Fédération du Mali : Les espoirs déçus

Il y a 58 ans éclatait la Fédération du Mali. La toute jeune entreprise (inédite en Afrique à l’époque) n’a pas survécu aux divergences et aux pressions extérieures.

Éphémère. Le mot sied bien à la Fédération du Mali. Formée en janvier 1959 à Dakar, elle regroupait initialement le Sénégal, le Soudan français (maintenant Mali), la Haute-Volta (Burkina Faso) et le Dahomey (Bénin). Ces deux derniers se retirèrent sous la pression de la France et du Président ivoirien Félix Houphouët Boigny. Soudanais et Sénégalais se retrouvaient donc seuls dans cette aventure fédérale. L’élection du chef de l’État devait se tenir le 27 août 1960, mais la Fédération ne vivra pas jusque-là. Pour cause de différends sur le partage de certains postes (chef d’état-major de l’armée notamment), le regroupement volera en éclats. Dans la nuit du 19 au 20 août, les Sénégalais dénoncent une tentative de coup d’État et de « soudanisation » de leur pays. « Modibo Keita a éprouvé le besoin d’abuser de la force qu’il détenait de nous pour s’en servir contre notre peuple, espérant sans doute que les Sénégalais étaient suffisamment veules pour tolérer que lui, Modibo Keita, venant de Bamako, puisse disposer de nous à sa guise. C’est bien mal connaître les Sénégalais. Tout le Sénégal se dressera pour défendre son honneur… », déclarera Mamadou Dia, l’un des leaders sénégalais, sur les ondes de Radio Sénégal. Les dirigeants maliens qui habitaient Dakar furent expulsés manu militari vers Bamako. La pilule passera mal. Les Maliens, sortis en masse pour accueillir leurs dirigeants, veulent faire payer « l’affront » aux Sénégalais. Mais Modibo et ses amis arrivent à apaiser les esprits. Le premier Président malien tient la France pour responsable et liste, le jour de la déclaration d’indépendance, sept raisons pour cela. « Ce fut un coup dur, nous croyons en cette Fédération. Nous la regrettons. Je pense que nos deux pays auraient été plus grands en y restant », confie Mohamedou Dicko, historien.

Semence fertile

En dépit de cet échec, Modibo Keita n’abandonnera pas pour autant l’idée du fédéralisme. « Nous restons mobilisés pour l’idée de la Fédération qui, malgré tout, demeure une semence virile de l’unité africaine. Nous avons perdu une partie, mais nous gagnerons la manche, in Challah ».

Birama Diakité, ancien du Parti africain pour l’indépendance (PAI) se souvient d’une discussion avec le Président Keita durant un camp de pionniers à Moribabougou. « Je lui ai signifié mon désaccord sur la Fédération, il ne m’a pas tout de suite répondu ». Après une collation qu’ils ont partagée, Modibo prend une craie et dessine la carte de l’Afrique. Il y ajoute celle du Mali à l’intérieur. « Il m’a expliqué très calmement les avantages de la Fédération en avançant des arguments solides. J’ai été convaincu. Seuls nous ne pouvons être grands », assure-t-il.

La Fédération du Mali, ou l’espoir déçu

Le 20 août 1960 éclatait la Fédération du Mali, créée en 1959 et regroupant le Mali et le Sénégal. Ainsi prenaient fin les rêves des pères fondateurs et de leurs peuples pour construire une grande nation africaine solidement organisée. 56 ans après, rappel historique avec le Pr Victor Sy, fin connaisseur de l’histoire politique malienne et africaine.

Pourquoi une fédération, au moment de l’accession à l’indépendance des deux pays ?

C’était dans la dynamique de libération des deux peuples et la recherche de leur bien-être. Modibo Keïta et Léopold Sedar Senghor ont créé la fédération pour faire face au pays oppresseur. Certains avaient pensé que faire une fédération était une aventure, mais pour Modibo et Senghor, il s’agissait d’aller à l’indépendance en restant groupés dans ce qu’on appelait l’AOF (Afrique occidentale française), pour éviter la balkanisation. Modibo Keïta était chef du gouvernement fédéral, Senghor président de l’Assemblée fédérale et Mamadou Dia ministre de la Défense, tout en étant président du Conseil du gouvernement du Sénégal.

Pourtant, il se dit que la fédération a fait long feu à cause d’un problème de partage de pouvoirs entre les présidents Senghor et Keïta?

Il y a deux principales causes à l’éclatement : d’abord les rivalités internes pour nos égos, et la pression des puissances extérieures qui ne voulaient pas que nous soyons forts. Les dirigeants français d’alors ont beaucoup contribué à l’éclatement de la fédération. Plusieurs écrits attestent de ces faits. Ils préféraient plusieurs petits États comme interlocuteurs, que d’avoir affaire à une puissante fédération.

Quelle a été la réaction des Maliens à l’annonce de l’éclatement ? Surtout lorsque Modibo Keïta a regagné Bamako par train ?

Il y a eu beaucoup de réactions de déception et d’indignation des Maliens qui estimaient être trahis et mal récompensés. Certains, en voyant Modibo et sa délégation à bord du train, avaient décidé de marcher sur le Sénégal pour leur rappeler qu’il était important de tenir son engagement. Il y a une solidarité et même des sacrifices de beaucoup de cadres qui ont abandonné leur poste pour retourner au Mali. Le RDA en a profité pour proclamer l’indépendance du Mali le 22 septembre, pour prouver que le Mali n’était pas dans un jeu. Trois ans plus tard, une rencontre de haut niveau à Kidira, entre Senghor et Modibo, le 22 juin 1963, a réchauffé les relations entre les deux pays.

Cela aurait changé quelque chose si la fédération existait encore aujourd’hui?

Je parle en raison de nos espoirs et je dis que ça aurait été mieux. Le monde donne aujourd’hui un visage moins brillant que ce qu’on aurait pu espérer.