Achoura au Sénégal : une fête longtemps victime de ses pratiques païennes

Ce lundi soir, la communauté musulmane du Sénégal va célébrer l’Achoura ou « Tamxarit », une fête ayant tendance à perdre de son faste d’antan à cause, surtout, de la charge des islamologues qui ne cessent de lui reprocher son côté païen.A y bien réfléchir, ils n’ont pas tort, dans la mesure où l’Achoura qui correspond au dixième jour de l’année musulmane est le prétexte à beaucoup de pratiques fantaisistes nées dont on ne sait de quelle imagination. Toujours est-il qu’il est de coutume de manger le soir du couscous à la viande jusqu’à …s’étouffer.

Si on n’est pas rassasié, on risque deux choses, selon la tradition : se faire tirer par les jambes jusqu’à tomber du lit par les aïeux non contents de votre ventre vide ou, pire, on va passer l’année à avoir une faim insatiable.

Partant de là, le couscous du « Tamxarit » est l’objet de toutes les attentions de la part des femmes qui ne reculent devant aucun ingrédient susceptible de relever son goût. Partant, d’aiguiser à vif l’appétit des gourmands.

Au sujet de ce couscous, Marième Ndiaye, 72 ans, rappelle que durant sa jeunesse, le mets se cuisinait avec sept graines d’arachide, du niébé et des tubercules comme le « yomb » (courge) et le « gang », censées conférer longue vie. Marième n’oublie pas également la viande qui va avec et qui nécessairement provenait du « tong tong » (partage) du bœuf acheté par les dirigeants de la mosquée du coin grâce aux cotisations des pères de famille.

Aujourd’hui, ces atours du couscous sont remplacés par d’autres plus modernes et moins conviviaux. Ainsi, le bœuf a cédé la place au poulet acheté dans les marchés, supermarchés ou auprès des aviculteurs du dimanche là où les tubercules de grand-mère, réputées donner longue vie, sont oubliées au profit du beurre, du sucre, des raisins et autres produits industriels qui donnent au couscous un meilleur goût.

Très répandue de nos jours, cette manière d’apprêter le couscous de la « Tamxarit » fait se dresser les cheveux des nutritionnistes qui avertissent contre le diabète et l’hypertension mais qu’importe : le « bomb céré » a encore de beaux jours au Sénégal.

Dans son sermon de vendredi dernier, l’imam de la mosquée de Mermoz, quartier à la périphérie du centre-ville de Dakar, a assuré avoir vu de ses propres yeux trois personnes mourir le soir d’une Achoura, après avoir abondamment mangé du couscous apprêté suivant la recette de nos jours.

De tels témoignages devraient ramener à la raison les Sénégalais qui, dans leur grande majorité, ont cessé de faire du « Tadjaboon ».

Une des pratiques les plus décriées de la «Tamxarit », il consiste à se déguiser en hommes pour les femmes et vice-versa avant d’aller demander des étrennes dans des processions rythmées de chants et de battements de tams-tams, de castagnettes ou de tout autre ustensile susceptible de faire un bruit du tonnerre. Et pour cause, il faut forcer la main à la personne sollicitée pour qu’elle donne de l’argent ou des vivres.

Gare au réticent ou à l’avare : il risque de se faire voler un de ses biens. Ce, sans un quelconque remords, car la tradition veut que le bon Dieu pardonne durant cette nuit tous les mauvais actes, prémédités ou non…

S’étranglant presque de rage à l’énoncé du mot « Tadjaboon », l’arabisant Oustaz Fall, martèle qu’il s’agit là d’«une pratique interdite par l’Islam».

A la place de tous ces us et coutumes de l’Achoura qu’il assimile à du paganisme, Oustaz Fall renseigne qu’il faut, au lendemain du 10-éme jour de l’année, « jeûner, se couper les ongles, caresser la tête d’un enfant et passer son temps à lire le Coran ».

