Cyril Achcar: « l’émergence du Mali passe par l’industrialisation »

Membre du Conseil National du Patronat du Mali (CNPM) et le plus ancien groupement professionnel, l’Organisation Patronale des Industries (OPI) est une association apolitique, non confessionnelle à  but non lucratif dont la mission est de développer, promouvoir et défendre les intérêts des opérateurs économiques au Mali. Créée le 7 juillet 1975 par quelques industriels, l’OPI compte aujourd’hui 80 membres. Dirigée par Cyril Achcar depuis le 20 octobre 2012, l’OPI a tenu ce samedi 1er août au siège du CNPM son Assemblée Générale annuelle présidée par Me Mamadou Gaoussou, ministre des investissements et du secteur privé. Plusieurs autres personnalités ont pris part à  cette rencontre importante pour les investisseurs maliens. L’AG a également servi de cadre de présentation et d’adoption du rapport des activités de l’année 2014 dont le rapport financier s’élève à  plus de 50 millions de Fcfa. Pour atteindre ses objectifs, l’actuel bureau de l’OPI a présenté un programme de mandature devenu le livre blanc de l’industrie malienne en juin 2013 a rappelé Cyril Achcar avant d’ajouter que ce plan de reconquête industrielle des années de l’indépendance à  deux objectifs principaux: rompre avec la désindustrialisation du Mali et le repositionner au meilleur niveau sous régional. A la différence de la Côte d’Ivoire et du Senegal qui comptes respectivement 6000 et 3000 unités de transformation, le Mali en compte 500 avec une trentaine actuellement à  l’arrêt. Un aspect qui a conduis Cyril Archcar a qualifié le tissu industriel d’embryonnaire. Cependant, face a une telle situation, l’OPI dont la mission première est de favoriser et promouvoir l’industrialisation du Mali a profité de ce grand rendez-vous annuel pour rappeler l’Etat a plus de responsabilité. C’est ce que Moussa Mara rappellera, « je l’ai dis lorsque j’étais premier ministre, seule l’industrialisation permettra au Mali d’être un à‰tat émergent. » Un aspect connu de tous à  la foi des investisseurs maliens et des autorités. Quel est donc le problème? Selon Cyril Achcar, l’une des missions régaliennes de l’Etat s’est d’investir dans l’industrie, seul moyen de lutter contre la pauvreté dans notre pays. Le président en exercice n’ira pas par le dos de la cuillère pour mettre en cause l’implication du gouvernement en ce sens, « le fonds de garantie est une solution demie mesure. Ce qu’il faut c’est le fonds d’investissements » a-t’il rappelé au représentant du gouvernement. Me Gaoussou quant à  lui reconnaà®tra déjà  l’effort fourni par l’Etat malien et appellera l’OPI à  travailler de concert avec le gouvernement à  travers des propositions concrètes. Car ajoutera t-il l’initiative doit venir des organisations. Solutions de relance de l’industrie. L’OPI propose comme solutions de relance de l’industrie malien d’une part des solutions conjecturelles et d’autre part des solutions structurelles. Les premières comportent onze points dont la réduction de la TVA à  5% uniquement pour les produits manufacturés et non importés et la création d’un observatoire malien de l’industrie etc. Quant aux solutions structurelles au nombre de dix, l’OPI souhaite limiter l’entrepôt privé aux produits non fabriqués au Mali. Elle avance comme solution également de créer un tarif de l’électricité pour les entreprises industrielles…

