Subventions : une fausse alternative ?

La suspension de la subvention au gaz domestique continue de préoccuper de nombreux consommateurs. À l’instar de ce gaz, les coûts de plusieurs produits alimentaires et pétroliers et de certains services, notamment les transports connaissent des augmentations spectaculaires. Pour certains, ni l’embargo auquel le Mali a été soumis durant six mois, ni la crise en Ukraine ne justifient cette hausse excessive des prix. Pour y remédier, il « faut mettre fin à la spéculation et instaurer la transparence dans la gestion des subventions ».

L’embargo ou la crise en Ukraine ne constituent que des « fausses causes » de la hausse actuelle des prix, estime M. Kassoum Coulibaly, économiste et Président du Think tank Centre Kassoum Coulibaly (CKC). En ce qui concerne l’embargo, levé depuis le 3 juillet, au moment de son entrée en vigueur l’assurance était même donnée concernant l’existence de stocks de sécurité et l’engagement des commerçants à ne pas augmenter les prix. Une série de mesures, dont le respect incombait à des personnes assermentées, avaient aussi été prises. Donc, un mois après la fin de l’embargo, cet argument ne tient plus, soutient-il.

Parlant de la crise en Ukraine, « ce pays n’est pas pourvoyeur de tout ce que nous consommons, le blé étant un produit particulier ». Par exemple, la flambée du prix du  kilogramme de sucre, qui est  passé de 500 francs CFA au mois de mai à 800, voire 1 000 francs par endroits, est le résultat d’une « spéculation commerciale », et même   d’une « fraude commerciale », menée par un certain nombre de commerçants. Il faut donc « démasquer ce réseau » pour mettre fin à cette flambée des prix.

Sauver le pouvoir d’achat

Cette hausse, qui va du simple au double pour certains produits ou services, dont les transports interurbains, affecte indéniablement le pouvoir d’achat. Mais la solution n’est pas le recours systématique aux subventions « irréalistes et irréalisables » qui ne peuvent pas être permanentes, insiste M. Coulibaly. La solution viendra d’abord du consommateur, qui doit se limiter à l’essentiel.

La question du pouvoir d’achat fait directement écho à celle du salaire. Celui-ci correspond-il au coût de la vie ? Pour y répondre, M. Coulibaly suggère une « analyse profonde, à travers des États généraux sur les salaires », pour aboutir à un pouvoir d’achat décent et par conséquent lutter efficacement contre la corruption. Parce que les prix qui grimpent de façon inexpliquée sont un effet de la corruption de certains agents et commerçants, selon lui.

Pour l’économiste, la question des subventions  pose deux problématiques. D’abord l’absence de transparence dans la gestion des subventions, celles-ci ne profitant pas aux citoyens mais à un petit groupe d’opérateurs économiques. L’État doit donc être plus productif en investissant dans des secteurs stratégiques comme l’industrie pharmaceutique et agroalimentaire pour les booster, au lieu de subventionner des produits importés. Des sources alternatives d’énergie doivent aussi être développées et maîtrisées localement afin de moins dépendre des ressources importées.

Vie chère : faire pencher la balance

A l’instar de nombreux pays de la sous région et même au-delà, le Mali connaît une flambée des prix de plusieurs produits de première nécessité. Sucre, huile, farine, céréales, carburants ou matériaux de construction, la liste n’est pas exhaustive. Les effets de la crise sanitaire mondiale liée à la pandémie de Covid19, combinés à des facteurs internes entre insécurité et instabilité politique  aggravent le cas du Mali. Le pays dépendant en partie de l’importation pour la plupart de ces produits, les autorités ont envisagé des mesures « afin d’atténuer » ces augmentations. Mais plus que le respect de ces mesures, c’est un changement de politique dans plusieurs domaines, qu’il faut pour parvenir à une réelle maîtrise des prix.

De 2 200 francs CFA le kilogramme au début du mois d’avril 2020, le prix de la viande de bœuf avec os est passé à 2 700 ou 2 800 francs CFA par endroit. Une hausse historique face à laquelle, gouvernement et consommateurs semblent se résigner. En effet, après la subvention au coût de l’abattage que les autorités ont fini par ne plus assurer, l’existence de plusieurs autres facteurs n’ont pas permis la baisse du prix. « Les bouchers expliquent que le gouvernement se dit impuissant face à l’exportation du bétail », qui justifierait en partie la hausse du prix de la viande, s’indigne la présidente du Front populaire contre la vie chère, madame Diagne Mariam Koné.

En effet, le secteur de la viande connaît des réalités particulières qui peuvent expliquer la non maîtrise de son coût, explique le Dr Abdramane Tamboura, économiste. Pendant l’hivernage la plupart du cheptel malien est conduit vers la Côte d’Ivoire parce que l’Etat n’a pas su mettre en place un dispositif facilitant la cohabitation entre les éleveurs et les agriculteurs, poursuit-il. Le bétail est donc conduit en grande partie dans ce pays voisin pour avoir accès à des zones de pâturage, l’Etat ivoirien ayant mis en place un mécanisme réglementaire facilitant l’entrée des troupeaux sur son territoire et rendant difficile la sortie des mêmes animaux. Pointant cette absence d’aménagements pastoraux, le président de la Fédération des groupements interprofessionnels bétail viande du Mali (FEBEVIM), rappelait en juin dernier que ce produit d’exportation dont nous fixons nous même le prix est « une richesse mobile qui va où c’est favorable ». Si nous sommes censés approvisionner le marché ivoirien, nous risquons de devenir les clients de ce pays qui finira par nous fournir le bétail issu de notre cheptel, prévient le professionnel.

