Dialogue politique inclusif: travaux préparatoires sur les termes de référence

Sous la supervision de Cheick Sidi Diarra, président du comité national d’organisation du Dialogue, un projet de termes de référence a été élaboré afin de permettre aux participants des différents groupes de travail de faire des propositions tenant compte de leurs préoccupations .

C’est au Centre International des Conférences de Bamako (CICB) le mardi 3 septembre 2019 que des groupes de travail de différents secteurs de la vie publique, politique et sociale ce sont retrouvés pour examiner le projet de termes de référence et faire des propositions selon leurs expériences et leur regard sur la gestion du dialogue initié dans le pays.

Organisation des travaux avant l’atelier de validation

Pour la préparation de l’atelier de validation du dialogue politique inclusif, les différents acteurs se sont organisés en quatre groupes de travail selon les centres d’intérêts sociaux, professionnels, associatifs et politiques. Le groupe de travail des organisations de la société civile composé entre autres des organisations féminines, de la jeunesse, des celles confessionnelles, des autorités traditionnelles… dans ses propositions demande que les thématiques soient discutées et non proposées comme libellées dans le projet des termes de référence. Il s’interroge notamment sur la formule dialogue politique inclusif ou dialogue national ? Pour cette première journée dans ce groupe de travail il s’agissait entre autres de mieux cerner le contenu du premier document de travail qui n’est autre que le projet d’un squelette d’idées à revoir et à améliorer.

La Chambre de commerce et d’industrie, l’APCAM (Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture du Mali) – Chambre d’agriculture, la Chambre consulaire et la chambre de métier se sont concertées dans le groupe de travail des organisations professionnelles et les Ordres professionnels. Le monde des affaires et professionnel dans ses propositions entend s’appesantir sur les réformes des institutions pour permettre une  nouvelle façon de travailler mais aussi et surtout pour plus de transparence. Plusieurs autres idées après la présentation du projet de termes de référence ont été notées à l’instar de la mise en place d’un mécanisme de suivi des différentes préconisations ainsi que la mise en œuvre des attentes de ces corporations.

Autour de la table de discussions, les organisations syndicales composées des centrales syndicales et autonomes ainsi que le patronat ont aussi entamé les discussions sur les termes de références sans oublier le groupement des partis politiques, des associations politiques et des groupements signataires et non signataires de l’accord pour la paix issu du processus d’Alger.

Pour conduire le dialogue inclusif, plusieurs rencontres des forces vives de la nation ont eu lieu au préalable. Des organisations, des groupements des partis politiques, des associations, en passant par les anciens chefs d’état et anciens Premiers ministres ont été consultés. C’est à l’issu de ces rencontres et bien d’autres que le projet de termes de référence a été élaboré et soumis aux autres syndicats, institutions et organisations. Pour mener à bien les travaux et pour plus d’efficacité, quatre groupes de travail ont été mis en place selon les centres d’intérêts afin de cerner les propositions des termes de référence et de proposer des canevas en prélude à l’atelier de validation présidé par le Premier ministre d’ici à dix jours au plus tard.

Anw Ko Mali : Priorité à la réussite du dialogue inclusif

Premier acte majeur depuis la déclaration qui avait sanctionné la rencontre du 28 juin, la plateforme  Anw Ko Mali a organisé le 27 juillet 2019 une conférence-débat  sur « Les enjeux du dialogue national inclusif ». Par la même occasion, les représentants  de plus d’une quinzaine de partis politiques et associations qui adhèrent à ce regroupement ont apposé leur signature sur le document officiel de création de la plateforme.

Regroupant plusieurs partis politiques et associations de la société civile, dont Adema Association, CNID, FOSC, FARE, CSTM et FSD, la plateforme  Anw Ko Mali place le dialogue national inclusif au premier rang de ses priorités.

« Nous essayons d’ouvrir le débat sur les questions majeures, le format, le pourquoi et le comment du dialogue national inclusif. Aujourd’hui, il est important que ce dialogue soit absolument incontournable pour le redressement du Mali », indique Modibo Sidibé, Président des FARE An Ka Wuli, l’un des grands partis politiques de la plateforme.

« Ce dialogue ne doit pas être un dialogue fermé ou que l’on veut contrôler. Il faut laisser cet espace aux Maliens et que ses conclusions s’imposent au gouvernement », ajoute t-il.

Pour Mme Sy Kadiatou Sow, Présidente de la plateforme, l’objectif est d’expliquer  leur vision du dialogue national inclusif, parce que, selon elle, le dialogue, tel qu’il a été entamé par le gouvernement, pose problème.

« Nous nous attendions à ce qu’aussi bien les partis politiques que les associations de la société civile soient impliqués dans l’élaboration des termes de référence et dans la définition du processus, mais ce n’est pas les cas », déplore t-elle.

