Le décret migratoire de Trump: un casse-tête juridique

La volonté de Donald Trump de fermer les frontières des Etats-Unis à d’éventuels «terroristes» a engendré un énorme casse-tête juridique autour d’une question centrale: jusqu’où vont les pouvoirs du président américain en matière de politique migratoire ?

Qui pour trancher cette question ? Elle pourrait bien finir devant la Cour suprême à Washington, censée tracer le cadre constitutionnel de l’exécutif et unifier la jurisprudence.

Mais, en attendant, la plus grande incertitude règne: des tribunaux fédéraux saisis aux quatre coins du pays ont apporté des réponses très différentes, quelques-unes validant même le décret.

L’affaire se cristallise toutefois à la cour d’appel de San Francisco, chargée d’examiner la décision du juge James Robart de Seattle qui, de tous les magistrats s’étant déjà prononcés, a suspendu le décret présidentiel anti-immigration de la façon la plus large, avec une portée nationale.

Quelles forces en présence devant la cour d’appel ? Les plaignants principaux sont deux Etats démocrates frontaliers du Canada: l’Etat de Washington, où siège le juge Robart, et le Minnesota.

Différents groupes ont déposé devant la cour des mémoires en appui à leur cause, notamment l’ACLU, la grande organisation de défense des libertés, le Southern Poverty Law Center, un observatoire de l’extrémisme, ou encore l’organisation HIAS de défense des réfugiés.

Près de 300 professeurs de droit et une centaine de sociétés de la Silicon Valley ont également adressé des argumentaires de soutien à l’opinion du juge Robart.

Enfin, une quinzaine d’autres Etats et la capitale fédérale Washington ont annoncé lundi transmettre un mémorandum demandant la confirmation de cette décision.

En face, la partie appelante est le président Donald Trump et son administration, défendus par les avocats du ministère de la Justice. Ils ont interjeté l’appel dans les règles, après que le président a toutefois qualifié James Robart de «pseudo-juge» et qualifié son jugement de «scandaleux».

La cour d’appel de San Francisco a fixé lundi une audience par téléconférence pour mardi 23H00 GMT. Chaque partie disposera de 30 minutes pour s’exprimer.

Quels sont les arguments juridiques des parties ? Donald Trump justifie son décret controversé par les pouvoirs que lui confère la Constitution des Etats-Unis. Selon son article 2, le président a toute autorité pour conduire les affaires étrangères et diriger la politique d’immigration.

Le décret «s’inscrit dans l’exercice légal de l’autorité présidentielle», ont d’ailleurs écrit les avocats du gouvernement dans leur recours adressé lundi à la cour d’appel.

 Le nouveau maître de la Maison Blanche se fonde notamment sur un article de loi adopté il y a 65 ans, stipulant que le président américain est en droit de suspendre l’entrée d’une catégorie d’étrangers à chaque fois qu’il estime que cette arrivée «serait néfaste aux intérêts des Etats-Unis».

Les avocats du gouvernement tentent de renforcer cet argument général par un autre de bon sens. La justice, disent-ils, est peu qualifiée pour décider en matière de sécurité nationale.

«Les tribunaux n’ont pas accès aux informations confidentielles sur la menace posée par des organisations terroristes», ont-ils écrit dans leur recours.

En face, les opposants au décret mettent aussi en avant la Constitution, en affirmant que le texte viole des principes fondamentaux: liberté de déplacement, égalité des personnes, interdiction de la discrimination religieuse, etc.

Ils rappellent que le rôle de la justice est de contrebalancer le pouvoir de l’exécutif, en protégeant notamment les minorités.

Ils assurent être fondés en tant qu’Etats pour déposer plainte, vu que le décret de Donald Trump a des conséquences négatives en matière d’emploi ou dans les secteurs de l’éducation et des affaires.

Enfin, ils avertissent qu’une éventuelle remise en vigueur du décret menacerait l’ordre public, après le chaos, notamment dans les aéroports, qu’avait déclenché sa mise en place non annoncée. M. Trump avait justifié cette précipitation par un nécessaire effet de surprise.

Quelle prochaine étape attendre ? La cour d’appel de San Francisco peut soit valider le décret Trump ou au contraire confirmer sa suspension.

Dans le premier cas (remise en application du décret), les autorités n’ont pas indiqué si elles avaient prévu des mesures qui permettraient d’éviter les détentions dans les aéroports et les expulsions qui avaient suscité un tollé international et des manifestations.

Dans le second cas, la décision du juge James Robart s’appliquera à tout le pays, maintenant l’accès aux Etats-Unis aux réfugiés et ressortissants des sept pays visés par le texte.

A noter que la partie perdante aura la possibilité de demander à la Cour suprême de trancher.

Si la haute cour acceptait d’examiner ce dossier brûlant, il faudrait une majorité de cinq juges sur huit pour renverser la décision de la cour d’appel. Cela est loin d’être acquis, la Cour suprême étant actuellement divisée idéologiquement entre quatre magistrats conservateurs et quatre magistrats progressistes.