Paiement numérique : les commerçants réticents

« Vous prenez les cartes ? Oui ! Ah bon ! ». Ce type d’échange n’est pas monnaie courante aux caisses des magasins bamakois. Cheick Oumar est un Malien de la diaspora, habitué à régler ses achats à l’aide de sa carte bancaire partout dans le monde. À Bamako, c’est loin d’être évident de trouver un commerçant qui accepte les paiements par carte et qui est même équipé pour ce faire. Notre Malien de l’extérieur se souvient qu’il y a seulement cinq ans, il recevait un refus systématique, à quelques exceptions près.

Si autrefois, seuls quelques supermarchés acceptaient ce type de paiement, aujourd’hui il n’est plus rare de voir un serveur de restaurant tendre un terminal de paiement électronique (TPE) à un client désireux de régler sa note. « C’est plus simple et plus sécurisé. Pas de risque de voir la moitié du paiement du client disparaître, comme cela a pu nous arriver par le passé », témoigne un restaurateur. Ils sont cependant encore très peu nombreux à avoir sauté le pas. L’argument de la sécurité n’a pas encore porté auprès des commerçants qui ne voient pas d’un bon œil « un client partir sans laisser d’argent ». Hama tient une « alimentation » à Badalabougou. Son chiffre d’affaires, plutôt acceptable, il préfère le comptabiliser en monnaie sonnante et trébuchante à la fin de la journée. « Ça va venir, les gens commencent à comprendre », relativise Moussa Alassane Diallo, PDG de la BNDA. « Nous travaillons à éduquer afin que les usagers comprennent mieux l’intérêt de ces produits qui offrent un gain en temps et en sécurité pour eux et leur clientèle ».

 

 

Opérations bancaires numériques : les enjeux de la sécurisation

Transférer de l’argent, faire des achats ou débiter son compte sont désormais facilités par le paiement en ligne ou les transactions bancaires électroniques. Cependant, de nombreux risques existent. De quels moyens de sécurisation disposent les banques ?

Aujourd’hui, presque toutes les opérations bancaires peuvent être réalisées depuis chez soi sans devoir nécessairement se rendre dans une agence. Grâce au développement des TIC, les banques proposent en effet des services virtuels qui généralisent petit à petit le « e-banking ». Cependant le développement numérique entraîne de nombreux risques. « Il est évident que les clients sont exposés à l’escroquerie, au vol des coordonnées bancaires, aux opérations frauduleuses sur les comptes suite à un piratage informatique, soit à travers des sites marchands non fiables, soit le hacking des bases de données des clients des sites marchands avec leurs coordonnées bancaires », nous confie Samir Sabti, chargé de mission à la Banque internationale pour le Mali (BIM SA). Selon lui, de nombreux moyens sont mis en œuvre par les acteurs du secteur pour limiter les risques en matière de transaction bancaire numérique. Ce sont, parmi d’autres, « le 3D Secure que nous implémentons au Mali et qui est un système permettant pour chaque achat sur Internet, qu’il y ait un protocole à suivre entre la banque, le système monétaire Visa, et le site marchand, au cours duquel le client reçoit un SMS comprenant un code à saisir pour valider l’achat dans un très bref délai », explique M. Sabti. Il existe également des algorithmes qui sont un moyen de sécurisation en monétique pour détecter les transactions frauduleuses. Ceux-ci suspendent l’opération quand il y a doute, jusqu’à ce que le client reconnaisse qu’il n’y a rien de frauduleux. « Par exemple, pour 2 transactions différentes sur Paris et Singapour dans un délai d’une heure, la carte s’arrête de fonctionner car les faits sont suspects ». La banque envoie également un SMS ou un mail au client pour obtenir validation des opérations avant chaque débit de compte.

