Mali – Entre grèves et Covid-19 : Les opérateurs économiques pataugent

Les banques sont affiliées à l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM). Du 14 au 18 décembre, elles ont suivi le mot d’ordre de grève de leur centrale syndicale. Cet arrêt de travail de cinq jours a entraîné de lourdes conséquences sur les activités des opérateurs économiques maliens, qui n’entendent plus endurer une telle situation. Et, la Covid-19 s’y mêlant, c’est une fin d’année poreuse qui se profile pour les acteurs de l’économie.   

« Quand un cultivateur trouve qu’il y a beaucoup d’herbe dans son champ et qu’en retour tu lui retires sa daba, alors comment devient le champ ? Il est foutu. Le commerçant, sa daba c’est l’argent. S’il n’arrive pas à y avoir accès, c’est problématique. Durant cette grève, toutes les transactions financières, tout ce qu’il y a comme drainage de marchandises vers le pays, ont été bloqués », caricature Sanou Sarr, Président de la Fédération des PME-PMI du Mali. Il explique que la grève de l’UNTM, suivie par les banques, a fortement contribué au ralentissement des activités des opérateurs économiques. Et c’est pour « ne plus prendre la douleur d’un fouet tapé sur un autre » que neuf faîtières d’opérateurs économiques se sont réunies à la Chambre du commerce, le mardi 22 décembre, pour exprimer leur mécontentement. Elles ont envoyé une demande d’audience à l’Association professionnelles des banques et établissements financiers (APBEF) afin de dégager la voie pour leurs activités en temps de grève. Plusieurs opérateurs économiques en colère proposent déjà de boycotter les banques durant 15 à 30 jours pour se faire respecter. « Aujourd’hui, nous ne pouvons rien faire sans les banques. Les besoins du Mali en termes d’importations et d’exportations en ciment, par exemple, s’élèvent à 80 millions de tonnes par an, soit plus de 8 000 tonnes par jour. Toutes les transactions financières s’effectuent à travers les banques, que ce soit ici, au Mali, ou à Dakar. Ainsi, tout arrêt de travail des banques nous met les bâtons dans les roues », poursuit Lamine Traoré, Président de l’Association des commerçants détaillants de ferrailles et de matériaux de construction du Mali. « Quand un commerçant voyage, il lui est impossible de laisser son argent à la banque. Il lui faut le retirer et le changer en devises étrangères pour que les opérations puissent être faciles. Durant cette semaine de grève, beaucoup ont été incapables d’aller en voyages d’affaires et d’autres sont restés bloqués dans des pays étrangers à cause de problèmes de liquidités pour leurs transactions commerciales », renchérit Ibrahim Maïga, Président de l’Association des commerçants voyageurs du Mali et de la diaspora malienne. Pour Cheick Oumar Sacko, Président du Syndicat national des commerçants détaillants du Mali (SYNACODEM), les banques, ainsi que l’État, sont des partenaires. Cependant, il pointe du doigt l’arrêt des activités bancaires comme un facteur à risques pour les opérateurs économiques. Les banques étant fermées, il leur était impossible de procéder à des versements, ce qui leur a posé un problème de sécurité.

Covid-19 Dans sa riposte contre le nouveau coronavirus, le Mali a décrété l’État d’urgence le 18 décembre dernier. Les rues marchandes, l’une des activités économiques phares, ont été fermées jusqu’au 4 janvier prochain. De quoi en rajouter à la peine des opérateurs économiques, qui avaient déjà beaucoup investi pour l’installation des stands, l’acheminement de l’électricité, la sécurité, etc. « Les commerçants tirent la moitié de leurs revenus des fêtes de fin d’année. Tout était fin prêt pour les rues marchandes et le gouvernement décide de leur annulation, alors que déjà des centaines de millions ont été dépensés. Chaque stand coûte au moins 10 millions de francs CFA pour être opérationnel.

Nous sommes conscients qu’il s’agit de la sécurité sanitaire de la population, mais nous pensons qu’avant d’en arriver là on pouvait réfléchir à d’autres pistes de solutions. Néanmoins, nous respectons la volonté des autorités, mais nous allons demander à ces dernières de réparer, à l’aide du fonds Covid, tout désagrément que cette annulation aura causé », explique Cheick Oumar Sacko.

