M5-RFP : l’implosion

Le Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) n’est plus aussi uni que le laissent paraître certains membres de son Comité stratégique. La divergence fondamentale de vues sur l’attitude à adopter vis-à-vis de la transition et du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) agite ce mouvement hétéroclite, dont les composantes se positionnent aujourd’hui selon leurs intérêts propre, l’objectif commun de la démission de l’ex-président IBK étant atteint. Alors qu’une partie du Comité stratégique se démarque de la Charte de la transition, la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS) de l’Imam Dicko, entité importante du mouvement, s’inscrit dans une dynamique d’accompagnement du CNSP et certaines autres composantes du M5 adhèrent à cette vision.

« Ceux qui étaient opposés au changement, ce sont eux qui se sont ligués contre ceux qui se sont battus pour le changement. Nous n’accepterons pas cela. Nous continuerons de mener notre combat sereinement, de façon démocratique, jusqu’à ce qu’on nous entende. Ceci n’est pas acceptable. J’espère que les organisateurs de ces concertations nationales vont se ressaisir, qu’ils vont remettre ce document en débat et que nous pourrons en débattre sereinement », s’est offusquée Mme Sy Kadiatou Sow, très remontée à la fin de la Concertation nationale sur la transition, le 12 septembre 2020 au CICB.

Cette position été officialisée dans la foulée par un communiqué du Comité stratégique du M5-RFP, qui affirme : « le document final lu lors de la cérémonie de clôture n’était pas conforme aux délibérations issues des travaux des différents groupes » sur certains points, notamment le choix majoritaire d’une transition dirigée par une personnalité civile  et celui d’un Premier ministre civil également.

Le M5-RFP a également condamné « la non prise en compte unilatérale de très nombreux points du document qui n’avaient fait l’objet ni de rejet ni même de réserves dans aucun groupe » et s’est par conséquent démarqué du document final, qui ne  « reflète pas les points de vue et les décisions du peuple malien ».

« La volonté d’accaparement et de confiscation du pouvoir au profit du CNSP ne saurait justifier les méthodes employées, qui affaiblissent le processus de transition », s’est indigné le M5.

La CMAS satisfaite

Entièrement opposé à l’attitude du Comité stratégique du M5, Issa Kaou Djim, Coordinateur général de la CMAS et membre de ce comité, affirme être satisfait du document. « Le M5-CMAS se reconnait dans ce qui a été adopté. C’est une satisfaction et un soulagement », a-t-il clairement signifié au sortir des travaux.

Selon lui, aujourd’hui, les forces ont des intérêts qui ne sont pas convergents, pour des raisons évidentes. « Les partis politiques ont la prétention d’arriver aux affaires, les syndicats veulent faire aboutir les revendications de leurs adhérents et les religieux doivent jouer leur partition. Mais le peuple malien s’est battu pour une raison simple, que les choses changent, et aujourd’hui je pense que le CNSP doit fédérer tout le monde pour faire aboutir cette revendication ».

La veille, déjà, il avait annoncé la « mort » du M5-RFP, n’acceptant pas que les politiques du mouvement se mettent dans des calculs politiciens que la CMAS ne saurait tolérer. Des propos sur la « belle mort » du M5-RFP qu’il nous a réitérés, prenant à témoin une déclaration de l’URD en date du 14 septembre indiquant « prendre acte des conclusions issues des concertations nationales sur la transition ».

« Si l’URD, qui est la colonne vertébrale du FSD (Front pour la sauvegarde de la démocratie), dit prendre acte des décisions issues des concertations nationales, c’est  que le parti les valide. Si vous enlevez l’URD du FSD il ne reste plus grand-chose. Le MPR et le CNID n’ont pas eu d’importants suffrages lors de la présidentielle. Ce n’est pas ça, le peuple », tacle celui qui était surnommé le N°10 du M5.

« Personne ne peut contester qu’aujourd’hui la majorité des Maliens est d’accord avec la Charte de la transition », clame-t-il, avant d’ajouter « on ne peut pas rester dans une posture de contestation, rien que pour contester, alors qu’il y a des urgences ». À l’en croire, la CMAS se démarque de cette position d’une partie du M5-RFP.

Ensemble mais « opposés »

La plateforme Espoir Mali Koura (EMK), membre fondateur du M5-RFP, n’a pas encore, selon son porte-parole Pr. Clément Dembélé, consulté sa base en Assemblée générale, comme c’est sa règle, pour dégager une  position officielle sur la Charte. Mais elle a  démenti une information d’une chaine de radio étrangère imputant à son Coordinateur,  Cheick Oumar Sissoko, un soutien au document adopté.

Toutefois, ce dernier n’a pas été aperçu aux côtés de ses collègues du Comité stratégiques du M5 lors du point de presse du 15 septembre, au siège de la CMAS. Point de presse dont se sont également absentés Issa Kaou Djim, Mohamed Ali Bathily, Oumar Mariko ou encore Clément Dembélé.