 

Les banques maliennes à l’heure du numérique

Appuyer quelques touches sur le clavier de son ordinateur ou de son téléphone et payer, de chez soi ou en voyage, un achat, une facture ou faire un transfert d’argent. C’est désormais chose possible au Mali. Même si ces innovations, qui font partie du quotidien ailleurs dans le monde, elles sont relativement récentes chez nous, et reçoivent un accueil très positif des consommateurs. Les institutions bancaires suivent, ayant compris que la banque du futur ne se trouvait plus en agence. Ces nouveaux moyens de paiement sont cependant très encadrés, et par les dispositions internes aux établissements émetteurs, mais aussi par les règlementations nationales et régionales. Dématérialiser l’argent, et rendre accessibles tous les services bancaires grâce à Internet et au téléphone, oui. En toute sécurité, c’est encore mieux.

« Un paysan de la zone de Koutiala a pris une carte bancaire chez nous. Il n’était pas très convaincu de l’intérêt d’en posséder une, mais il a suivi toutes les explications sur l’utilisation du produit. De retour dans sa localité, il teste sa carte et parvient à retirer de l’argent. Tout content, il répète l’opération à plusieurs reprises dans la journée. Il appelle derechef le chef d’agence qu’il félicite pour son agent qui est très efficace derrière le guichet. Ce dernier devrait être récompensé pour la célérité avec laquelle il s’occupe des clients. Il m’a servi trois fois de suite, rien qu’aujourd’hui, il n’a pas dû avoir le temps de manger ! ». Un rire dans la voix, le PDG de la Banque nationale de développement agricole (BNDA) raconte cette anecdote qui illustre bien l’usager lambda face à ces nouveaux instruments de paiement, dont le plus utilisé au Mali est bien la carte bancaire. « Les gens ont compris l’avantage du service mais ne savent pas trop comment il fonctionne », poursuit notre interlocuteur, qui est également le président de l’Association professionnelle de banques et établissements financiers du Mali (APBEF). Avec les efforts faits par les banques de la place pour étendre leur réseau de guichets automatiques bancaires (un taux d’expansion de 10% en moyenne par an), le défi de la proximité est en train d’être relevé. « Plus question d’aller faire la queue dans une banque maintenant pour retirer mes petits sous. Avant je perdais parfois une demi-journée à cause de l’affluence, surtout en fin de mois. Maintenant, quelques secondes d’arrêt au guichet le plus proche et le tour est joué », se réjouit Jean, commercial. « Nous visons l’objectif « zéro client au guichet », explique Alassane Diallo de la BNDA. L’objectif est de rapprocher nos services des consommateurs ».

Le moyen le plus sûr d’atteindre cet objectif est la banque mobile, disponible sur Internet ou à partir d’un téléphone portable. Après le « SMS banking », qui permettait déjà d’utiliser son téléphone portable pour obtenir des informations sur son compte bancaire, c’est désormais la quasi totalité des services qu’offrent la banque qui sont désormais disponibles grâce au « e-banking ». Toutes les banques présentes au Mali, qu’elles soient nationales ou étrangères, offrent à leur clientèle la possibilité d’avoir accès à tout ou partie de leurs prestations par Internet. La dernière à s’y être lancée est la filiale malienne du groupe panafricain Ecobank en avril dernier. À cette occasion, la directrice générale de la société, Mme Touré Coumba Sidibé, se réjouissait de l’innovation apportée à l’offre de la banque par Internet, grâce à l’application Ecobank Mobile qui permet d’avoir « la banque dans son téléphone ». Ce slogan, que revendiquent toutes les grandes banques, montre à quel point l’amélioration de l’accès à la téléphonie mobile au Mali, comme ailleurs en Afrique, a permis aux institutions bancaires de doper l’accès du public à leurs services.

