Erik Orsenna redevient « Madame Bâ »

Erik Orsenna aime l’Afrique, c’est peu de le dire. L’immortel, car il siège à  l’Accadémie Française, s’est épris du continent il y a une cinquantaine d’années et depuis, c’est le grand amour. « J’ai eu la chance, quand j’avais 21 ans, d’aller au Sénégal en tant que jeune économiste. J’ai vu un continent qui m’a tout à  fait fasciné et à  partir du Sénégal, j’ai été dans beaucoup de pays africains et j’ai vu à  quel point l’Afrique est diverse, il y a 50 Afriques qui ne se ressemblent pas. Le Mali, c’est le lieu, en plus, o๠il y a la musique », racontait l’écrivain ce matin sur la chaà®ne française RTL, pour expliquer sa passion pour le continent. Le retour de Madame Bâ Il y a dix ans, Orsenna publiait Madame Bâ, l’un de ses plus grands succès. Il y racontait l’histoire d’une grand-mère malienne venue en France pour sauver son petit-fils abandonné par les agents recruteurs du PSG. « J’avais envie d’explorer cette réalité de femme et de malienne. Quand on a réussi à  créer un personnage, c’est comme un bateau, il sert à  naviguer, à  aller au loin, à  explorer, donc j’avais envie de continuer l’exploration », raconte-t-il. La vieille dame qui n’a rien perdu de son caractère bien trempé, de sa générosité et de son légendaire manque de modestie qui ont séduit les lecteurs, a décidé de rentrer au pays en compagnie de son petit-fils. Telle Jeanne d’Arc, elle se sent investie d’une mission, bouter hors de son pays, non pas par les Anglais mais les djihadistes. Pour l’auteur, ce livre est l’occasion « de raconter, par le regard et les oreilles de cette dame formidable, ce qui se passe aujourd’hui au Mali », poursuit-il. « Mali, ô Mali » est un roman qui joue un rôle pédagogique. L’objectif est d’informer tout en distrayant le lecteur de ce qu’est le Mali d’aujourd’hui. La démographie galopante, défi majeur auquel le pays est confronté, l’invasion djihadiste, autant de sujets évoqués par Erik Orsenna dans son roman. Pour l’auteur, il est évident que la dimension islamiste religieuse d’Aqmi, c’est un centième de la dimension de gangsters, « en fait, ce sont des gangsters ». « Il y a une sorte de personnage dans ce livre, c’est le Niger, l’un des plus longs fleuves du monde, qui traverse le Mali »rapporte RTL.fr. Un fleuve fascinant qui « affronte » le désert, « c’est la guerre de l’eau et du sable », illustre l’Académicien. Cette bataille c’est la métaphore du faible qui se confronte au fort et qui perd. Ici le fort c’est le désert. Erik Orsenna a été chercheur et enseignant, dans le domaine de la finance internationale et de l’économie et du développement. Il a reçu le prix Goncourt en 1988 pour L’Exposition coloniale. Il est élu membre de l’Académie française au 17e fauteuil le 28 mai 1998, le même jour que Georges Vedel. La même année, il cofonde Cytale, entreprise ayant commercialisé la première liseuse électronique en France7. Erik Orsenna est vice-président du conseil d’administration de la fondation FARM (Fondation pour l’Agriculture et la Ruralité dans le Monde).

Erik Orsenna : « Aidons les Maliennes avant qu’il ne soit trop tard ! »

ELLE. Que vous ont raconté les femmes qui ont réussi à  fuir le Nord-Mali ? Erik Orsenna : Leur vie a basculé dans l’enfer. Même le sport est désormais interdit aux jeunes filles. Des « mariages » sont organisés, ce ne sont que des viols déguisés o๠le « mari », qui peut changer chaque jour, abuse de son épouse forcée. La femme est traitée en diable : tout à  la fois être inférieur et menace ! Celle qui refuse de se voiler est bastonnée et risque – C’’est la sentence – d’avoir les oreilles coupées. Même au marché, les vendeuses ont ordre de ne pas adresser la parole à  leurs clients masculins… Quand elles passent la « frontière » entre le Nord et le Sud, souvent accompagnées d’enfants, elles doivent rester des heures sous un soleil de plomb avant d’être fouillées par les milices islamistes. Si l’une d’elles bouge, les miliciens leur tirent dessus. Avant l’arrivée des islamistes, la région, zone de trafic et de non droit, n’était pas un paradis, il y avait des violences arbitraires, mais ce que les femmes et les jeunes filles que J’ai rencontrées m’ont décrit est un univers de folie sous le joug islamiste. Elles que je connais si vaillantes, si pudiques, m’ont dit : « Vous n’imaginez pas ce que l’on vit, nous sommes dans la fatigue, nous sommes dans la peine. » ELLE. Comment soutenir ces femmes et ces enfants ? Erik Orsenna : En aidant par nos dons le formidable et admirable maillage d’ONG locales et d’ONG internationales, dont une quinzaine sont soutenues et approvisionnées en aide humanitaire par l’Unicef. J’ai vu au Mali un afflux massif de déplacés : ils sont 174 000 à  l’intérieur du pays ayant fui les zones de conflit (et 200 000 dans les pays voisins). Ces femmes, ces enfants et ces hommes venus du Nord ne peuvent pas être uniquement à  la charge de leurs proches, souvent pauvres, dans le Sud. Notre aide est indispensable. Il faut aussi continuer à  combattre la malnutrition, le paludisme. Organiser, comme le fait l’Unicef, le soutien scolaire et des abris pour les enfants qui ont fui. A Bamako, la capitale, 57 % des déplacés sont des mineurs. Notre soutien peut les aider à  résister au cauchemar. J’ai constaté combien l’entraide est magnifique, nous devons les aider à  tenir. Déjà , une prison pour femmes a été ouverte. Si nous ne nous mobilisons pas pour les femmes maliennes, pour la population tout entière, c est une véritable base logistique de l’horreur qui sera mise en place dans le Nord-Mali. Ce pays a toujours été un chef d’œuvre humain, doté d’une immense culture de tolérance. Aujourd’hui, on ne peut pas rester indifférents au combat des Maliennes contre l’arbitraire !