Coopération sécuritaire : Bamako et Washington amorcent une nouvelle relance

Après des années de rupture, la coopération sécuritaire entre le Mali et les États-Unis connaît une relance progressive, marquée par des visites diplomatiques de haut niveau. Au-delà du symbole politique, cette reprise soulève d’importants enjeux sécuritaires et stratégiques pour Bamako, qui cherche à diversifier ses partenariats dans la lutte contre le terrorisme.

La coopération militaire entre le Mali et les États-Unis reprend vie après plus de quatre années de gel. Entre réunions diplomatiques, séances de travail sécuritaires et engagements mutuels affichés, les signes d’un rapprochement se multiplient. Washington affiche sa volonté de redevenir un acteur sécuritaire clé au Sahel, dans un contexte de concurrence géopolitique accrue, tandis que les autorités maliennes semblent prêtes à réactiver un partenariat jadis structurant.

Ce retour intervient alors que l’armée malienne est engagée sur plusieurs fronts contre les groupes terroristes qui continuent de mener des attaques dans différentes régions du pays. À travers cette relance, le Mali pourrait renforcer ses capacités opérationnelles et techniques, tout en diversifiant ses partenariats stratégiques pour affronter la complexité de la crise sécuritaire.

Un retour américain qui se précise

Ce mois de juillet 2025 marque un tournant significatif dans la coopération sécuritaire entre le Mali et les États-Unis, avec deux visites diplomatiques majeures traduisant un réchauffement des relations entre les deux pays.

Le 8 juillet, lors de la célébration du 249ème anniversaire de l’indépendance américaine à l’ambassade des États-Unis à Bamako, le ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, a salué cette dynamique naissante. Il a estimé que ces visites de haut niveau constituaient « un signal pour un renouveau du dialogue politique, fondé sur le réalisme, le pragmatisme et les intérêts mutuels ».

Dans cette perspective, la visite du 9 juillet de Rudy Atallah, Directeur adjoint principal de la lutte contre le terrorisme au Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche, a posé un acte fort. Accompagné de l’Ambassadrice des États-Unis au Mali, Mme Rachna Korhonen, il a tenu une séance de travail avec les ministres maliens des Affaires étrangères et de la Sécurité.

Cette mission visait à « s’imprégner des réalités maliennes » et à relancer la coopération bilatérale sur des bases renouvelées. Plusieurs points ont été abordés, notamment la reprise en main de la sécurité nationale par les autorités de la Transition, le renforcement des capacités opérationnelles de l’armée, la prise en compte de la Confédération AES dans la lutte antiterroriste, ainsi que la nécessité d’une action sincère et globale contre le terrorisme.

Ce rapprochement s’est consolidé avec la visite le 21 juillet de William Stevens, Sous-Secrétaire d’État adjoint américain pour l’Afrique de l’Ouest et Envoyé spécial au Sahel. Reçu à Bamako par le chef de la diplomatie malienne, Abdoulaye Diop, il a insisté sur la vision du Président Trump « de travailler avec les pays amis » et a évoqué les opportunités de coopération économique et sécuritaire, ainsi que l’amélioration du climat des affaires au Mali. Les deux parties ont souligné leur convergence de vues sur des questions stratégiques, notamment la lutte contre les groupes armés terroristes et la promotion des intérêts mutuels dans le respect de la souveraineté.

Plus tôt, en février dernier, une rencontre avait eu lieu à Bamako entre des officiers maliens et des officiers américains, représentants de l’US Africa Command.

Enjeux stratégiques

La relance progressive de la coopération sécuritaire entre le Mali et les États-Unis soulève plusieurs enjeux majeurs. Sur le plan opérationnel, l’armée malienne reste confrontée à la résistance des groupes terroristes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique. Le retour américain pourrait se traduire par un accès aux renseignements satellitaires et aux drones de surveillance américains, particulièrement précieux pour le suivi des déplacements terroristes transfrontaliers, la remise à niveau des systèmes de communication sécurisés de l’armée malienne, la formation d’officiers supérieurs à la planification stratégique et aux opérations combinées, ainsi qu’un appui à la sécurisation des frontières — domaine dans lequel les États-Unis disposent d’une expertise régionale avérée.

Par ailleurs, selon une analyse du Centre Awdagust d’Études Régionales, un institut de recherche indépendant spécialisé dans l’analyse des dynamiques géopolitiques au Sahel et au Maghreb, en plus de renforcer les capacités maliennes face aux organisations extrémistes, les États-Unis cherchent à rétablir une présence de leur renseignement dans le Sahel central après leur retrait du Niger, tout en contrecarrant l’influence russe à Bamako sans confrontation directe avec Moscou.

« Pour Bamako, cette relance pragmatique élargit ses marges de manœuvre : tout en consolidant ses liens stratégiques avec Moscou et Ankara, le Mali cherche à diversifier ses partenariats afin d’éviter toute dépendance exclusive et bénéficier des expertises américaines en matière de renseignement et de logistique », avance l’institut.

