Ras Bath, une modeste analyse

Qui au Mali ne connaît pas Ras Bath ? Mohamed Youssouf Bathily, dit Ras Bath ou encore Rasta, est un journaliste, activiste et consultant en droit devenu populaire à travers ses émissions à la radio. Ses propos, souvent farouche, ont conduit à son arrestation le 16 août 2016. Un grand mouvement de jeunes s’est alors mobilisé pour le soutenir, conduisant à sa libération le 18 août 2016. Depuis, sa popularité ne cesse de croître. Accueilli ce jeudi 03 août 2017 à l’aéroport tel un président, il est aujourd’hui l’icône d’une génération de jeunes qui s’expriment et influencent à travers les réseaux sociaux.

Choquer pour éduquer Que fait Ras Bath ? Il fait de l’éveil de conscience. Il informe. Il dénonce les irrégularités, preuves à l’appui. Il analyse l’actualité et livre son opinion. Son discours s’adresse avant tout aux jeunes et à toutes ces populations qui sont souvent victimes des discours politiques. Voyons comment fonctionne son approche.

Ras Bath fait appel aux émotions de ses auditeurs. Sa méthode consiste à provoquer un « choc » émotionnel chez ses derniers. Plus qu’un journaliste, en écoutant Ras Bath, vous n’êtes pas simplement informé. Vous êtes également émus, impliqués et concernés.

L’information et la sensibilisation à travers l’usage des émotions sont au cœur de la démarche du Rasta. C’est pourquoi il a adopté le slogan : « choquer pour éduquer ». L’objectif n’est pas simplement de provoquer un choc. Il s’agit surtout d’impulser une action, un changement.

De nombreuses études ont montré le pouvoir qu’ont les émotions sur les décisions et les actions quotidiennes. Dans un ouvrage de référence en particulier, une étude montre comment les émotions poussent les gens à s’impliquer d’avantage dans leur travail. On y lit que le sentiment de culpabilité pousse les employés à travailler et à faire preuve de responsabilité.

C’est justement ce sentiment de culpabilité que recherche Ras Bath. A travers sa critique, il crée chez les jeunes cette perception; celle de ne pas suffisamment s’impliquer dans les affaires de la cité et de rester passif face aux maux du pays. De même, il tente de provoquer chez les dirigeants le même ressenti; en décriant leur mauvaise gestion et leur indifférence face aux souffrances du peuple. Grâce à cette méthode, le Rasta fait bouger les lignes tant chez les jeunes qu’au sein de la classe politique.

Les résultats sont perceptibles. Les jeunes ne sont pas restés en marge du processus de révision constitutionnel. Des mouvements comme la plateforme « An tè A Bana ! » ont émergé et perturbé la tenue du référendum. Ici également, les vidéos de Ras Bath n’ont pas manqué à l’appel.

Ces exemples sont encourageants. Pourtant, l’univers « choquer pour éduquer » n’est pas tout blanc. On y trouve aussi des tâches noires. Dans les prochaines lignes, nous vous introduisons l’autre facette de l’approche du Rasta.

De la critique à l’outrance Revenons quelques instants sur l’arrestation de Ras Bath. Ce qu’on lui reprochait n’était pas tant sa critique, mais sa façon de critiquer. Pour reprendre les mots de Mamadou Lamine Coulibaly, le procureur de la cour d’appel de Bamako, il était poursuivi pour ses « déclarations qui offensent la pudeur ».

Jugez cet exemple. Pour avoir refusé un de ses meeting, pour des motifs certes peu convaincants, Ras Bath estimait que la maire de la commune 3, Madame Djiré Mariam Diallo est « une femme qui est indigne d’être une mère de famille » et qu’en conséquence, il « allait l’éduquer ».

De tels propos ne sont pas rares dans le milieu de la presse. Le chroniqueur Madou Kanté, récemment agressé, en est un autre exemple. Comme le Rasta, il anime sur le site web Youtube une émission en Bambara intitulé « Madou ka journal ». Dans une de ses vidéos, il répond sous un ton coléreux à des remarques qui lui étaient adressées. Certains termes qu’il y emploie sont amères: «  Tu n’es pas éduqué. Va demander à tes parents de t’éduquer à nouveau. ». Ces exemples nous poussent à reconsidérer la culture du « choquer pour éduquer ». Le choc présenté plus haut n’éduque pas. Il offense. Mettons en évidence les inconvénients de cette approche.

Un premier danger apparent est l’excès de confiance. On en voit des traces dans la majorité des publications de Ras Bath. Toutefois, une de ses récentes vidéos donne une meilleure indication de son zèle. Dans cette vidéo, il considère que « la parole de Rasta est la parole de Dieu. ». Ceci nous semble excessif. L’information n’est pas parfaite. Elle est rarement complète. Garder une place à l’erreur permet de se mettre à l’abri des jugements prématurés.