On est vraiment loin du « Tadjaboon » et de cette autre pratique traditionnelle consistant à se mettre du khôl autour des yeux pour, au sortir du lit, scruter le ciel où la tradition enseigne qu’on peut y voir la fille prophète (PSL), Fatoumata Binetou, décrocher prestement d’un séchoir les vêtements de son linge annuel…

Jadis vêtement des pauvres, le ‘’Koko Donda » habille tous les Burkinabè

Le pagne burkinabè « Koko Donda », produit dans la région des Haut-Bassins (Ouest) et à l’origine vêtement exclusif des couches défavorisées, est entré de nos jours dans les habitudes vestimentaires de tous les Burkinabè au point de rivaliser avec le célèbre « Faso Danfani », autre pagne local.Ainsi, il est fréquent de rencontrer dans les rues de Ouagadougou, la capitale burkinabè, des personnes, de tout âge et des deux sexes, portant le « Koko Donda » (l’entrée de Koko, en bambara).

Reconnaissable à ses rayures souvent multicolores, ce vêtement est prisé de nos jours par les Burkinabè pour de multiples raisons allant de son prix modique à sa prestance et à son élégance en passant par sa faculté à s’adapter à la mode.  

Pour Aïcha Koné, une étudiante d’une vingtaine d’années dans une université privée de Ouagadougou, le port du « Koko Donda » la rapproche de son terroir.

 «J’aime m’habiller avec ce pagne parce je suis ressortissante de l’ouest du Burkina et ce pagne est fabriqué chez nous », confie-t-elle fièrement avant d’ajouter que sa garde-robe est riche d’au moins une demi-douzaine de tenues cousues avec le pagne Koko Donda.

 Aimé Elvis  Konkobo, jeune fonctionnaire, adore le Koko Donda parce qu’il « fait classe » et lui vaut, quand il le porte, les félicitations de ses collègues. « Généralement quand je porte un habit cousu à l’aide de ce pagne, les gens l’apprécient positivement», souligne-t-il.

Hamidou Ouédraogo fait sûrement partie de ces admirateurs du « Koko Donda » et en dandy appréciant tout ce qui est à la mode, il s’est mis rapidement au pagne qui fait fureur. «Je porte, explique-t-il, ce pagne pour ne pas rester en marge de la mode. Voyez-vous, c’est la mode actuellement. Vous verrez que toute personne qui se dit branchée porte le Koko Donda».

L’engouement des Ouagalais et des citadins d’autres villes burkinabè pour le pagne ‘’Koko Donda » peut être attribué à certains stylistes burkinabè qui en font la promotion lors des défilés de mode.

Le dernier exemple en date est la soirée dénommée ‘’Folie de mode », organisée le 27 octobre dernier à Ouagadougou. Le styliste burkinabè Sébastien Bazemo dit Bazem’Se qui promeut le « Koko Donda » depuis pratiquement deux ans en a profité pour le faire davantage aimer par les Burkinabè.

«Je veux montrer au public que ce pagne est une fierté burkinabè», avait-il notamment déclaré, à l’issue d’un défilé de mode. Et d’ajouter : «mettre en valeur ce pagne originel du Burkina Faso, c’est apporter une autre vision à ce produit local pour soutenir les femmes qui le produisent». 

Au demeurant, faire la promotion de ce pagne a été rendu facile en partie grâce à son prix abordable. «Avec 5000 ou 3000 FCFA, on peut s’acheter au moins deux pagnes Koko Donda. Pourtant, pour s’acheter un ‘’Faso Danfani », il faut débourser dans l’ordre de 10.000 FCFA»,  renseigne le commerçant Adama Bamogo.

La conjoncture est passée par là, car il y a quelques années les trois pagnes ‘’Koko Donda » coûtaient environ 1000 FCFA là où les autres pagnes se négociaient 1500 FCFA l’unité.

Toujours est-il que le «Koko Donda » fait en ces temps de cherté de la vie l’affaire des Burkinabé qui, après l’avoir longtemps considéré comme un vêtement réservé aux vieilles villageoises et aux bonnes, n’ont plus aucun complexe de le porter.