La note d’analyse du Centre Awdagust souligne également que, bien que le Mali ait bénéficié du soutien russe et ait étendu ses collaborations avec la Turquie, le gouvernement de transition est conscient que les États-Unis possèdent des capacités techniques et de renseignement « difficiles à compenser ».

Enfin, au plan symbolique, la relance de la coopération américaine consolidera la légitimité internationale du Mali après des années d’isolement partiel. Elle pourrait même faciliter un retour progressif des financements multilatéraux conditionnés à un cadre sécuritaire stable.

Vers un équilibre incertain ?

Dans un contexte où la Russie est devenue depuis 2021 un allié stratégique central du Mali — avec la livraison d’avions de combat Sukhoï, de blindés et le déploiement massif de formateurs militaires — la relance de la coopération sécuritaire américaine pose la question de la compatibilité entre ces deux appuis stratégiques.

D’un point de vue strictement militaire, la cohabitation pourrait être bénéfique si elle est bien coordonnée, estiment certains analystes. Les Russes assureraient l’appui direct au sol et l’armement lourd, tandis que les Américains apporteraient la logistique, la formation ciblée et le renseignement stratégique, domaine où leur expertise est reconnue.

Toutefois, au plan géopolitique, Washington est très critique vis-à-vis de la présence russe en Afrique de l’Ouest, qu’elle considère comme une menace pour ses intérêts et ceux de ses alliés européens. « Pour le Mali, l’enjeu sera d’éviter que cette rivalité ne vienne parasiter sa stratégie sécuritaire. Une coopération équilibrée nécessitera une diplomatie agile afin de préserver l’appui de chaque puissance sans être perçu comme un terrain d’affrontement géopolitique », souligne Dramane Diarra, expert en relations internationales et géopolitique.

Un historique dense de coopération sécuritaire

Avant la rupture de 2021, les États-Unis entretenaient avec le Mali une coopération militaire et sécuritaire étroite. Après la chute du régime dictatorial en 1991, Washington avait progressivement accru son appui à Bamako, notamment à travers la formation d’officiers maliens dans les académies militaires américaines et la fourniture de matériels logistiques.

Entre 2002 et 2012, la coopération s’est intensifiée dans le cadre de l’Initiative Pan-Sahel, puis du Trans-Saharan Counterterrorism Partnership (TSCTP), un vaste programme américain visant à renforcer les capacités antiterroristes des pays du Sahel et du Maghreb. Les États-Unis ont ainsi formé des unités spéciales maliennes, fourni des véhicules blindés légers, financé l’équipement en communication sécurisée et renforcé les structures de renseignement militaire.

Après la crise sécuritaire de 2012, consécutive à l’occupation du nord du Mali par les groupes terroristes, l’appui américain s’est réorienté vers la stabilisation et la reconstruction des capacités de l’armée malienne. Le Mali bénéficiait également d’aides budgétaires destinées à l’armée, ainsi que de formations sur la lutte contre les engins explosifs improvisés et la sécurisation des zones rurales vulnérables.

Cependant, après le renversement de la Transition dirigée par le Colonel-major Bah N’daw en mai 2021, Washington avait décidé de suspendre toute assistance militaire directe, conformément à ses lois interdisant de coopérer avec des régimes issus de putschs jusqu’au retour à un ordre constitutionnel normal.

Alors que Bamako et Washington s’engagent dans ce nouveau chapitre de coopération sécuritaire, l’avenir dépendra de leur capacité à naviguer avec finesse entre ambitions stratégiques et réalités politiques, dans un Sahel où chaque alliance pèse lourd et où la stabilité reste fragile.

Mohamed Kenouvi

Sécurité régionale : Le Mali s’engage dans une nouvelle dynamique

Le 22 mai 2025, Bamako a accueilli le lancement de la phase nationale du Programme des États du Sahel, une initiative coordonnée par la Coalition Islamique Militaire Contre le Terrorisme (CIMCT).

Ce programme, financé à hauteur de 100 millions de riyals saoudiens (environ 26,7 millions de dollars), vise à renforcer la coopération régionale dans la lutte contre le terrorisme.
Le programme s’étend sur la période 2024-2029 et concerne plusieurs pays du Sahel, dont le Mali, le Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie et le Tchad. Il repose sur quatre axes principaux : militaire, intellectuel, médiatique et financier. À Bamako, la cérémonie de lancement a réuni des représentants des forces de sécurité maliennes et des membres de la CIMCT, marquant le début d’une série d’ateliers et de formations destinés aux forces armées, aux services de renseignement et aux cellules de lutte contre le blanchiment de capitaux.
Un accent particulier est mis sur la prévention de la radicalisation, avec des sessions de sensibilisation prévues pour les jeunes, les leaders religieux et les médias. Cette approche communautaire, déjà expérimentée en Mauritanie et au Niger, vise à contrer les discours extrémistes et à renforcer l’adhésion des populations aux efforts de stabilisation.
Le Mali, confronté depuis plus d’une décennie à l’expansion des groupes armés, voit dans cette initiative une opportunité de diversifier ses partenariats sécuritaires tout en préservant sa souveraineté. Le pays, membre de l’Alliance des États du Sahel (AES), entend conjuguer indépendance stratégique et coopération régionale