Crise sociopolitique : Les enseignants entrent dans la désobéissance civile

Les principaux syndicats de l’éducation de l’enseignement fondamental ont décidé, mercredi 15 juillet dans un communiqué conjoint, d’arrêter les cours en respect du mot d’ordre de désobéissance civile du M5-RFP. Cela fait suite à l’adhésion de leurs centrales syndicales, la Confédération Syndicale des Travailleurs du Mali et la Centrale Démocratique des Travailleurs du Mali (CDTM), au M5-RFP.

Le communiqué conjoint appelle également les enseignants à  « sortir massivement le vendredi 17 juillet 2020 pour la prière collective pour le repos éternel » des personnes mortes à la suite des contestations.

Après plus de six mois de grèves, les enseignants avaient regagné les classes à la suite d’un accord le 17 juin avec le gouvernement qui s’est engagé à appliquer l’article 39. Après un mois de cours, c’est donc vers la fermeture des classes au niveau fondamental qu’on s’achemine.

Le Syndicat National des Enseignants Fonctionnaires des Collectivités Territoriales (SNEFCT), le Syndicat National de l’Education de Base (SYNEB) et le Syndicat Libre de l’Enseignement Fondamental (SYLDEF) sont concernés par le mot d’ordre de désobéissance civile.

Boubacar Diallo

Éducation : Le grand désordre

Après une année scolaire 2018 – 2019 « sauvée » de justesse, l’année scolaire 2019 – 2020 ne s’annonce pas plus sereine. Les 120 heures de grève déclenchées le 16 décembre 2019 ont été reconduites et un préavis pour 14 jours de grève est prévu à partir du 21 janvier 2020 par tous les syndicats de l’enseignement public. Ces mouvements récurrents, symboles des difficultés de gestion de l’école, cachent un mal plus profond, qui gangrène l’éducation malienne depuis plusieurs décennies. Programmes inadaptés, système non harmonisé, enseignants mal formés… Si les maux sont bien connus,  les solutions semblent lointaines, tant la vision commune et la volonté politique pour leur mise en œuvre sont inexistantes.

« Le peuple se désagrège à cause de la mauvaise qualité de l’éducation et de la formation reçue par les apprenants. La crise que vit le pays est même en grande partie liée au dysfonctionnement du système éducatif. Soigner le mal du Mali, c’est sauver l’école », déclare en substance Koundya Joseph Guindo, Directeur national de l’enseignement catholique

Même si le tableau est bien sombre, cette situation n’est pas une fatalité, ajoute M. Guindo. Les maux qui minent l’école contribuent chaque année à la baisse de la qualité de la formation. L’école n’est plus une clé pour la réussite. Elle est même devenue « une prison », où l’on passe obligatoirement, mais sans motivation ni conviction. Ses problèmes sont ceux de la société malienne et ont pour noms : mal gouvernance, incivisme, corruption et violence.

Faiblesses récurrentes

Caractérisée par une « insouciance et un manque de projets de la part des dirigeants », l’école est comme laissée à elle-même. Le pays est même devenu « un champ d’expérimentation des innovations pédagogiques », relève M. Ousmane Almoudou, Secrétaire général du Syndicat national des enseignants fonctionnaires des collectivités territoriales (SYNEFCT).

Hérités des années de l’indépendance, les programmes d’enseignement ne sont plus adaptés à la réalité et ne répondent ni « aux attentes des apprenants » ni à celles de la société, note M. Guindo. Devenue une fabrique de chômeurs pour la grande majorité des sortants, l’école a besoin d’une réelle réforme pour leur redonner de la motivation. Pour les apprenants et les formateurs, elle doit redevenir attrayante. Redonner du sens et recouvrer le caractère sacré du rôle du maître relèvent de la responsabilité des autorités. Et la motivation n’est pas que matérielle, précise M. Guindo. Il s’agit de promouvoir le mérite et d’attribuer les responsabilités en fonction des compétences, afin que ceux qui travaillent ne soient pas frustrés. Mais, à l’école plus qu’ailleurs, la corruption a tellement gagné du terrain que même ceux qui n’ont aucune qualité peuvent prétendre aux emplois, parce qu’ils bénéficient d’un appui.

Souvent recrutés parce qu’ils « ont échoué ailleurs », les enseignants n’ont plus la vocation et leur rôle « sacré » est mis à mal par l’existence d’autres « instances éducatives » et une globalisation synonyme de perte de repères et d’identité.

L’école publique malienne est gérée par 2 ministères : celui de l’Éducation et celui des Collectivités. Les enseignants de la fonction publique des collectivités, gérés par les maires, représentent 80% du total. Les Directeurs des Centres d’animation pédagogiques (CAP), désignés par l’État et censés assurer la tutelle, n’ont aucune prise sur ces derniers, dont ils ne sont plus les supérieurs hiérarchiques, « ce qui pose un problème », ajoute M Guindo.

