Recherche scientifique au Mali : Fort potentiel, maigres ressources

Les plus connus sont des sommités reconnues à l’international. Professeurs Samba Diallo, Ogobara Doumbo, Rokiatou Sanogo… pour n’en citer que quelques-uns, portent très haut le flambeau de la recherche scientifique malienne. Alors qu’elle est régulièrement citée comme l’un des fers de lance du développement économique national, celle-ci peine cependant à déployer tout son potentiel. La quête de financements, mais aussi la sous-exploitation des ressources humaines nationales, freinent l’élan de nombre de ceux qui ont décidé de s’investir dans la découverte du pourquoi et du comment. Pourtant l’engouement reste présent et les résultats du Mali ont de quoi inspirer la jeune génération qui s’implique elle aussi de plus en plus dans le secteur.

Les Etats généraux de la recherche scientifique, qui s’étaient tenus en mai 2016, avaient posé un constat plutôt positif : malgré les difficultés, la recherche malienne se porte bien et réussit à faire face avec efficacité aux défis de son temps. Ces assises nationales inédites avaient comme thème : « La recherche scientifique et l’innovation au cœur du projet républicain ». La recherche est donc « au cœur » des ambitions du Mali. « Difficile à croire quand on voit le peu de moyens mis à la disposition des chercheurs. La maintenance du matériel est toujours remise aux calendes grecques et, si nous n’avions pas la chance d’avoir des financements extérieurs, nous n’aurions pas la possibilité de travailler », assure pourtant ce chercheur en sciences sociales. Il est vrai en effet que ce sont surtout les sciences dites « exactes », et particulièrement la médecine et la pharmacie qui font la renommée de la recherche malienne.

Sous-exploitation Le système national de recherche scientifique et d’innovation technologique s’affirme en effet de plus en plus dans les domaines de la recherche biomédicale et pharmaceutique et de la recherche agricole. Ce système national comprend 80 institutions de recherche nationales, dans lesquelles exercent un peu plus de 1 600 enseignants-chercheurs et chercheurs hiérarchisés. A cela s’ajoute la contribution de la diaspora scientifique du Mali, à travers le Programme Tokten, qui permet au Mali de bénéficier de l’expertise de ses chercheurs expatriés. Les insuffisances de ce système sont connues et reconnues par les autorités. Lors des assises de 2016, la ministre Samaké Migan, elle-même généticienne reconnue, déplorait la faible interaction entre les différentes structures et les acteurs de la recherche et de l’innovation, la faible valorisation des résultats de la recherche, des inventions et innovations au plan national et le peu de relations entre les chercheurs et les opérateurs économiques.

Ces défis, ainsi que les chercheurs préfèrent les appeler, n’empêchent pas une véritable floraison du monde scientifique malien, qui contribue aux avancées de la science dans le monde. C’est en tout cas la conviction du Docteur Almoustapha Maiga, virologue, chercheur au Centre de recherche et de formation sur le VIH et la tuberculose à la Faculté de médecine de Bamako et Chef de service du laboratoire de l’Hôpital du Gabriel Touré. « On est satisfaits parce que, avec très peu de moyens financiers, nous arrivons à produire des résultats de qualité. Nous sommes compétitifs au plan international. Nous faisons des publications qui apportent du nouveau. Nous arrivons à faire des communications scientifiques de même niveau que les chercheurs qui sont dans les conditions idoines », explique le médecin-chercheur.