L’Europe face à son destin : Un sommet décisif pour la défense et l’Ukraine  

Les dirigeants de l’Union européenne se sont réunis, le jeudi 6 mars 2025, à Bruxelles pour un sommet extraordinaire consacré à la défense et au soutien à l’Ukraine. Cette rencontre intervient alors que les États-Unis menacent de réduire leur présence militaire sur le continent, tandis que le président Donald Trump et son vice-président J.D. Vance durcissent leur position face à Volodymyr Zelensky.

Le sommet s’est conclu par l’adoption d’un plan de 800 milliards d’euros destiné à renforcer les capacités militaires de l’Europe. Porté par la Commission européenne et défendu par Ursula von der Leyen, ce programme vise à moderniser l’industrie de défense, accroître la production d’armements, renforcer les infrastructures militaires en Europe de l’Est et réduire la dépendance des États européens aux États-Unis. L’emprunt commun de 150 milliards d’euros, l’utilisation de fonds de cohésion et l’assouplissement des règles budgétaires figurent parmi les principaux leviers financiers envisagés pour le mettre en œuvre.
Les tensions entre l’Europe et les États-Unis se sont accentuées après une réunion houleuse entre Trump, Vance et Zelensky à la Maison-Blanche le 28 février 2025. Selon plusieurs sources diplomatiques, Trump et son vice-président ont critiqué Zelensky, l’accusant de ne pas suffisamment s’engager pour négocier avec la Russie. Le président américain a affirmé que l’aide militaire américaine à l’Ukraine ne se justifiait plus et a laissé entendre que les États-Unis pourraient suspendre tout soutien militaire à Kiev. Le ton est monté lorsque Zelensky a rétorqué que l’Ukraine défendait non seulement son territoire, mais aussi les valeurs occidentales face à la menace russe. La réunion s’est terminée sans accord, marquant une rupture nette entre Washington et Kiev.
Cette confrontation a immédiatement suscité des réactions en Europe. Le Royaume-Uni a réaffirmé son soutien à l’Ukraine par la voix du Premier ministre Keir Starmer, qui a reçu Zelensky à Londres le 1er mars. Plusieurs dirigeants européens ont dénoncé l’attitude de l’administration américaine, soulignant que l’abandon de l’Ukraine risquait de mettre en péril la stabilité du continent.
Les incertitudes sur l’engagement des États-Unis ne se limitent pas à l’Ukraine. Trump a de nouveau évoqué un possible désengagement des États-Unis de l’OTAN, une hypothèse qui inquiète profondément les alliés européens. L’armée américaine compte actuellement près de 100 000 soldats en Europe, dont 35 000 en Allemagne, 12 000 en Italie, 10 000 en Pologne et 8 000 dans les pays baltes et en Roumanie. Une réduction massive de ces troupes affaiblirait considérablement le dispositif de dissuasion face à la Russie et obligerait l’Europe à compenser rapidement ce retrait.
Lors du sommet, plusieurs chefs d’État européens ont insisté sur la nécessité pour l’Europe de se doter de capacités de défense autonomes. Le président français Emmanuel Macron a réitéré son appel à une force de dissuasion nucléaire européenne, une proposition qui divise les États membres, notamment l’Allemagne, encore attachée au parapluie nucléaire américain. Le chancelier Olaf Scholz a toutefois reconnu que le contexte international imposait une réflexion approfondie sur l’avenir de la sécurité en Europe.
Les chiffres actuels illustrent l’ampleur du défi. Le budget militaire cumulé des pays de l’Union européenne s’élève à environ 240 milliards d’euros par an, loin derrière les 880 milliards de dollars du Pentagone. La Russie, pour sa part, consacre environ 120 milliards de dollars à sa défense. Si l’Europe veut combler son retard et compenser un éventuel retrait américain, elle devra rapidement augmenter son effort financier et renforcer la coopération entre ses États membres.
La question de l’avenir de l’OTAN demeure en suspens. Lors de son discours du 4 mars 2025, Trump a affirmé que les États-Unis n’avaient plus vocation à assumer seuls la protection de l’Europe et a demandé aux membres de l’Alliance d’augmenter leur contribution financière. Les déclarations du président américain laissent planer l’incertitude sur l’engagement des États-Unis en cas de crise majeure impliquant la Russie.
Le sommet du 6 mars marque un tournant pour l’Europe. Confrontée aux tensions entre Washington et Kiev, à la menace d’un désengagement américain et à la pression croissante de Moscou, l’Union européenne se voit contrainte d’accélérer la construction d’une défense autonome. La mise en œuvre du plan de réarmement européen sera un test décisif pour l’avenir de la sécurité du continent.