Crise sociopolitique : Les enseignants entrent dans la désobéissance civile

Les principaux syndicats de l’éducation de l’enseignement fondamental ont décidé, mercredi 15 juillet dans un communiqué conjoint, d’arrêter les cours en respect du mot d’ordre de désobéissance civile du M5-RFP. Cela fait suite à l’adhésion de leurs centrales syndicales, la Confédération Syndicale des Travailleurs du Mali et la Centrale Démocratique des Travailleurs du Mali (CDTM), au M5-RFP.

Le communiqué conjoint appelle également les enseignants à  « sortir massivement le vendredi 17 juillet 2020 pour la prière collective pour le repos éternel » des personnes mortes à la suite des contestations.

Après plus de six mois de grèves, les enseignants avaient regagné les classes à la suite d’un accord le 17 juin avec le gouvernement qui s’est engagé à appliquer l’article 39. Après un mois de cours, c’est donc vers la fermeture des classes au niveau fondamental qu’on s’achemine.

Le Syndicat National des Enseignants Fonctionnaires des Collectivités Territoriales (SNEFCT), le Syndicat National de l’Education de Base (SYNEB) et le Syndicat Libre de l’Enseignement Fondamental (SYLDEF) sont concernés par le mot d’ordre de désobéissance civile.

Boubacar Diallo

Bamako : La « désobéissance civile » vire au drame

La série noire qui endeuille la capitale du Mali prend racine le 5 juin 2020, avec le premier grand rassemblement du Mouvement du 5 juin ou M5. Le troisième rassemblement du genre, qui a vu l’entrée en vigueur de la « désobéissance civile », s’est soldé par des morts à Bamako. Le bilan des dernières journées est encore loin d’être fait en intégralité. L’on retient tout de même que les « manifestants » ont saccagé l’Assemblée nationale, brûlé des véhicules et des bâtiments, utilisé des meubles pour faire des barrages sur les routes et dispersé des documents administratifs dans les rues environnantes. Et cette liste est loin d’être exhaustive.

L’autre fait qui a marqué cette première journée de « désobéissance civile » impulsée par le Mouvement du 5 juin et ses alliés est l’envahissement par des manifestants des locaux de l’ORTM. Ils étaient nombreux à prendre d’assaut la chaîne publique. Conséquences : interruption pendant près de deux heures des programmes le 10 juillet 2020. Tard le soir, dans une édition spéciale à la télévision nationale, l’on découvrait les dégâts et les voitures incendiées dans les locaux de la radiotélévision nationale. Une violence qui s’est soldée elle aussi par des blessés et a obligé les agents en service ce jour-là à ne reprendre le chemin de la maison que tard dans la nuit ou le lendemain pour certains, à cause de l’insécurité qui régnait en maître dans la ville. Face à cette situation, les faîtières de la presse ont exprimé leur solidarité avec l’ORTM.  

 

Il ne faut pas perdre de vue que lors du dernier rassemblement du M5, l’appel à la « désobéissance civile » devait être maintenu jusqu’à « la démission du Président Ibrahim Boubacar Keita » de ses fonctions, selon le mot d’ordre lancé.

Le lendemain de la manifestation, au préalable prônée sans violence, la coalition M5-RFP a annoncé l’arrestation de plusieurs de ses chefs de file et une intervention des forces de l’ordre dans son quartier général. « Alors que nos militants étaient en réunion, ils sont venus et ont attaqué et saccagé notre quartier général », a déclaré à un média, le porte-parole de la coalition, Nouhoum Togo, qui avait annoncé plus tôt dans la journée du samedi 11 juillet l’arrestation, survenue la veille, de l’opposant Issa Kaou N’djim. Selon le M5-RFP, Choguel Kokala Maiga et Mountaga Tall, deux figures du mouvement, ont aussi été arrêtés samedi, ainsi que d’autres opposants. Maître Mountaga Tall a été libéré dans la nuit de samedi à dimanche.

Du samedi 11 au lundi 13 juillet, les manifestations n’ont pas cessé dans la capitale, interrompues par moment à cause des précipitations qui s’abattaient sur Bamako. Mais le M5-RFP ne s’est pas essoufflé pour autant. Avec un bilan en dégâts matériels, en vies humaines et en blessés, qui s’alourdit chaque jour. 

Autres conséquences de ces sorties parsemées d’actes de violences et de répression « à balles réelles » par endroits : des institutions au ralenti, des banques fermées, des infrastructures détruites, des arrestations, des contrôles accrus et les activités des populations bouleversées. Sur les réseaux sociaux, les informations et les fake news circulent, malgré le débit exécrable des connexions internet.  

