Développement industriel : Comment faire autrement au Mali ?

Au début du mois de mars, deux évènements ont attiré l’attention du public sur le monde industriel : le premier était la tenue de la rentrée annuelle du Réseau des entrepreneurs de l’Afrique de l’ouest au Mali (REAO-Mali). Ces derniers avaient choisi comme thème « Quelle politique industrielle pour un développement accéléré du Mali ? ». Une activité qui a accueilli décideurs politiques et acteurs du monde économique, dont de nombreux industriels, qui n’ont pas manqué de souligner les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Dont le sujet du second évènement du mois, la fourniture d’électricité. Quelques jours plus tôt, en effet, en raison de perspectives pessimistes pour la production d’énergie en cette période de chaleur, il leur avait été demandé de ne pas allumer leurs machines la nuit, afin d’économiser l’électricité au profit des ménages. Une requête très mal accueillie par certains industriels. Alors que la volonté politique s’affiche de plus en plus en faveur d’une industrie plus dynamique, quelles pistes pour qu’elle se bâtisse sur des bases qui en assurent la pérennité et le succès ?

C’est l’une des questions au cœur du Salon international de l’industrie du Mali, qui s’est tenu du 19 au 21 avril. Il a en effet été, non seulement le lieu de démontrer encore une fois tout le potentiel du pays dans le domaine, mais aussi un espace de réflexion sur le devenir de ce secteur de l’économie, sur lequel le pays veut pouvoir appuyer son développement. En organisant cet évènement, le ministère de Développement industriel (MDI) et ses partenaires veulent booster les industries, qui stagnent encore bien en-deçà des 10% de contribution au PIB, moyenne sous-régionale (zone UEMOA). Depuis une dizaine d’années, les actions se multiplient et « n’eût été la crise de 2012, les résultats, déjà existants, auraient été encore plus visibles », explique-t-on au MDI, où l’on ne se lasse pas d’énumérer les réalisations des dernières années. Le jeune département, qui a été créé en juillet 2016, s’enorgueillit d’avoir renoué le dialogue avec les professionnels de l’industrie. « Notre collaboration sur des évènements comme le SIIM démontre que nous allons dans le même sens et que les perspectives ne peuvent qu’être positives », se réjouissait le ministre Mohamed Ali Ag Ibrahim lors de la rentrée du REAO-Mali. L’adoption par le gouvernement d’un document de Politique de développement industriel participe de l’élan « pour changer et inverser la structure de notre économie au profit d’un secteur industriel fort, ordonné, rapide et durable, à travers une stratégie de croissance accélérée ».

C’est surtout le secteur de l’agro-alimentaire qui tire la locomotive de l’industrie malienne. La plupart des unités réalisées ces dernières années misent sur la transformation de la production locale. Pour s’imposer sur un marché fortement concurrentiel, et où les produits importés prennent la plus grande part, elles comptent sur le « branding ». « C’est ce que vendent les grandes entreprises », explique le Dr Carlos Lopez, enseignant-chercheur à l’Université de Cape Town, en Afrique du Sud. L’emballage, première étape d’une communication réussie sur le produit, est en effet l’une des problématiques auxquelles font face les industriels maliens, contraints, pour la plupart, de s’approvisionner à l’extérieur du pays, augmentant ainsi les coûts de production, et donc de vente. « Mais il faut faire ce choix si nous voulons rester dans la course. C’est fini les produits dans des sachets blafards, collés au fer à repasser dans un coin de la cuisine », confirme une jeune entrepreneure. Il suffit pour s’en convaincre de faire un tour dans les rayons des supermarchés de Bamako et d’ailleurs dans le monde, où l’on n’est plus surpris de tomber sur de la mangue séchée du Mali ou de la pâte d’arachide, dans des conditionnements de qualité. Mais, avant le « branding », cet art de donner une identité (visuelle et même sonore) à un produit, il faut le fabriquer. Et là, les obstacles sont presque aussi nombreux que les opportunités.

