Financement des PME : Accorder les violons

Adopté par le Conseil des ministres de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) du 29 septembre 2015, le dispositif de soutien au financement des Petites et moyennes entreprises (PME) a été lancé dans les pays de la zone en 2018. Une année après, les résultats de sa mise en œuvre sont loin de satisfaire les acteurs. Trois entreprises sur une centaine, éligibles selon les critères du dispositif, ont bénéficié d’un financement au Mali. L’État, les établissements de crédit, la BCEAO, les PME et les structures d’encadrement doivent réévaluer leurs rôles afin que les PME contribuent davantage à la création de richesse.

« Ceux qui détiennent les fonds sont très frileux. Nous avons souvent des projets viables, qui créent de l’emploi et de la valeur ajoutée mais manquent de financement », déplore M. Sanou Sarr, Président du réseau des PME maliennes.  Alors que les banquiers justifient « ce refus », par le taux important d’échecs, ce responsable note que malheureusement, comme dans beaucoup de domaines, la corruption a un impact négatif sur ce type d’initiative. En effet, entre une entreprise qui présente un projet de transformation de fruits, par exemple, et une autre qui propose d’importer un produit de grande consommation, les fonds seront débloqués pour cette dernière parce celui qui gère le dossier au niveau de la banque « se fera payer » sur le fonds reçu. Une pratique difficile à « prouver », mais qui existe réellement, insiste M. Sarr.

Obstacles au financement

L’autre difficulté que rencontrent les PME est relative aux taux d’emprunt, qui constituent « un véritable frein » pour ces entreprises. Plafonnés à 15% (taux globaux) par la BCEAO, ils sont trop élevés. En effet, avec 8 ou 9% de coût et des délais de remboursement réduits, les conditions ne laissent que peu de place à l’optimisme, estime le responsable de la faîtière des PME. Ces taux d’intérêt sont fonction de la durée et du montant des prêtset sont également impactés par « le taux de casse » enregistré par les banques. Identifié par la BCEAO parmi les facteurs de réticence des établissements financiers au financement des PME, le climat des affaires influence aussi négativement la mise en œuvre de la politique communautaire.

L’exigence d’une garantie, qui est un minimum requis pour la banque afin d’être remboursée, est également pour la plupart de ces structures une contrainte majeure compromettant sérieusement leur capacité à prétendre à un prêt. Mais, plus que ce préalable, ce sont plutôt les insuffisances en matière d’organisation qui constituent pour les PME, le véritable problème, rétorque M. Bassirou Diarra, responsable de la division chargée des PME à la Banque nationale de développement agricole (BNDA).

Dirigées à environ 80% par des personnes peu ou pas scolarisées, les PME maliennes souffrent d’une absence de gouvernance en termes de gestion qui compromet sérieusement leur avenir. « Cette organisation inefficace » rend souvent difficile, voire impossible, le simple remboursement d’une échéance en l’absence du dirigeant.

Déjà souligné par la BCEAO dans l’étude ayant précédé la mise en place du dispositif comme l’une des entraves relevées par les établissements de crédit, le manque de « sincérité de l’information financière » est aussi l’une des grandes faiblesses de ces structures. Les plans d’affaires irréalistes ou Les bilans à la commande, réalisés en fin d’activité, ne sont pas rares.

À cela s’ajoute un réel problème de gouvernance, que reconnaît également le responsable de la faîtière des PME. « Certains pensent que créer aujourd’hui sa structure signifie devenir riche », déplore M. Sarr. Pire, certains projets, lorsqu’ils bénéficient de financements, voient ceux-ci être détournés de leur objet initial.

« De mauvais exemples », qui aggravent le faible taux de survie des entreprises débutantes, selon M. Diarra, le responsable de la BNDA.

Avec un taux de remboursement compromis à 90% pour ces structures, la banque continue donc de préférer financer la croissance des entreprises qui « maîtrisent » déjà leur secteur.