Dans une dépêche citée par l’Agence France Presse (AFP), « la communauté internationale exhorte le pouvoir malien à libérer les leaders de la contestation pour tenter de mettre fin aux troubles qui ont conduit à l’instauration d’un climat semi-insurrectionnel à Bamako au cours du week-end. »

Face à cette situation, dans une adresse à la Nation, le 11 juillet 2020, le Président de la République a indiqué que la justice allait jouer son rôle les jours à venir. Il a aussi annoncé l’abrogation du décret de nomination des membres « restants » de la Cour constitutionnelle du Mali. Face aux débordements observés après le début de la « désobéissance civile », vendredi dernier, le mentor du M5-RFP, l’Imam Dicko, a lancé un appel au calme.

Idelette BISSUU

 

Crise politique : La désobéissance civile dégénère

A l’appel du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP), vendredi 10 juillet à la Place de l’Indépendance, des milliers de manifestants sont entrés en désobéissance civile face au refus du président de la République Ibrahim Boubacar Kéïta et de son régime de  démissionner. Ils ont vandalisé plusieurs services publics et occupé  les ponts et principaux axes routiers de Bamako.

« Le peuple a parlé à IBK, mais il fait la sourde oreille. On a trop parlé, maintenant place à l’action. On va chasser IBK et Boubou Cissé et non casser le pays. Commencez par occuper la Primature, l’ORTM et l’Assemblée Nationale », a ordonné aux manifestants, d’un ton martial, Issa Kaou N’djim, Coordinateur général de la CMAS (Coordination des Mouvements, Associations et Sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko).

L’Assemblée nationale saccagée

C’est de là que tout est parti. Les manifestants se sont dirigés vers les services publics indiqués par Issa Kaou N’djim. Selon les responsables du M5-RFP, la désobéissance civile devait s’exercer sans violence, en occupant pacifiquement les services publics de l’Etat, hormis ceux de la santé, et les principaux axes routiers. Ils n’avaient pas le droit de pénétrer dans les bureaux desdits services. Cependant rapidement la situation dégénère. Très excités, les manifestants ont vandalisé des portes d’entrée de l’ORTM et saccagé les locaux de l’Assemblée Nationale. Les accès aux ponts Fahd et des martyrs ont été bloqués ainsi que ceux de la primature et plusieurs ronds-points de la capitale. Les manifestants se sont également attaqués au domicile de Manassa Danioko, présidente de la Cour Constitutionnelle, très contestée pour son présumé rôle de tripatouillage électoral au profit du pouvoir lors des législatives passées. Les forces de l’ordre ont dispersé les contestataires à coup de gaz lacrymogènes. Au soir du 10 juillet, le bilan provisoire est d’un mort et de plusieurs blessés selon des sources sanitaires.  Le M5 dit dans l’attente de faire le point « tenir pour responsable le pouvoir IBK de toutes les violences ». Le mouvement a également annoncé l’arrestation de trois de ses membres.

Le mémorandum désormais « caduc »

Le M 5- RFP a adopté une résolution dans laquelle il déclare que le mémorandum de sortie de crise du 30 juin dernier est désormais « caduc ». Dans ce document, il demandait entre autres la dissolution de l’assemblée nationale, le renouvellement des membres de la cour constitutionnelle ou la mise en place d’un gouvernement de transition dont le premier ministre, doté du plein pouvoir, serait de son choix.  Le président IBK, dans son adresse à la nation du 9 juillet, n’a donné de suites aux revendications du mémorandum. Et le mouvement contestataire demande désormais « la démission pure et simple d’IBK, de son régime et l’ouverture d’une transition sans lui ».

Les contestations se sont également déroulées à l’intérieur du pays à Sikasso, Ségou ainsi qu’à Kayes.

Pr. Clément Dembélé : « IBK ne laisse pas d’autre choix au peuple »

Le mouvement du 5 Juin – Rassemblement des Forces patriotiques (M5-RFP) continue de mettre la pression sur le président Ibrahim Boubacar Keita et son régime. Après avoir changé de stratégie en élaborant un mémorandum, le comité stratégique du M5-RFP appelle de nouveau les Maliens à manifester ce vendredi 10 juillet 2020 pour exiger le départ d’IBK. Professeur Clément Dembélé, l’un des porte-parole du M5 répond aux questions du Journal du Mali.