Bangui s’amuse encore, malgré l’insécurité permanente

Bangui, ville à deux vitesses. Sous une insécurité quasi-permanente instaurée par les milices à la gâchette facile que sont notamment les Antibalakas et ex-Sélékas, se cache une capitale centrafricaine à la vie nocturne joyeuse et trépidanteIl faut se rendre au centre-ville de Bangui pour se rendre compte de cette ambiance festive qui, dés la nuit tombée, se répand dans les restaurants, cafés, bar dancings et night-clubs. Rassurés par les forces de l’ordre beaucoup plus présentes au centre-ville, Banguissois et expatriés travaillant notamment dans les institutions internationales, profitent du moindre silence des armes pour s’éclater dans des boîtes de nuit comme ‘’Plantation » et ‘’Casino ».

Les bars ‘’Elé Songo » au rond-point Benzi au 2ème arrondissement, Mamadelle au 6ème arrondissement et Biblos à Bimbo ont aussi leurs fêtards désireux d’oublier, autour d’un verre siroté avec une bande d’amis, les violences dans lesquelles baigne une partie du pays.

L’animation est généralement assurée dans les night-clubs par les orchestres tels que ‘’le Grand Conon Star de Bangui », ‘’Sapéké Musika Maison Mère », ‘’Tropical Fiesta d’Agas » et ‘’La nouvelle écriture d’Ozaguin. Au gré des accalmies, ces formations musicales donnent également des concerts à travers la ville, de vendredi à dimanche, entre 16h et 22h.

En habitué de la ‘’Plantation », Cyriaque Timolo s’y rend tous les samedis pour se contorsionner au son de la musique jusqu’à 5 h du matin. ‘’Il n’y a pas d’agression puisque les forces de l’ordre patrouillent régulièrement », assure le jeune homme, précisant que dans ses moments de détente il côtoie plusieurs étrangers en quête de divertissement.

                                                                                 

Junior, un jeune homme du quatrième arrondissement, n’a hélas pas la même baraka que Cyriaque. D’une part, il a été lui-même victime d’un braquage en rentrant vers 1h du d’un concert d’Ozangui à Elé Songo dans le deuxième arrondissement, et, d’autre part, il a été témoin au bar ‘’Sélection » de l’éclatement d’une grenade ayant fait deux morts et plusieurs blessés.

De quoi ôter le goût des virées nocturnes à Junior qui déclare : ‘’depuis lors, je ne fréquente plus ce lieu de distraction. Malgré les fouilles qui se font à l’entrée des bars, certains arrivent à s’introduire avec des engins de guerre ».

 

C’est presque pour les mêmes raisons que Mathurin Kolossia un jeune du 6ème arrondissement de Bangui fréquente modérément le «Tiringulou», un bar dancing du 5ème arrondissement. Lieu de distraction des miliciens Antibalaka, ces derniers s’y comportent en territoire conquis où les bagarres et vols de portables sont fréquents.

Fêtard impénitent, Mathurin fait tout, lorsqu’il s’y rend, pour quitter les lieux aux environs de 20h, moment où débutent les violences.

En clair, plus on avance dans la nuit plus les exactions se multiplient dans les lieux de divertissement. Surtout ceux éloignés du centre-ville. Cette situation a poussé beaucoup de jeunes à non seulement limiter leurs sorties en deçà de 22h, mais aussi à se cantonner dans leur arrondissement où s’organisent désormais les soirées théâtrales et autres kermesses.

Ainsi, chacun s’amuse dans son arrondissement et seules les activités culturelles organisées dans le cadre de la cohésion sociale ou du vivre ensemble par des associations peuvent pousser les jeunes à se rendre nuitamment hors de leurs zones de résidence. Dans ces cas aussi, c’est l’œil rivé à la montre pour ne rentrer pas à une heure indue qu’on suit la manifestation culturelle…

Dans le sillage des organisateurs de manifestations culturelles, des restaurateurs et propriétaires de motels se sont également repliés dans les quartiers, histoire de se rapprocher des populations. Pour attirer ces dernières, des tenants de bistrot ont fait de leurs caves des lieux de rencontre là où d’autres reçoivent les clients en plein air, à la devanture de leur commerce.