Il y a également le risque de généralisation abusive. Ce sophisme consiste à réduire une personne à ses mauvais actes. Un bon exemple serait l’argument de Ras Bath selon lequel « une personne qui commet un acte de vol n’est autre qu’un voleur ». Ceci est vrai (en partie). Toutefois, le philosophe Alfred Korzybski (1879 – 1950) nous fait remarquer que « la carte n’est pas le territoire. » Nous sommes, pour la plus part, un peu comme Wangrin, le personnage central du livre d’Hampâté Bah ; louable d’un côté et machiavélique de l’autre. Il est normal que les fautes soient dénoncées et sanctionnées. Il nous semble en revanche injuste de résumer une personne à ses traits négatifs.

Un dernier inconvénient du « choc » de Ras Bath serait son côté contreproductif. Il est très difficile de changer une personne en attaquant sa fierté et sa dignité. Ceci crée au contraire une résistance voire une persistance. Les propos « choquants » envers les dirigeants sont très souvent sans conséquence. Il est vrai, comme nous l’avions déjà souligné, que le sentiment de culpabilité puisse produire des effets positifs. En revanche, une attaque frontale entraîne une réaction de défense qui bloque le changement.

Ces éléments nous amènent à repenser notre façon de critiquer. Ci-dessous, se trouvent quelques pistes de réflexion en ce sens.

Repenser la critique au Mali Une critique ne consiste pas uniquement à toucher du doigt les insuffisances d’une idée, d’un projet, d’une décision ou d’une action. Sa vertu réside aussi en sa capacité à améliorer le système auquel elle s’adresse. Le cas échéant, elle est vue comme une dénonciation stérile, un discours improductif, un bruit dérangeant et souvent, des propos outrageants.

L’idée est d’identifier l’imperfection, de la corriger ou de la remplacer. Ainsi, lorsqu’on critique, notre intention est d’apporter une amélioration. Si la personne se sent blesser dans sa fierté, elle résiste. Nous perdons le changement que nous convoitons. Il faut donc « choquer » les consciences et non les personnes.

A terme, il s’agit de respecter les consignes de Mahatma Gandhi (1869 – 1948) : « lorsque nous critiquons, il faut le faire avec une humilité et une courtoisie qui ne laisse subsister aucune amertume. » Les mercuriales de Ras Bath manquent par temps d’humilité et de courtoisie.

Soyons clair ! Il ne s’agit aucunement de stopper la critique, ni de la rendre « gentil ». La critique doit continuer. Elle doit rester ferme voire sévère sans être discourtoise. Elle doit surtout conserver son essence : contribuer à une amélioration.

Concluons cette analyse en formulant des suggestions générales pour accroître le climat démocratique du Mali.

Critiquer pour avancer Nous vivons une période de l’histoire de notre pays où le climat social est tendu. Les défis sont nombreux et complexes. Les attentes, en particulier celles des jeunes, envers le gouvernement et la classe politique, sont fortes. Les acteurs sont multiples et leurs intérêts sont souvent divergents. Espérer que les dirigeants résolvent seuls ces problèmes est illusoire. Autant nous sommes en droit d’attendre de nos gouvernants des résultats satisfaisants, autant nous avons le devoir de leur apporter notre support par la critique et les actions.

A l’instar de Ras Bath, nous espérons que cet article sera une contribution utile à la construction démocratique. Notre ambition est de répondre à l’appel du président de la république Ibrahim Boubacar Keïta, à l’occasion de la Conférence d’Entente Nationale (CEN) : « La démocratie n’approchera la perfection que lorsque chacun comprendra qu’il lui appartient d’apporter constamment ses idées et son talent à l’œuvre patriotique. C’est l’addition de nos talents qui nous permettra d’enrichir la construction de la démocratie dans cette terre sacrée du Mali. »

L’analyse présentée dans cet article est centrée sur Ras Bath. Elle vise plus généralement tous les leaders d’opinions, inclus les journalistes. S’adressant à Mohamed Youssouf Bathily, Madou et tous les leaders engagés pour la cause de la jeunesse, nous louons et soutenons leur effort de conscientisation, d’éducation, et d’information. Nous les encourageons à mettre leur talent de communication et de raisonnement au service d’une critique constructive. A ce titre, nous suggérons notamment de remplacer la culture du « choquer pour éduquer », au regard des lacunes de celle-ci, par celle du « critiquer pour avancer. »

Conscient qu’un « choc » soit souvent nécessaire pour faire bouger les lignes, je soutiens que nous pouvons changer les mauvaises pratiques de nos élites en alliant la force à l’humilité. Il ne s’agit pas d’abandonner le combat,  comme le craignait Bob Marley dans sa réplique « Don’t give up the fight ». La quête pour la liberté, la justice et l’accès aux ressources universelles (l’eau, l’éducation, la santé, un emploi décent, etc.) continuera. Cette lutte devrait toutefois s’alimenter de la vertu de l’humilité. Comme le soutenait Ghandi: « Lorsque la retenue et la courtoisie s’ajoutent à la force, celle-ci devient irrésistible.».