Le premier réside en une vision de l’industrie propre aux Etats africains, si l’on en croit le Dr Lopez. Le patron de l’Organisation patronale de l’industrie malienne, Cyril Achcar, la traduit très bien : « on attend tout de l’industrie, mais on ne lui donne presque rien ». Les attentes sont en effet très nombreuses. Le secteur, créateur de richesses et pourvoyeur d’emplois est bien en deçà de son potentiel au Mali. « On cite le coton, les mangues, etc… Oui, nous avons tout ça, mais les importateurs ont la mainmise sur l’économie et l’État n’est pas assez volontaire pour protéger nos investissements et nous favoriser sur le marché. Aucun investisseur n’est suicidaire, nous mettons de l’argent pour en gagner. Aujourd’hui, c’est difficile d’y arriver », se désole un industriel malien, sous couvert d’anonymat. Ce dernier, présent sur le marché depuis une dizaine d’années avec des produits manufacturés, assure que l’industrie du Mali « aura du mal à être compétitive et à dépasser, pour la grande majorité, l’étape de l’artisanat sans une transcription dans les faits des engagements politiques. Repenser l’industrie malienne, on l’a déjà fait. Il faut maintenant mettre en œuvre ce que nous avons décidé de faire ».

Faire autrement Les « vieilles » unités maliennes qui résistent l’ont compris et elles investissent dans l’innovation pour durer. L’exemple de la Société Nationale des Tabacs et Allumettes du Mali (SONATAM-SA) est illustratif de cette volonté. L’entreprise a entrepris ces dernières années de moderniser son outil de production, tout en signant des partenariats gagnant – gagnant avec des partenaires étrangers, dont la présence à ses côtés est gage de dynamisme et de compétitivité. Il existe d’autres exemples, dont s’inspirent les nouvelles unités « pour ne pas reproduire les erreurs du passé et avoir un modèle sur la durée ». Selon les experts en développement industriel, sur le continent africain, les acteurs ont pris « conscience que le contexte international est très différent (des années 60 – 80, ndlr). Avec près de 90 % d’Africains qui dépendent encore en grande partie du secteur agricole, une industrialisation axée sur les produits de base est de nature à tirer le meilleur de ce qui fait notre force. En outre, elle offre la possibilité de créer d’emblée de la valeur ajoutée et d’exploiter de multiples façons les filières ainsi ouvertes », peut-on lire dans un article de la revue de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel « Making it ».

La question énergétique reste une épine dans le pied des industriels maliens. Le déficit de production impacte grandement leurs activités et ce ne sont pas les tarifs « spéciaux » ou la production d’électricité, encore marginale, à partir de déchets agricoles, qui inversera la tendance. Là encore, les acteurs pointent le doigt vers les politiques. « Il faut chercher à faire un pas de géant sur le plan technologique », répond l’expert, pour qui la production à partir de sources d’énergie renouvelables ou encore avec des machines consommant moins doivent être des pistes d’action. Autre défi de l’industrie malienne, les ressources humaines. Tout un chantier…

Opération séduction L’industrie malienne a besoin d’investissements et elle le fait savoir. Outre les différentes zones industrielles créées avec un succès mitigé dans plusieurs régions du pays, les autorités veulent mettre à la disposition des opérateurs des Zones Économiques Spéciales (ZES). Elles devraient permettre aux porteurs de projets d’entreprises dans les secteurs prioritaires de produire et de commercialiser dans des conditions (foncier, fiscalité, accès à l’électricité et à l’eau, etc.) adaptées. Les participants au tout premier salon consacré à l’industrie au Mali pourront en découvrir le détail, entre autres sujets abordés lors des trois jours d’échanges, d’expositions, de démonstrations, du 19 au 21 avril. En invitant la Turquie, 7ème puissance économique européenne et 16ème mondiale, une usine géante pour le monde entier, ses organisateurs ont un message : l’industrie du Mali veut apprendre des succès des autres, pour avancer vers la prospérité que lui promet son potentiel.

 

JIA 2017 : l’industrialisation comme moteur de développement

Depuis ce lundi, ont débuté les Journées de l’industrialisation de l’Afrique 2017 (JIA) au parc des expositions de Bamako . Présidé par le chef de l’État, Ibrahim Boubacar Keïta et en présence de certains membres du gouvernement, les industriels ont tenu à rappeler les défis qui attendent le Mali.

