Grèves des enseignants : Jusqu’où iront-ils?

Les grèves des enseignants de l’éducation publique s’enchainent. De 72 heures à 240, la durée s’accroit à chaque débrayage. Si l’État du Mali a à maintes reprises conduit des négociations avec la  Synergie des syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016, à l’origine du mouvement, un accord total sur les doléances n’a toujours pas été trouvé. La situation, qui n’en finit pas de perturber le déroulement normal de l’année scolaire, n’est pas sans conséquences. Les inquiétudes vont grandissant chez les élèves de l’enseignement public et leurs parents quant à une bonne issue de l’année scolaire, d’autant plus que les cours continuent normalement dans les écoles privées. Un dénouement rapide de la « crise » devient plus que jamais urgent.

Lundi, 12h 34. Aux abords du lycée Mamadou Sarr, pourtant habituellement bondés d’élèves à la sortie des classes, l’ambiance n’a rien d’un début de semaine à l’école. Dans la cour quasi vide, pas de trace d’élèves. Un peu plus loin, à l’intérieur, un groupe de garçons, assis sur des tables-bancs hors des salles de classe, discute avec entrain. À quelques mètres d’eux, trois filles en tenues scolaire, visiblement lasses, avancent vers la sortie. « Nous étions venues voir si aujourd’hui les cours reprendraient, mais ce n’est pas le cas », affirme l’une d’entre elles. Et l’attente risque encore de se prolonger.

À Lafiabougou, du côté de l’école fondamentale Aminata Diop, les salles de classe sont carrément toutes fermées. Aucun élève présent sur les lieux. Non, ce ne sont pas encore les congés. Cette situation résulte de la grève de 10 jours en cours depuis le 21 janvier dernier dans les établissements publics du fondamental et du secondaire. Une grève qui résulte d’un énième échec des négociations entre les syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016 et le gouvernement.

Pléiade de revendications

Les doléances des syndicalistes se résument en 10 points. D’abord, les octrois des  primes de documentation et de logement. Ensuite l’adoption immédiate du projet de décret portant plan de carrière du personnel enseignant de l’enseignement secondaire, de l’enseignement fondamental et de l’éducation préscolaire et spéciale en Conseil des ministres.

Les revendications continuent : la finalisation du processus de régulation administrative et financière des sortants de l’ENSup au même titre que ceux de l’ENI et de l’IPR-IFRA ainsi que de toutes les grandes écoles, l’application effective et immédiate du décret N°2016-0001/P-RM du 15 juin 2016 fixant les conditions et les modalités d’octroi de l’indemnité de déplacement et de mission et la relecture immédiate du décret N°529/P-RM du 21 janvier 2013 portant allocation d’indemnités au personnel chargé des examens et concours professionnels en ses articles 1, 2 et 3.

Les syndicats exigent par ailleurs l’organisation sans délai de l’élection professionnelle du secteur de l’éducation et la création des organes prévus par le décret N°2018-0067/P-RM du 26 janvier 2018 fixant les modalités d’application du statut du personnel enseignant de l’enseignement secondaire, de l’enseignement fondamental et de l’éducation préscolaire et spéciale.

La synergie réclame également l’annulation des décrets N°2018-0800/P-RM du 19 octobre 2018, fixant les attributions spécifiques des membres du gouvernement et N°2018-0801/P-RM du 19 octobre 2018, portant répartition des services publics entre la Primature et les départements ministériels, ainsi que l’intégration dans le corps des enseignants du personnel non enseignant en classe.

Enfin, le dernier point reste l’accès des enseignants fonctionnaires des collectivités territoriales aux services centraux de l’État. « Pour le moment, nous avons cinq accords totaux, un accord partiel et quatre désaccords », indique Amadou Coulibaly, secrétaire général de la Syneb, l’un des responsables de la Synergie des syndicats . « Nous attendons de finir les 240 heures pour déposer un autre préavis de grève. Nous continuerons tant que nous n’aurons pas satisfaction », clame t-il.

