Ces poisons qui viennent d’ailleurs

Le 15 septembre 2016, le rapport publié par l’ONG Public Eye jetait un pavé dans la mare. Les Africains, et particulièrement les Maliens, y découvraient avec stupeur que des traders leur vendaient du carburant « dangereux », car contenant des teneurs de produits toxiques largement au-delà des normes internationales autorisées. Si les compagnies indexées bottent en touche et assurent qu’elles restent dans la légalité en respectant les normes des pays de destination de leurs produits, ce scandale qui fait suite à de nombreux autres, pose la question de la protection des consommateurs face à ces produits importés dont la qualité peut être sujette à caution. Alimentation, médicaments, mais aussi d’autres produits comme les vêtements de seconde main peuvent représenter un vrai danger quand ils ne sont pas soumis à un contrôle drastique. « Tout ce qui est importé au Mali est frelaté : sucre, lait en poudre, engrais, batterie de voiture… », disait Bakary Togola, président de l’APCAM, en juin 2015.

Attention, aliments périmés !

Directement ingérés dans l’organisme, les produits alimentaires sont ceux qui exposent l’être humain à un risque direct, en cas de mauvaise qualité. Le Mali importe la majeure partie de ses besoins alimentaires, en particulier les produits manufacturés, de l’huile aux conserves, mais aussi le riz. La libéralisation du marché a permis à de nombreux opérateurs économiques de se lancer dans l’importation et de proposer aux consommateurs un choix très large de produits alimentaires. Soumis aux contrôles des services de la douane et du ministère du Commerce à travers la Direction nationale du commerce et de la concurrence (DNCC), ils doivent, en principe, obtenir l’autorisation des pouvoirs publics avant de commercialiser leurs produits. Mais les scandales alimentaires dont celui des huiles frelatées, des engrais non conformes, et les images de destruction régulière de produits alimentaires « non conformes », confortent dans l’idée que ces contrôles ne sont pas aussi efficaces qu’ils le devraient. Il n’est pas rare, au contraire, de trouver sur les marchés de Bamako comme à l’intérieur du pays, du lait ou des boissons dont la date limite de péremption est largement dépassée. Ces produits périmés proviennent pour certains des entrepôts des commerçants, qui les cèdent à vil prix pour s’en débarrasser. Mais selon le témoignage d’un employé, sous couvert d’anonymat, d’une de ces sociétés, « les patrons achètent souvent des produits déjà périmés. On sait que les gens ne savent pas lire et que quand c’est moins cher, ils ne se posent plus de question ». Il arrive même de retrouver dans les rayons de certains supermarchés des conserves périmées, ou dont l’emballage est corrompu. En 2009, des milliers de boîtes avaient ainsi été saisies dans les boutiques et sur les marchés. La porosité des frontières mais aussi la corruption des agents en charge du contrôle sont montrées du doigt, mais les autorités, à l’image de Modibo Keïta, directeur général de la DNCC, assure que toutes les mesures sont prises pour lutter contre la présence de ces produits sur les marchés. Pour Salimata Diarra, présidente de l’Association des consommateurs, le véritable problème se trouve à un autre niveau : « il y a un laisser-aller de la part du consommateur, qui avance toujours l’argument de la pauvreté», regrette-t-elle.

Médicaments non conformes

Autres produits de consommation courante, les médicaments. Les médecins déplorent une utilisation exagérée et mal contrôlée de tous les types de médicaments, en particulier les antibiotiques, et ce du fait de l’automédication. Mais l’autre préoccupation, qui est aujourd’hui érigée en problème de santé publique, c’est l’utilisation de médicaments de mauvaise qualité, voire dangereux pour la santé. Des conditions d’importation, à celles de stockage puis du dosage à la vente, les produits pharmaceutiques, déjà sensibles par leur essence même, deviennent de véritables poisons. Les contrôles se font pourtant et selon le rapport du laboratoire national de la santé (LNS- Mali) en date de 2014, sur 218 échantillons de médicaments prélevés, 12,19% étaient non conformes. Les non-conformités concernent essentiellement des antibiotiques, des antipaludiques et des antitoussifs destinés aux enfants. D’après un agent du laboratoire national de la santé qui s’est exprimé sous anonymat, « le phénomène des pharmacies par terre est dû à la non-application de l’arrêt interministériel du 13 février 2008, portant contrôle à l’importation des médicaments, des aliments, des boissons et des eaux. La plupart de ces médicaments sont périmés ». Fodé Coulibaly, gérant d’une pharmacie au marché de Daoudabougou, indexe lui aussi les pharmacies par terre où « les produits ont des dosages souvent doublés ». « Certains pharmaciens vendent des médicaments périmés. Surtout les génériques, qui sont vendus en vrac. Des fois, il suffit de regarder la plaquette pour voir que la date est dépassée », contre-attaque Alassane, vendeur de médicaments à Railda. « Tous les médicaments qui entrent légalement au Mali sont contrôlés par la Direction de la pharmacie et du médicament », assure le Docteur Soumeylou Guindo, pharmacien, qui appelle les consommateurs à faire attention à ceux « qui entrent de façon frauduleuse et sont des poisons. Ils ont des effets secondaires ».