De 80 milliards de financement en faveur des PME en 2018, la BNDA a atteint 92 milliards en octobre 2019. À l’instar de cette banque, dédiée à cette activité depuis 14 ans, plusieurs autres établissements financiers se consacrent au financement des PME avec des services pertinents. Malgré cet engagement, les besoins en financements de ces entreprises, qui constituent environ 80% du tissu économique malien, reste insatisfaits. Un constat qui a abouti à l’adoption du dispositif de la BCEAO.

Pistes de solutions

« Ce dispositif est un outil impeccable, innovant, qui fait suite aux cris du cœur des entreprises », se réjouit le Président du réseau malien des PME. Seulement, il a posé des jalons et établi des responsabilités et « de sa mise en place en août 2018 à maintenant, 3 dossiers, dont 2 de banques, sur 132 ont été financés », un résultat insignifiant, selon le représentant des PME.

Même s’il « est prématuré de faire une évaluation du programme, le financement des PME reste une problématique au niveau des banques », reconnaît-on à la BCEAO, notamment à cause du taux de casse.

Pour permettre aux PME de franchir l’étape essentielle de la formalisation, le dispositif a prévu la mise en place de structures d’encadrement chargées de les accompagner dans ce processus. Le comité d’identification de ces structures, qui a démarré ses activités en septembre 2017, a identifié 8 conseillers chargés de cette mission au Mali.

Parmi les mesures préconisées par le dispositif, l’accès des PME à la commande publique reste à mettre en œuvre, car c’est aux États de déterminer, à travers leur législation le quota à leur réserver.  

Des préalables

Même s’il n’a été mis en place qu’en septembre 2019, une année après le lancement du dispositif régional, le point focal, au niveau du Trésor, destiné faciliter le paiement des mandats est un pas dans la réalisation de ses objectifs. S’il est également mis en place au niveau des banques, « son niveau décisionnel » doit être encore relevé pour les impliquer davantage, suggère le Président du réseau des PME.

Pour les entreprises, il « faut d’abord finaliser la charte des PME, pour convenir d’une définition consensuelle des PME et des types d’appui nécessaires à leur développement »,  explique pour sa part M. Moctar Traoré, économiste au cabinet ADG Consulting.

L’État doit jouer toute sa partition afin de créer un environnement favorable au développement des structures, avec par exemple des avantages fiscaux. Des produits financiers spécifiques adaptés à l’environnement complexe et changeant des PME doivent également voir le jour, selon l’économiste.

En plus du dispositif d’appui et d’accompagnement de la BCEAO, il est essentiel de « faciliter l’accès des PME aux services non financiers, pour leur permettre de soumettre des projets consistants aux institutions de financement ».

Ces mesures permettront d’accroître la confiance entre les banques et lesPME, assure M. Traoré. La création d’un dispositif spécifique de garantie pour les petites entreprises pourrait aussi accroître leurs chances de prétendre au financement bancaire.

Il est impérieux de soutenir la dynamique des banques dans le développement de de départements dédiés et la formation de ressources humaines spécialisées dans le domaine. Une mission qui pourrait revenir à la Banque centrale, dans le cadre de l’accomplissement de ses obligations dans ce partenariat pour soutenir les PME.

Compte tenu de leur particularité, les « PME naissantes » doivent aussi bénéficier de services spéciaux d’encadrement et de prise en charge durant une période déterminée, pouvant aller jusqu’à  2 ans.

Au-delà d’être un cadre de concertation entre les parties prenantes, la structure chargée de suivre l’évaluation de la mise en œuvre du dispositif doit être « institutionnalisée », explique le Président du réseau des PME. Les insuffisances dans la communication, qui est cruciale, autour du dispositif et l’homologation des coûts, qui est une réalité au niveau des structures d’encadrement étatiques, sont aussi des prérequis pour l’atteinte des objectifs du dispositif.