Ce dernier, se prononçant personnellement, sans engager la plateforme EMK, partage la vision de la CMAS portée par Issa Kaou Djim. « La CMAS ne veut pas entrer dans un jeu de manipulation par les politiques. Je pense qu’il faut respecter cette vision de dialogue et de paix et non les calculs politiciens consistant à utiliser le M5 comme ascenseur pour atteindre des objectifs personnels par tous les moyens », indique t-il.

« Le M5 n’est pas la propriété politique de certains. Il représente le peuple malien et nous ne laisserons personne en faire une récupération personnelle pour des calculs opportunistes. Que ceux qui pensent que le M5 est un moyen d’accéder au pouvoir, attendent les élections  pour y parvenir, c’est aussi simple que cela », prévient –il.

À en croire Clément Dembélé, Issa Kaou Djim est toujours dans l’esprit philosophique de base du M5, qui consistait à faire partir IBK et à travailler dans un cadre organisé pour faire des propositions de solutions pour une sortie de crise honorable au Mali.

« Jamais il n’a été question de dire qu’après IBK nous devions occuper les postes et que nous devions continuer à remplir les rues pour contester à chaque fois et menacer de bloquer la bonne marche des choses », rappelle Pr. Dembélé.

Mais le Comité stratégique du M5-RFP, en prenant ces positions « courageuses et patriotiques, qu’il assume », n’entendait ni rompre ni entrer en conflit avec le CNSP, qui, encore une fois, a « parachevé la lutte qu’il a engagée pour obtenir la démission de M. Ibrahim Boubacar Keita et de son régime ».

Jeu d’intérêts

Pour l’analyste politique Khalid Dembélé, les divergences de position qui secouent le M5-RFP sont le fruit de son hétérogénéité, symbole de plusieurs tendances internes. Selon lui, les partis politiques qui le composent savent qu’ils ne peuvent pas conquérir le pouvoir ensemble et le fait de se démarquer par des déclarations çà et là s’inscrit dans le jeu politique normal.

« Chacun essaye, selon l’intérêt de son parti, de se tracer un chemin propre, pour avoir une assise en vue des futures échéances électorales », pense M. Dembélé, qui est par ailleurs très sceptique sur la disparition du M5. « Cela m’étonnerait beaucoup que le M5-RFP disparaisse. Cela peut arriver dans une année, peut-être, mais aujourd’hui ils ont tous intérêt à le garder, ne serait-ce que pour maintenir un peu de pression sur le CNSP », soutient-il.

D’ailleurs, pour Mme Sy Kadiatou Sow, très convaincue du fait, même secoué par des divergences internes, le mouvement survivra assurément. « C’est au moment où tout le monde pense que le M5-RFP est au bord de l’implosion qu’il surprend le plus, en montrant qu’il est plus uni que jamais ».

Pr. Clément Dembélé : « IBK ne laisse pas d’autre choix au peuple »

Le mouvement du 5 Juin – Rassemblement des Forces patriotiques (M5-RFP) continue de mettre la pression sur le président Ibrahim Boubacar Keita et son régime. Après avoir changé de stratégie en élaborant un mémorandum, le comité stratégique du M5-RFP appelle de nouveau les Maliens à manifester ce vendredi 10 juillet 2020 pour exiger le départ d’IBK. Professeur Clément Dembélé, l’un des porte-parole du M5 répond aux questions du Journal du Mali.

                                                

Après l’échec de la rencontre avec le Président de la République, quel sera le mot d’ordre de la manifestation que vous organisez ce vendredi 10 juillet 2020 ?

Nous revenons à la case de départ qui est la démission d’Ibrahim Boubacar Keita. Mais il faut d’abord rappeler la sagesse de l’imam Mahmoud Dicko que nous avons entendu. Nous avons écouté cette sagesse avec beaucoup d’attention. Nous avons accepté, sur sa demande et son conseil, de renoncer momentanément à la démission d’IBK et de poser d’autres revendications tout,  en respectant les médiations des grandes personnalités qui sont tous intervenus pour dire qu’ils comprennent notre revendication qui est légitime mais nous ont convié à enlever juste la démission du président IBK et de trouver une autre formule. Celle que nous avons trouvé c’est cela que nous avons proposé à l’imam sur sa demande et que nous lui avons remis pour qu’il le dépose auprès d’IBK. Ce n’est pas trop demander quand on sait qu’au préalable nous exigions la démission d’IBK et de l’ensemble de son régime. Maintenant qu’IBK n’a pas accédé à ces demandes, nous n’avons pas le choix. IBK ne laisse pas d’autre choix au peuple que de sortir ce vendredi pour la désobéissance civile, dire non à l’atteinte de la forme de la République parce que cette forme c’est la stabilité, la sécurité, la lutte contre la corruption, la bonne gouvernance. Nous savons très bien que ces éléments ne sont pas réunis aujourd’hui et cela nous oblige à sortir le peuple malien pour demander simplement la démission d’IBK parce qu’il n’est pas celui qui écoute le peuple malien, qui entend la voix du peuple malien. C’est ce qui explique la sortie de ce vendredi 10 juillet. Nous allons demander à IBK de rendre aux Maliens ce qui leur appartient, c’est-à-dire le pouvoir du peuple malien.

