Kidal, la grande inconnue

Le Forum de Kidal, qui devait se tenir dans la capitale de l’Adrar des Ifoghas, en présence de la Plateforme, de la CMA et de l’État malien, a été reporté à une date ultérieure. Sur place, c’est la confusion. Cette ville bastion chargée d’histoire, qui a vu naître la majorité des conflits armés du Nord-Mali, semble encore hésiter entre défiance vis-à-vis de Bamako, et réconciliation

Nouvelle péripétie dans le long processus vers la paix. Le Forum de Kidal, prévu depuis plusieurs semaines pour se tenir du 27 au 30 mars, devait marquer le retour de l’administration, symbolisé par une participation effective des autorités maliennes, représentées au plus haut niveau par le Premier ministre Modibo Keïta, et sceller la paix des braves entre les différents groupes armés, a été reporté sine die. Selon une source sur place, malgré cette décision, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et la Plateforme (groupes armés pro-gouvernementaux) tiennent des discours diamétralement opposés. « Ici, la CMA assure que le Forum est toujours maintenu à la date prévue, tandis que la Plateforme dit qu’il va être reporté, voire annulé », affirme un habitant joint sur place.

Confusion et incompréhension  Résultat, à Kidal les populations ne savent plus à quel sein se vouer. « Quand la CMA part à Bamako, elle se dit favorable à l’État, et quand elle est ici, elle dit à une partie de l’opinion qu’elle est toujours dans la logique de l’Azawad », souligne cet habitant du quartier Aliou. Depuis une semaine, le courant électrique est coupé, « le moteur du groupe électrogène doit être réparé pour la tenue du forum », assure pourtant un cadre de la CMA. Quant à l’eau, elle commence à se faire rare, ce qui, associé à la très grande chaleur, contribue à une tension de plus en plus palpable dans la ville, surtout depuis l’annonce de la tenue du Forum, et de son report. « La CMA a fait courir le bruit dans Kidal que le gouvernement ne serait qu’invité lors du Forum, et ne prendrait pas part aux négociations entre les groupes. L’État a fait savoir qu’en tant que financier du forum, qui se déroulera sur son territoire, il ne compte pas être un simple invité », précise un élu local. Conséquence de ces cafouillages, l’État et la Plateforme se sont, pour le moment, retirés de l’organisation du Forum. Plusieurs chefs des groupes armés font depuis plusieurs jours la navette entre Bamako et Kidal pour lever les incompréhensions. Lundi 21 mars au soir et dans la journée de mardi, une délégation menée par Nina Wallet Intallou, viceprésidente de la Commission vérité justice réconciliation (CVJR) et ancienne égérie de la rébellion, est arrivée à Kidal, en provenance de Bamako. Certaines femmes, menées par Zeina, la femme de Cheik Haoussa, l’un des leaders du Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) et proche du terroriste Iyad Ag Ghaly, ainsi qu’Aminatou, la sœur du dé- puté de Kidal, élu du Rassemblement pour le Mali (RPM) et proche du HCUA, ont tenté de les agresser. Hostiles au Forum et à toute forme de reconnaissance de l’État malien, ces groupuscules ont sé- questré quelques membres de la délégation, avant de les libérer et de les sommer de retourner à Bamako. « Le problème à Kidal, ce n’est même pas les gens qui souhaitent la partition ».

Les origines de la division  Selon Mohamed, natif de Kidal âgé de 35 ans, « le fond du problème, c’est un conflit tribal entre Imghad, la tribu vassale du général Gamou, et les Ifoghas, la tribu noble qui dirige le HCUA et sa structure chapeau la CMA, incarnée par la famille Intallah. Ils ont ramené leur conflit interne au niveau national et ils se battent pour diriger la ville de Kidal et toute la région ». Un simple conflit communautaire serait donc à l’origine de l’embrasement répété du Nord du Mali, et des blocages qui empêchent un retour de la paix et de l’État sur l’ensemble du territoire, notamment dans cette région du septentrion. À l’en croire, la confusion qui règne actuellement serait exacerbée par le budget de 400 millions de francs CFA alloués par l’État pour l’organisation du Forum, et qui ont été divisé entre la Plateforme et la CMA. Même si l’on ne sait pas à l’heure actuelle quand se tiendra l’événement, pour le professeur Naffet Keïta, fin connaisseur de la région, l’enjeu est clair : « un partage des postes entre les communautés est désormais nécessaire pour qu’elles arrêtent de s’affronter. C’est ce qui devrait être validé en prélude à la mise en place de l’administration transitoire ». En attendant, sur Kidal, comme un symbole des divergences actuelles, flottent les drapeaux du Groupe d’autodéfense Touareg, Imghad et alliés (GATIA), du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), du Mouvement des arabes de l’Azawad (MAA), et du HCUA. Reste à savoir si les couleurs de ces différents mouvements pourront, dans un futur hypothétique, se fondre dans le vert-jaune-rouge du drapeau national.