Conséquences multiples

S’il est vrai que la grève n’empêche pas d’autres enseignants, notamment dans les écoles privées, de continuer les cours, l’année scolaire, sur le plan global, est gravement menacée. Pendant que certains se rendent normalement à l’école, d’autres élèves maliens sont privés de ce droit fondamental. Mais, au final, ils seront tous soumis aux mêmes épreuves lors des différents examens de fin d’année.

Au-delà de la menace d’une année avec un très grand taux d’échec des élèves, vers laquelle on se dirigerait si des mesures ne sont pas prises tôt, la question même de la baisse du niveau de l’enseignement et des apprenants se pose avec acuité dans ce contexte de grèves répétées. « D’abord, on sait que le niveau, de façon générale, est bas. Maintenant, avec ces grèves à répétition, il va chuter de façon drastique. Il y a du découragement tout de suite, parce que l’élève a perdu le rythme de progression et que les enseignants eux même, après cette longue grève, n’ont plus le courage », déclare Djimé Sow, enseignant à la retraite. Pour cet ancien, qui a passé 33 ans dans l’enseignement avant de rendre le tablier en décembre dernier, l’une des inévitables conséquences de la situation que traverse l’école malienne actuellement sera un échec en masse au plan national. « L’échec est clair. Dès lors que 3 jours de cours sont ratés, nous ne sommes plus dans les normes pédagogiques. Il y a un certain nombre d’heures dans l’année qui représente le temps réel d’apprentissage. Une fois qu’il n’est pas atteint, cela se sent », explique t-il.

Selon lui, ce temps n’est pas rattrapable et même si les programmes viennent à être épuisés, ce serait sans la manière, ce qui fausserait l’objectif principal de former des élèves avec un bon niveau.

Élèves et parents inquiets

Les élèves, qui subissent de plein fouet l’arrêt des cours dû aux grèves répétées de leurs enseignants, sont inquiets. Entre l’incapacité d’aller à l’école tout comme leurs camarades du privé et la persistance d’une situation qui ne semble pas présager d’un dénouement heureux de sitôt, ils se sentent de plus en plus lésés. « Je suis très inquiet. Nous venons chaque matin voir s’il y aura des cours ou pas, mais toujours rien. Je ne connais pas l’objectif des professeurs, mais la grève a beaucoup de conséquences. Ce sera compliqué pour nous si nous ne parvenons pas à suivre normalement nos cours avant les examens », déplore Siaka Djiré, élève en TSEco au Lycée Mamadou Sarr. « Je pense qu’il est temps que les professeurs arrêtent de faire grève, parce que bientôt c’est le trimestre. Nous n’avons pas de leçons dans nos cahiers alors que les autres suivent les cours. Nous, nous restons à la maison à ne rien faire », lance pour sa part Maimouna Mallé, élève en 10ème année dans le même lycée, visiblement très affectée par la situation.

Les parents d’élèves, pour qui les grèves sont également très déplorables, se désolent de la non résolution de la crise, qui n’a que trop duré. Certains pensent même que l’État ne prend pas très au sérieux les revendications des syndicalistes, vu que les mêmes doléances, qui ne datent pas d’aujourd’hui reviennent à chaque fois. « Ce qui est désolant, c’est de voir des enfants, même si c’est une dizaine, qui ne vont pas à l’école pendant que les autres continuent. Si ce rythme perdure au niveau du second cycle, ce sera la catastrophe aux examens, parce que les sujets ne sont pas choisis en fonction des jours non travaillés », s’alarme Yacouba Lamine Dembélé, Secrétaire général de la Fédération nationale des associations de parents d’élèves du Mali. Une fédération qui fait partie de la commission de conciliation mise en place pour mener les négociations et qui s’emploie à sa manière pour faire bouger les lignes. « Par rapport à la situation actuelle, nous demandons simplement  une certaine flexibilité de la part des uns et des autres, parce que, dans une négociation de ce genre, il faut faire des concessions », souligne M. Dembélé.

Mais, visiblement, le terrain d’entente est encore loin d’avoir été trouvé entre les différentes parties. Au point que les syndicats ont d’ores et déjà déposé un nouveau préavis de grève de 15 jours à compter du 13 février 2019. Jusqu’où ira le bras de fer ? En tout cas, l’horizon n’est guère dégagé. Pour l’élève malien, le supplice continue.