Zone de libre-échange africaine : Une initiative utopique ?

Quarante-quatre pays africains ont récemment signé à Kigali un accord pour la mise en place d’une zone de libre-échange continentale (ZLEC) en Afrique d’ici janvier 2019. Ce projet-phare de l’agenda 2063 de l’Union Africaine, dont les textes étaient en discussion depuis 2012, est l’aboutissement de deux ans de  consultations, depuis janvier 2016. L’accord devra être ratifié par un minimum de 22 pays avant d’entrer en vigueur, mais, d’ores et déjà, il suscite de nombreuses interrogations. Une zone de libre-échange en Afrique : simple utopie ou véritable avancée économique ?

Il faut le souligner d’entrée de jeu, la zone de libre-échange continentale, telle que conçue par les textes, présente beaucoup d’avantages pour l’économie africaine. Elle permettra, entre autres, plus d’activités commerciales à l’intérieur de l’Afrique, favorisant ainsi plus de croissance et aboutissant au final à l’émergence économique accrue des pays africains. « Chacun aura accès à un marché unique plus important qui lui permettra de développer ses avantages concurrentiels, avec une barrière autour du continent pour se protéger de l’extérieur », explique Amadou Sangaré, économiste, Directeur de Sangaré Partners.

Au-delà du côté flamboyant du projet, certains paramètres moins reluisants poussent beaucoup d’Africains au doute vis-à-vis du succès éventuel d’une telle initiative. « Aujourd’hui, l’Afrique n’est pas prête pour cette zone de libre-échange », tranche d’emblée Amadou Sangaré. « Seuls certains pays, économiquement plus matures, vont en profiter. Quand on sera dans ce marché commun, cela freinera le développement  de certaines activités dans les pays qui n’ont pas de gros avantages concurrentiels, parce qu’ils seront en compétition avec des entreprises d’autres pays plus fortes à l’interne. En outre se posera un problème de ressources humaines dans certains États, car ils ne sont pas égaux en la matière. Aujourd’hui, certains pays ont les ressources humaines pour atteindre l’émergence, mais d’autres n’ont pas encore atteint ce niveau », ajoute-t-il.

En dépit des obstacles majeurs auxquels devra faire face la zone de libre-échange continentale (ZLEC), des mesures d’accompagnement, bien établies et bien mises en œuvre, peuvent fortement contribuer à la réussite de ce projet panafricain. « Des compensations financières entre les différents États pourront atténuer les difficultés. Un pays relativement fort dans un domaine peut  envisager des aides financières aux entreprises d’un autre pays, moins fort, afin que celles-ci puissent décoller. On pourrait aussi obliger les entreprises à travailler ensemble, comme ce fut le cas en Chine », suggère Amadou Sangaré.

Cyril Achcar: « l’émergence du Mali passe par l’industrialisation »