À quelques kilomètres de la ville de Bamako, il n’est pas rare de trouver des écoles de 6 classes pour 3 enseignants ou même dans le Mali profond tout un cycle ne comptant qu’un enseignant ou deux, témoigne M. Guindo. Une situation de sous-effectifs où la qualité de l’enseignement devient un objectif impossible à atteindre. Ces problèmes de gouvernance sont aggravés par la gestion calamiteuse des mouvements de grève au sein de l’école. Après les « acquis » de l’année dernière, c’est un nouveau motif qui justifie les sorties de cette année. S’il ne s’agit pas d’une nouvelle revendication, l’application de l’article 39 du Statut du personnel enseignant, censé faire bénéficier cette corporation de l’augmentation de 20% des salaires obtenue par l’UNTM en janvier 2019 voit les arguments des autorités loin de convaincre leurs interlocuteurs.

« Malheureusement, rien ne nous montre que l’État a des conditions financières difficiles. Quand l’augmentation a été accordée, le pays était déjà en guerre. D’autre part, les dépenses faramineuses des responsables de l’État n’ont pas cessé, donc cet argument ne tient pas », rétorque le Secrétaire général du SYNEFCT. Ce dialogue de sourds oblige tous les acteurs de l’école à s’impliquer pour sortir d’une crise qui n’a que trop duré.

Responsabilité collective

Pour stopper la dégradation continue de la situation de l’école, même si le rôle régalien d’assurer l’éducation est incontournable pour les gouvernants, chaque acteur a ses responabilités.

Mais toutes les solutions aux difficultés de l’école resteront inefficaces sans une formation de qualité des enseignants. Assurer une formation initiale et continue des professeurs suppose entre autres une « utilisation judicieuse des fonds » alloués à cet effet, suggère M. Guindo. L’État doit en outre continuer le recrutement et le redéploiement des enseignants là où cela est nécessaire. Les parents d’élèves, véritables « relais des autorités scolaires, doivent y être associés ».

Les enseignants, qui n’entendent pas se soustraire à leurs responsabilités, préconisent des « solutions holistiques ». Avec au préalable un « vrai dialogue social », qui permettra d’apaiser le front social et surtout d’anticiper les problèmes, le SYNEFCT propose un consensus entre tous les acteurs, surtout autour des programmes et du système d’enseignement.

En effet, s’il est essentiel de partager la stratégie, il est indispensable que l’État ait une vision et le courage d’adopter un nouveau système. Parce que ce qui est en cause, ce ne sont pas les curricula, par exemple, qui sont bons, selon les acteurs, c’est la qualité de ceux qui doivent les transmettre et surtout leur « survie ».

« Le problème est que l’État ne s’auto finance pas », regrette M. Abdourhamane Diallo,  Directeur coordinateur du groupe scolaire  Mamadou Konaté. Le projet CIRA, « renforçant » les acquis de la pédagogie convergente et les curricula, est soutenu par l’USAID depuis 2016. Il doit prendre fin cette année. « Mais nous ne savons pas quand il va être renouvelé ou si c’est l’État qui prendra le relais », ajoute-t-il.

Clivage public – privé

Cette méthode d’apprentissage, jugée efficace par les acteurs, est pourtant rejetée par les parents d’élèves.

« Pour les parents, on apprend aux enfants la langue bambara, par exemple, alors que c’est une manière par laquelle les enfants apprennent mieux. Les parents sont hostiles, ce qui explique la pléthore au niveau des écoles privées », explique M. Diallo.

Inaccessibles pour la plupart des parents d’élèves, en raison des coûts, ou souvent « taxées de fournir des résultats tronqués », les écoles privées demeurent nécessaires, car « l’État n’a pas les moyens d’assurer l’école à tout le monde », ajoute le Directeur national de l’enseignement catholique. Cet ordre d’enseignement, grâce aux subventions de l’État, pratique des coûts plus « modérés », justifiant la grande sollicitation dont il fait l’objet. « Nous avons plutôt un problème de capacités d’accueil  que de coût », ajoutent ses responsables.

Cette « disparité » entre le public et le privé se manifeste sur le terrain et impacte les résultats. « Depuis environ 4 ans, l’école publique n’a pas atteint 100 heures de travail annuel », au moment où le privé catholique effectue 120 heures et où la norme serait de 150 heures au moins pour un pays comme le Mali.