« Le Mali est, par exemple, l’un des principaux producteurs de coton à l’échelle planétaire, pourtant ce n’est que 2 % de cette précieuse denrée qui est transformée localement de façon sommaire », déclare le ministre du Développement Industriel, Mohamed Aly Ag Ibrahim. Ces propos illustrent le déficit de mesures dans le pays pour développer ce secteur prometteur. 

« Chaque année, cette célébration permet de s’interroger sur les solutions à mettre en œuvre pour promouvoir l’industrialisation de nos pays et rattraper le fossé qui nous sépare des pays développés communément appeler les pays industrialisés. Le développement sans industrialisation est impossible. L’écosystème industriel tire les secteurs primaires, secondaires et tertiaires tel une locomotive qui tire ses wagons », dit d’emblée Cyril Achcar, président de l’Organisation Patronale des Industriels. Pour Haby Sow Traoré, représentante de la coordinatrice du Système des Nations Unies au Mali ONUDI, « les gouvernements, les entreprises et la société civile doivent nouer des partenariats pour encourager l’innovation et favoriser la croissance ».

Équilibrer la balance 

Un taux d’activité des outils industriels inférieur à 50 % des capacités faute de débouchés couplés à un déficit d’infrastructures et d’énergie mettent le Mali en mauvaise posture par rapport aux pays de la sous-région, notamment ceux de l’UEMOA et de la CEDEAO.

À cela, s’ajoute « la mauvaise application des textes communautaire et nationaux, le déficit de la culture industrielle, le manque d’audace dans les réformes à mener, les commandes publiques non orientées vers le « Made in Mali », un arbitrage budgétaire défavorable à l’industrie : 0,03 % alors que l’agriculture est à 15 %. Il importe que l’agriculture soit transformée dans notre pays, car la valeur ajoutée est dans cette transformation. Elle apportera les emplois, les investissements, les taxes, dont l’économie a besoin », explique l’homme d’affaires Cyril Achcar.

Le marché de la CEDEO, étant riche de 350 millions de consommateurs, sera difficile à atteindre si le Mali peine toujours à se frayer un chemin vers la route de l’industrialisation. Comment être compétitif si le marché local de 17 millions de consommateurs n’est pas exploité comme il se doit ? « Ne soyons pas naïf sur l’ouverture de nos marchés, car les alliances contre nature comme le tarif extérieur commun (TEC), en vigueur actuellement au sein de l’UEMOA et de la CEDEAO mettent à égalité des pays enclavés comme le nôtre et des pays côtiers », termine le président de l’OPI.

Malgré ce bilan morose du paysage industriel malien, les efforts de son S.E.M Ibrahim Boubacar Keïta pour y remédier ont été salués à plusieurs reprises lors de cette cérémonie d’inauguration, notammen,  avec l’instauration d’un ministère du Développement Industriel.

Après l’exposé du travail qui attend le pays, l’espoir a rythmé cette cérémonie à l’issue de laquelle le président de la République a symboliquement coupé le ruban afin de marquer, officiellement, l’ouverture de cette édition 2017 des Journées de l’Industrialisation de l’Afrique. Ces journées se clôturent le 6 décembre prochain.

Mohamed Aly Ag Ibrahim : « La sous-région doit apporter la preuve de la conformité de sa production »

En vue de renforcer l’intégration économique régionale et commerciale en créant un environnement propice au respect des règles du commerce international, un atelier d’information sur les résultats de l’étude pour la mise en place du schéma de l’infrastructure qualité de la CEDEAO, a débuté depuis le 01 février à Bamako. La cérémonie d’ouverture des travaux était présidée par le ministre du développement industriel, Mohamed Aly Ag Ibrahim.

Après une première phase réussie de 2001 à 2005, la deuxième phase du programme qualité Afrique de l’Ouest fut lancée en 2007 pour une période de 5ans. Ce programme a permis d’atteindre des résultats tangibles tels que : l’adoption d’une politique régionale ainsi que de politiques nationales de la qualité, la mise en place d’un schéma régional d’infrastructure qualité, l’adoption de normes régionales, l’accréditation de 21 laboratoires d’essais d’étalonnage selon les normes ISO/IEC 17025 et ISO 15189, la certification de 20 entreprises selon les normes ISO 9001/ISO 22000, l’équipement de laboratoires de métrologie et la formation de plus de 4000 membres du personnel de laboratoires, d’organismes d’inspection et d’entreprises privées.

