Abdoul-Karim KANADJIGUI, Directeur Général Delta Voyages : « Il faut qu’on s’organise un peu mieux à l’échelle nationale »

Parmi les premières agences de voyages à organiser le pèlerinage, Delta Voyages a vu sa part de marché se réduire comme beurre au soleil. Elle tente de s’adapter face à une concurrence de plus en plus rude.

Présentez-nous votre agence
Delta Voyages existe depuis 1990 et est l’une des plus anciennes agences de tourisme du Mali. Elle compte aujourd’hui cinq employés. Auparavant, c’était l’État qui s’occupait de la grande partie des pèlerins, puis il s’est replié au profit des agences privées, mais leur nombre trop important fait qu’il est difficile d’être rentable avec les chiffres que nous faisons sur le hadj. Au lieu que certaines agences aient 600 pèlerins, elles se retrouvent avec 300 ou 400… Le fait qu’on ait fait des regroupements de trois, quatre, voire cinq agences, permet de faciliter la gestion en faisant des économies d’échelle, par exemple sur le recrutement des agents d’encadrement qui sont mutualisés.

Comment vous en sortez-vous ?
Nous avons décidé de nous replier sur la vente des billets. Le pèlerinage est devenu pour nous une activité secondaire, parce qu’elle n’est plus aussi lucrative qu’avant. Imaginez, nous sommes passés de 50 pèlerins en 2014 à 30 cette année, ce n’est vraiment pas rentable surtout qu’il y a tous les couts organisationnels à prendre en compte. Nous nous focalisons donc sur la vente des billets et nous travaillons avec les administrations, les ONG, etc. On observe maintenant des gens qui font le choix de ne pas partir avec les charters. Ils paient leurs billets et se rendent à la Mecque par vol régulier. D’ailleurs, nous avons fait ce choix cette année et nos pèlerins vont partir avec Turkish Airlines, qui garantit de partir et de revenir à temps, contrairement aux charters qui souvent sont en retard de plusieurs heures, voire plusieurs jours, ce qui se répercute sur tout le voyage.

Comment améliorer la qualité de l’organisation du pèlerinage ?
Il faut qu’on s’organise un peu mieux à l’échelle nationale. Il faut rendre plus strict encore la délivrance des agréments pour les agences de voyages qui proposent le pèlerinage. Apprendre aux gens à respecter les horaires, maintenir la discipline… Nous sommes le reflet de ce qui se passe chez nous, nous ne sommes pas organisés. Nous n’avons pas cette culture là, et cela se répercute dans ce qui se passe là-bas.

Des produits bancaires adaptés

Au Mali, les banques proposent des produits d’épargne pour permettre de faire face aux frais nécessaires au pèlerinage, de même que pour laisser suffisamment de moyens à leur famille durant leur absence. Des prêts bancaires ou crédits peuvent aussi être proposés, mais le « Riba » (prêt à taux usuraires), doit être réglé avant de commencer le pèlerinage. « Certains utilisent ces comptes, mais très généralement les gens payent cash. S’endetter pour aller au Hadj est mal vu. On ne s’endette pas pour faire le pèlerinage », explique Samba, qui l’a lui-même effectué en 2011, en économisant pendant 2 ans hors des circuits bancaires. Le budget nécessaire pour le pèlerinage dépasse les 2 millions de francs CFA (2,4 millions en 2016). Cet argent permettra de rémunérer l’agence qui organise le séjour (logement, nourriture, transport entre les différents sites) et d’accomplir les rites de la foi. Les banques proposent aussi des cartes de paiement et de retrait spécifiques, ce qui limite les risques de perte ou de vol d’espèces, et sécurise ainsi la famille qui peut recharger la carte à tout moment. Du côté des assureurs, on se plie également en quatre pour les pèlerins. Des contrats spécifiques leur proposent une prise en charge de tous les risques éventuels (frais médicaux, rapatriement en cas de décès, perte de passeport), une assistance adaptée qui permettra à l’assuré de se consacrer entièrement à son hadj tout au long du séjour.

C’est quoi le hadj ?

« Et à Dieu le devoir sur les êtres d’accomplir le pèlerinage de la demeure, pour quiconque en a les moyens. Quant à celui qui se rend ingrat, Dieu est certes au-delà des mondes. » Ainsi parle le Coran du pèlerinage à la Mecque, dans la sourate 3, verset 97.

Cinquième pilier de l’islam, le hadj, qui signifie littéralement « sortir pour se rendre à un endroit », est obligatoire pour toute personne soumise aux obligations religieuses et qui en a les moyens. Ces moyens sont définis, par les jurisconsultes, comme étant la capacité physique de supporter le rituel du pèlerinage, les frais pour le voyage ainsi que la possibilité de laisser suffisamment d’argent à sa famille. Dieu a ordonné le hadj et ses rites du temps du prophète Abraham, qui a construit la Kaaba avec son fils Ismaël. Abraham revenait chaque année à la Mecque afin d’y accomplir le hadj. Mais la pratique fut dévoyée après sa mort, l’idolâtrie ayant gagné l’Arabie. C’est dans ce contexte qu’est arrivé le prophète Muhammad (PSL), qui a débarrassé la Kaaba de toutes les idoles et rétabli les rites établis par Abraham sur la permission de Dieu. Toutes les pratiques pré-islamiques, n’ayant de fondement autre que l’ignorance, ont été écartées pour faire du hadj un évènement basé sur la piété, la simplicité, la sobriété, la pureté, la crainte de Dieu. Pour faire le pèlerinage, il faut être musulman, responsable (pubère et saint d’esprit), et l’accomplir durant les trois derniers mois du calendrier hégirien, soit quelques semaines avant la fête de Tabaski. Comme d’autres pratiques cultuelles, il comporte aussi des rites à observer : l’entrée en état de sacralisation à partir des lieux fixés à cet effet (Ihram), la circumambulation (Tawaf), la marche entre Safa et Marwa (Sa’y), le stationnement à Arafa, le séjour nocturne à Mouzdalifa, la lapidation des stèles (Djamra), et l’immolation d’un sacrifice.

Quotas, la question qui fâche

Pour le pèlerinage à la Mecque, chaque pays a un nombre maximum de pèlerins qu’il peut faire voyager. Il est normalement calculé sur la base de 1 000 pèlerins pour 1 million d’habitants. Le Mali n’en a pour l’instant que 9 000, dont 1 500 voyagent avec la filière gouvernementale, prise en charge par la Maison du hadj, qui organise l’avant, le pendant et l’après pour le compte de l’État. La filière privée, qui regroupe toutes les agences de voyages, envoie elle 7 500 pèlerins, également bénéficiaires de l’accompagnement de la structure d’État, en terme de formation par exemple. Il faut cependant noter qu’en ce qui concerne la répartition du quota des privés, chaque année apporte son lot de complications. La première raison en est l’augmentation exponentielle du nombre d’agences, passées de 5 il y a une vingtaine d’années, à plus de 200 aujourd’hui. « Ce qui fait que chaque agence se retrouve avec une portion congrue du marché », déplore un responsable d’agence, selon lequel l’immixtion du ministère du Culte n’arrange rien à la situation. « Nous nous étions organisés, mais maintenant, l’État veut décider combien de personnes nous devons amener. Si tu partais avec 100 personnes et qu’aujourd’hui tu n’en as plus que la moitié, comment peux-tu être rentable ? », s’interroge-t-il.