Secteur hôtelier : mi-figue, mi-raisin

L’hôtellerie malienne est un secteur où il est bien difficile de dresser un tableau uniformisé. Si le tourisme d’affaires (business et conférences) continue de se maintenir et a même connu un essor ces deux dernières années, les arrivées pour le secteur tourisme d’agrément (découverte, vacances) ne permettent plus aux acteurs d’avoir une activité rentable. Résultat : une « embellie » à Bamako et particulièrement dans les établissements de haut standing, tandis qu’à l’intérieur on ferme et licencie à tour de bras. Une situation à laquelle devrait s’attaquer la Direction nationale du tourisme et de l’hôtellerie (DNTH) où l’on fait de la relance du secteur, dans toutes ses composantes, un défi à relever.

Selon la DNTH, l’offre s’est accrue de 2,37% à l’échelle nationale, entre 2014 et 2015. Mais cet élan ne profite guère qu’à Bamako où le tourisme d’affaires booste une activité hôtelière marquée par la crise de 2011, après des enlèvements d’Occidentaux, jusqu’en 2013, après l’élection présidentielle. Depuis, les investissements se multiplient, particulièrement avec la perspective du Sommet Afrique-France que Bamako accueillera en janvier prochain. Un tour dans la capitale permet de voir ces chantiers dont celui du Sheraton, situé en face de la Cité administrative et à l’orée du quartier des affaires de l’ACI 2000. Bâti sur un terrain de 2,5 hectares, l’établissement de haut standing qui devrait être finalisé en juin 2017, comptera 200 chambres dont 25 suites présidentielles et, entres autres, une salle de conférence et un centre commercial. Le Malien Cessé Komé de Koira Investment, également propriétaire de l’Hôtel Radisson Blu Bamako, y aura investi la bagatelle de 60 millions de dollars. Quant à l’hôtel Afriqiyah du groupe libyen Laico, longtemps laissé à l’abandon, il devrait être fin prêt pour le sommet et augmentera la capacité d’accueil de Bamako de 120 chambres. L’Hôtel de l’Amitié, le premier 5 étoiles de Bamako, est en rénovation, après avoir été libéré par la MINUSMA qui l’occupait depuis 2013. Enfin, l’Hôtel Azalaï Salam est lui aussi en plein travaux d’agrandissement, au terme desquels, il devrait se doter de 70 chambres supplémentaires, dont des suites présidentielles et junior.

Développement inégal Sidi Keïta, Directeur national du tourisme et de l’hôtellerie, explique ce nouvel élan par la relance du tourisme d’affaires à destination du Mali. « Les visiteurs continuent de venir au Mali et particulièrement les opérateurs économiques. Cela permet de maintenir l’activité dans les hôtels de haut standing. Il faut noter cependant que les réceptifs moyen et bas de gamme ne profitent pas vraiment de cette embellie, qui est donc relative si on l’envisage du point de vue du secteur en général », affirme-t-il. En ce qui concerne le segment loisir, ce dernier est « en panne et ce sont surtout les intermédiaires qui en souffrent, puisque lorsqu’on vient pour une conférence on n’a pas nécessairement besoin d’accompagnateurs ». Si les « petits » hôtels de Bamako connaissent des difficultés, c’est aussi du fait de l’arrivée sur le marché d’un nouveau type d’hébergement : les meublés. Ils permettent aux visiteurs d’avoir des tarifs plus réduits pour un confort « acceptable », voire parfois haut de gamme. « Cette concurrence va nous achever », se plaint un gérant d’auberge à Faladiè. « Ils ne paient pas d’impôts, communiquent sur les réseaux sociaux, et font du chiffre tandis que nous attendons désespérément les clients qu’ils nous prennent », ajoute-t-il. C’est une difficulté pour l’industrie hôtelière classique, reconnait la DNTH qui travaille sur des mesures en vue d’intégrer ces acteurs dans le formel et mettre fin à la situation de concurrence déloyale.

Le nord sinistré Au centre et du nord du pays, point de concurrence, puisque les clients ne viennent tout simplement plus. Les quelques établissements encore ouverts sont en train de faire faillite. Alkoye Touré est propriétaire de l’Hôtel du Désert à Tombouctou. Il est amer face à la situation de son établissement, qui « accueillait surtout les touristes, et ça marchait, mais là avec le manque de visiteurs, nous sommes pratiquement à la rue. Il y a quelques hôtels qui arrivent à s’en sortir avec la clientèle de la MINUSMA et les ONG, mais cela ne maintient pas l’activité de tout le monde ». Selon notre interlocuteur, joint au téléphone, il existe 7 hôtels encore ouverts à Tombouctou dont deux ou trois qui reçoivent la MINUSMA, mais « ce marché va bientôt s’arrêter puisque la mission préfère loger les gens dans le camp. Alors, nous on ne fait plus rien, on n’a plus d’activité mais on ne veut pas lâcher. Donc, on s’efforce d’avoir de quoi payer les charges au moins, payer l’électricité pour la sécurité, arroser le gazon, mais ce n’est pas facile. Notre vingtaine d’employés est aujourd’hui au chômage », déplore M. Touré. Situation similaire à Douentza où Hama Ongoïba gère le Campement Dogon Aventure, créé en 2004. Son hôtel a été occupé et pillé par les djihadistes pendant la crise et depuis la libération de la ville, « on a pu rouvrir mais on survit difficilement. C’est parce qu’on ne veut pas fermer ». Essentiellement composée d’ONG, sa clientèle s’est encore plus raréfiée avec la recrudescence des attaques. « En dix jours, nous n’avons reçu que 5 personnes », se plaint Hama.

Plan de relance À entendre ces opérateurs, c’est surtout le manque de soutien de la part des autorités qui posent problème. « Nous n’avons reçu aucune aide du ministère, ils ne s’occupent même pas de nous. Mon hôtel a été le seul à être saccagé lors de la crise mais je n’ai même pas reçu la visite d’une autorité régionale de tutelle pour se rendre compte du préjudice que j’ai subi. Ne parlons pas de compensation, et ce n’est pas faute de requête », affirme Alkoye Touré. « L’avenir est sombre pour nous, très sombre », poursuit Hama Ongoïba, qui se sent « abandonné. Il faut que ces autorités qui sont absentes pour nous aujourd’hui nous viennent en aide ». Ce n’est pourtant pas le son de cloche au niveau de la DNTH. « Nous avons mené un travail qui nous a permis de poser un diagnostic du secteur, déterminer les établissements qui ont subi des dommages, ceux qu’il faut aider, et élaborer des mesures pour relancer le secteur et ce de Bamako à Kidal », explique le directeur national. Contenues dans un plan quinquennal qui sera bientôt lancé, ces dispositions devraient permettre de « travailler sur les infrastructures, dont plusieurs ne sont plus en activité. Certaines ont été saccagées pendant l’occupation ». Il assure que les premiers résultats de ces mesures seront visibles dans un proche avenir et que le secteur pourrait retrouver sa vitesse de croisière, voire mieux, à l’horizon 2020. « Nous attendons que la situation s’améliore pour que les gens reviennent. Parce que la demande est là, les touristes veulent venir au Mali. Il nous faut créer les conditions pour que cela se fasse ».