Toutefois, afin de renforcer l’intégration régionale et de consolider la mise en œuvre de l’infrastructure qualité, il fut décidé de soutenir d’avantage la région. Le système qualité de l’Afrique de l’Ouest est ainsi né. Maintenir, renforcer et spécialiser sont les maîtres mots de ce programme. Afin de construire, sur la base du succès des phases antérieures, il est d’abord indispensable de consolider l’édifice. Grâce à la politique de la qualité de la CEDEAO, récemment adoptée, et à son plan d’infrastructure de la qualité connexe, le programme financé à hauteur de 12 millions d’Euro et exécuté par l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Indsutriel (ONUDI), appuiera, ensuite, la Commission de la CEDEAO et les 16 pays d’Afrique de l’Ouest dans le renforcement de leur infrastructure de la qualité. «Ce qui conduira à une meilleure efficacité, une meilleure compétitivité et à une meilleure participation au commerce intra et interrégional », explique M. Bernard Bau de l’ONUDI.

Enfin, le programme permettra la création de centres d’excellence de la qualité et de réseaux d’établissements spécialisés en qualité comme les laboratoires et les organismes d’évaluation de la conformité afin d’offrir des services efficaces aux entreprises locales et aux exportateurs. Les consommateurs, quant à eux, jouiront d’une plus grande protection pour que le développement économique soit promu durablement. «Face au contexte actuel de la mondialisation et l’ouverture totale des marchés, qui a accentué les exigences relatives à la qualité, il devient impératif pour notre sous-région, d’apporter la preuve de la conformité de sa production. Ce programme ambitieux contribuera certainement au développement d’un environnement propice aux affaires et permettra aux entreprises d’être plus compétitives, particulièrement à l’exportation », défend le ministre Mohamed Aly Ag Ibrahim.

Cyril Achcar : « Il est urgent de réformer ! »

À l’occasion de la célébration de l’édition 2016 de la Journée de l’industrialisation de l’Afrique (JIA), l’Organisation patronale des industriels a publié son 2ème Livre blanc. Avec son président, Cyril Achcar, Directeur général du GIE AMI, nous évoquons cet instrument de plaidoyer qui fait lentement bouger les lignes.

Le Livre blanc 2ème édition vient d’être publié. Qu’est-ce qui a changé depuis la parution de la 1ère édition en 2013 ?

C’est notre document de programme que nous avions transformé en livre blanc en juin 2013 puisqu’on était à la veille de l’élection présidentielle. On a réussi un acte héroïque durant la période 2012-2013 : la Chambre de commerce et d’industrie a, pour la première fois de son histoire, voté un budget d’études à l’intention de l’industrie. Le secteur a été doté d’un fonds d’études de 52 millions de francs CFA. Cela nous a permis de réaliser six études stratégiques qui couvrent à peu près huit points du Livre blanc. Cela couvrait les réformes qui concernent les TVA à 5% sur le « Made in Mali », la suppression de la TAF, la relecture du décret sur les saisies, le changement de perception des droits sur les matières premières originaires, l’institution d’un comité de conciliation fiscale. Ces études ont été transmises officiellement au gouvernement, et depuis la Journée de l’industrialisation de l’Afrique (JIA) de 2015, nous attendons les réformes. La JIA 2016 sera en réalité consacrée à demander la concrétisation des réformes attendues de ces six études stratégiques.

Dans l’édition 2016, il y a plus de maturité et nous sommes montés à 24 mesures dont nous faisons l’état de traitement. Dans le document, on retrouve trois colonnes, à savoir les termes de références qui sont bons, puis la réalisation des études minoritaires. Il y a eu à peu près un tiers des mesures qui ont fait l’objet d’études, mais nous manquons cruellement de fonds pour continuer. Enfin, il y a la mise en application des études et c’est assez timide puisqu’il n’y que 6 mesures dites en application, et de manière partielle.

On y évoque le marché commun qui handicape les industries maliennes. Qu’en est-il réellement ?