Le nerf de la recherche. C’est en effet le financement qui est la problématique essentielle à laquelle font face les chercheurs maliens. « Nous travaillons dans des collaborations internationales sur les travaux que nous sommes en train de mener. La plupart sont des collaborations avec les États Unis ou la France. Nous avons très peu de soutien financier pour faire de la recherche au Mali » poursuit-il, regrettant que le financement national soit vraiment insignifiant par rapport aux besoins. Le lancement le 8 avril 2017 du Fonds compétitif pour la recherche et l’innovation technologique (FCRIT), d’un montant d’environ 2 milliards de francs CFA (0,2 % des recettes fiscales, loin du 1% auquel le Mali s’est engagé à l’international), a donc été vivement salué par le monde scientifique, qui y a vu l’opportunité d’enfin faire vivre la recherche malienne sur « fonds propres ». Le Pr Abdoulaye Dabo, Directeur du Centre National de la recherche scientifique et technologique, avait salué l’arrivée, réclamée depuis 2009, de ce FCRIT, qui constitue un nouveau mécanisme de financement de la recherche et de l’innovation technologique et est placé sous la gestion de sa structure. « Mais on a vite déchanté », soupire un chercheur sous anonymat. « Quand on donne 10 millions à un chercheur, en santé par exemple, qui va passer des années avant de commencer à voir les résultats de son étude, ça ne couvre pas grand-chose » ajoute-t-il… Financée à 90% par des fonds étrangers (universités, instituts de recherches ou organisations internationales), la recherche malienne peut-elle se targuer d’être indépendante ? « Non et oui. Quand l’argent vient de l’extérieur, c’est eux qui commanditent et qui disent ce qu’il faut chercher. Et le rapport appartient à l’extérieur. Dans certains cas, ils n’acceptent même pas que nos noms y figurent. Mais, dans certains cas, on s’appuie sur nous. D’abord parce que du point de vue scientifique on est légitimes, mais aussi pour des raisons d’insécurité. Ils ne peuvent pas se rendre sur le terrain », répond le Dr Bréma Ely Dicko, socio-anthropologue. Il ajoute « de toute façon, sans ces fonds étrangers nous n’aurions pas beaucoup d’opportunités pour mener nos études ». « Le financement disponible est plutôt tourné vers les sciences dites exactes, au détriment des sciences sociales. Le FCRIT n’a retenu aucun projet en sciences humaines, alors que les questions sociétales sont très importantes pour le pays », déplore son homologue Fodié Tandjigora, Docteur en sociologie. Ce dernier est enseignant et fait également de la recherche, sur financement de structures privées la plupart du temps, mais aussi de l’État, sur les questions d’extrémisme violent, de migrations, de mariage précoce, etc… « Le métier de chercheur maintient la connaissance en veille. L’enseignement a une dimension purement pédagogique. La recherche permet de former méthodologiquement et les cas qu’on présente dans les cours à l’Université viennent de notre expérience sur le terrain », explique-t-il.

Engouement des jeunes. « Il y a eu un relâchement vers 2005 – 2008, mais il y a un regain d’intérêt chez les jeunes » poursuit le Docteur Tandjigora. « D’abord grâce au renouvellement du corps professoral, ensuite parce que les anciens passent sur les médias, discutent des problèmes de société. Cette médiatisation de la profession de sociologue a créé un engouement, mais la filière connait les problèmes des autres, surtout l’insuffisance de débouchés pour les produits de nos facultés ». Ce phénomène est valable pour toutes les disciplines. Au Laboratoire Hommes – Peuplements Environnements (HoPE, espoir en anglais), le Docteur N’Dji dit Jacques Dembélé est en pleine répétition. Une dizaine d’étudiants préparent, avec son aide et celle de quelques collègues, la présentation de leurs résultats d’études. « Quand je suis revenu de mes études en Chine en 2012, avec mon Doctorate of sciences (niveau PHD + 3 publications) en géologie du quaternaire, les portes se sont fermées devant moi. Je suis entré à la FHG (Faculté d’Histoire et Géographie) après un an de chômage, car aucune structure ne voulait de moi » se souvient le scientifique. « Grâce au Doyen Samba Diallo, j’ai pu intégrer la FHG où j’ai formé des étudiants qui travaillent aujourd’hui dans les ONG de la place. J’ai 8 étudiants boursiers en Master. Nous avons publié l’année dernière 6 articles scientifiques à l’extérieur, organisé 2 conférences internationales et 5 conférences à la faculté et 3 professeurs du Labo sont passés Maitres – assistants au CAMES », se réjouit-il.

Il faut maintenant offrir des opportunités à cette ressource de qualité, disponible et volontariste. Non seulement en termes de financements, pour s’équiper, mener les recherches et avoir la chance de les montrer à l’international à travers des publications de qualité. Mais également en y ayant recours pour valoriser l’expertise locale. « On a des difficultés pour partager les données que nous avons, pour qu’elles soient « consommées nationalement ». De plus, quand on a besoin de compétences, on préfère aller chercher des gens à l’étranger, qui n’ont souvent pas le même niveau d’expertise que nous. Nous devons revoir cela », conclut le Docteur Dicko.