Le Groupe AMI aujourd’hui

Il est discret mais talentueux. Président de l’Organisation Patronale des industriels du Mali(OPI), et l’héritier du groupe Achcar Mali Industries, Cyril Achcar, le petit fils d’Emile Achcar, fondateur du groupe AMI est un homme d’affaires avisé qui se projette dans l’avenir. C’’est au bas de l’échelle qu’il a commencé, en gérant les entrepôts Achcar avant de gagner la confiance de ses aà®nés sur ses capacités managériales, pour prendre la direction du groupe. Nous l’avons rencontré pour faire le point sur les défis et les perspectives pour les années à  venir au sein d’Achcar Mali Industries. Journaldumali.com : Achcar Mali Industries a plus de 50 ans aujourd’hui. Quel est l’historique du groupe? Cyril Achcar : Le groupe AMI qui veut dire Achcar Mali Industries, fut d’abord constitué par une première société privée, qu’était la confiserie, créee par mon grand père Emile Achcar en 1950 et qui est devenue la GCM SA en 1965. Ensuite mon père et ses frères et sœurs, ont transformé l’entreprise en SARL puis en SA en 1994. Mon père, qui a fait ses études à  l’étranger, est rentré au Mali en 1964 avec un diplôme d’HEC en poche. Il aussitôt pris la suite du grand père et dynamisé l’industrialisation du groupe ces cinquante dernières années. Aujourd’hui, je suis l’administrateur et directeur général du groupe AMI, depuis 2006 et mon père et mon oncle président le conseil d’administration. Comment s’est passée l’évolution du groupe AMI vers l’industrie ? Depuis, 1950, nous avons opté pour l’industrialisation progressive et l’importation de produits finis et à  travers une structure appelée RIDAL SARL qui a fermé en 2003. Aujourd’hui, nous nous consacrons aussi à  l’agro-industrie avec la CMDB. Le négoce représente 1% du CA. Quel est le chiffre d’affaires aujourd’hui ? Le chiffre d’affaires consolidé du groupe AMI tourne autour de 35 milliards de FCFA. 2012 a été une année sombre pour le Mali et votre entreprise a fait l’objet de pillages. Comment avez vous essuyé les pertes ? Nous avons connu une année très difficile mais avec la solidarité des collaborateurs, des partenaires clients, comme fournisseurs et notre expérience du passé (dévaluation en 1996, coup d’état de 1991, nationalisation forcée en 1962), nous avons pu surmonter cette dernière épreuve et nous poursuivons notre mission d’industrialisation du pays. Le Mali connait un retour à  la normalité, avec l’élection du Président IBK, et un retour des investisseurs, vous étiez d’ailleurs dans la délégation qui s’est rendue au Qatar, quel regard portez vous sur le secteur privé malien ? Il faut féliciter le secteur économique malien pour avoir survécu durant l’année 2012 et pour avoir tenu sur 2013. La relance en cours avec 5 à  6% de croissance, mais elle n’est pas suffisante compte tenu du niveau de retard acquis en deux ans et du niveau de pauvreté du pays. Les actions du président de la République sont louables mais il faudra plus de méthode pour transformer la diplomatie économique en point de croissance réel. Nous sommes tous à  pieds d’œuvre et souhaitons que les parties s’écoutent et que le concept du PPPP ou 4 P c, C’’est-à -dire « Partenariat Public Privé PTF » soit le crédo du nouveau quinquennat. Vous évoluez dans un secteur concurrentiel qu’est l’agro-alimentaire, , comment faites vous positionnez-vous ? Nous sommes dans le secteur industriel de produits alimentaires depuis 1950, et nous travaillons de plus en plus avec des matières premières locales, nous avons lancé depuis 2008 l’intégration en amont : la production agricole de blé, de maà¯s et de riz paddy. Nous sommes donc rentrés dans l’agro-industrie. Ce domaine est stratégique pour le groupe AMI, parce que la concurrence sous régionale est bien plus dangereuse que la concurrence nationale. Il nous faut donc investir massivement dans cela pour pérenniser nos activités. l’accompagnement de l’Etat et des PTF sera une nécessité pour réussir ce challenge. La mission du Président sera d’autoriser le Mali à  faire valoir les clauses de sauvegarde du traité de l’UEMOA pour permettre au pays de se doter d’une industrie compétitive. Interview réalisée par Modibo Fofana