Une plateforme de plus ?

Pour certains, Anw Ko Mali serait juste une plateforme de plus, qui va s’effriter au fil du temps, lorsque les intérêts de ses membres ne seront plus les mêmes, à l’instar d’autres regroupements similaires qu’a connus le pays par le passé. « Faux ! », rétorque Bakary Doumbia, Président du Forum des organisations de la société civile du Mali.

« Nous sommes une plateforme avec des objectifs très précis. Nous avons pour ambition de traiter de toutes les questions politiques et actions des autorités pour faire en sorte qu’elles répondent aux intérêts du pays, de constituer une résistance à la partition du pays et finalement de mobiliser l’ensemble des acteurs intéressés par ces actions à s’unir pour parler d’une même voix », clame t-il.

Dialogue politique inclusif : Éviter les erreurs du passé

Annoncé pour les prochains jours, le dialogue politique inclusif au Mali crispe les attentions et suscite des réactions de part et d’autre dans la classe politique et dans la société civile. Mais, pour que le pays tire profit de ce dialogue, il est aujourd’hui impératif que les leçons soient tirées des dialogues précédents. Cela passera aussi par la mise en œuvre intégrale des principales recommandations issues des débats.

Le dialogue politique inclusif « ne sera point une Conférence nationale souveraine, comme celle que le pays a organisée en 1991. Il ne sera pas non plus une porte ouverte à la mise en veilleuse des institutions actuelles et leur remplacement par un régime de transition. Le dialogue devra s’inscrire dans le strict respect de la Constitution et des lois de la République et être un atelier d’incubation d’idées nouvelles », indique dans sa partie « Contexte et justification », le document des TdR relatif au processus. C’est à croire donc que ce rendez-vous se veut différent de ceux que le pays a connu par le passé et que les résolutions qui y seront prises seront diligemment mises en œuvre.

Comment réussir ?

« Il faut que le triumvirat œuvre vraiment à ce qu’il y ait une unanimité autour de ses membres, parce que ce sont eux qui doivent fédérer l’ensemble des efforts », souligne l’analyste politique Salia Samaké. « Si jamais eux ils dérapent, cela peut vraiment amener la défection au sein des acteurs. C’est pour cela qu’ils doivent entreprendre une démarche inclusive, sans a priori concernant tel ou tel aspect », prévient-il.

Du côté des Fare An ka wuli, pour que le dialogue politique inclusif soit une réussite, il faut impliquer tous les citoyens maliens, de l’intérieur comme de l’extérieur, des hameaux comme des villes, et tenir compte de l’avis de chacun d’eux. « La crise est tellement profonde qu’on ne peut plus faire du replâtrage, comme on a l’habitude de le faire, et prendre des gens qui viennent uniquement pour les per diem. Pour nous, il faut laisser la liberté totale aux Maliens de se prononcer par rapport au présent et à l’avenir du pays », estime Bréhima Sidibé, Secrétaire général adjoint du parti.

Pour la mise en œuvre des futures recommandations, plusieurs acteurs souhaitent la création d’un comité ad hoc de suivi, dont les membres seront désignés de manière consensuelle. « Que ce soit les gouvernants ou même les différents participants, chacun doit y mettre du sien pour que ce qui sortira du dialogue soit appliqué et que l’on aille de l’avant, car il en va de la survie même de la Nation », conclut M. Samaké

Dialogue politique inclusif : Qu’en attendre?

Le 25 juin, le Président de la République, Ibrahim Boubacar Keita, installait les facilitateurs du dialogue politique inclusif. Un triumvirat aux visages bien connus des Maliens d’une durée non encore déterminée, même si, selon l’Ambassadeur Diarra, trois mois seraient « raisonnables ». Les citoyens maliens débattront de sujets essentiels à la survie de la Nation. Ces débats devraient aboutir à des recommandations pour une sortie de crise. Mais certaines personnalités estiment déjà que l’initiative est « verrouillée », alors que les termes de référence ne sont pas encore validés.  

