Droit foncier urbain : les solutions de Me Boubacar Sow

Cet ouvrage de 300 pages, 403 notes de bas de page et 15 pages de bibliographie consacrées à la problématique du foncier urbain malien, publié par les éditions Grandvaux, fait l’état des lieux du système foncier qui est inadapté.

Le notaire Maître Boubacar Sow a présenté, samedi 15 octobre, au Parc National de Bamako son livre intitulé «Droits Fonciers Urbains au Mali » : De son évolution à sa réforme, propositions pour une meilleure sécurisation des transactions foncières. La cérémonie s’est déroulée en présence du médiateur de la République Baba Akhib Haïdara, du ministre des Domaines de l’État et des Affaires Foncières, Mohamed Ali Bathily, et d’autres personnalités de marque.

Cet ouvrage est un essai magistral sur la problématique de la sécurité juridique des transactions foncières et immobilières en milieu urbain au Mali.

L’auteur met à nu l’inadaptation de la législation incapable d’appréhender les enjeux vitaux de cette sécurité. « J’ai mené cette réflexion, parce que, le foncier est en crise et la paix sociale est aujourd’hui compromise » a indiqué l’auteur, qui estime que la question reste un sujet brûlant. « Le livre fait l’état des lieux d’un système foncier qui est inadapté, donc il faudrait le refondé » estime-t-il. Pour Me Sow, cette refondation consiste à proposer des nouvelles solutions juridiques, qui visent à moderniser notre arsenal juridique en la matière. Et cela se traduit, selon lui, par la levée des vieilles entraves juridiques qui sont handicapantes.

Au-delà de cette analyse, l’auteur s’inscrit dans une perspective réformiste, proposant des pistes de solutions novatrices à mettre en œuvre par les décideurs politiques, notamment la refonte totale et radicale de la législation foncière en vigueur : l’abandon des obsolètes principes coloniaux comme, par exemple la notion de mise en valeur ou le caractère inattaquable et définitif d’un titre foncier. «  Ce livre vient à point nommé, pour faire le diagnostic du foncier dans notre pays » s’est réjoui le ministre Bathily.

L’œuvre, qui a demandé 5 ans de recherche, est introduit est dors et déjà introduit aux programmes de la Faculté du Droit Privé niveau licence de l’Université de Bamako.

 

Cinéma : OKA ou la problématique du foncier au Mali

En 2015 sortait OKA qui signifie notre maison en bambara, septième long métrage du cinéaste malien Souleymane Cisse qui dépeint a travers ce film l’épineux problème du foncier au Mali.

« C’est une saga, la saga des Cisse. Une autobiographie à plusieurs voix« .  déclarait Serge Toubiana directeur de la cinémathèque française.

OKA c’est film un documentaire qui traite dune injustice vécue par la famille de Cisse. En 2008, les sœurs du réalisateur sont mises à la porte de leur domicile qu’elles occupent depuis les années 1930, par une famille voisine qui en revendique la propriété. Un épisode qui marque profondément le cinéaste et qui l’attriste énormément. « Lorsque mes sœurs m’ont appris leur expropriation de leur domicile du quartier à Bamako, j’ai beaucoup souffert. Les larmes étaient trop lourdes pour que je puisse faire une fiction de ce drame, mais je tenais à en faire un film. Notre cas n’est pas isolé : chaque jour à Bamako, des familles sont expulsées sur simple demande».

C’est une bien triste réalité où certains élus mal intentionnés magouillent en vu d’exproprier de malheureuses personnes de leurs biens. Rapport ou pas avec la sortie du film, plusieurs notabilités se sont trouvées mêler à des scandales fonciers. « le problème foncier si l’État n’y prend pas garde risque de déboucher sur une guerre civile, hélas déjà en germe », prédisait le réalisateur avec amertume. Dans toute sa carrière, Souleymane Cisse s’est attaqué à des sujets complexes. Son œuvre ‘‘Finye’’ prix du jury au festival de Cannes 1987 traite du voyage initiatique d’un jeune garçon en quête de pouvoirs mystiques et ‘‘Min ye’’ qui parle des tumultes de la vie amoureuse dune femme mariée à un polygame. Le cinéaste plaît a se voir non pas comme un dénonciateur qui porte un regard inquisiteur sur la société mais plutôt comme une personne qui se base sur du factuel.