Friperies, nids de germes

Les friperies viennent pour la plupart d’Europe et des États-Unis et, ces dernières années, attirent beaucoup les consommateurs. On leur reconnait d’être plus solide que les produits manufacturés en Asie, et surtout d’être plus accessibles que le neuf. Parmi ces produits seconde main, il y a les appareils électroménagers, de l’informatique, du mobilier, mais surtout des vêtements et depuis quelques temps, de la literie. Ce sont ces deux dernières catégories de produits qui sont les plus dangereux, mais aussi celles qui échappent à tout contrôle, comme le confirme Oumar Togola, douanier. Au Mali, « seuls les frigos et les ordinateurs usagers sont contrôlés car ils peuvent contenir des produits dangereux pour la santé et l’environnement. Les friperies ne sont pas contrôlées. Il n’y a pas de texte qui interdit l’importation de ces produits au Mali », explique-t-il. Pourtant, elles représentent un danger pour la santé. Ces habits peuvent « exposer celui qui les utilise aux mycoses, infections dues à un champignon et autres maladies de peau, pour n’évoquer que celles-là. Les femmes sont d’ailleurs particulièrement exposées, elles qui se fournissent jusqu’aux sous-vêtements chez les vendeurs de « yougou-yougou », souvent mal nettoyés, non traités avant usage. Même si les commerçants de friperie défendent leurs produits et assurent qu’ils ne sont pas nuisibles pour la santé. « Tous les habits sont bien lavés. J’ai passé deux ans dans ce métier mais je n’ai jamais eu une balle où des habits sont sales. Il y en a qui ne sont pas lavés mais la plupart de ces habits sont neufs », dit Amidou, un vendeur de friperie, qui oublie de préciser qu’un produit est répandu dans lesdites balles pour protéger les vêtements des mites pendant le transport, et qu’il n’est pas sans effet sur la santé humaine…

Les véhicules d’occasion, pollueurs ambulants

Depuis les années 1990, l’importation des voitures de tourisme usagées, la vente de voitures d’occasion est devenue une activité dynamique au Mali et l’on a vu se déverser sur le marché les véhicules « amortis » d’Europe et depuis peu de l’Amérique du Nord. Devenus indésirables sous d’autres cieux, car ils ne répondent plus aux normes anti-pollution très strictes de ces pays exportateurs, ils sont expédiés vers l’Afrique pour être commercialisés, alors qu’en principe, ils ne résisteraient pas à une visite technique. « Le Mali est la destination de choix, la demande est exponentielle », assure Gabriel A. S, expert automobile à la Direction régionale des transports de Bamako. Au Mali, aucune restriction n’est faite à ce jour concernant l’âge et l’amortissement des véhicules d’occasion, contrairement au Sénégal qui interdit l’importation de véhicules d’occasion âgés de plus de 8 ans. D’autres pays ont pris des mesures similaires : le Gabon a fixé la limite d’âge à 4 ans, le Nigeria à 10 ans et l’Algérie à 3 ans, une manière de protéger son industrie locale. Selon Ousmane Camara, vendeur de véhicules d’occasion à Bamako, « il faut reconnaître que de nombreuses voitures en provenance de la Belgique et de l’Espagne, où se tiennent les marchés les plus importants dans le domaine, sont des automobiles en fin de course avec des compteurs trafiqués, des cartes grises douteuses et des contrôles techniques fantaisistes ».

Pour Alassane Bouaré, transitaire à Kouremalé, les véhicules à essence ayant atteint 200 000 km de conduite et ceux en moteur diesel ayant atteint 300 000 km sont moins performants et donc plus polluants. Ils devraient normalement être envoyés à la casse, et non venir rouler sur nos routes. Constat confirmé par Amara Kanté, mécanicien et vendeur de véhicules : « plus la voiture est vielle, plus elle a des effets néfastes sur l’environnement et donc sur la santé des usagers de la route ».

Carburant, la « qualité malienne » ?

L’enquête « Dirty diesel » (carburant sale) de l’ONG suisse Public Eye, qui dévoile les pratiques peu scrupuleuses des géants du négoce pétrolier suisses, qui écoulent en Afrique des carburants dont la teneur en soufre est entre 200 et 1 000 fois plus élevée qu’en Europe, a fait l’effet d’une bombe au Mali. Elle interroge encore une fois sur ce marché africain où le manque de contrôle et la seule volonté de profit justifie tout. Au vu de la croissance urbaine qui suit une courbe exponentielle, accompagnée par le nombre de véhicules, la qualité du carburant et son impact environnemental est un sujet crucial. Plus des deux tiers des échantillons prélevés dans le cadre de cette enquête contiennent un taux de soufre supérieur à 1 500 parties par million (ppm). Dans ce tableau déjà noir, le cas du Mali est le plus alarmant avec une pointe à 3 780 ppm, alors que la limite est de 10 ppm en Europe (qui est passée de 2 000 ppm à 10 ppm de soufre en 23 ans de 1993 à 2016). Or, il est reconnu que ces carburants issus de mélange avec des produits toxiques, sont particulièrement nocifs pour l’environnement et la santé. L’explosion du marché de l’automobile a été suivi d’une demande accrue en carburants alors que les législations moins strictes et le contrôle moins contraignant qu’ailleurs, permettent d’écouler ces carburants mélangés, dangereux, et que le consommateur achète pourtant cher à la pompe.

Ce n’est pas la première fois que des produits réputés toxiques sont écoulés en Afrique. La société Transfigura épinglée par l’enquête Public Eye, dont le chiffre d’affaires annuel dépasse de très loin le produit national brut (PNB) de beaucoup d’États africains, avait déjà connu un scandale en 2006. Ce géant pétrolier avait déversé des déchets toxiques en Côte d’Ivoire, suite à la fabrication de carburants bon marché dont le raffinement avait généré des tonnes de déchets, qu’il lui aurait coûté très cher de retraiter en Europe.

Au Mali, comme dans les autres pays visés par cette « qualité africaine », les populations semblent se résigner, faute de moyens, et supportent sans finalement vraiment savoir à quoi on les expose…