Les textes sont mauvais et les résultats sont mauvais. Les pays côtiers sont des exportateurs avérés de biens manufacturés. À contrario, le Mali est le premier importateur, le Burkina Faso et le Niger sont deuxième et troisième. Vous avez la manifestation claire que l’UEMOA a été mal pensée du point de vue textes, et n’a conduit qu’à une désindustrialisation du Mali et à l’industrialisation des pays côtiers. Nous sommes contre et nous demandons une relecture des textes.

Il y a aussi les questions de l’énergie, de l’accès au financement, de la fiscalité… Y a-t-il eu des avancées ?

Manifestement non. Du point de vue énergétique, le pays a une demande qui va en augmentant et la fourniture ne suit pas. Même si c’était le cas, il y aura deux autres problèmes : la société d’État qui fournit l’électricité vit de la mauvaise gouvernance. Sa privatisation s’impose. La multiplication des fournisseurs d’électricité s’impose. L’autre inconvénient, c’est que le courant est de piètre qualité et la tension est instable. Depuis que nous nous parlons, il y a déjà eu deux coupures.  Celles-ci génèrent des coûts additionnels et ont un impact direct sur les productions. En ce qui concerne les financements, les banques maliennes ne veulent pas prendre de risque alors elles prêtent à des taux extrêmement élevés, environ le double de ceux de la Côte d’Ivoire, par exemple. On a le taux d’impayés bancaires le plus haut de toute la sous-région. Un crédit sur trois n’est pas remboursé.

Quels sont les chantiers sur lesquels vous travaillez avec le ministère du Développement industriel ?

La création du ministère est une heureuse nouvelle. Nous avons enfin un ministre qui va être polarisé sur nos problèmes. Dans la Déclaration de politique générale de l’ancien Premier ministre, la mise en œuvre du Livre blanc est apparue comme une décision. Il manque maintenant la réforme et nous savons que nos États sont durs à reformer. Il y a des lobbys importants qui ne sont pas favorables à l’industrialisation. Car qui dit industrialisation, dit secteur formel dans un pays où l’économie est à 90% informelle. Cela implique une organisation, des règles à suivre, du personnel à embaucher, former et déclarer. C’est une activité où l’on ne peut pas se cacher. Alors, ce n’est pas évident, mais nous travaillons ensemble pour que nos objectifs communs soient atteints. À très court terme, il s’agit de la réussite de la JIA, à moyen terme obtenir que les six réformes du Livre blanc puissent être concrétisées et à plus que moyen terme, obtenir que l’État et nous-mêmes puissions lever les financements nécessaires pour continuer à faire les études du Livre blanc et que les 24 mesures puissent être mis en œuvre.

 

Industrie : des espoirs à la chaîne

« La relance de l’industrie au Mali ne doit pas être un vœu pieu ». Par ces mots, le président de l’Organisation patronale des industriels du Mali (OPI) et directeur général d’une des plus importantes sociétés industrielles du pays, pose la problématique de l’industrie malienne : beaucoup de déclarations d’intentions mais très peu de résultats concrets. Du moins pour l’instant. Car, les choses bougent. Après deux décennies de marasme, l’heure semble à un renouveau de l’action, tant au niveau des acteurs du secteur que des autorités en charge de ces questions. La création d’un ministère dédié y est pour beaucoup. Mais, la bataille est loin d’être gagnée et il faudra une volonté politique ambitieuse et des efforts constants pour amener l’industrie malienne à jouer le rôle qui doit être le sien dans l’économie du pays.

Amener la contribution de l’industrie malienne au PIB national des 5% actuels à 11%, qui correspondent à la moyenne dans la zone UEMOA. Un rêve utopique ? Bien sûr que non, répondent les industriels maliens qui estiment que cet objectif peut même être dépassé si les conditions sont réunies. Ces dernières sont connues. Elles font l’objet depuis 2013 d’un document émis par l’organisation professionnelle sous l’appellation de « Livre blanc ». Pour valoriser les ressources naturelles, qu’elles soient minérales ou agricoles, l’OPI Mali a 24 solutions, qu’elle a présenté dans le tome 2 du Livre blanc et qui, comme lors de la première édition, ont reçu un accueil très favorable du côté des autorités, ministère du Développement industriel en tête.

