (CoFoP), se font entendre. « L’élection présidentielle a été émaillée de beaucoup d’irrégularités et la façon la plus appropriée pour les dénoncer ce sont les marches. Celles qui ont suivi sont dues à la crise sécuritaire, à laquelle s’ajoute la crise sociale,  économique et politique », poursuit le député de l’Union pour la République et la Démocratie (URD). Les différentes actions s’inscrivent dans cette démarche. « Depuis les premiers résultats, qu’elle avait rejetés, l’opposition s’inscrit dans une logique de contestation de la légitimité d’IBK. Ses différentes manifestations démontrent qu’elle est restée sur sa position, par ce qu’elle estime que l’élection a été émaillée de fraudes et d’irrégularités », analyse Ballan Diakité, politologue et chercheur  au Centre de recherche et d’analyses politiques, économiques et sociales (CRAPES). Mais le Président de la République a prêté serment le 4 septembre, avec la reconnaissance de la communauté internationale. Pour Jeamille Bittar, Président  du Mouvement citoyen ATT (MC-ATT), membre de la majorité, « on ne change pas les règles du jeu en plein match. Il faut être des bons perdants », dit-il, s’adressant à l’opposition. « On ne met pas le feu à la case qu’on veut habiter plus tard ».

Une opposition hétérogène

Dans leur annonce de la marche du 8 décembre, le FSD et la CoFoP, ainsi que l’Adema association, devaient battre le pavé contre la « mauvaise gestion du pays ». Si les regroupements partagent cette conviction, ils divergent sur plusieurs points. Le FSD est considéré comme la branche radicale qui s’oppose depuis 2013 à IBK et qui s’obstine à ne pas le reconnaitre alors que tout est terminé et la CoFoP compte en son sein des anciens ministres du premier mandat d’IBK, comme Housseini Amion Guido ou Moussa Mara. Elle a pris acte de la réélection du président et se démarque de tout projet contraire. Dans une interview accordée il y a plus d’un mois à Journal du Mali, Housseini Amion Guindo précisait  que leur combat était différent de celui du FSD. « Nous nous associerons avec tous ceux qui sentent leur avenir menacé. Mais nous ne nous engagerons pas dans un combat qui mettra en cause l’élection du président de la République ou sa légitimité. C’est la ligne rouge à ne pas franchir », disait-il. Certains observateurs qualifient même cette alliance « d’incestueuse » et sans lendemain.  

Sur la prorogation du mandat des députés, aucun des élus de l’opposition  n’a voté contre alors que certains la désapprouvaient publiquement. « Cela peut être interprété comme une inconstance pour quelqu’un qui n’est pas initié en politique, mais toujours est-il que cette opposition  a une coalition parlementaire assez grande. Cela montre aussi une certaine connivence entre les grands partis au sein de la Nation », explique Ballan Diakité. Cette prise de position a en effet étonné ceux qui avaient foi en l’opposition. « Je me suis abstenu et ceux qui l’ont  votée ont estimé qu’en n’allant pas dans ce sens ils risquaient de se faire exclure », se défend l’Honorable Mody N’diaye, notant que « le processus est contraire à la Constitution dans tous les cas ».

Des mesures drastiques

Un nouvel arrêté du gouverneur du district de Bamako en date du 4 décembre scelle toutes grandes artères et places publiques de Bamako. Une manière de contrer toute protestation dans la capitale. En réaction, une cinquantaine d’organisations de défense des droits humains ont dans un communiqué conjoint dénoncé « une violation de la Constitution et un acte de nature à mettre en péril la démocratie malienne ». Pour le politologue Ballan Diakité, le gouverneur « n’a aucune légitimité pour interdire à des partis politiques de marcher », car « le droit de manifester fait partie des droits fondamentaux dans une démocratie ». Il s’inquiète du durcissement des mesures du gouvernement.  « Plus les jours passent, plus le régime d’IBK s’assimile à un régime autoritaire plutôt qu’à un régime démocratique. À un moment donné, il faut revenir aux textes ». Alors que le Comité pour la défense de la République (CDR)  prévoyait lui aussi une marche le 10 décembre, un dispositif policier a été installé tôt le matin au niveau des points stratégiques. Ces mesures,  qui, selon les autorités, s’inscrivent dans le cadre de l’état d’urgence, risquent d’accroitre le mécontentement.

Quelle issue ?

