La sécurité est aussi un défi de gouvernance

Au Mali, la politique sécuritaire n’ignore pas les contradictions. Bien au contraire, elle se forge depuis plusieurs années sur les défis inhérents à ces contradictions. Si ces contradictions ont plus ou moins été contenues suivant les épisodes, force est de reconnaître que depuis un peu plus d’une décennie la rapidité et la violence avec laquelle la situation s’est détériorée et enlisée interroge ! Les causes de cette détérioration sont multiples et ont pour racines à la fois des conjonctures ex situ et in situ qui participent, dans un sens ou dans l’autre, d’une crise de l’État.

En référence aux conjonctures ex situ, sur lesquelles nous n’allons pas nous appesantir, comme une impression de déjà vu : le monde est ébranlé par des tensions géopolitiques et géostratégiques qui prennent des allures de remake de la Guerre froide. Ces tensions se sont progressivement inscrites en filigrane dans le Sahel sous la forme de présences de groupes armés terroristes, sous la forme de défiance de l’autorité des États et sous la forme de la présence de forces étrangères et d’opérations militaires de sécurisation.

En référence aux conjonctures in situ, nous pouvons les schématiser et les caricaturer en trois temps. Un premier temps que nous pouvons qualifier de « sécurité sûre d’elle », ou le Mali, au lendemain de l’avènement du pluralisme, s’est quelque peu reposé sur ses lauriers. En atteste la politique tacite de déconstruction des forces de défense et de sécurité comme institutions toutes puissantes. En atteste également une certaine indifférence concernant le renforcement des capacités de ces forces. À titre d’exemple, sur la problématique des différentes politiques et prémices de vision stratégique mises en œuvre, à tort ou à raison, au lendemain de la chute du tout puissant régime militaire de Feu Moussa Traoré, une lecture du document de l’Étude prospective Mali 2025 réalisée en 1999 prouve, si besoin en est, que les questions sécuritaires ne constituaient plus ou pas une priorité pour les acteurs du mouvement démocratique.

Un deuxième temps que nous pouvons qualifier de prise de conscience, en ce sens que les événements, les conjonctures nationales et internationales et le contexte géopolitique et géostratégique ont progressivement imposé la nécessité d’apporter des réponses efficientes et durables aux différentes tensions et aux crises nées ou en gestation. Cette prise de conscience à naturellement imposé le choix du renforcement des capacités des forces de défense et de sécurité face aux menaces qui se sont métastasées à une allure que beaucoup d’experts et de spécialistes n’ont pas vu venir. Des supposés velléités irrédentistes de 2006 en passant par la criminalité organisée, notamment l’affaire « Air cocaïne », les trafics en tous genres et les enlèvements contre rançons, la chute du régime Kadhafi, avec pour ramifications les multiples événements au Mali de 2011 à 2013 et la présence accrue des forces centrifuges, l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, les conflits communautaires, l’extrémisme violent et la profusion des supposés milices d’autodéfense, la réforme du secteur de la Sécurité, dont la mise en œuvre est toujours en cours, a donné lieu à la Loi d’orientation et de programmation militaire. Autant d’évènements, de contextes et d’enjeux qui ont fini par mettre en lumière la fébrilité de l’architecture sécuritaire du Mali et la nécessité de changer de paradigme en outillant les forces de défense et de sécurité en général et la Grande muette en particulier de capacités de nature à leur permettre de faire face aux multiples défis sécuritaires qui se posaient au pays.

Un troisième temps, que nous pouvons qualifier de « temps du tâtonnement et de la marche timide», en ce sens que si les événements ont imposé le choix de réformes et si des efforts ont été consentis, donnant lieu à des résultats, fussent-ils des bribes au regard des défis et des enjeux, force est de reconnaître que nous sommes très en deçà de ce qu’auraient dû être les avancées comparativement à la complexité des maux. La sécurité a certes été réfléchie, mais pas suffisamment réfléchie dans sa dimension holistique. Elle est encore restée en grande partie la chose des militaires et du presque tout militaire. Or la nature du défi aujourd’hui impose une dynamique sécuritaire qui s’inscrive dans un cadre plus global de gouvernance vertueuse et de redistribution juste et équitable des ressources et des revenus. Une victoire ou un succès militaire qui ne s’inscrivent pas en filigrane dans une stratégie économique, sociale et solidaire resteront un court succès. Ceci pour dire qu’au-delà des capacités militaires et de leur complexité le véritable défi reste celui de la gouvernance.