Mais, pour garantir la réussite des réformes nécessaires, il est impératif de « dépolitiser » l’école. Elle doit cesser d’être le terrain de jeu d’intérêts égoïstes et redevenir « une priorité » pour le développement, suggère le Dr Boureïma Touré, enseignant chercheur à la faculté des Sciences humaines et sciences de l’éducation.

École publique : Le cadet de nos soucis ?

Depuis le 19 décembre 2018, une série des grèves des syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016 paralysent l’école publique malienne dans  l’enseignement préscolaire, fondamental et secondaire. Les négociations entamées n’ont pas encore abouti à un accord définitif et, avec les évacuations des écoles privées par l’AEEM, le risque d’une année blanche se précise. La décision des syndicats, après leur rencontre avec le Premier ministre le samedi 16 mars, sera déterminante, à un moment où la mobilisation de la société civile croît  pour dénoncer ce bras de fer sur le dos des enfants.

« Ça me touche vraiment d’être à chaque fois à la maison. Ça fait des semaines qu’on n’étudie pas à cause de la grève. On ne pourra pas terminer nos programmes, ce qui va jouer sur notre niveau », confie Amadou Diarra, élève en 10ème au lycée technique de Bamako. En 2018, il a été admis au Diplôme d’études fondamentales (DEF), avec la moyenne de 18,17, devenant ainsi le premier national. Quelques mois plus tard, il participe au camp d’excellence qui réunit chaque année à Bamako les meilleurs élèves de toutes les régions du Mali et a la chance d’être félicité par le Président la République Ibrahim Boubacar Keita au palais de Koulouba. Aujourd’hui, comme des milliers d’enfants, ce petit génie est au bord de la désillusion, contraint de rester à la maison. La grève séquentielle déclenchée le 19 décembre 2018 par les syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016, prolongée jusqu’au 5 avril, n’a pas connu son épilogue. Si au début la situation n’émouvait pas la majorité des acteurs, de plus en plus des voix s’élèvent pour sonner l’alarme. En attendant, les obstacles demeurent.

L’impasse ?

Sur les dix points de revendications des syndicats, sept ont fait l’objet d’un accord. Après des rencontres sans succès avec la ministre du Travail et de la fonction publique, chargée des relations avec les institutions, les syndicats ont rencontré le samedi 16 mars le Premier ministre Soumeylou Boubeye Maiga. Celui-ci a fait des propositions. « Il y a trois points de blocage : la prime de logement, la relecture du décret 529/P-RM du 21 juin 2013 portant allocation d’indemnité au personnel chargé des examens et concours professionnels en ses articles 1,2 et 3 et l’accès des enseignants fonctionnaires des collectivités aux services centraux de l’État », rappelle Ousmane Almoudou Touré, secrétaire général du bureau exécutif du Syndicat national des enseignants fonctionnaires des collectivités territoriales (SYNEFCT), membre de la synergie. « Sur la prime de logement, le Premier ministre a accepté le principe, mais pense qu’il ne peut pas nous faire une offre chiffrée avant la fin du deuxième trimestre. Sur le point concernant l’accès des fonctionnaires des collectivités aux services centraux, il est plus ou moins d’accord avec le principe, mais demande qu’on installe cadre de travail pour voir alternativement quels sont les articles à revoir. Le troisième point, en guise de concession et de bonne foi, les syndicats sont disposés à le mettre de côté », rapporte le secrétaire général, qui indique que les bureaux nationaux réfléchiront les deux jours suivants la rencontre pour donner suite à ces différentes propositions.

Au ministère de l’Éducation Nationale, la question est sensible. « Aujourd’hui, c’est l’impasse. Le fait que l’école ne marche pas est plus un casse-tête pour nous que pour les autres. Dans toute lutte syndicale, tu prends ce que tu as obtenu et tu continues le travail. Mais dire tout où rien, surtout pour qui connait les réalités du Mali, c’est vraiment une manière de bloquer le système », proteste Mamadou Kanté, directeur national adjoint de l’enseignement fondamental. Il précise que leur « responsabilité est de mettre en œuvre la politique éducative. Cela embrasse tout le domaine, depuis les infrastructures et les matériels pédagogiques. La gestion du personnel est assurée par d’autres départements ».