Dans le souci de calmer la situation politique, des leaders religieux et chefs des familles traditionnelles de Bamako ont rencontré le 5 décembre les ténors de l’opposition. Il s’agissait d’asseoir les bases d’un dialogue entre les deux parties. Même si l’initiative a son sens, elle n’a pas produit de résultats concrets, car la protestation prévue pour le samedi 8 décembre a été maintenue. Pour Ballan Diakité, un dialogue entre les deux tendances est « inopportun ». « Il n’y pas de  crise au plan interne entre les partis politiques qui nécessite un certain dialogue entre le gouvernement et l’opposition. L’opposition est dans son plein droit en marchant », justifie-t-il. Il va même plus loin. « La crise que connait le Mali, c’est celle du nord. La laisser de côté et perdre du temps sur ces questions n’est pas respectueux vis-à-vis des citoyens maliens, et surtout vis-à-vis de ceux qui sont au nord et qui souffrent de  l’insécurité depuis 2012 », ajoute-t-il.

Les défis du moment et les réformes à venir nécessitent une convergence des acteurs. Sur la question du consensus, Jeamille Bittar estime que le pouvoir a mené des tentatives. « Le président a tendu la main, mais comment comprendre qu’un Premier ministre se déplace pour une prise de contact avec des formations politiques et que les uns et les autres essayent de fermer leur porte ? », s’étonne-t-il. Il ajoute : « tout le monde veut le dialogue, mais on n’arrive pas à y aller ». De l’autre côté, on affirme aussi la même chose. Et la surenchère de l’opposition a sa finalité. « Nous avons fait une retraite au cours de laquelle nous avons traité de toutes les questions institutionnelles, des réformes administratives en cours et des perspectives de la loi électorale. Le document sera adopté ce 15 décembre par notre conférence nationale et, dans le cadre d’un dialogue constructif, nous pouvons le partager avec la majorité », révèle l’Honorable Mody N’diaye, président du groupe parlementaire VRD à l’Assemblée nationale. Déjà, le Rassemblement pour le Mali (RPM) a tenu une rencontre similaire. Le député conclut sur une note d’espoir d’un dépassement des uns et des autres pour le Mali. « Nous sommes ouverts au dialogue, nous voulons seulement qu’on ne fasse pas l’impasse sur les réformes majeures à venir et sur les propositions de toutes les parties prenantes, partis politiques comme société civile. C’est en allant dans ce sens que le pays va gagner et il qu’il y aura la paix », dit-il, convaincu.

Centre du Mali: Kouffa, et maintenant ?

La force Barkhane et les forces armées maliennes ont mené dans la nuit du 22 au 23 novembre une opération d’envergure contre la Katiba Macina dans la forêt de Wagadou, au centre du Mali. Bilan : une  trentaine de morts, dont Amadou Kouffa, prédicateur peul  de renom et chef de cette branche, affiliée à Aqmi. Mais est-ce là la fin des tragédies et des conflits intercommunautaires dans cette zone en ébullition ?

« S’il s’avère aujourd’hui qu’Amadou Kouffa a été éliminé par Barkhane, je ne suis pas sûr que cela résolve le problème du djihadisme au Mali tant qu’Iyad Ag Ghaly est vivant ». Telle est la ferme conviction du Professeur Ali Nouhoum Diallo, l’un des  doyens de la communauté peule, ancien Président de l’Assemblée nationale du Mali. « Amadou Kouffa n’est rien sans Iyad Ag Ghaly », assure-t-il.

Dans la nuit du 22 au 23 novembre, la force Barkhane et les forces armées maliennes ont mené une opération « complexe » dans la forêt du Wadagou, au centre du pays. Elle aurait  abouti à la mort d’Amadou Kouffa,  chef de la Katiba Macina et membre du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) dirigé par Iyad Ag Ghaly. Une  trentaine de ses combattants ont également été tués. Annoncée d’abord comme « probable », la mort de celui qui aura semé le chaos dans cette zone a par la suite été « certifiée » par les forces armées maliennes. Mais les spéculations sur la véracité d’une telle nouvelle, fautes de preuves tangibles jusque-là, perdurent. « Kouffa, malgré qu’il soit un terroriste, était adulé dans certaines localités. Mais là où il oppressait les populations et les empêchait d’exercer leurs droits fondamentaux, elles peuvent se réjouir de cette nouvelle », estime Khalid Dembelé, analyste économiste au Centre de recherches et d’analyses politiques, économiques et sociales (CRAPES). Cependant, l’une des figures tutélaires de la communauté peule regrette la fin tragique de celui qui au début n’était qu’un maitre coranique. « Tout soldat qui tombe au Mali, je l’ai dit au temps où c’était la rébellion Kel tamashek qui était au-devant de la scène, qu’il soit blanc ou noir,  c’est un Malien qui meurt », avance le Professeur Ali Nouhoum Diallo. « Je ne peux pas être médecin et me réjouir de la mort d’un homme ».