                                                                                      

Une opération qui n’est pas sans risque car les clients sont à la merci des motos et camions de passage ayant du mal à circuler à cause du défaut d’éclairage public.

Une trouvaille qui fait tout de même fureur à Bangui : les barbecues qu’offre chaque week-end à ceux qui fêtent leur anniversaire un promoteur de distractions. Organisés dans la banlieue banguissoise, les célèbres barbecues de Maitovo sont d’agréables moments de fête où l’on boit et mange à satiété.

Mais là aussi, comme d’habitude presque partout, à 20h pile on remballe tout, on ferme et tout le monde rentre vite à domicile…

« Pouto », le bonnet guinéen aux origines aristocratiques

Patrimoine vestimentaire de la communauté peuhle, une des ethnies majoritaires de la Moyenne Guinée (ex Foutah théocratique ou Foutah Djallon), le bonnet « Pouto » ou « Poutoorou» est de nos jours porté par presque tous les Guinéens, avec le secret espoir de jouir de la respectabilité que conférait jadis ce couvre-chef.Avant l’ère coloniale, le port du « Pouto » était au Foutah Djallon réservé exclusivement aux privilégiés tels les rois, les érudits, les notables et, à la limite, les nantis. Porté lors des grandes cérémonies religieuses, festives ou sociales, le « Pouto » procurait à son propriétaire respect, admiration et considération.

« Au temps de mon père, il était rare de voir un porteur de +Pouto+, en dehors des grandes cérémonies », témoigne Souleymande Bodié Bah. A en croire ce peuhl originaire de Dalaba, ville de la Moyenne Guinée, ses parents étaient venus s’installer à Dinguiraye depuis les années 1800.

Pendant les fêtes, notamment religieuses, l’imam, outre son « Pouto », arborait un boubou traditionnel  agrémenté par des babouches aux pieds. Une canne ou un sabre complétait l’habillement de l’érudit. « Le choix de cet accoutrement n’est pas fortuit. Au contraire, il s’agissait, pour l’intéressé, d’affirmer son identité peuhle mais aussi de montrer son rang social », explique Souleymane.

Au fil du temps, le « Pouto » a été quelque peu désacralisé pour, entre autres vocations, devenir un cadeau offert aux hôtes de marque. « Dès que le présent (Ndlr, « Pouto ») est offert à l’hôte, la tradition voudrait qu’il le porte sur place, sous les acclamations de l’assistance. C’est la preuve qu’il a fait la Guinée », affirme Souleymande Bodié Bah, imam de la Mosquée de La Fontaine.

Outre ce symbole d’hospitalité, le « Pouto », surfant sur sa réputation première, permet aux Guinéens d’aujourd’hui d’acquérir une certaine respectabilité auprès de leurs vis-à-vis. En politique, les leaders originaires de la Moyenne Guinée ont pris l’habitude de le porter pendant leurs sorties publiques, leurs apparitions à la télévision ou leurs séances photos.

Ainsi, pendant l’élection présidentielle de 2010, trois des 24 candidats en lice, étaient identifiables sur leurs bulletins de vote grâce au « Pouto » : les opposants Cellou Dalein Diallo (originaire de Labé) et Mamadou Baadiko Bah (natif de Dalaba) ainsi que l’actuel ministre conseiller à la présidence de la République, Bah Ousmane (ressortissant de Pita).

Des politiques, le « Pouto » et devenu le couvre-chef de tous les Guinéens, donnant des idées aux futés artisans locaux qui ont ouvert des ateliers de fabrication du bonnet dans les huit villes de la région de la Moyenne Guinée, particulièrement à Mamou, la ville carrefour.