Marché commun « Quand vous mettez un boxeur de 100 kilos sur le ring avec un autre de 50kg, ce match vous parait-il équitable ? C’est exactement la même chose qu’ont fait les règles communes de l’Union économique et monétaire ouest africaine. Elles ont mis en concurrence des pays côtiers, qui disposent d’avantages évidents, avec ceux de l’Hinterland, largement défavorisés par leur positionnement. Comment voulez-vous que les industries de ces pays puissent rivaliser ? » L’explication de cet acteur du secteur illustre à souhait la situation des industriels maliens face à leurs homologues ivoiriens ou sénégalais, par exemple. Selon notre interlocuteur, le marché commun et surtout les règles qui y garantissent un accès égal à tous les produits manufacturés de la sous-région, plombent les efforts des investisseurs maliens. « Aujourd’hui, j’ai plus intérêt à faire venir des produits finis de Côte d’Ivoire et les revendre ici, que de produire sur place », s’indigne Khalil Rani, directeur général d’Afriplastic qui produit des nattes et des bouilloires dans la zone industrielle de Bamako. « Et que deviendraient alors nos 250 employés ? », s’interroge-t-il. Les quelques 800 entreprises du secteur industriel malien sont le premier employeur du pays, bien loin devant l’État. Pour sauvegarder les entreprises industrielles et leurs milliers d’emplois, mais au delà, pour relancer le secteur et redynamiser le secteur tout entier, les « solutions sont connues », serine-t-on à l’OPI. « Cela fait des années que nous avons déposé nos propositions sur la table. Le Mali s’est désindustrialisé ces quinze dernières années et la tendance à l’industrialisation est sans doute naissante ». Des nouvelles unités ont en effet vu le jour et les investissements dans le secteur vont en augmentant. Mais, l’arbre ne doit pas cacher la forêt, pourrait-on dire. Si l’industrie malienne veut atteindre les 11% régionaux, voire dépasser les 15% du Sénégal, les 19% de la Côte d’Ivoire et se hisser en tête de la zone UEMOA avec un taux d’environ 19-20%, c’est d’un traitement de choc qu’elle a besoin. Ce dernier passerait par des mesures volontaristes en faveur de l’investissement, à travers la suppression de certains impôts et taxes et la diminution d’autres comme la TVA sur les produits manufacturés locaux. Mais aussi, une réforme en profondeur des règles régionales afin de permettre aux pays de l’Hinterland de mieux produire voire exporter à armes égales sur le marché commun. « Les opérateurs économiques souhaitent ardemment l’élaboration d’un Small Business Act UEMOA » ajoute Issouf Traoré, directeur général de la Société nationale des tabacs et allumettes du Mali (SONATAM). À l’image d’autres initiatives de ce genre aux États-Unis et en Europe, il permettrait d’ « accélérer le développement du tissu économique local pour faire face aux défis de la réduction de la pauvreté et de la résorption du chômage dans la région ».

Volonté politique Celle-ci existe et a été matérialisée par la création en juillet 2016 d’un ministère en charge de l’industrie, plus précisément du « développement industriel ». Le choix sémantique est important, estime Mohamed Aly Ag Ibrahim, à la tête du département. « Il nous faut aller de l’avant, nous montrer plus dynamique et volontariste pour faire réellement de l’industrie un moteur de l’économie », explique le ministre. Un engagement salué par les professionnels qui se réjouissent d’avoir un « ministre qui est d’une grande écoute et qui a connaissance du Livre blanc et qui l’a salué. Et qui dit qu’aujourd’hui, il entend travailler main dans la main avec l’OPI pour essayer de transformer ce Livre blanc en réforme gouvernementale ». « Je sens que ça bouge, même si ça peut encore bouger plus », se réjouit le président du patronat des industries.