En dehors de la viande, la disponibilité des autres produits est liée en partie à l’importation. Le sucre, le riz ou encore l’huile alimentaire consommée dans le pays provient en partie de l’extérieur. Si en principe le Mali ne devrait pas être importateur de riz, la production domestique réalisée par les producteurs maliens est pourtant insuffisante pour couvrir les besoins, selon les acteurs de la plateforme des producteurs de riz. Dans les zones rizicoles, cohabitent deux types de production. Celle de petits producteurs à la tête d’exploitations de type familial et celle émanant d’entreprises privées. Normalement les deux productions sont suffisantes, mais le Mali est privé de la production des entreprises privées destinée au marché international. C’est donc pour combler ce déficit qu’il est fait recours aux importateurs.

Mesures insuffisantes ?

« Saluant les efforts du gouvernement » face à la flambée des prix, le Conseil des ministres du 10 novembre 2021, a décidé de subventionner certains produits de première nécessité, notamment le riz, le sucre et l’huile alimentaire. Une subvention  qui devra se traduire par la réduction de la base taxable de 50% sur l’importation de  300 000 tonnes de riz,  60 000 tonnes de sucre, 30 000 tonnes d’huile alimentaire. Avant de préciser que « l’importation des quantités des dits produits est subordonnée entre autres à la signature avec les importateurs d’un cahier des charges portant notamment sur le prix au détail et la disponibilité des produits concernés sur l’ensemble du territoire national, au respect des quantités autorisées pour cette opération, à la mise en place d’un mécanisme de suivi à travers des brigades de contrôle pour garantir l’efficacité de cette opération ».  Convaincu que « la mise en œuvre de ces mesures permettra d’atténuer les effets de la flambée des prix des produits de première nécessité ». Et c’est justement la difficulté de ce suivi qui remettra en cause ces mesures, s’inquiètent les acteurs. Car si « l’Etat a la possibilité d’accorder des faveurs à l’entrée et aux commerçants »,  « il ne maîtrise pas le commerce » et le mécanisme n’étant pas bien suivi, en lieu et place des produits subventionnés, ce sont d’autres produits qui sont importés, alerte le Dr Abdramane Tamboura.

« Ces mesures ne sont pas suffisantes pour régler la hausse des prix », même si la volonté de  l’Etat à renoncer à certains droits est à saluer, affirme pour sa part  Harber Maïga, vice président de la fédération des centres de gestion agréés des commerçants détaillants du Mali. Ces dispositions permettront tout de même de « raccourcir la chaîne de distribution très longue au Mali » et qui contribue aussi à l’augmentation des prix. Outre le respect des « engagements et des prix consensuels convenus », l’existence de la « contrebande » qui prospère dans ce contexte et « échappe au contrôle de l’Etat » constitue un risque à l’efficacité des mesures annoncées.

Une crise plus longue

Même si la situation du Covid semble apaisée et malgré la réouverture des frontières, la reprise du trafic entre les Etats ne se fait pas comme auparavant, assure un acteur. La libre circulation des biens et des marchandises n’est pas aussi effective, surtout à la frontière avec la Côte d’Ivoire, note-t-il. Et la reprise qui a entraîné une forte demande sur le plan mondial, semble expliquer selon les autorités que malgré les subventions, cela n’a pas suffi à « maintenir les prix en baisse ». Dans ces conditions et en plus des difficultés enregistrées dans certaines zones de production comme l’Office du Niger, la baisse ou même le maintien des prix parait hypothétique. Même si pour le Regroupement des consommateurs maliens (REDECOMA), la mise en œuvre des mesures permettra de soulager les populations, le FPCVC entend maintenir la pression et appelle à une nouvelle mobilisation pour soutenir le panier de la ménagère. «  Nous observons, parce que lorsque les premières mesures ont été adoptées, le prix de la viande a baissé pendant 4 jours, ensuite cela a augmenté », rappelle la présidente.

« La maîtrise des prix nécessite une implication de tous les acteurs, avec une obligation pour l’Etat de réguler le secteur », affirme monsieur Maïga de la Fédération des centres de gestion agrées. Les acteurs du secteur privé, censé impulser le développement du pays doit être plus compétent. Cela implique le renforcement du rôle de « tous les acteurs de la chaîne de distribution ». Y compris les services techniques chargés de l’encadrement, ainsi que les importateurs et les détaillants qui doivent être soutenus. Il suggère à cet effet la mise en place de boutiques témoins comme lors de la crise de 2008 pour faciliter l’accès aux produits de première nécessité.

Les expériences acquises doivent être renforcées de même que les initiatives innovantes encouragées, comme les centrales d’achat des détaillants. « Un projet de formalisation de ces acteurs » que l’Etat s’est engagé à soutenir mais dont la mise en œuvre tarde à venir.