Groupe AMI : une saga familiale face au défi de l’industrialisation

Un défi à  relever par la troisième génération de la famille Achcar, avec aux commandes, Cyril, directeur général depuis 2006, et petit fils du fondateur Emile, dont le portrait en noir et blanc trône encore au sein des locaux de l’entreprise dans la zone industrielle de Bamako. Comme de nombreux ressortissants libanais, il s’est installé en Afrique dans les années 1930, et à  partir de 1950, l’histoire de son entreprise s’est confondue avec celle du Mali. Le négoce, puis les petites unités industrielles, comme la briqueterie et la Grande confiserie du Mali (GCM), ou encore l’immobilier, sont les secteurs dans lesquels il prospère. Mais en 1960, alors que l’euphorie de l’indépendance gagne le pays tout entier, C’’est un désastre pour la communauté libanaise, dont la plupart des membres quitte le pays suite aux nationalisations du pouvoir de Modibo Keita, socialiste-marxiste convaincu. Emile Achcar est l’un des derniers à  partir, en 1964, après avoir fait appel à  son premier fils Gérard, fraà®chement diplômé d’HEC, la prestigieuse école de commerce française. La mission confiée à  ce dernier est de liquider les actifs du groupe, une tâche qu’il exécute sans ciller, bien qu’il décide de conserver GCM, non nationalisée. Le coup d’Etat de 1968 lui donne raison, car il sonne le glas de l’ère socialiste et le début de la politique de libéralisation économique. Coup de pouce de la coopération américaine Opportuniste, Gérard Achcar bénéficie en 1979 de l’appui de la coopération américaine, qui avait entrepris de développer la production du blé, alors cultivé en petite quantité à  Diré, dans la région de Tombouctou. Ce blé devant être transformé en farine, l’homme d’affaires obtient un financement de 10 millions de dollars pour implanter les Grands moulins du Mali (GMM) près de Koulikoro, port naturel de Bamako à  80 km. Bien que le volet production ait échoué, l’épisode marque un tournant important, qui voit le groupe devenir le quasi unique fournisseur de farine au Mali, avec 100 000 tonnes produites dans ses meilleures années, dont à  peine 10% de blé malien. Sur le même site de 14 hectares, une rizerie installée en 1985 décortique le riz paddy, pour produire environ 80 tonnes par jour. Entrepreneur hors-pair, proche des différents chefs d’Etat successifs, Gérard Achcar a su diversifier son groupe en créant aussi en 1997 les Eaux minérales du Mali (EMM) et sa marque Diago, du nom de la ville d’o๠provient la source, et qui détient environ 60% du marché malien. Cap sur le développement de la filière blé C’’est donc un groupe solide, leader sur tous ses marchés, qui relance en 2004 le projet de production de blé, érigé en filière prioritaire par le gouvernement malien et la Banque mondiale. AMI créé dans la foulée la Compagnie malienne de développement du blé (CMDB) et investit environ 300 millions de F CFA dans l’accompagnement des paysans producteurs (financement d’intrants, octroi de crédits campagne), et la culture de blé sur plusieurs zones test de 2000 hectares. « Nous en sommes à  10 000 tonnes produites, mais notre objectif est de continuer à  encourager la production nationale en agrandissant nos surfaces à  10 000 hectares, ce qui créera une dynamique », indique Sidi Dagnoko, directeur général de CMDB, et par ailleurs manager de l’agence de communication Spirit McCann à  Bamako. Pour occuper tous les chaà®nons, le groupe lance en 2006 le concept de boulangerie Bagami, qui offre à  partir de la farine GMM une qualité de pain reconnue par tous les bamakois. « l’ambition est de développer un réseau de franchisés, et nous en sommes déjà  à  3 », souligne Pascal Achcar, troisième fils de Gérard, qui gère le projet. Une année après, C’’est le Centre de formation en boulangerie et pâtisserie (CFBP) qui voit le jour, pour former cent professionnels par an, et les amener à  ouvrir des boulangeries qui utiliseraient les produits du groupe. Cette diversification sur la filière blé arrive au moment o๠la direction opère un changement générationnel, avec la nomination de Cyril Achcar à  la tête des principales filiales. Ce dernier a du au préalable faire ses preuves. D’abord au service marketing en 2000, sous la houlette de sa tante, après des expériences de magasinier et de contrôleur de gestion chez le groupe français Somdia. Puis en tant qu’administrateur des ventes, o๠il met en place un réseau de distribution, anime la force de vente, et créé le service livraison. Nommé directeur général adjoint en 2005, Cyril renforce la cohésion au sein du groupe grâce à  la promotion de cadres maliens. « Avant même la fin de mes études à  l’Ecole supérieure de commerce de Rouen, je savais que je rentrerais au pays pour intégrer l’entreprise, une grande famille pour tous ses employés », indique ce natif de Bamako, qui à  seulement 33 ans, dirige un groupe de 700 salariés pesant 32 milliards de FCFA de chiffre d’affaires en 2009. Le projet de sa vie n’est autre que de transformer l’entreprise familiale, qui a prospéré grâce au négoce et à  l’importation de matières premières, en un « puissant groupe agroindustriel, exportateur et présent depuis la production de céréales jusqu’à  la commercialisation de produits finis ». Cyril Achcar, avocat de l’industrialisation du Mali Pourtant, depuis deux ans ce projet est contrarié par une grave crise. l’activité production de biscuits de la filiale GCM a été purement et simplement arrêtée en 2007, faute de rentabilité. Combiné à  la hausse des prix des matières premières, à  l’ouverture d’un moulin concurrent à  la fin 2007, alors même que GMM venait de doubler ses capacités grâce à  des équipements ultramodernes, et à  la hausse des importations de farine en provenance du Sénégal et de la Côte d’Ivoire, cela a entraà®né un recul du chiffre d’affaires de 8 milliards F CFA entre 2007 et 2009. l’année dernière, l’octroi par la Société financière internationale (SFI) d’une ligne de crédit de 8 millions d’euros sur 7 ans, est apparu comme une bouffée d’air, même si le financement tarde encore à  être décaissé. Il n’empêche, GMM, la principale filiale du groupe (70% du CA) a inauguré en octobre 2008 une usine d’aliments bétail flambant neuve à  Koulikoro, pour un investissement de 2 milliards de F CFA. Malgré une capacité de 100 000 tonnes, elle n’en produit que 10 000, « à  cause d’un marché qui n’est pas encore mature, et d’un prix de vente jugé trop élevé », explique Gauthier Leprêtre, responsable des opérations. « l’industrialisation du pays n’est possible que si nous utilisons les matières premières produites sur place, et si l’Etat nous accorde un taux de TVA plus faible », clame Cyril Achcar, qui avec le soutien d’autres industriels a pris son bâton de pèlerin pour obtenir un rabais de 18% à  5%, et la révision du traité de l’UEMOA, qui favorise les pays côtiers. Selon lui, il en va de la survie de l’industrie malienne, dont « les cadavres se comptent désormais par dizaines ».