Membre du Conseil National du Patronat du Mali (CNPM) et le plus ancien groupement professionnel, l’Organisation Patronale des Industries (OPI) est une association apolitique, non confessionnelle à  but non lucratif dont la mission est de développer, promouvoir et défendre les intérêts des opérateurs économiques au Mali. Créée le 7 juillet 1975 par quelques industriels, l’OPI compte aujourd’hui 80 membres. Dirigée par Cyril Achcar depuis le 20 octobre 2012, l’OPI a tenu ce samedi 1er août au siège du CNPM son Assemblée Générale annuelle présidée par Me Mamadou Gaoussou, ministre des investissements et du secteur privé. Plusieurs autres personnalités ont pris part à  cette rencontre importante pour les investisseurs maliens. L’AG a également servi de cadre de présentation et d’adoption du rapport des activités de l’année 2014 dont le rapport financier s’élève à  plus de 50 millions de Fcfa. Pour atteindre ses objectifs, l’actuel bureau de l’OPI a présenté un programme de mandature devenu le livre blanc de l’industrie malienne en juin 2013 a rappelé Cyril Achcar avant d’ajouter que ce plan de reconquête industrielle des années de l’indépendance à  deux objectifs principaux: rompre avec la désindustrialisation du Mali et le repositionner au meilleur niveau sous régional. A la différence de la Côte d’Ivoire et du Senegal qui comptes respectivement 6000 et 3000 unités de transformation, le Mali en compte 500 avec une trentaine actuellement à  l’arrêt. Un aspect qui a conduis Cyril Archcar a qualifié le tissu industriel d’embryonnaire. Cependant, face a une telle situation, l’OPI dont la mission première est de favoriser et promouvoir l’industrialisation du Mali a profité de ce grand rendez-vous annuel pour rappeler l’Etat a plus de responsabilité. C’est ce que Moussa Mara rappellera, « je l’ai dis lorsque j’étais premier ministre, seule l’industrialisation permettra au Mali d’être un à‰tat émergent. » Un aspect connu de tous à  la foi des investisseurs maliens et des autorités. Quel est donc le problème? Selon Cyril Achcar, l’une des missions régaliennes de l’Etat s’est d’investir dans l’industrie, seul moyen de lutter contre la pauvreté dans notre pays. Le président en exercice n’ira pas par le dos de la cuillère pour mettre en cause l’implication du gouvernement en ce sens, « le fonds de garantie est une solution demie mesure. Ce qu’il faut c’est le fonds d’investissements » a-t’il rappelé au représentant du gouvernement. Me Gaoussou quant à  lui reconnaà®tra déjà  l’effort fourni par l’Etat malien et appellera l’OPI à  travailler de concert avec le gouvernement à  travers des propositions concrètes. Car ajoutera t-il l’initiative doit venir des organisations. Solutions de relance de l’industrie. L’OPI propose comme solutions de relance de l’industrie malien d’une part des solutions conjecturelles et d’autre part des solutions structurelles. Les premières comportent onze points dont la réduction de la TVA à  5% uniquement pour les produits manufacturés et non importés et la création d’un observatoire malien de l’industrie etc. Quant aux solutions structurelles au nombre de dix, l’OPI souhaite limiter l’entrepôt privé aux produits non fabriqués au Mali. Elle avance comme solution également de créer un tarif de l’électricité pour les entreprises industrielles…