Il a en outre tenu à faire dOKA une œuvre de famille. Ses sœurs y jouent leur propre rôle et lui-même fait la voix off du film. Les meilleurs conteurs dune histoire étant ceux qui l’ont vécu. Visiblement nostalgique de ces jeunes années, où il a reçu beaucoup d’amour de sa famille, Cisse nous fait revivre ces moments a travers le personnage d’un môme dans le quartier de Bozola. Au delà du sujet peu reluisant de la crise foncière, le réalisateur dote son film dune double thématique. Il met en relief deux mondes différents. Lun dominé par une société ovovivipare et lautre par la richesse de ses paysages et linnocence des enfants.

« Lorsque la violence atteint un degré tel qu’on la connaît au Mali, il faut lutter contre le désespoir et se tourner vers l’enfance et la nature qui ne déçoivent jamais

Espérons que ce film soit bientôt montré dans toute l’Afrique subsaharienne, « où comme à l’étranger, la plupart des gens ignorent ce qui se passe vraiment sur leurs terres ».

Bakary Camara pour son livre « Évolution des systèmes fonciers au Mali »

« Évolution des systèmes fonciers au Mali » le livre du doyen de la Faculté de droit public, Bakary Camara, explore l’évolution des systèmes fonciers dans le bassin du fleuve Niger. Il analyse les fondements de la tenure foncière et les différentes perturbations culturelles que les systèmes fonciers de cette région ont connu depuis le IXème siècle. L’ouvrage met en évidence le changement progressif du statut de la terre et des rapports à la terre au Mali.

3 questions à Bakary Camara, doyen de la Faculté de droit public

 

Vous êtes auteur du livre « Évolution des systèmes fonciers au Mali ». De quoi traite cet ouvrage?

Cet ouvrage explore l’évolution des systèmes fonciers dans le bassin du fleuve Niger. Il analyse les fondements de la tenure foncière et les différentes perturbations culturelles que les systèmes fonciers de cette région ont connu depuis le IXème siècle. L’ouvrage met en évidence le changement progressif du statut de la terre et des rapports à la terre au Mali.

Qu’en est-il de ce changement aujourd’hui  ?

L’émergence de nouveaux acteurs et la politique de réformes institutionnelles de l’État se résument à la décentralisation et à la création de textes juridiques qui contribuent aujourd’hui à promouvoir la concertation et le consensus autour du foncier. Une situation qui favorise non seulement la destruction du foncier coutumier, mais aussi la reconnaissance partielle ou totale de certaines règles coutumières relatives au foncier.

Votre analyse des conflits fonciers ?

Ces conflits connaissent une récurrence. Ils se multiplient au fur et à mesure que les terres se dégradent, que la population augmente et que l’esprit individualiste de la propriété foncière anime nos populations. Le foncier est devenu un enjeu économique pour les acteurs ruraux et urbains. Au Mali, les conflits fonciers sont résolus à trois niveaux : les autorités coutumières, les autorités communales et les autorités judiciaires. Il va falloir donc concilier ces trois modes de gestion pour faciliter les choses.

Foncier rural : l’épine malienne

La question du foncier rural est le principal casse-tête des acteurs du secteur. La plupart des conflits liés à cette question se déroulent en zone rurale et sont de plus en plus exacerbés par la raréfaction de la ressource et les spéculations des entrepreneurs privés.

Dans les zones de cultures, les producteurs cherchent chaque année à augmenter leur rendement. Cela passe en général par l’augmentation des superficies exploitées ou le défrichage de nouveaux espaces vierges. Une pratique qui est limitée par la disponibilité des ressources et qui provoque des rivalités parfois meurtrières. La propriété terrienne est encore largement régie par le droit coutumier en zone rurale et périurbaine. Rarement détenteurs de documents administratifs justifiant leur droit, les propriétaires se retrouvent démunis face aux spéculateurs qui font main basse sur les terres rurales au profit d’investisseurs venus de la ville.