Un tournant ?

Quoi qu’il en soit, neutraliser la tête de proue de la Katiba Macina ne constitue pas la fin des attaques et assassinats. Ses partisans, loin de le voir comme « un criminel », lui vouaient une allégeance aveugle.  Pour Khalid Dembelé, la disparition de Kouffa, « si elle est avérée, est une étape et non la fin ». « Elle pourra permettre à l’État malien de gagner en autorité sur le terrain et favoriser le retour de l’administration », indique-t-il, rappelant que « Kouffa avait  fermé plusieurs écoles dans cette partie du pays et instauré un certain nombre des lois de fonctionnement dans certaines localités ». L’action constitue tout de même un succès militaire notable et l’anéantissement de ce révolté donne du répit à des populations longtemps harcelées. Tout aussi prudent, Baba Alpha Umar, spécialiste des questions sécuritaires au Sahel pense que cette élimination pourrait être l’occasion pour l’État d’opérer son retour. « C’est une délivrance pour tous ceux qu’il oppressait et surtout pour les Peuls, dans le sens où les gens étaient entre le marteau et l’enclume », souligne-t-il. Mais il s’interroge : « l’État sera-t-il en mesure de donner aux communautés les possibilités de se sentir en sécurité de manière durable ?». Toujours est-il que les organisations terroristes ont la capacité de se régénérer. « C’est un mouvement très fort sur le plan national et international. Il y aura un successeur à Kouffa si sa mort se confirme », analyse Khalid Dembelé. Des sources sur le terrain croient à  une fin funeste. « Il semble-t-il qu’on l’ait remplacé. S’il était vivant cela ne serait  pas arrivé », dit Sekou Bekaye Traoré,  président du conseil de cercle de Youwarou.

Pour certains analystes, l’acharnement de Kouffa contre l’Occident et son rejet tenace de sa civilisation, combinés à son isolement, ont sonné son glas. Le 8 novembre, il apparaissait dans une vidéo aux côtés d’Iyad Ag Ghaly, chef du GSIM et de l’Algérien Djamel Ockacha dit Yahia Abdoul Hammam, dirigeant d’Aqmi. Amadou Kouffa appelait les musulmans, particulièrement les Peuls, de plusieurs pays de l’Afrique à faire le djihad. Le pas de trop ? « Il était devenu une grande menace pour les autorités françaises. Il menaçait directement les Occidentaux. Il avait fermé des écoles dans lesquelles on enseignait la langue française, or la langue est un outil de domination », explique Khalid Dembelé. 

Quid des conflits intercommunautaires ?

Le phénomène djihadiste dans le centre du Mali a fissuré le tissu social. Malgré les vieilles querelles liées au foncier entre les Peuls et les Bambara ou les Dogons, ces communautés, dans leur majorité, n’ont pas embrassé l’ordre  établi par « le maitre du Centre ». La longue absence de l’État a permis à la Katiba de s’imposer. C’est dans ce désordre violent que sont nées des milices d’autodéfense. La situation s’envenime. « Sa mort va aggraver même la situation ici. Les gens ont peur de ce qui peut arriver », témoigne un habitant de Youwarou sous anonymat. Il y a quelques jours, la milice dogon Dan Nan Ambassagou annonçait la fin de sa trêve. La même semaine, au moins douze Peuls ont été tués dans la commune de Ouenkoro, dans le cercle de Bankass.  « Sa disparition coïncide avec l’apparition d’un mouvement peul  non djihadiste, dirigé par Sekou Bolly, un radié de l’armée malienne. La balle est dans le camp de l’État, s’il sait saisir cette occasion », estime Baba Alpha Umar. Ce nouveau groupe entend se démarquer de toute accointance terroriste. Selon le dernier rapport conjoint AMDH – FIDH, le centre concentre depuis le début de l’année 2018 « environ 40% de toutes les attaques du pays » et est, par conséquent, « la zone la plus dangereuse ». Des crimes odieux se commettent loin des regards. Une situation qui risque de continuer.

À qui le tour ?