                                                                                                   

« Le Pouto est fabriqué partout en Moyenne Guinée. Mais la ville qui produit le plus grand lot, c’est Mamou comme à Timbo, Bhouriah », renseigne Elhadj Mamadou Diallo, coiffé d’un « Pouto » acheté 25 000 FCFA.

Il s’est offert un « Pouto » de classe, car on peut acquérir un couvre-chef quatre fois moins cher, soit 6000 FCFA. Le prix du bonnet varie suivant la qualité du tissu ou des éléments utilisés dans sa fabrication.

Le «Pouto» est également conçu sous différentes couleurs, tailles et formes, d’où, indique Aliou Diallo, artisan basé à Lélouma, il peut être rond ou carré.

Les multiples messages du bonnet béninois

Si dans beaucoup de pays africains le port du bonnet est un signe d’élégance voire d’appartenance religieuse ou confrérique, comme au Sénégal, il en est autrement du Bénin où le couvre-chef permet à son propriétaire de dialoguer avec la communauté.Dénommé ‘’Gobi », le bonnet béninois a la particularité d’être conique pour bien épouser la tête et surtout d’avoir un bout effilé qui, telle une languette, peut être rabattu suivant les circonstances. Et pas n’importe comment dans la mesure où le message à transmettre dépend de la position du bout du bonnet.

Ce faisant, il complète souvent la tenue traditionnelle du ‘’Boomba » ou du ‘’Djarabou » qu’on arbore à l’occasion des mariages, des anniversaire, des cérémonies de remise de dot ou de diplômes.

Orienté vers l’avant sur le front, derrière sur la nuque, à gauche ou à droite, le bout du ‘‘Gobi » parle en renseignant sur la position sociale de son propriétaire et sur ses humeurs du moment.

Ce langage via le couvre-chef remonte aux temps anciens car à l’entrée de Porto-Novo, capitale politique du Bénin, on tombe infailliblement sur la statue du Roi Toffa 1er (1874 à 1908), trônant fièrement avec son ‘’Gobi » rabattu vers la gauche. La manière dont le monarque porte son couvre-chef symbolise, selon les historiens, la noblesse qui le caractérisait.

Ce que confirme Charles Lignan, journaliste, Docteur en sociolinguistique, auteur d’un essai sur le port du bonnet traditionnel béninois. L’on ne peut, souligne ce dernier, enfiler le ‘’Gobi » comme un objet ordinaire ou de plaisanterie.

‘’C’est plutôt un complément vestimentaire qui appuie le besoin de communiquer », affirme Ligan dont l’ouvrage est intitulé « Le couvre-chef à Porto-Novo. Le +Gobi+ : sens et significations ».

Ainsi, à en croire Charles Lignan, celui qui rabat le bout de son bonnet à gauche « exige respect ou privilège ». Et pour cause, ajoute-t-il «Le cœur humain se situe à gauche et le cœur est bien entendu le siège des sentiments. Il est donc normal que le cœur s’exprime aussi à travers le +Gobi+ lorsqu’il est orienté vers la gauche».

Donnant toujours l’exemple des habitants de Porto-Novo dont il connait bien les us et coutumes, Lignan renseigne que lorsque le ‘’Gobi », différemment de celui du Roi Toffa, est rabattu à droite il exprime la beauté et la classe de son porteur qui est alors pris pour quelqu’un qui est à la page.

« C’est une position courante adoptée à l’occasion des réjouissances et qui traduit la joie de vivre », selon le journaliste-écrivain.

Autre lieu au Bénin, autres interprétations données à l’orientation du ‘’Gobi ». Chez les Goun ou Yoruba (Sud-est du Bénin), le bout du couvre-chef ramené sur le front exprime ‘’la volonté d’aller de l’avant, l’assurance et l’avancement », renseigne Charles Lignan. « Celui, dit-il, que vous croisez dans la rue avec un chapeau pointé vers l’avant parallèlement aux yeux, va soit à une rencontre où un différend l’oppose à d’autres, soit à une table de négociation ». Sans doute, avec l’assurance de venir à bout du problème qu’il va affronter…

Par contre plus tranché, voire plus provocateur est celui qui rabat son ‘’Gobi » de l’arrière, sur la nuque. Une telle personne se moque des commentaires de ses détracteurs et dit à ceux d’entre eux sachant décortiquer son message : « les chiens aboient, la caravane passe ».