« À travers ce dialogue politique inclusif, il s’agira de faire l’inventaire des problèmes auxquels  notre pays est confronté, avec l’ensemble des acteurs, et de proposer  des solutions, avec un chronogramme et un plan d’actions de mise en œuvre », définissait comme ambitions aux facilitateurs le Président IBK le 25 juin. Il mettait en relief lors de son discours  la mission des deux hommes et une femme qu’il a choisis : le Médiateur de la République Baba Hakib Haidara, l’ancien Premier ministre Ousmane Issoufi Maiga et l’ancienne ministre Aminata Dramane Traoré. Chacun de ces personnages concentre de grandes valeurs et jouit de respect et de considération. Pour coordonner et harmoniser les travaux de cet important évènement, l’Ambassadeur Cheick Sidi Diarra mettra son expérience au service de la cause nationale. « Ces personnes ont toutes presque en commun le fait d’être reconnues pour leur intégrité, leurs qualités humaines. Toutes ont eu l’occasion de servir dans le gouvernement mais toutes se sont illustrées aussi en tant qu’intellectuels et acteurs. On sent que le Président a décidé d’aller au-delà de la réalité politique, du clivage entre majorité  et opposition, pour prendre des Maliens qui sont porteurs de valeurs, crédibles et attachés au Mali », éclaire le sociologue Mahamadou Diouara. Un choix qui parait équilibré aux yeux de l’analyste, directeur du cabinet Gaaya. Pour l’ancien ministre Pr Issa N’Diaye, il  est difficile de mesurer la représentativité des membres du triumvirat, surtout en ignorant tout des critères qui ont présidé à leur désignation. « Aminata Dramane Traoré est connue pour son combat en faveur des transformations sociales. Elle pourra apporter des idées pour des solutions alternatives nouvelles aux impasses politiques, économiques et sociales que connait notre pays. Son engagement est connu, ainsi que ses capacités à poser des diagnostics clairs et précis », témoigne le Professeur, ajoutant que « sa capacité de mobilisation des femmes peut être considérée également comme un atout ».  Parlant de l’ancien Premier ministre d’ATT, le Pr N’Diaye estime « qu’il a derrière lui une bonne partie des communautés de culture songhoy  de la partie nord du pays ». Mais c’est le choix du Médiateur de la République, Baba Hakib Haidara, qui laisse le philosophe songeur. « On ne voit pas très bien ce qu’il peut apporter au processus actuel. Il est limité aussi bien dans sa représentativité que dans sa capacité à esquisser des idées nouvelles. Il apparait surtout comme le garant du régime actuel. Dans ces conditions, il est plus un poids à trainer qu’un facteur dynamisant », souligne ce fervent acteur du mouvement démocratique.

Dialoguer avec tous ?

Le triumvirat a entamé dès cette semaine des rencontres avec diverses personnalités du monde politique, social et religieux, pour partager avec elles sa démarche et la nécessité de ce dialogue, qui se veut inclusif. Dans son discours, le 25 juin, le président IBK cadrait la mission des facilitateurs, en les invitant « à assurer l’inclusivité du dialogue politique avec l’ensemble des forces vives de la Nation,  l’adhésion de l’ensemble des acteurs aux résolutions et conclusions du dialogue, à favoriser l’adhésion des acteurs aux réformes politiques et institutionnelles, à  connaitre les attentes de toutes les forces vives de la Nation », entre autres.

Pour leur première conférence de presse, le mercredi 3 juillet, le Pr Baba Hakib Haidara tenait à rassurer sur leur volonté manifeste de dépasser toutes les entraves, pour une adhésion massive de tous les acteurs. « Nous devons faire en sorte que, pendant le processus, au cours du dialogue, la plus grande adhésion puisse se faire autour de choses essentielles, qui nous permettent d’aller de l’avant. Nous devons veiller à ce que des personnalités qui ont eu à gérer ce pays, quels que soient le moment et les conditions, et qui ont des enseignements à nous donner, puissent dire ce qu’elles pensent de cela et ce qu’elles attendent », expliquait le Médiateur de la République.

La place des communautés semble primordiale dans un contexte où le pays gémit sous ses maux. Une approche humble, s’appuyant sur les ressources humaines locales, plus crédibles et proches des populations, est privilégiée. « Il faut sortir des schémas classiques, où l’on organisait des ateliers, parce que cette méthode a montré ses limites. Il faut aller à la base et commencer à rencontrer d’abord les autorités traditionnelles de chaque communauté dans la région, jusque dans les villages », recommande Mahamadou Diouara. Le sociologue en appelle à un changement de posture de l’État et estime qu’une rencontre sous un arbre à palabre ou dans un vestibule, animée dans une langue nationale, est porteuse de plus de résultats que des rencontres aux allures officielles. « On doit repartir vers les fondamentaux et reconnaitre aux autorités traditionnelles leur place. Dans cet exercice,  on doit se positionner comme un chercheur de paix et de réconciliation », indique-t-il, soulignant le rôle des artistes dans le retour de la paix et la cohésion sociale. Ce qui devrait être le cas. L’Ambassadeur Diarra a assuré durant la conférence du 3 juillet que les « écoutes se feront de la base vers le sommet ».