Selon lui, si les deux camps parviennent à s’entendre, « il peut y avoir des possibilités des cours de remédiation ou de décalage des dates de fermeture, mais si chacun campe sur ses positions, l’espoir n’est plus permis », s’inquiète le directeur adjoint. Une urgence que reconnait le secrétaire général du SYNEFCT. « Même si la grève devait prendre fin aujourd’hui, il faudra prolonger l’année scolaire jusqu’à mi-juillet ou fin juillet pour rattraper le temps perdu. Mais si on continue encore deux semaines, ce sera très compliqué. C’est à l’État de décider ».

Le temps de l’action

« Les enfants à l’école et non dans la rue », « Un peuple sans éducation est un peuple sans avenir », ou encore « Trop c’est trop ». Tels sont certains messages des affiches brandies par les femmes de la plateforme Am be Kunko (Notre affaire à tous) samedi dernier devant la Bibliothèque nationale à Bamako. Un premier meeting pour interpeller les acteurs de l’école malienne sur la longue attente des élèves. « Nous avons organisé ce meeting à cause de la situation des enfants, parce qu’ils ne vont pas à l’école. Nous n’avons pas besoin d’une année blanche », se justifie Madame Coulibaly Moiné Dicko, présidente de la plateforme. Pour cette mère ayant quatre enfants à l’école, « les lignes doivent bouger. Il s’agit pour nous de dire au gouvernement que nous sommes inquiètes pour l’avenir de nos enfants. Ce sont les mamans qui paient les inscriptions et notre combat d’aujourd’hui est juste», plaide-t-elle.

Au même moment, d’autres femmes leur emboitent le pas pour que les élèves retrouvent le chemin de l’école. « Nous avons constitué le collectif des mamans pour sonner l’alarme et nous comptons organiser une marche blanche ce samedi. C’est pour dire au gouvernement et aux maitres d’arrêter de prendre nos enfants en otage », annonce Fatoumata Coulibaly, présidente du collectif. Alors que l’année scolaire tend dangereusement vers sa fin, ces femmes sortent désormais du silence pour secouer les décideurs.

« J’ai mon fils qui est à la maison et qui doit passer le DEF cette année. Il a commencé l’année motivé, tellement fier de pouvoir passer cet examen à 12 ans! Mais c’est décourageant de voir qu’il ne le pourra peut-être pas ». Elle renchérit : « c’est lui d’ailleurs qui m’a appelé pour me dire Ma, on nous a encore fait sortir. Qu’est-ce que vous pouvez faire pour qu’on reste en classe ? ». C’est une question qui m’a fait mal, parce que nous sommes censés être les protecteurs et qu’il est encore plus désolant que les parents soient restés sans réagir jusqu’à présent », se désole la présidente du collectif.

L’école, le cadet des soucis ?

« L’école, c’est notre sacerdoce, c’est vraiment une  priorité pour nous. Malgré la crise que nous connaissons, environ 37% du budget alloué à l’éducation est resté intact. Mais il faut reconnaitre également qu’à cause de la crise, d’autres priorités sont venues nous tordre la main et nous forcer à mettre l’accent sur d’autres aspects que l’école seulement », souligne Mamadou Kanté. Un langage que les parents d’élèves et les syndicats peinent à croire.

« Pendant les négociations avec la ministre du Travail, elle n’a pas cité parmi les priorités du gouvernement l’éducation. Nous le lui avons rappelé. En tant que syndicats d’enseignants, nous mesurons toute notre responsabilité. Nous savons que les semaines perdues auront un impact sur les enfants, mais si chacun y met du sien, nous pouvons encore rattraper le temps perdu », insiste le secrétaire général du SYNEFCT. C’est dans ce contexte d’immobilisme et d’une école délaissée que le mouvement SOS école, composé d’activistes, d’influenceurs, d’associations et de leaders d’opinions est né. « Nous avons senti que les gens ne s’intéressaient pas beaucoup à la grève qui frappe l’école, qui est l’avenir des enfants (…). En mettant  l’avenir de toute une nation en danger, on se demande si l’école est une priorité », se demande Ibrahima Khalil Touré, membre actif de ce mouvement qui se veut  « apolitique », avec pour seule « ambition la réouverture des classes ». Pour Fatoumata Coulibaly, la négligence dont souffre ce domaine primordial pour le pays est de trop. « Nous ne devions pas en arriver là et attendre que les femmes s’agitent pour que le Premier ministre reçoive les maitres. Je suis désolée », dit-elle, irritée.

Pour la plupart de ces acteurs, il ne s’agit plus aujourd’hui de sauver seulement une année, mais de sauver l’école malienne en opérant une réforme approfondie du système éducatif né en 1962. Mais au regard des tables rondes et séminaires tenus sur le sujet, le  problème n’est-il pas finalement les hommes, et non les textes ?

