Crise scolaire : Une fin à équations multiples

La grève séquentielle entamée depuis le 19 décembre 2018 par les syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016 a pris fin le 18 mai 2019 par un accord avec le gouvernement. Ce bras de fer a coûté au total trois mois de cours (des cours étaient dispensées entre deux mouvements) aux écoles publiques dans l’enseignement secondaire, fondamental et préscolaire. Si la  reprise soulage les acteurs, des questions se posent quant à l’effet de ce « sauvetage » sur les apprenants à un mois de la fin de l’année.  

« C’est au gouvernement d’apprécier s’il faut  décréter une année blanche ou non.  Nous, nous irons désormais en classe. Officiellement, la fin de l’année scolaire est prévue fin juin, après les examens. Nous sommes dans cette disposition, sauf disposition contraire », se dédouane Adama Fomba, porte-parole des huit syndicats de l’éducation ayant trouvé un accord avec le gouvernement le 18 mai.

Malgré cette suspension de la grève, l’éventualité d’une année blanche hante tous les acteurs de l’école, au regard du retard considérable accusé dans le programme, et ce à un mois de la fin de l’année. L’euphorie suscitée par l’accord s’est donc accompagnée de vives inquiétudes quant à comment achever une année déjà pliée. Car le gouvernement mise sur toutes les options, sauf celle d’une année blanche. « Nous ne sommes pas dans la logique d’une année blanche. Cela signifierait que tous les enfants soient frappés par la même règle : pas d’évaluation, pas de passage et tout le monde reste statique. Alors qu’il y a des gens qui ont engagé des ressources, des gens qui ont suivi les cours normalement », se défend Kinane Ag Gadeda, secrétaire général du ministère de l’Éducation nationale.

Gros dommages

Les premiers rounds des négociations avaient débuté sous le gouvernement de Soumeylou Boubeye Maiga. Un accord sur 7 points de revendications sur 10 avait été acquis. Trois point, notamment la prime de logement, la relecture du décret 529/P-RM du 21 juin 2013 portant allocation d’indemnité au personnel chargé des examens et concours professionnels, en ses articles 1,2 et 3, et l’accès des enseignants fonctionnaires des collectivités aux services centraux de l’État cristallisaient la discorde, jusqu’à la démission du gouvernement SBM. Dès sa mise en place, le nouveau gouvernement, dirigé par Dr Boubou Cissé, s’était engagé à résoudre une grève lourde des conséquences pour l’avenir de la Nation. C’est ainsi  que les négociations entreprises du 13 au 18 mai ont abouti à un accord sur neuf points de revendication, le dixième ayant été « cédé » par les enseignants, permettant la reprise des cours. Ce dénouement salutaire a tout de même un arrière-goût amer. « Du moment qu’il y a eu un accord, c’est une note d’espoir. Parce que le gros défi de ce gouvernement était de réussir à rétablir la confiance entre les institutions dirigeantes et les syndicats de travailleurs, car on se rappelle la rencontre convoquée par le Premier ministre à la Primature et boudée par les syndicats », se réjouit en demi-teinte le sociologue Mahamadou Diouara. Il se demande comment  on a pu en arriver là, mettant en péril l’avenir de toute une Nation, alors qu’une solution préalable aurait pu éviter une année tronquée. « À un moment donné, les syndicats ont fustigé leur manque de confiance en ce gouvernement, ce qui est compréhensible quand tous les six mois le gouvernement change. Les ministres changent et tout cela provoque une instabilité institutionnelle qui altère la confiance entre les interlocuteurs, puisque que l’État même n’est pas stable », note-t-il.

Dans ce jeu de passes d’armes, les perdants sont les enfants. « C’est l’État qui devait très tôt satisfaire les revendications des enseignants pour aller à l’essentiel,  mais ses réponses nous ont radicalisés. Nous avons toujours dit qu’il fallait traiter en amont les problèmes de l’école, pour prévenir les mouvements », accuse Amadou Dolo, secrétaire général de la Coordination des syndicats de l’enseignement secondaire (COSES), ajoutant « si l’État nous avait écoutés dès le début, nous n’en serions pas là ».