Vous appellez désormais le peuple à la désobéissance civile. Croyez-vous en une adhésion massive à cet appel sur la durée ?

La désobéissance civile sera suivie parce qu’elle sera graduelle. Elle évoluera au fur et à mesure. Nous commençons le vendredi et la chose la plus importante pour nous c’est de mener cette désobéissance civile dans un cadre pacifique, légal et républicain. Nous ne voulons pas une désobéissance civile qui s’inscrit dans la violence. La violence est contraire à l’éthique du peuple malien. Le Mali n’a pas aujourd’hui besoin de violence. Mais cette désobéissance civile, nous allons laisser le peuple l’exprimer et la mener dans la paix et dans la sérénité mais montrer au pouvoir que désormais IBK n’a plus la main sur ce peuple et sur le Mali. La désobéissance civile sera suivie parce que le peuple malien est trop fatigué. Il est trop abandonné par ce pouvoir. Ce peuple a besoin de dignité,  d’honneur et de se retrouver. Il va donc exprimer sa solidarité, son enthousiasme, sa vigueur et sa détermination à se débarrasser d’un régime de corrompus, qui n’a  cessé de mentir et de piétiner la dignité du peuple malien. Elle sera suivie parce que la survie même du peuple malien en dépend. Aujourd’hui pour redresser le Mali, il faut le faire avec la vérité et la franchise qui ne sont pas du tout dans le camp de ce régime.

Jusqu’où ira le mouvement ?

Le mouvement est prêt à aller jusqu’au bout. Nous nous inscrivons dans la logique du peuple malien. C’est le mouvement du peuple qui aspire aujourd’hui à une bonne gouvernance, à la redevabilité et à la transparence. Vous savez, en 1991 la promesse sur la démocratie était basée sur la bonne gouvernance, la transparence, la lutte contre la corruption. Cela n’a pas été le cas. Le peuple a été dupé, trébuché dans la boue de la déchéance, de la honte, de l’indignité et de l’indignation pendant 30 ans. Aujourd’hui ce peuple se lève comme un seul homme. Il se dresse contre tous les maux de ce pays que constituent la corruption, l’injustice, l’insécurité, la magouille, la gabegie et autres. Le peuple malien va se débarrasser de ces maux pour que l’an zéro du Mali démarre avec une nouvelle génération. Certes, certains d’entre nous ont travaillé avec le régime mais quand ils ont compris que ce régime n’avait pas la solution du Mali, ils sont partis pour revenir dans la case de la vérité et de l’honneur. Cela est à saluer. Ils ne sont pas venus pour reprendre le pouvoir et moi je suis sûr et persuadé qu’ils ne sont pas venus pour prendre la place des jeunes. Ils vont les accompagner, les protéger, leur permettre d’avoir leurs places et de diriger ce pays. C’est cet ensemble qui se lève aujourd’hui pour mettre fin au régime et permettre aux Maliens d’avancer ensemble.

L’imam Mahmoud Dicko soutient-il le retour à l’exigence de la démission d’IBK quand on sait qu’il a essentiellement œuvré pour que vous l’abandonniez ?

L’imam Mahmoud Dicko est l’autorité morale. Nous l’avons choisi pour nous accompagner, pour recadrer les choses en cas de dérapage. L’Imam Dicko est très inquiet aujourd’hui. Il est inquiet pour le M5, il est inquiet pour le Mali. Il reste toujours celui qui prône la paix et la stabilité. Il nous a toujours dit de revendiquer nos droits mais de façon pacifique, démocratique et légitime. Il y a  seulement quelques jours nous l’avons rencontré et il nous a exprimé cette inquiétude, de faire tout pour ne pas répondre aux provocations, de rester Républicains, pour sauvegarder la laïcité, rester dans le principe légal et de ne pas tomber dans la violence. Aujourd’hui plus que jamais Mahmoud Dicko est solidaire au M5-RFP, à la paix et la stabilité du Mali. Il n’a jamais appelé à la violence. Cette autorité morale nous permet de gagner du terrain, de nous faire comprendre par les Maliens, et d’avoir une grande dimension. Pour cela, je tiens personnellement à le remercier, ainsi qu’au nom du M5 et du peuple malien, pour sa souplesse, sa disponibilité, la profondeur de sa sagesse. Nous restons avec Mahmoud Dicko jusqu’au bout, et ce bout c’est de donner cette  libération au peuple malien dont il a vraiment droit. Nous disons qu’entre Mahmoud Dicko et le M5, c’est une famille qui va durer toute la vie parce qu’il n’a fait que prôner ce que nous voulons, c’est à dire un Mali libre, uni, intègre et souverain.