Education nationale : Après les grèves, la marche

La crise qui paralyse le secteur de l’éducation nationale n’en finit plus. Après les grèves répétitives des enseignants de l’école fondamentale et du secondaire, suivies de celles lancées par l’AEEM, la situation ne semble pas près de se décrisper. Les syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016 ont battu le pavé mercredi 6 mars pour exiger la satisfaction de leurs revendications.

Les enseignants ont été nombreux à répondre à l’appel de leurs syndicats sur toute l’étendue du territoire national. A Bamako, vêtus de rouge et affichant des messages relatifs à leurs doléances, ces hommes et femmes de l’éducation, plus que jamais déterminés à se faire entendre, ont marché depuis la place CAN dans l’ACI 2000, jusqu’au rond pont Kwameh Nkrumah, en passant devant le siège du gouvernorat. « Nous avons pour objectif d’informer l’opinion nationale et internationale sur la crise actuelle que vit l’école malienne. Le gouvernement n’a pas honoré les points d’accords qui ont été obtenus depuis des années », explique Adama Fomba, secrétaire général du SYPESCO et porte-parole des syndicalistes.

Au cœur des blocages entre les enseignants et le gouvernement, reviennent trois revendications principales. L’octroi d’une prime de logement, la relecture immédiate du décret N°529 P-RM du 21 juin 2013 portant allocation d’indemnité au personnel chargé des examens et concours professionnels en ses articles 1, 2 et 3, ainsi que l’accès des enseignants fonctionnaires des collectivités territoriales aux services centraux de l’Etat.

Dans la déclaration finale qui a sanctionné l’issue de la marche, les enseignants syndicalistes disent constater, dans un premier temps, que « l’école des enfants des pauvres n’est pas une priorité pour les autorités du Mali ». Par ailleurs, ils affirment suivre avec intérêt les différentes sorties médiatiques de la ministre du Travail ces derniers jours, qui n’ont, selon eux, d’autres buts que de « discréditer les enseignants ».

A en croire M. Fomba, la marche a été largement suivie partout au Mali, dans les cercles et communes. « Vu la mobilisation, il est clair que c’est le peuple qui est derrière les enseignants pour une école performante et pour l’obtention de meilleures conditions de vie et de travail des enseignants du Mali », indique t-il.

Déterminés à ne pas céder aux « intimidations, menaces et pressions de toute nature de la part du gouvernement », les enseignants assurent user de tous les moyens légaux pour atteindre leurs objectifs. Le gouvernement de son coté, affirme que les revendications sont « irrationnelles et insoutenables ». Et en attendant, les élèves sont privés de cours…

Crise sociale : Comment sortir de l’impasse ?

Crispations politiques, incompréhensions entre syndicats et autorités, situation économique difficile, frustrations et sentiment d’injustice dans la population, les maux qui assaillent la société malienne sont nombreux et se traduisent tous par un sentiment général d’insatisfaction touchant tous les secteurs de la vie. Si les causes de la crise sont profondes et ne datent pas d’aujourd’hui, les conséquences se font bien sentir et font craindre une impasse. Pourtant, les problèmes sont bien connus et les solutions existent. Elles passent par une concertation entre tous les acteurs, mais surtout par la volonté sans failles de mettre en œuvre les changements indispensables pour inverser la tendance.

L’origine de cette crispation est une précarité généralisée, qui touche tous les acteurs, selon M. Bakary Doumbia, le président du Forum des organisations de la société civile (FOSC). Consécutive à « l’incapacité des responsables à créer des emplois », cette précarité concerne non seulement les chômeurs mais aussi ceux qui travaillent. Un chômage de masse, important aussi bien en ville qu’en campagne, d’où les jeunes en quête de mieux être viennent grossir le rang de ceux de la ville. Ils se contentent alors de « travail à l’informel » ou « font semblant de travailler », ajoute M.Doumbia.

Pour ceux qui ont des revenus, comme les salariés par exemple, leurs ressources sont nettement inférieures à celles de la sous-région, même si des efforts ont été consentis, précise le président du FOSC. Concomitamment, les prix des produits de première nécessité flambent et sont de plus en plus hors de la portée du citoyen moyen. Cette conjonction de facteurs, qui a pour corollaire l’augmentation de la pauvreté, contribue à la crispation de la situation.