                                                

Après l’échec de la rencontre avec le Président de la République, quel sera le mot d’ordre de la manifestation que vous organisez ce vendredi 10 juillet 2020 ?

Nous revenons à la case de départ qui est la démission d’Ibrahim Boubacar Keita. Mais il faut d’abord rappeler la sagesse de l’imam Mahmoud Dicko que nous avons entendu. Nous avons écouté cette sagesse avec beaucoup d’attention. Nous avons accepté, sur sa demande et son conseil, de renoncer momentanément à la démission d’IBK et de poser d’autres revendications tout,  en respectant les médiations des grandes personnalités qui sont tous intervenus pour dire qu’ils comprennent notre revendication qui est légitime mais nous ont convié à enlever juste la démission du président IBK et de trouver une autre formule. Celle que nous avons trouvé c’est cela que nous avons proposé à l’imam sur sa demande et que nous lui avons remis pour qu’il le dépose auprès d’IBK. Ce n’est pas trop demander quand on sait qu’au préalable nous exigions la démission d’IBK et de l’ensemble de son régime. Maintenant qu’IBK n’a pas accédé à ces demandes, nous n’avons pas le choix. IBK ne laisse pas d’autre choix au peuple que de sortir ce vendredi pour la désobéissance civile, dire non à l’atteinte de la forme de la République parce que cette forme c’est la stabilité, la sécurité, la lutte contre la corruption, la bonne gouvernance. Nous savons très bien que ces éléments ne sont pas réunis aujourd’hui et cela nous oblige à sortir le peuple malien pour demander simplement la démission d’IBK parce qu’il n’est pas celui qui écoute le peuple malien, qui entend la voix du peuple malien. C’est ce qui explique la sortie de ce vendredi 10 juillet. Nous allons demander à IBK de rendre aux Maliens ce qui leur appartient, c’est-à-dire le pouvoir du peuple malien.

Vous appellez désormais le peuple à la désobéissance civile. Croyez-vous en une adhésion massive à cet appel sur la durée ?

La désobéissance civile sera suivie parce qu’elle sera graduelle. Elle évoluera au fur et à mesure. Nous commençons le vendredi et la chose la plus importante pour nous c’est de mener cette désobéissance civile dans un cadre pacifique, légal et républicain. Nous ne voulons pas une désobéissance civile qui s’inscrit dans la violence. La violence est contraire à l’éthique du peuple malien. Le Mali n’a pas aujourd’hui besoin de violence. Mais cette désobéissance civile, nous allons laisser le peuple l’exprimer et la mener dans la paix et dans la sérénité mais montrer au pouvoir que désormais IBK n’a plus la main sur ce peuple et sur le Mali. La désobéissance civile sera suivie parce que le peuple malien est trop fatigué. Il est trop abandonné par ce pouvoir. Ce peuple a besoin de dignité,  d’honneur et de se retrouver. Il va donc exprimer sa solidarité, son enthousiasme, sa vigueur et sa détermination à se débarrasser d’un régime de corrompus, qui n’a  cessé de mentir et de piétiner la dignité du peuple malien. Elle sera suivie parce que la survie même du peuple malien en dépend. Aujourd’hui pour redresser le Mali, il faut le faire avec la vérité et la franchise qui ne sont pas du tout dans le camp de ce régime.

Jusqu’où ira le mouvement ?

Le mouvement est prêt à aller jusqu’au bout. Nous nous inscrivons dans la logique du peuple malien. C’est le mouvement du peuple qui aspire aujourd’hui à une bonne gouvernance, à la redevabilité et à la transparence. Vous savez, en 1991 la promesse sur la démocratie était basée sur la bonne gouvernance, la transparence, la lutte contre la corruption. Cela n’a pas été le cas. Le peuple a été dupé, trébuché dans la boue de la déchéance, de la honte, de l’indignité et de l’indignation pendant 30 ans. Aujourd’hui ce peuple se lève comme un seul homme. Il se dresse contre tous les maux de ce pays que constituent la corruption, l’injustice, l’insécurité, la magouille, la gabegie et autres. Le peuple malien va se débarrasser de ces maux pour que l’an zéro du Mali démarre avec une nouvelle génération. Certes, certains d’entre nous ont travaillé avec le régime mais quand ils ont compris que ce régime n’avait pas la solution du Mali, ils sont partis pour revenir dans la case de la vérité et de l’honneur. Cela est à saluer. Ils ne sont pas venus pour reprendre le pouvoir et moi je suis sûr et persuadé qu’ils ne sont pas venus pour prendre la place des jeunes. Ils vont les accompagner, les protéger, leur permettre d’avoir leurs places et de diriger ce pays. C’est cet ensemble qui se lève aujourd’hui pour mettre fin au régime et permettre aux Maliens d’avancer ensemble.