Quelles options ?

Si la progression dans les programmes au niveau des écoles privées est positive, ce n’est pas le cas dans les écoles publiques. Certaines avaient à peine bouclé un mois de cours avant la grève. « Actuellement, nous sommes au 2ème trimestre, suivant la note de l’académie. Nous sommes largement au-dessus des écoles publiques, car depuis octobre elles n’ont même pas pu faire un mois de cours. Le gouvernement va récupérer l’année de façon politique mais pas académique », relève Illiance Lougué, professeur de Lettres au lycée privé Bazi Gourma de Kati. Selon lui, s’il fallait se résoudre à une année blanche dans le public, une telle mesure engagerait aussi le privé. « Nous avons tous peur de l’année blanche car elle mettra le pays en retard. Je pense plutôt à une année facultative pour certains ou suspendue pour d’autres, ou les deux à la fois », propose Dr Fodé Moussa Sidibé, Professeur à la Faculté des Lettres, langues et sciences du langage. « Il y a quand même des établissements qui ont presque bouclé leur programme. Frapper tout le monde de la même manière serait injuste. Il faut donc faire les examens. Certains passeront et d’autres redoubleront sans que cela n’influe sur leur scolarité », ajoute-t-il. Des solutions qu’approuve Mahamadou Diouara. «Nous pouvons sauver l’année politiquement, mais pédagogiquement nous l’avons perdue. Il peut y avoir une année facultative ou validée, mais une génération passera avec des insuffisances », regrette-t-il. « Cela peut se faire avec des cours de rattrapage pendant les vacances ou des cours exceptionnels l’année suivante pour permettre d’avoir le niveau requis pour avancer ».

Au niveau des autorités, l’option d’une année blanche est écartée. On compte sur  les acquis. « Il y a des aspects dont il faut tenir compte. Certaines écoles privées ont travaillé normalement. L’enseignement technique et professionnel a exécuté le programme jusqu’à presque 70% dans le public. Ils sont prêts à aller aux évaluations. Ne faut-il donc pas des stratégies pour qu’ils ne perdent pas et que les autres aussi soient gérés de la meilleure façon possible ?», estime le secrétaire général du ministère de l’Éducation. « Nous menons la réflexion. Dès que les choses vont évoluer, le gouvernement va dévoiler ce qu’il compte faire pour les évaluations de fin d’année », disait Kinane Ag Gadega à la veille de la signature de l’accord.

Année blanche ou année bâclée, entre deux maux il faut choisir le moindre. Cette situation doit, selon Mamadou Diouara, « nous amener à imposer au personnel enseignant un service minimum en cas de grève prolongée. Les Nations se gouvernent par génération et si on en sacrifie une on rompt la chaine de transmission des connaissances et de l’excellence ». Il préconise aussi une harmonisation entre écoles publiques et privées en temps de grève pour éviter les disparités.

Irrécupérable ?

Malgré cet accord, les dégâts sont considérables. « On ne récupère jamais le temps perdu parce que la montre ne tourne jamais dans le sens inverse », fait remarquer Mahamdou Diouara. Tous les acteurs de l’école s’accordent sur les conséquences catastrophiques de la grève. « Elles sont énormes, tant sur le niveau des enfants que sur les ressources engagées avec nos différents partenaires techniques et sur les plans économique, social et politique », se désole Kinane Ag Gadeda. Pour M. Diouara, « les élèves auront reçu moins que ce qu’ils devaient recevoir, appris moins qu’ils devaient et seront capables de moins que ce dont ils devaient être capables. On pourra voir des échecs incompréhensibles dans les classes supérieures parce que ces élèves n’auront pas les pré requis nécessaires et traineront des tares qui pourront affecter leur stabilité professionnelle ». Il est convaincu que, malgré le front social extrêmement tendu, le gouvernement aurait dû prendre des mesures « musclées ». « Musclées en termes de réponses aux des enseignants mais aussi en termes d’exigence de l’intérêt public, la formation des enfant ».