S’agissant particulièrement de la situation des travailleurs, dont plusieurs syndicats observent des mouvements de grève de façon récurrente, ils ont le sentiment d’être « les dindons de la farce », explique M. Doumbia. Ce qui crée de la frustration chez ces acteurs. Ils estiment en effet que les autorités prennent des engagements mais ne se préoccupent pas de comment les tenir. Comme si le seul fait de signer suffisait.

« Crise sociale, identitaire et politique, culturelle et même générationnelle », quelles que soient les différentes manifestations de ces tensions sociales, elles traduisent une crise réelle dans notre société, affirme pour sa part M. Boukary Guindo, sociologue.

Même si elles peuvent être nombreuses, leurs manifestations n’étant pas les mêmes, les causes immédiates de ce malaise, selon le sociologue, sont à chercher dans « une crise de la gouvernance ». Une insuffisance des autorités à faire face aux besoins vitaux des populations qui a conduit à une perte de confiance de ces dernières face à l’autorité administrative, de façon générale. Dans le contexte de la crise du Nord, qui s’est déplacée vers le Centre du pays, avec l’intrusion djihadiste, « certains, en raison de la frustration, se sont tournés vers ces forces du mal » pour combler le vide laissé par l’absence de l’État, analyse M. Guindo. Pour prendre place donc, les djihadistes se sont appuyés sur la division du tissu social pour « mettre à mal le lien sacré entre les différentes communautés » et ont exploité la frustration de la population pour recruter en son sein, créant « une crise communautarisée », plutôt que « communautaire », nuance M. Guindo.

Éducation en crise

L’un des aspects inquiétants de la crise concerne l’éducation. Notre pays traverse une véritable « crise éducationnelle », affirme M. Doumbia. Or, dans un pays où les enfants ne sont pas sérieusement formés et où les ressources humaines ne sont pas bien payées, se développer n’est pas possible, estime le responsable de la société civile.

Il faut que l’école retrouve sa place, au risque que des cadres venus d’ailleurs ne prennent la place des nôtres si ces derniers continuent d’être aussi mal formés. Et pour couronner ce tableau déjà pas très reluisant, qui exacerbe les tensions sociales, la corruption est devenue une véritable gangrène, présente dans toutes les sphères de la vie. Au point de « devenir un phénomène normal », déplore M. Doumbia. Ceux qui n’ont donc pas les moyens et subissent les effets de cette corruption généralisée grossissent le rang des « frustrés ».

L’une des conséquences immédiates de la précarité ambiante est l’effritement des valeurs sociales, avec la disparition de l’autorité parentale. Et dans un pays aux ressources plutôt mal gérées qu’insuffisantes, « où tout le monde veut s’enrichir et rapidement », la corruption devient la voie royale. Et ce sont les « fonds de l’État » qui constituent l’attraction. Et pire, dans un pays où l’on prône la promotion du secteur privé, le mélange des genres fausse toutes les règles du jeu.

Non respect des principes

Ainsi, seule une minorité concentre la plus grande partie des ressources. Et, à moins d’entrer dans le jeu de la corruption, la grande majorité subit encore la frustration. Pour sortir de « cette grande magouille », il faut respecter les principes, les normes et les valeurs, suggère M. Doumbia.

Principes de gestion, de gouvernance ou de démocratie, lorsque personne ne les respecte, le pays s’écroule. Un scénario catastrophe mais réaliste, qu’il faut redouter et prévenir.

S’il peut y avoir une responsabilité collective dans l’effritement des valeurs, le respect des principes incombe d’abord aux premiers responsables d’un pays, estiment tous les acteurs. Si ce respect n’est pas la règle au sommet, il ne le sera pas plus au niveau du citoyen ordinaire. Plus des mots, il faut des actes et l’indispensable exemplarité des responsables.

Pourtant, les structures de lutte contre la corruption au Mali, dont le Vérificateur général et l’Office central de lutte contre la corruption, ne manquent pas et fonctionnent à gros budgets. Mais pour quels résultats, s’interrogent plusieurs acteurs ?

Conférence nationale ?

En réalité, on ne pourra pas résoudre les difficultés du Mali si tout le monde ne s’assoit pas autour de la même table. « Que les acteurs acceptent de discuter de façon claire de tous les aspects de la crise et se mettent d’accord sur des choses simples sans arrière pensées », préconise le président du FOSC. Si la forme d’une conférence sociale suscite quelques réserves de sa part, il est indispensable qu’il y ait un dialogue, soutient-il.

Si la crise sociale est naturelle, elle ne peut avoir que 2 issues. Soit être fatale pour l’individu ou la société, qui ont besoin de cette étape pour évoluer, ou pour donner une véritable impulsion à l’évolution positive des situations.