Enfin, nous invitons les journalistes à plus de vigilance dans leur tâche honorable. L’information est sensible. Elle ne doit ni être masquée, ni être dites de façon complaisante. Elle doit en revanche rester aussi impartiale et désintéressée que possible. Il est question de présenter l’info sous sa forme la plus distillée ; après y avoir enlevé les jugements, les biais, les incertitudes, les présomptions et les soupçons.

Comme le souligne la récente étude de la fondation Free Press Unlimited, les maliens attendent des médias qu’ils:

  1. intensifient leur effort d’explication et de décryptage,
  2. fournissent des informations plus factuelles en menant un rude travail d’investigation,
  3. fassent preuve d’impartialité pour être crédible.

Pour terminer, nous aimérions résumer le message de cet article par les sages mots du médiateur de la république, le 01 avril 2017, au cours de la CEN. Le grand-père Baba Akhib Haïdara a voulu « qu’on se dise la vérité fermement mais poliment. »

Etat de la Nation : le nouveau diagnostic du PARENA

Le parti pour la Renaissance de Tiébilé Dramé continue à  jouer son rôle d’opposition, à  défaut d’être dans la majorité présidentielle comme la plupart des formations politiques qui lorgnent déjà  sur les prochaines communales. Le Parena se veut à  l’avant-garde de la critique, en marge des tendances de transhumance chronique, qui émaillent la vie politique malienne. E t le parti du bélier blanc, tient à  le faire savoir. Dans un nouveau document intitulé « IBK, un an après, l’immense gâchis », le PARENA revient à  la charge et pointe la déception causée par le régime IBK, un an seulement après son installation dans le Mali post-crise : « Elu pour conduire le pays hors du gouffre dans lequel la rébellion, le coup d’Etat et l’occupation l’ont plongé en 2012, IBK a littéralement enfoncé le Mali », introduit le texte, qui en remet une couche : « Douze mois après son élection, l’immense espérance suscitée à  l’intérieur et à  l’extérieur du Mali s’est transformée en une profonde déception tant les chances du pays de se relever et de se redresser ont été gâchées par une gouvernance chaotique, la corruption, une gestion calamiteuse des deniers publics, l’amateurisme et l’incompétence ». Pour mieux justifier cette nouvelle critique, le PARENA remet en surface la mauvaise gestion des deniers publics, l’affaire de l’avion évidemment, le gel des fonds par les bailleurs etc. En dehors du chef de l’Etat, le Parena s’en prend également au Premier ministre, qui aura lui aussi violé la constitution, en son article 71, en déclarant que « le Mali est en guerre » en Mai dernier, s’arrogeant ainsi une prérogative qui appartient au Chef de l’Etat avec l’aval de l’Assemblée nationale. Que propose le Parena ? Au moment o๠s’ouvre un dialogue avec les groupes armés à  Alger, le Parena déplore la situation à  Kidal o๠flottent les drapeaux des groupes armés. Alors qu’il y avait un retour progressif de l’administration dans cette zone, avec des préfets, sous préfets et gouverneurs, douze mois après « l’autorité de l’Etat malien, s’est rétrécie de manière humiliante au Nord ». Le Parena regrette la défaite humiliante de l’armée malienne à  Kidal en Mai dernier avec un bilan non officiel, de 42 morts (dont les six administrateurs civils) et 87 blessés le 17 mai. 150 morts et disparus, 40 prisonniers, une centaine de véhicules (pick-up équipés, camions de transport de troupes) le 21 mai. Le Parena estime en outre que le Mali va aux négociations sans vision, ni stratégie, en déléguant la facilitation à  l’Algérie pour gérer un problème qui concerne les 2/3 de son territoire national. Pour pallier cette situation, le parti propose d’organiser une table ronde de toutes les forces vives du pays, y compris de la diaspora, pour convenir d’une plateforme nationale engageant tout le pays. Rien bien sûr n’empêche cette démarche que le parti avait déjà  initié lors de l’occupation du Nord en 2012. Le parti recommande également le retour des forces rebelles aux positions d’avant le 17 mai. Exiger que ces groupes du Nord qui ont accepté le principe de l’intégrité du territoire descendent leurs drapeaux en application du cessez-le feu et des accords de Ougadougou du 18 juin 2013 ; Enfin de compte,le dialogue inter-malien doit se faire en trois étapes (discussions avec les groupes armés, congrès des communautés du Nord, assisses nationales) ; Des initiatives dont certaines avaient déjà  été faites avec les Assises du Nord en fin 2013. Si les critiques sont normales pour un parti en démocratie, il y a tout de même une chose qui caractérise les Maliens depuis l’accession d’Ibrahim Boubacar Keita au pouvoir. l’impatience !