Economie: Pour une Afrique émergente, passer des déclarations à l’action

Le New York Forum Africa (NYFA) qui s’est tenu mi-juin à  Libreville a permis de débattre des conditions dans lesquelles les opportunités de développement qui s’offrent au continent africain peuvent devenir des réalités. Cependant, malgré les enjeux et les défis que révèlent des perspectives vertigineuses et des opportunités inédites pour le continent africain, un écart important demeure entre les déclarations des décideurs et les réalisations concrètes. D’un côté, des déclarations d’intention rassurantes et pleines de promesses, d’un autre côté une mise en œuvre des programmes laborieuse, avec des risques et des obstacles qui rendent les observateurs lucides circonspects, et les investisseurs hésitants. Or, l’avancée du continent sur la voie de l’émergence ne résultera pas du seul effet de belles paroles ni d’annulations de dettes ou de dons incontrôlés, sans réelle création de richesse au travers de l’économie réelle, qui nécessite de se mettre à  niveau et au travail. Une profonde aspiration à  la concrétisation des promesses On dit d’une époque qu’elle est révolue quand ses illusions sont épuisées, réalisées ou abandonnées. Dans l’Afrique d’aujourd’hui tout est dit et beaucoup, pour ne pas dire tout, reste à  faire car les déclarations sont nécessaires sans être suffisantes et le moment de latence, de suspension aux paroles et aux promesses, ne peut durer sous peine de s’effondrer sur lui-même, de décourager et de provoquer des réactions désespérées, à  la mesure des espérances suscitées et des illusions créées. Il suffit d’écouter les appels de la rue et les revendications des laissés pour compte qui organisent des contre-forums pour dénoncer les dépenses somptuaires et exiger des résultats concrets et immédiats, appels frondeurs d’un mouvement croissant d’indignés qui, à  l’image de mouvements populaires européens et à  la faveur des capacités modernes de mobilisation, grondent de plus en plus fort, marée humaine en devenir. Comme l’a dit un leader entrepreneur occidental au cours du NYFA, dans la vie il y a ceux qui considèrent les choses comme elles sont en se demandant pourquoi, et ceux qui considèrent ce qu’elles devraient être en se disant pourquoi pas. Pour cela, il convient d’engager un processus pragmatique et concret de réalisations aux trois niveaux pertinents que sont le pays, la région et le continent, par lesquelles l’Afrique se définit en se construisant, au sens propre comme au figuré. Sans tabou ni restriction, en s’inspirant de recettes qui ont fait leurs preuves dans un monde désormais globalisé puisque le monde entier est à  la porte de l’Afrique et que l’Afrique s’ouvre au reste du monde, tout en puisant dans les référentiels africains pour préserver une identité commune. Entre tradition et modernité, dans une optique d’utilitarisme moral et dans un environnement libéral justement régulé, la méthode « des petits pas » est utile et efficace sur le long terme : start small, think big. Ce mode de construction additive doit combiner la double approche par le haut, politique et institutionnelle, et par la base, économique et sociétale. Chacun à  son niveau et dans son domaine d’excellence, peut y prendre part au quotidien et apporter sa pierre, par des réalisations concrètes qui concilient l’intérêt général et les intérêts particuliers. De vastes chantiers doivent donc démarrer dès maintenant, en autonomie et au sein de partenariats maà®trisés, avec des objectifs concrets à  court, moyen et long termes. Il s’agit de faire coà¯ncider la vision ambitieuse et lucide exprimée par « l’Afrique d’en haut », citadins aisés qui animent les innombrables conférences, colloques et forums généralistes ou spécialisés qui foisonnent dans les capitales africaines et à  l’international, avec « l’Afrique d’en bas », immense majorité dont beaucoup d’Africains privilégiés et expatriés sont coupés des réalités quotidiennes, qu’ils observent depuis les vitres fumées de leurs véhicules de luxe, les classes affaires des avions et les salons des grands hôtels. Or, C’’est de cette base encore silencieuse qu’est en train d’émerger la classe moyenne qui accède progressivement à  un pouvoir d’achat limité au plan individuel mais en si grand nombre, énorme levier de développement. Tous ces gens de mieux en mieux informés ne se contenteront plus longtemps de discours creux et ne se paieront plus de mots si une suite concrète ne leur est pas donnée rapidement. Une prise de décision avec de la prospective Il conviendrait également de réfléchir sérieusement à  l’impérieuse nécessité de disposer d’informations fiables, actualisées et contextualisées pour que l’évaluation et la mise en œuvre de toutes ces pistes de développement ne reposent pas sur une image tronquée et une interprétation faussée de la réalité. Si l’on parle beaucoup d’infrastructures de communication, d’accès à  la connaissance et de contenants, nécessaires tuyaux de circulation de l’information et d’accès à  la connaissance, on parle peu de la qualité non moins nécessaire de leur contenu. Tant de brillantes études et statistiques réalisées par des cabinets internationaux reposent sur de l’information fausse, incomplète ou obsolète car provenant de canaux ouverts ou officiels d’information, alors que l’information déclarée, quand elle est disponible, n’est ni obtenue ni exploitée de façon sérieuse. Or, comment prendre une décision responsable et raisonnable à  caractère économique ou financier quand on ne dispose pas d’informations fiables ? A quoi sert de se perfectionner dans les techniques opérationnelles et de management si l’on n’intègre pas la bonne information dans les processus d’élaboration de la décision, sans pouvoir évaluer correctement les opportunités ainsi que les risques associés et si l’on ne peut défendre ses intérêts par des preuves et des informations vérifiées ? Beaucoup reste à  faire pour combler les carences en éducation et en formation aux métiers de l’information, ainsi qu’à  leur exploitation et à  leur utilisation par les décideurs. Pour illustration concrète et parlante, une étude réalisée par un cabinet européen, intitulée « The New York Forum – Modern Africa in numbers », qui fournit des éléments chiffrés et analytiques en appui du New York Forum Africa. Le cabinet en question a eu l’honnêteté et la prudence d’indiquer à  la fin du document la mention légale suivante : « Although we make every attempt to obtain information from sources that we believe reliable, we do not guarantee its accuracy, completeness or fairness. Unless we have good reason not to do so, we assume without independent verification, the accuracy of all information available from official public sources…”.Tout est dit, or l’expérience montre que se fier à  la bonne foi de sources ouvertes et déclarées ne suffit pas. On mesure l’importance des enjeux et les risques que les discours et les décisions reposent sur cette base. Les métiers de l’Intelligence économique y préparent, de la veille au conseil en passant par la recherche de terrain et l’analyse approfondie d’informations. Ils apportent une réponse adaptée à  ce formidable défi pour combler au plus vite le gap informationnel, tout en constituant des métiers d’avenir stimulants. La prochaine édition du New York Forum Africa aurait avantage à  intégrer la maà®trise de l’information dans les panels de discussion. Elle est l’une des conditions pour que les opportunités se transforment en réalités.