Pour bien des analystes et citoyens, ce dialogue politique inclusif n’est qu’une gymnastique pour parvenir à la révision constitutionnelle indispensable pour la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation. « Il y a l’article 118 de la Constitution qui ne donne pas la possibilité, dans le contexte actuel, de faire la révision.  Pour contourner cet article du point de vue juridique, il faut aller vers les populations, puisqu’en fin de compte la souveraineté appartient au peuple », note l’analyste politique Ballan Diakité. Selon lui, le dialogue doit prendre en compte toutes les questions qui préoccupent au Mali. « La question la plus épineuse aujourd’hui est celle du centre et du nord, qui ne peut être résolue que par l’application de l’Accord ». Cependant, le chercheur au CRAPES est réticent à un dialogue avec les chefs djihadistes. « Aller au dialogue avec les acteurs djihadistes, c’est reconnaitre quelque part la faiblesse et l’impuissance de l’État face à eux. Le dialogue est bon quand on connait les objectifs de l’autre et quand on sait qu’il a une volonté d’aller vers la paix. Avec les terroristes, rien ne nous garantit que ce sera le cas ».  

Certains ne fondent aucun espoir sur cette initiative, estimant qu’elle ne traitera pas les causes profondes de la crise actuelle. Pour le Pr Issa N’Diaye, la principale préoccupation du pouvoir « est la réforme constitutionnelle selon les exigences de l’Accord, dont les conséquences néfastes pour le pays sont connues ». « Les Maliens, dans leur majorité, rejettent cet accord, qui n’a fait l’objet d’aucune consultation populaire. Il a été signé dans leur dos et imposé de l’extérieur. Dans ces conditions, le dialogue ne pourra pas résoudre les problèmes », soutient-il. Il ajoute  « il risque même de le diviser davantage, de créer une situation de guerre civile généralisée, avec des dimensions ethniques, régionalistes et religieuses plus prononcées ».

Le Pr N’Diaye pense que tout est verrouillé d’avance. « La seule façon de faire aboutir le dialogue nécessite que le pouvoir se dessaisisse de la conduite du processus. Il faut des véritables assises populaires nationales souveraines, organisées du bas vers le haut », propose l’ancien ministre de la Culture. Alors que les facilitateurs se disent déterminés à mener leur mission jusqu’au bout avec tous les acteurs, il appelle le gouvernement « à revoir sa copie, repenser totalement  le dispositif dans sa conception, son organisation et sa mise en œuvre ».

Moussa Sinko Coulibaly : « IBK reste le problème du Mali »

L’ancien candidat à la présidentielle de 2018 a fait muter sa plateforme politique en parti (ligue démocratique pour le changement) début juin. Dans cet entretien, il en explique les raisons.

Début juin, votre plateforme  est devenue un parti politique. Qu’augure ce changement ?

C’est pour nous inscrire dans la durée. L’objectif du mouvement était de préparer les élections présidentielles qui étaient déjà en vue, il s’agissait de rassembler différentes entités qui envisageaient tous de porter le changement. Nous avons représenté ce candidat du changement. La présidentielle. est passée, nous voulons désormais dans une seule structure, fédérer toutes les énergies qui veulent continuer à travailler pour aboutir au changement.

Un parti politique alors que vous avez eu moins de 1% à la présidentielle…

Quand nous avons pris la décision de quitter l’armée et ensuite de nous lancer dans la vie politique, c’était pour dire que nous avons une contribution à apporter, et nous le ferons. Peu importe que cela mène à un résultat dans l’immédiat, nous sommes convaincus que c’est la seule voie, pour nous permettre de sortir définitivement et durablement de la crise que nous connaissons aujourd’hui. Nous nous inscrivons dans la durée, aujourd’hui plus hier nous sommes engagés à apporter notre expérience et notre vision au Mali et aux Maliens.

Un de vos chevaux de bataille est la prorogation du mandat des députés. Pourquoi ce combat ?

La prorogation des députés viole allègrement la constitution. Nous sommes aujourd’hui dans une zone grise que personne ne maitrise. Nous ne pouvons accepter que ceux censés être les garants de la constitution soient les premiers à la violer.

Le dialogue politique inclusif a été officiellement lancé le mardi 25 juin. Allez-vous y prendre part ?

Nous n’avons pas été invités à la cérémonie. Un vrai dialogue est toujours utile et nécessaire. Si c’est un dialogue sincère, un dialogue franc, nous nous y inscrirons. Mais, pour nous, IBK reste le problème du Mali. Un dialogue piloté par ce dernier ne va pas résoudre le problème. Il ne peut être le problème et la solution. Nous avons demandé un dialogue national piloté par une personnalité, neutre, impartiale et ce n’est pas ce que nous voyons. Les trois personnes désignées par le président, nous ne savons pas dans quelles conditions elles ont été désignées, pour quelle feuille de route ni quelles sont les manœuvres derrière. Nous voulions une personnalité étrangère avec suffisamment de distance avec le jeu politique intérieur pour diriger ce dialogue. Nous voulons mettre sur la table le départ du président, et évidemment vu qu’il pilote le dialogue il n’acceptera pas que cela soit inscrit à l’ordre du jour.