Les sans-compte Plus besoin de compte bancaire désormais pour avoir les services que reçoivent les clients d’une banque. Du téléphone, le consommateur peut désormais avoir un compte mobile qui lui permet de faire toutes ses opérations. Outre les établissements bancaires traditionnels, depuis près de dix ans, ce sont les émetteurs de monnaie électronique qui permettent de réaliser des opérations de dépôt et de retrait. Finies les bas de pagnes et les économies emportées par le feu ou les inondations. Même les villages les plus reculés accèdent à l’inclusion financière grâce à ces nouvelles offres, qui ont permis, en dématérialisant la monnaie, de rendre accessibles leurs services à tous ceux qui détiennent un téléphone. « Le taux de bancarisation est de l’ordre de 16% pour le Mali, mais quand on parle de taux d’inclusion financière, cet indicateur intègre ce qu’on appelle les émetteurs de monnaie électronique. Et à ce niveau, le taux atteint 45%, contre 35% en décembre 2015. Le taux d’inclusion bancaire est donc en constante évolution », se réjouit le président de l’APBEF.

Objectif sécurité Si l’intérêt pour ces services « virtuels » ne se dément pas, l’un des aspects les plus important de leur utilisation est la question de leur sécurisation. « Il est primordial de sécuriser les fonds de nos clients. Une panoplie d’outils est mise en place au sein de la banque, mais le gros du risque est en fait dans le comportement même du client », explique le responsable informatique d’une banque de la place. « Prenez le cas des codes qui sont donnés. Les gens s’amusent à les laisser trainer, à portée des enfants, du conjoint, etc. avec les conséquences que cela peut avoir. Cela présente un risque. C’est pourquoi il faut un encadrement des usagers. Parce que si ce sont des opérations qui se terminent par des échecs ou des détournements d’argent au détriment des populations, cela peut entraver le développement de ces instruments », déplore un autre cadre de banque. La question de la sécurité est encadrée par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) qui est en charge de l’élaboration des politiques dans la zone UEMOA. Des textes existants ont été réadaptés en 2016, afin de protéger les utilisateurs des instruments de paiement (chèques mais aussi et de plus en plus carte bancaire), ainsi que leurs données. En effet, si pour la banque les risques sont très limités du fait de la sécurisation à l’interne et des dispositifs de contrôle strict mis en place, les clients, quant à eux, sont exposés aux risques de manipulation des instruments d’une part, mais aussi aux risques de divulgation des codes qui vont avec ces instruments. C’est pourquoi, nous explique-t-on, dans l’organisation des banques, ceux qui gèrent l’aspect contrat ne sont même pas dans le même département que ceux qui gèrent l’aspect code, qui est confidentiel. Ce sont des directions différentes, de sorte qu’il y ait une étanchéité entre ceux qui sont en contact avec le client et ceux qui donnent le code. C’est l’une des mesures de sécurité.

Selon M. Saliou Seck, qui y a consacré ses travaux de fin d’études en droit des entreprises, la sécurisation des systèmes de paiements « est subordonnée à celle des instruments de paiements qui sont les interfaces entre les systèmes et leurs utilisateurs finaux. De la sécurité de ces instruments dépendent la confiance du public envers les systèmes de paiements et partant, l’ensemble du système bancaire et financier ». Le sentiment de sécurité, c’est également ce que recherchent les consommateurs qui utilisent les cartes bancaires sans compte. Très prisées par les commerçants et ceux qui voyagent régulièrement, elles permettent de ne plus s’encombrer de grosses sommes d’argent, car elles ont le double avantage de permettre des retraits au Mali et à l’étranger. Là aussi, la question de la confidentialité se pose.

Apporter la banque à tous, le défi est donc réalisable, en particulier grâce à l’utilisation des applications des TIC. Les banques et autres acteurs du secteur financier rivalisent d’innovation pour ce faire. La création d’une banque par l’opérateur télécom Orange participe à cette dynamique, et ces nouvelles offres sont plutôt vues comme complémentaires par les établissements traditionnels. Reste maintenant à relever le défi de l’information et de l’éducation des usagers, pour que ces nouveautés, censées leur faciliter la vie, ne soient pas sources de désagréments.