Pression citadine L’autre volet du foncier rural est en effet l’arrivée « en brousse de citadins qui veulent jouer aux fermiers. On ne compte plus les familles qui se retrouvent expropriées pour que ces agriculteurs du dimanche aient leurs fermes », témoigne Bara Dembélé, cultivateur à Sanankoroba. Il suffit de s’éloigner de quelques kilomètres de la capitale pour voir la manifestation de ce phénomène. Dans la forêt classée de Tienfala, on compte ainsi « au moins une cinquantaine de titres fonciers, dûment délivrés par les agents de l’État », déplorait le ministre de l’Environnement et de l’Assainissement, lors du lancement de la campagne nationale de reboisement, le 6 août dernier. En mai, c’était le ministre des Domaines de l’État, des Affaires foncières et du Patrimoine, Mohamed Aly Bathily, qui citait en exemple au quotidien national l’Essor, le cas du village de Laminbambala (région de Sikasso), où «  un titre foncier a été créé sur tout le village pour le donner à une société. Le village suivant, situé à 3 km, a également été donné comme titre foncier. On leur a donné 6 mois pour libérer les lieux et s’installer à 10 km loin du goudron, sans dédommagement, ni rien ».

Un exemple parmi des milliers, comme le dénoncent chaque année les organisations paysannes qui ont fait leur cheval de bataille de la lutte contre l’accaparement des terres. « L’État lui-même se livre à cela. On se souvient des projets Malibya dans l’Office du Niger. Les grands chantiers de l’État ont toujours un impact sur le foncier rural », déplore-t-on à la Coordination nationale des organisations paysannes (CNOP). Les réformes en cours concernent également la sécurisation du foncier rural, richesse des paysans, et encadreront de manière plus efficace l’acquisition de ces terres destinées à la production agricole.

Réforme foncière : prendre le mal à la racine

Le problème du foncier au Mali est une bombe à retardement. C’est ce que disent tous les experts de la question et ce depuis des années. En 2008, l’État a entrepris une réforme totale du foncier, en vue d’en améliorer la gestion et de revoir les textes, dont l’application pose beaucoup de difficultés. Un secrétariat permanent, créé en mars 2016, a cinq ans pour conduire sa mission qui est de refonder les rapports entre les populations et l’administration, et de sécuriser la gestion du foncier. Il y a en effet urgence…

Ouena, commune rurale de Dioro, cercle de Ségou. Fin juillet 2016, deux familles se déchirent autour d’un lopin de terre arable et la querelle dégénère en un affrontement sanglant qui conduit plusieurs personnes à l’hôpital avec des blessures graves. Le bilan aurait pu être pire, on ne compte plus le nombre de conflits fonciers qui finissent en carnages. Dans les zones rurales, éleveurs et agriculteurs mais aussi agriculteurs entre eux, ou agriculteurs et citadins, sont constamment opposés sur les questions liées à la terre. Et les grandes villes, y compris le district de Bamako, ne font pas exception. Dans les zones urbaines, la mauvaise gestion du cadastre imputée aux élus locaux engendre généralement des litiges entre autorités et populations. « Plus de dix personnes peuvent se trouver généralement devant la justice avec la même lettre d’attribution pour une même parcelle de terre », témoigne Madou Doumbia, agent immobilier à Baco Djioroni, au sud-est de Bamako. Détournements de terrains et d’espaces alloués aux activités de jeunesse, expropriation illégale, démolition de quartiers, acquisition de fausses lettres d’attribution, batailles juridiques autour d’héritages fonciers, sont entres autres les ingrédients du cocktail explosif de la problématique du foncier au Mali.

Pourtant, le « secteur est régulé », assure-t-on au niveau du ministère des Domaines de l’État, des Affaires foncières et du Patrimoine. Tout en reconnaissant que les textes (loi n°02-008-ANRM du 12 février 2002, relative au Code domanial et foncier) en vigueur ne sont plus adaptés aux réalités actuelles. Les acteurs en charge de la gestion du foncier sont confrontés à de nombreuses difficultés telles que l’incompréhension et la difficulté d’application des dispositions de la loi, l’absence d’outils pour la modernisation du secteur, etc. Au Mali, la terre appartient à l’État comme le stipule l’article 2 de la loi. C’est-à-dire que l’État est l’unique propriétaire du domaine public et privé (meuble et immeuble). Il a donc le droit d’expulser un particulier toutes les fois que cela s’avère nécessaire. « C’est le cas des expulsions pour cause d’utilité publique », argumente Abdoulaye Maïga, avocat. Des prérogatives qui se heurtent très souvent à la loi coutumière dans les zones rurales.