Mais le plaidoyer des industriels ne va pas seulement à l’endroit des dirigeants. Il s’adresse aussi aux autres opérateurs économiques maliens et aux partenaires techniques et financiers du pays. Aux premiers, il est présenté la liste des filières porteuses qui ont un fort potentiel à l’interne comme à l’export. Il s’agit essentiellement de la transformation agro-alimentaire, le Mali étant un grand producteur, grâce notamment aux efforts d’investissements faits ces dix dernières années. La grosse partie de ces productions (coton, riz, bétail, entre autres), sont exportées sans aucune plus value. Les bailleurs de fond sont quant à eux sollicités pour apporter l’expertise et les ressources pour financer de nouvelles industries maliennes. « Le mécanisme de la politique des 4P permettrait d’injecter dans le secteur des ressources productives en ce sens que les partenaires appuient aujourd’hui le Mali pour équilibrer son budget, à hauteur du tiers de celui-ci. Nous proposons de faire autant pour le secteur industriel en alliant le Public qui apporterait la terre et surtout la garantie du sérieux, le Privé qui porterait l’entreprise et les PTF pour l’assistance », peut-on lire dans le Livre Blanc.

Ce dernier sera largement présenté et discuté au cours de la célébration 2016 de la Journée de l’industrialisation de l’Afrique qui sera célébrée au Mali les 19 et 20 novembre au Parc des Expositions. Pour cette deuxième édition, les industriels maliens veulent en faire un espace où l’on peut découvrir et mieux comprendre le secteur, ses défis et ses perspectives, mais aussi les produits des unités maliennes. Un espace sera également dédié à des démonstrations sur le processus de l’industrialisation au Mali, explique Mme Benbaba  Jamila Ferdjani, présidente de la commission d’organisation.

 

Qui est Mohamed Aly Ag Ibrahim, ministre chargé de redynamiser le secteur industriel ?

Dans l’avant dernière ligne droite du quinquennat, le chef de l’État, Ibrahim Boubacar Keïta, a procédé à quelques ajustements dans la composition du gouvernement Modibo Keïta le 7 juillet dernier. C’est Mohamed Aly Ag Ibrahim, jusque-là inconnu du grand public, qui occupe le département du développement industriel.

Dans une sorte d’adresse inaugurale à la réunion du 9 juillet dernier, le chef de l’État, Ibrahim Boubacar Keïta, faisant suite à la formation de la nouvelle équipe gouvernementale dirigée par Modibo Keïta, avait cru bon de déterminer le champ d’action de chaque membre du gouvernement et de rappeler les critères qui ont prévalu à leur choix. « Vos qualités ont été les seuls critères de votre entrée au gouvernement », expliquait-il. Les 9 nouveaux  ministres sont tous des noms connus, exception faite du détenteur du portefeuille du développement industriel. D’où vient-il ? Est-il membre de la CMA ou de Plateforme ? Les Maliens s’interrogent. Ni l’un ni l’autre, le nouveau ministre est tout simplement un cadre malien républicain, au service de la nation depuis la fin de ses études. « Un homme affable, qui a le sens de l’amitié, et réunit souvent des gens d’horizons divers autour d’un bon méchoui ou un plat de fakoye », plaisante l’un des ses amis. « Contrairement à ce qui se dit, Monsieur Mohamed Aly Ag Ibrahim n’est pas et n’a jamais été membre du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Nous, on le connait comme fonctionnaire, pas plus. Je pense qu’il a été choisi selon les critères définis par le chef de l’État lui-même », indique Mamadou Djéri Maïga, vice-président du MNLA.

Touareg natif de Tombouctou, le nouveau ministre du Développement industriel est détenteur d’une maîtrise en droit privé option affaires de l’École normale d’administration (ENA) de Bamako en 2002 et d’un certificat international d’administration des marchés à l’ENA de Paris en 2009. Jouissant d’une expérience remarquable dans la rédaction de plusieurs conventions de maîtrise d’ouvrage pour des projets de la Banque mondiale, Mohamed Aly Ag Ibrahim, a successivement travaillé comme juriste à l’Office national des produits pétroliers, à l’AGEROUTE en qualité de conseiller juridique du directeur en 2011 et directeur général par intérim du même service de 2008 à 2010. Consultant de plusieurs entreprises nationales et internationales, Mohamed Aly, surnommé « Cassius », du fait de son homonymie avec le célèbre boxeur, avait été nommé conseiller technique à la présidence de la République fin 2015, où il suivait les dossiers liés aux infrastructures du Sommet Afrique-France de 2017. Jeune quadra, marié et père de 3 enfants, il lui appartient désormais de promouvoir le secteur de l’industrie, considéré comme le parent pauvre de l’économie malienne, en créant des richesses et des emplois.