En réalité, explique Farouk Osséni, un revendeur de ‘’Gobi », « tout dépend de la cérémonie à laquelle vous comptez assister » avec votre couvre-chef.

Selon lui, le fait de le porter orienté vers l’avant sur le front signifie ‘’Je m’en f… » ou ‘’je n’ai pas de problème avec personne ». Pointé vers l’arrière, cela veut dire : ‘’Parlez seulement (vous ne pouvez rien contre moi !) ». C’est cette attitude blasée qu’on trouve un peu à l’occasion chez les membres de l’ethnie Goun.

Chez les autres Yoruba qui ne sont pas du Sud-est du Bénin, on note quelques variations dans l’interprétation du message véhiculé par le ‘’Gobi » : lorsqu’il est rabattu sur le côté gauche, il indique que son porteur baigne dans la tristesse ou est affligé d’un malheur. Et si le bout du couvre-chef est ramené du côté droit, il signifie ‘’Tais-toi », invitant au silence le vis-à-vis du porteur du ‘’Gobi ».

Pour l’historien Léon Bio Bigou, les Baatonou, une ethnie du Nord-Bénin, font une toute autre interprétation des orientations du ‘’Gobi ». « Tournée vers la droite, le ‘’Gobi » veut signifier que la personne est orpheline de père. Du côté gauche, ça veut dire orphelin de mère. Et, lorsque l’intéressé atteint un niveau donné, c’est-à-dire une certaine maturité sociale, et que ses parents sont vivants, en principe, son ‘‘Gobi » devrait être orienté vers le haut », explique le professeur Léon Bio Bigou.

Enfin, une fois devenu chef, le Baatonou peut tourner le bout de son couvre-chef vers l’arrière, histoire de signifier à son entourage qu’il est au sommet et n’a plus rien à prouver, ajoute l’historien non sans lancer cet avertissement aux tricheurs : « lorsque vous donnez une position (à votre ‘’Gobi ») que vous ne méritez pas, on vous ramène à l’ordre en vous disant de changer la position ». On se connait chez les Baatonou…

Dans tous les cas, résume le sociologue Dodji Amouzouvi, le port du ‘‘Gobi » a deux fonctions principales : « Premièrement, il vous identifie et dit qui vous êtes. Deuxièmement, il renseigne sur votre position sociale, c’est-à-dire si vous êtes un magnat de la société (un homme bien en vue) ou si vous êtes un farouche (un marginal) ».

Et les jeunes d’aujourd’hui dans tout ça ? A l’instar de Frank Dannoumé qui s’est coiffé d’un ‘’Gobi » pour se rendre à un mariage, beaucoup sont fans du couvre-chef mais ignorent les messages qu’il peut véhiculer. « Moi je n’ai aucune idée du sens intrinsèque du ‘’Gobi ». Je vois les gens le porter, ça m’a plu et j’ai commencé à le porter », confesse Frank, pourtant originaire de Porto-Novo, l’un des berceaux du ‘’Gobi ».

Il faut sans doute chercher cette désacralisation du ‘’Gobi » dans sa vente tous azimuts qui en a fait un produit commercial. Brodeur à Porto- Novo depuis bientôt 20 ans, Mathieu Dossou, la cinquantaine, en propose de toutes les sortes et à tous les prix.

Le sens des affaires en bandoulière, Mathieu vend des ‘’Gobi » coûtant 1000 à 1500 FCFA, mais aussi … 100.000 FCFA. Libre à l’acquéreur de choisir, suivant l’épaisseur de sa bourse, le couvre-chef susceptible de taper à l’œil de ses vis-à-vis. Par sa prestance, surtout, et non ses messages dont les jeunes béninois ignorent de plus en plus la manière de les formuler.