« L’attaque contre Kouffa prouve que les maitres du terrain sont les gens de la coalition Mali – France. C’est la preuve qu’elle peut traquer n’importe qui aujourd’hui », prévient Baba Alpha Umar. Cette intervention de Barkhane au centre marque un revirement, elle qui se confinait jusque-là au nord du pays. Iyad Ag Aghaly, leader du GSIM, doit-il désormais s’inquiéter ? « Toucher aujourd’hui Iyad est un risque de mécontenter l’Algérie, la Mauritanie, le Maroc et même la France. Mais, pour justifier sa présence au Mali, Barkhane  attaque Kouffa, le point faible,  pour dire que ce dangereux bonhomme est enfin éliminé », argumente le Professeur Ali Nouhoum Diallo. Selon Khalid Dembelé, « tant qu’Iyad ne sort pas de son domaine de prédilection, il n’aura pas de problèmes ».

La guerre contre le terrorisme  au Mali est un désastre. Dans certaines parties du territoire, les groupes djihadistes continuent de semer la mort. Leur violence attise les conflits intercommunautaires, mettant  à mal la cohésion sociale. Pour le professeur Ali Nouhoum Diallo, la solution est le dialogue. « On a vu la limite de nos armes, il faut discuter avec Iyad Ag Ghaly et Amadou Kouffa ». Il poursuit « je ne permettrai à personne dans ma vie, moi Ali Nouhoum, patriote malien, de me dire vous pouvez parler avec un tel Malien et non avec tel autre », assène cette voix qui défie les âges.  Mais, selon l’analyste Khalid Dembelé « s’il doit y avoir un dialogue, il va falloir changer le qualificatif terroriste », attribué à ces acteurs. Au regard des souffrances endurées, Ourmar Cissé, habitant de Bandiagara, pense « qu’il est trop tard » et que « la seule solution est militaire. »

Mais « le tout sécuritaire » pourra-t-il mettre fin au djihadisme, sans un volet politique ?

Scrutin uninominal : faut-il l’adopter pour les législatives ?

Au Mali, le mode de scrutin pour l’élection présidentielle est uninominal.  Alors que pour les législatives, où le nomadisme s’opère à l’approche des échéances, il est plurinominal. Est-il opportun d’adopter ce système pour renforcer la démocratie ?

« Le scrutin uninominal ou scrutin uninominal majoritaire à deux tours est tout simplement un système de vote à partir duquel le candidat qui arrivera en tête du vote  est directement élu au poste à pourvoir ». Ballan Diakité, politologue chercheur au Centre de recherche et d’analyse politique et économique (CRAPES) définit ainsi le concept. La plupart des politiques et citoyens ne maitrisent pourtant pas ce système électoral. « Le mode de scrutin pour l’élection du président de la République est uninominal mais celui des députés est plurinominal », explique Woyo Konaté, docteur en philosophie politique et chargé de cours à l’Université des sciences politiques et juridiques de Bamako.

Malgré la simplicité de ce système,  les acteurs sont divisés sur ses avantages pour la démocratie malienne. « La question du mode de scrutin est un débat crucial dans notre pays », souligne le Dr Allaye Niangaly, spécialiste en contentieux électoral. En plus des pratiques de transhumance politique qu’il faut encadrer, il y a la prise en compte des couches minoritaires.

Scenario improbable Pour Ballan Diakité, le scrutin uninominal est inopportun pour les législatives. « Il permet l’émergence des grands partis et une bipolarisation du champ politique, pénalise les petits partis, et ne favorise par la représentativité des couches minoritaires sociales », soutient-il.

Au Bénin pourtant, qui applique ce système, la majorité présidentielle n’a pas la majorité parlementaire à l’Assemblée et aucun parti n’a le monopole. «  Le camp présidentiel est obligé de coopérer avec les petits partis aussi », révèle Allaye  Niangaly. « Il faut penser à un système de vote qui peut permettre la représentativité de l’ensemble des couches sociales et pour cela il faut le scrutin proportionnel », préconise plutôt Ballan Diakité. Les implications pour ce genre de scrutin sont énormes sur le plan politique et juridique. Le Dr Woyo Kanouté explique ce qui pourrait changer. «Actuellement ce sont les listes pour les circonscriptions mais si c’est le scrutin uninominal, chaque siège sera une circonscription. Donc autant de députés autant des circonscriptions », décortique-t-il.

En plus de ressources financière qu’il faudrait, il n’y a pas des textes juridiques « qui peuvent sanctionner » ceux qui transhument et trahissent leur base électorale. Une disposition prévue dans le projet avorté de révision constitutionnelle.