Réforme domaniale et foncière Entre 2007 et 2008, le gouvernement organisait les assises régionales sur le foncier. Elles ont abouti un an plus tard, en 2009, à la grande rencontre des acteurs, lors des États généraux du foncier, qui ont vivement encouragé le gouvernement à aller vers une réforme effective. Il aura fallu attendre le 25 mars dernier pour qu’un décret pris par le Premier ministre institue réellement la mise en place du cadre intentionnel de cette réforme tant attendue : le secrétariat permanent de la réforme domaniale et foncière au Mali. Il comprend trois niveaux de structuration : le comité d’orientation, le comité technique et de pilotage, et le secrétariat permanent qui est l’organe exécutif. On rappelle que l’objectif de cette réforme est de refonder les rapports sociaux entre les populations elles-mêmes et les relations entre propriétaires de terre et l’administration. « Pour cela, il faudra sécuriser la gestion du foncier, mettre la terre au centre du développement du pays, proposer une solution d’amélioration dans la collecte des recettes foncières au niveau des collectivités, et réformer l’administration foncière », commente le colonel Checkine Dieffaga, secrétaire permanent de la réforme. Huit groupes sectoriels, composés de 187 membres issus de toutes les organisations socio-professionnelles forment le comité scientifique, qui se penchera sur les thématiques de la réforme. Chaque groupe sectoriel est chargé de réfléchir sur une thématique précise afin de dégager les problèmes et proposer des solutions. Le groupe sectoriel chargé du cadre juridique et de la relecture des textes se charge actuellement de relire les lois qui régissent le foncier, notamment la loi de février 2002. « Un premier draft est attendu à la fin de ce mois », précise Dieffaga. Le mercredi 3 août 2016 s’est tenue la première réunion du groupe sectoriel. Selon le secrétaire permanent, deux recommandations ont été prises : adopter les textes de base pour l’assemblage et la numérisation du plan cadastral pour les communes de Bamako et les communes limitrophes, et faire un inventaire des systèmes de codification existant au niveau de l’Institut national de statistique. Avec un financement d’environ 30 milliards de francs CFA, dont 10 milliards par le Mali et 20 milliards par les partenaires, le secrétariat permanent doit, dans un délai de cinq ans, 2016-2021, tout mettre en œuvre pour atteindre les objectifs fixés.

Quid du cadastre ? Grâce à l’approche participative initiée par le secrétariat permanent à travers les groupes sectoriels, l’un des axes forts de la réforme est la mise en place du cadastre. Le cadastre est un état des lieux, une description de la gestion foncière, explique Monsieur Dieffaga. Sa mise en œuvre se fera en deux grandes étapes : élaborer un plan cadastral pour chaque commune du Mali et mettre en place une couverture cadastrale de l’ensemble du territoire malien. On rappelle que le cadastre a trois missions principales : techniques, juridiques et fiscales. Cette dernière est, selon le secrétaire permanent, la plus importante car elle permet la mise en place d’« une taxe foncière sur chaque propriété ». Bien qu’il vienne d’ouvrir ses bureaux, le secrétariat permanent se dit optimiste. « La réforme a le soutien de l’ensemble des membres du gouvernement, et notamment celui du président de la République qui souhaite que la gestion du foncier soit désormais transparente. Nous comptons satisfaire ce souhait à la fin de notre mandat », explique-t-il.

Pour mettre un terme à la recrudescence actuelle des conflits liés à la terre, il apparait urgent de rendre effective la réforme, mais surtout d’en partager les grandes lignes avec les acteurs. La suspension de l’attribution des titres de propriété qui avait pour but de mettre un terme à la spéculation foncière ne saurait perdurer, et la mise en œuvre des actions prévues dans le cadre de la meilleure gestion du cadastre de Bamako, en particulier, mais aussi des autres grandes villes du pays, est aujourd’hui une priorité. Les outils d’enregistrement (cadastre, plans fonciers ruraux, etc.) qui seront mis en œuvre par la réforme pourront certainement contribuer à lutter efficacement contre la spéculation foncière, l’insécurité domaniale, et l’accaparement des terres, principales causes des litiges intercommunautaires.