Si la panacée n’est pas encore disponible, la crise politico sécuritaire qui a menacé l’existence du Mali nécessite l’amélioration de la gouvernance. Si la faiblesse de l’État a conduit notamment les acteurs du jeu politique à agir uniquement pour leurs propres intérêts, il faut retrouver les fondements du jeu démocratique, suggère M. Guindo. En effet, « il doit avoir beaucoup plus de transparence dans la gestion des affaires publiques et y associer davantage les populations ». Il faut surtout mettre un accent particulier sur la gestion des ressources naturelles et sur une répartition équitables des richesses, poursuit le sociologue.

L’administration doit s’adapter au changement, car « le management des hommes ne peut pas se faire au vingt et unième siècle comme on le faisait avant ». Sinon, le fossé continuera de s’agrandir entre les gouvernants et les gouvernés, ce qui ne fera qu’augmenter les frustrations, prévient M. Guindo. La gouvernance « doit être plus inclusive, plus participative et la justice plus équitable », ajoute t-il.

Il faut donc concerter les populations, qui ne manquent pas de ressources et de propositions pour sortir de la crise. Jeunes, vieux, femmes, toutes ces catégories détiennent une partie de la solution, estime le Professeur Ibrahim N’Diaye, sociologue, Directeur général du Centre d’études multipolaire « Do kayidara ». Si « une conférence nationale peut aider, il faut plus que cela, un processus de concertations plus long, plus large. Donc des séries de conférences nationales, pour permettre aux communautés de s’exprimer le plus complètement et le plus sincèrement possible ». « Si c’est juste pour réunir les officiels et les représentants de certaines associations, les populations ne s’y reconnaitront pas », ajoute le Professeur N’Diaye.

Khalid Dembelé : « Il faut diminuer le train de vie de l’État »

Le Premier ministre a annoncé le 21 janvier la rationalisation de dépenses publiques en carburants, produits alimentaires, achats de véhicules, billets d’avion et missions hors du pays. 14,194 milliards de francs CFA devraient être économisés sur les deux premiers volets. En même temps les grèves se succèdent pour l’amélioration des conditions de vie des Maliens. Le doctorant Khalid Dembelé, économiste et chercheur au CRAPES, répond aux questions de Journal du Mali à ce sujet.

Cette décision était-elle attendue ?

Lorsqu’on regarde les inégalités et l’extrême pauvreté au Mali, l’insécurité et les grèves de l’UNTM et d’autres syndicats, tout cela signifie qu’il y a un gouvernement qui dit qu’il est en difficulté, mais son train de vie ne fait qu’augmenter. La population veut voir, malgré les difficultés, des efforts de sa part. Il y a besoin aujourd’hui de baisser le train de vie de l’État rien que pour calmer le front social, en pleine ébullition.

Quels pourront être les effets de ces mesures ?

Si tout cela s’exécute dans le concret, elles permettront à l’État de faire des économies et d’augmenter sa capacité d’investissement. Quand les gens ont de l’argent ils peuvent améliorer leur niveau de consommation. Ces mesures doivent créer un surplus budgétaire. En épargnant, l’État doit investir et créer de l’emploi. Ce faisant on améliore les conditions de vie des populations de façon collective.

Rien que pour les carburants et produits alimentaires, cela représentera 14,194 milliards de francs CFA. C’est significatif ?

Absolument, surtout dans une économie petite comme la nôtre. Cela permettra de lever des fonds pour investir. Mais le problème c’est l’écart entre ce que notre État dit et ce qui se passe concrètement. Ce n’est pas la première fois qu’on entend de telles déclarations de baisse du train de vie de l’État. Mais quand on regarde la Loi de finances de 2019, le train de vie de l’État n’a pas baissé, mais plutôt augmenté par rapport à 2018. Il y a un écart entre ce que l’Exécutif dit et sa réelle volonté de le matérialiser.

Comment se présente la croissance ?  

La croissance économique va baisser, par ce que l’on passera de 5,1 à 4,9%. Une baisse de croissance fait référence quelque part à une baisse d’activité et d’investissements et il y aura donc une augmentation du chômage. La dette publique  va également augmenter. Cela veut dire que ce sont les générations futures qui seront exposées. Il y a l’insécurité grandissante et un front social en ébullition. Tout cela augure d’une instabilité sociopolitique. Il y a trop d’incertitudes pour qu’un investisseur ayant la tête sur les épaules se lance dans ce contexte.