L’imam Mahmoud Dicko soutient-il le retour à l’exigence de la démission d’IBK quand on sait qu’il a essentiellement œuvré pour que vous l’abandonniez ?

L’imam Mahmoud Dicko est l’autorité morale. Nous l’avons choisi pour nous accompagner, pour recadrer les choses en cas de dérapage. L’Imam Dicko est très inquiet aujourd’hui. Il est inquiet pour le M5, il est inquiet pour le Mali. Il reste toujours celui qui prône la paix et la stabilité. Il nous a toujours dit de revendiquer nos droits mais de façon pacifique, démocratique et légitime. Il y a  seulement quelques jours nous l’avons rencontré et il nous a exprimé cette inquiétude, de faire tout pour ne pas répondre aux provocations, de rester Républicains, pour sauvegarder la laïcité, rester dans le principe légal et de ne pas tomber dans la violence. Aujourd’hui plus que jamais Mahmoud Dicko est solidaire au M5-RFP, à la paix et la stabilité du Mali. Il n’a jamais appelé à la violence. Cette autorité morale nous permet de gagner du terrain, de nous faire comprendre par les Maliens, et d’avoir une grande dimension. Pour cela, je tiens personnellement à le remercier, ainsi qu’au nom du M5 et du peuple malien, pour sa souplesse, sa disponibilité, la profondeur de sa sagesse. Nous restons avec Mahmoud Dicko jusqu’au bout, et ce bout c’est de donner cette  libération au peuple malien dont il a vraiment droit. Nous disons qu’entre Mahmoud Dicko et le M5, c’est une famille qui va durer toute la vie parce qu’il n’a fait que prôner ce que nous voulons, c’est à dire un Mali libre, uni, intègre et souverain.

Désobéissance civile : Un rempart démocratique essentiel

Souvent promue par certains acteurs de la société civile pour revendiquer leurs droits, la désobéissance civile est une disposition constitutionnelle qui découle même des principes qui fondent la démocratie, selon les spécialistes. Même si son exercice est garanti par la Constitution, sa mise en œuvre nécessite une conscience politique qui n’est pas encore acquise dans notre société.

« (…) La forme républicaine de l’État ne peut être remise en cause. Le peuple a le droit à la désobéissance civile pour la préservation de la forme républicaine de l’État (…) ». C’est en ces termes que l’article 121 de la Constitution du 25 février 1992 évoque ce « droit politique reconnu depuis le Moyen âge », selon le Dr. Woyo Konaté, professeur de philosophie politique à la faculté de Droit et sciences politiques de Bamako.

Élément déterminant de la démocratie, « ce pouvoir de défiance » en est le second pilier, indispensable. Il est le pendant du principe de confiance qui offre la légitimité nécessaire au détenteur de pouvoir, à qui en réalité le peuple ne fait que déléguer son pouvoir. Ce dernier a le devoir de « penser au bien commun et, dès lors qu’il s’en détourne, le peuple a le droit de désobéir », poursuit le Dr. Konaté.

Alors que certains acteurs évoquent la nécessité d’y recourir maintenant, d’autres estiment que « ce n’est pas nécessaire pour le moment » et surtout remettent en cause la légitimité de ceux qui la préconisent. «Tout le combat que l’on mène aujourd’hui, c’est pour le peuple malien. Mais ceux qui demandent la désobéissance civile et se réclament de la société civile ont aidé des partis dans la conquête du pouvoir. Nous ne nous retrouvons pas dans cela », note M. Kibili Demba Dembélé, porte parole du mouvement « On a tout compris ».

Cependant il n’exclut pas le recours à ce droit constitutionnel lorsque ce sera nécessaire. D’ailleurs, lors des manifestations de «  Antè Abana, nous  avons  dit que si la Constitution était adoptée sans concertation nous allions nous y opposer et appeler à la désobéissance civile. Mais, pour le moment, nous n’en sommes pas là ».

« L’arme » peut en tout cas fonctionner « lorsque le peuple se sentira trahi », prévient le Dr. Konaté. Cependant, il faut « une certaine culture politique » que nous n’avons pas pour le moment. Parce que la démocratie a besoin d’un ensemble de citoyens, le peuple.  Des « individus qui ont une certaine conscience et un engagement politique », ce que nous n’avons pas pour le moment, conclut  le Dr Konaté.